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À vos copies !
Droit des obligations
Date de la réception tacite des travaux dans le contrat d’entreprise
Chaque mois, retrouvez le commentaire d’une décision de justice issue de l’actualité jurisprudentielle.
Ce mois-ci, Dalloz Actu Étudiant vous propose de commenter l’arrêt Civ. 3e, 1er avr. 2021, n° 19-25.563.
Travail préparatoire
Rappel de méthodologie
Un commentaire d’arrêt est un exercice qui comprend deux temps : l’explication de l’arrêt et son appréciation.
En d’autres termes, il faut, en premier lieu, expliquer le sens de l’arrêt. Ce qui suppose d’abord de le lire très attentivement, pour bien le comprendre. Ensuite, et c’est un temps essentiel de votre commentaire, il vous faut identifier la question que l’arrêt à commenter a résolue. En outre, il vous faut détecter la ou les règles de droit qui fondent la décision qui vous est soumise. Enfin, il vous faut faire un exercice de mémoire (si vous composez votre commentaire dans le cadre d’un examen) ou de recherche (si vous composez librement votre commentaire), non seulement pour découvrir le thème général dans lequel s’inscrit l’arrêt à commenter, mais encore pour trouver des éléments bibliographiques qui vous permettront de mieux comprendre l’arrêt que vous devez commentez et donc de mieux l’expliquer.
En second lieu, après avoir expliqué le sens de l’arrêt et démontrer que vous l’avez compris, vous devez apprécier l’arrêt à commenter, donner une opinion sur la façon dont la Cour de cassation a tranché le litige et répondu à la question de droit, au fond, il vous faut juger les juges, vous prononcer sur la valeur de la décision, ce qui sera d’autant plus simple que vous pourrez la situer dans le temps, c’est-à-dire en déterminer la portée. Dans cette perspective d’appréciation de la valeur de l’arrêt, il vous faut exploiter des éléments bibliographiques qui vous permettront de recueillir les diverses opinions doctrinales qui se sont prononcées sur la question de droit réglée par la Cour de cassation, et de vous prononcer sur la pertinence des diverses thèses en présence à propos de la question de droit, celle que soutenaient les juges du fond, celle du demandeur au pourvoi et puis celle retenue par la Cour de cassation qui sera fatalement peu ou prou une des deux précédentes.
Analyse de l’arrêt
Analyser l’arrêt conduit à s’en tenir à le présenter en vue d’introduire votre commentaire. Voici la démarche à suivre :
– d’abord, il vous faut sélectionner les faits qui seront utiles dans la perspective de votre commentaire ;
– en outre, il convient de qualifier les faits, ce qui revient à les faire entrer dans une catégorie juridique donnée ;
– ensuite, il faut exposer les différentes étapes de la procédure, à savoir la décision des juges du fond, puis le moyen du pourvoi ;
– de plus, il vous faut énoncer la question de droit que l’arrêt a tranchée ;
– enfin, il convient d’exposer la solution que la Cour de cassation a finalement retenue.
Dans l’arrêt qu’il vous faut ici commenter, reprenons cette démarche :
Sélection des faits : La société La Maison du treizième a confié à la société Kemica, assurée auprès de la société Allianz, la réalisation de travaux d'étanchéité de la toiture de bâtiments donnés à bail commercial à la société Gifi Mag.
Se plaignant de désordres causés par une partie des travaux, la société Gifi Mag a obtenu la condamnation de la société La Maison du treizième à procéder à des travaux de reprise.
La société La Maison du treizième a assigné les sociétés Kemica et Allianz aux fins de les voir condamner à exécuter les travaux de remise en état de la toiture et à la garantir des condamnations prononcées au profit de sa locataire.
Entre-temps, la société Kemica a fait l’objet d’une liquidation judiciaire.
La société La Maison du treizième, qui a, en cours d’instance, réalisé les travaux de réfection, a modifié ses prétentions et demandé de retenir la responsabilité décennale de la société Kemica et, subsidiairement, sa responsabilité contractuelle, fixer sa créance au passif de la liquidation de la société Kemica et condamner la société Allianz au paiement de certaines sommes.
Qualification des faits : Un maître d’ouvrage confie à un entrepreneur des travaux d’étanchéité de la toiture de bâtiments, dont les locaux sont donnés à bail commercial. Se plaignant d’infiltrations causées par les travaux, le preneur obtient la condamnation du propriétaire à des travaux de reprise après expertise. Ce dernier, après avoir assigné l’entrepreneur et son assureur pour les voir condamner à exécuter les travaux de reprise et garantir des condamnations prononcées au profit de son locataire, modifie en cours d’instance ses prétentions pour voir retenir la responsabilité décennale de l’entrepreneur mis en liquidation judiciaire, et, subsidiairement, sa responsabilité contractuelle, fixer sa créance au passif de la liquidation et condamner l’assureur au paiement de certaines sommes.
Procédure : La cour d’appel rejette ses demandes, le maître d’ouvrage n’apportant pas la preuve que la réception des travaux était antérieure à l’apparition des désordres, réception qu’elle situe donc à la date d’encaissement du chèque remis en paiement du solde de ces travaux, le 23 octobre 2006.
Énoncé du pourvoi : Le maître forme un pourvoi arguant que la réception, antérieure à la date retenue par les juges du fond, devait être située à la date d’émission du chèque, soit le 13 juillet 2006. Mais le pourvoi sera rejeté.
Problème de droit : Quelle date retenir pour le paiement des travaux par chèque, dont dépend celle de leur réception ? Celle portée sur le chèque, celle de sa remise ou celle de son encaissement ?
Solution : La Cour de cassation rejette le pourvoi. En application de l’article 1792-6 du Code civil, selon lequel la prise de possession de l'ouvrage et le paiement des travaux font présumer la volonté non équivoque du maître de l'ouvrage de le recevoir avec ou sans réserves, elle juge que la cour d’appel a retenu « à bon droit que la réception se situe à la date de l’émission du chèque, qui correspond à la date à laquelle le tireur s’en est irrévocablement séparé, notamment en le remettant au bénéficiaire ou en l’envoyant par la poste », date qu’il lui incombe de prouver. Et « c’est dans l’exercice de son pouvoir souverain qu’elle a, d’une part, retenu que la seule mention manuscrite de la date de règlement au 13 juillet 2006 sur un « tableau récapitulatif des règlements » ne permettait pas d’établir que le chèque avait été remis à cette date et que la société [maître d’ouvrage] ne produisait, par ailleurs, aucun courrier ou avis de réception accompagnant la remise de ce chèque, d’un montant important, qui eût permis de dater cette remise, d’autre part, déduit de ces motifs que la date de règlement était celle de l’encaissement du chèque, soit le 23 octobre 2006, qui devait être considérée comme étant la date à laquelle avait eu lieu la réception tacite de l’ouvrage ».
L’élaboration du commentaire
L’analyse de l’arrêt est désormais effectuée. Reste à bâtir et nourrir le commentaire.
Il est de bonne méthode de rechercher alors dans quelle thématique générale s’inscrit l’arrêt à commenter, ce qu’une parfaite identification des questions de droit tranchée par l’arrêt vous permet aisément de découvrir.
En l’occurrence, l’arrêt porte sur la date de la réception tacite des travaux dans le contrat d’entreprise
La structure du commentaire
Pour construire votre commentaire, en clair pour élaborer son plan, il convient d’expliquer l’arrêt et d’apprécier sa solution. Ce qui consiste :
– à en restituer clairement le sens ;
– à en déterminer la portée ;
– et à en discuter la valeur,
étant entendu que ces trois éléments sont ici d’égale importance.
Proposition de plan détaillé
Avant l’analyse de l’arrêt proprement dite qui compose le cœur de l’introduction, il faut insister sur son contexte. Après quoi, vous pouvez intégrer l’analyse de l’arrêt proprement dite.
Enfin, après avoir exposé la décision retenue par la Cour de cassation, vous devez annoncer le plan de votre commentaire.
I. Le rappel de la présomption de réception tacite des travaux
A. Définition et modalités de l’obligation de réception
· Réception : acte juridique unilatéral par lequel le maître de l’ouvrage approuve les travaux accomplis par l’entrepreneur, reconnaît la conformité de l’ouvrage réalisé à celui commandé et déclare l’accepter, avec ou sans réserves.
· Réception s’opère le plus souvent au moment de la livraison de l’ouvrage.
· Réception : droit pour le maître de l’ouvrage (celui de vérifier la correcte exécution des travaux), mais également une obligation, susceptible d’être prononcée judiciairement à la demande de l’entrepreneur (C. civ., art. 1792-6)
B. L’application du principe de consensualisme
· Par principe, aucune forme requise : la réception peut donc être tacite (Civ. 3e, 12 oct. 1988, n° 87-11.174), à la condition d’être univoque (Civ. 3e, 3 mai 1990, n° 88-19.301) car même tacite, la réception doit être certaine : doit être caractérisée la volonté non équivoque du maître de recevoir l’ouvrage.
· Eléments constitutifs : la Cour de cassation rappelle que « la prise de possession de l’ouvrage et le paiement des travaux font présumer la volonté non équivoque du maître de l’ouvrage de le recevoir avec ou sans réserves » (V. pour une dernière illustration, Civ. 3e, 1er avr. 2021, n° 20-14.975)= 2 critères cumulatifs (ex. Civ. 3e, 6 mai 2015, n° 13-24.947 : la seule prise de possession ne suffit pas à l’établir).
· V. JP antérieure sur l’application de cette présomption :
Prise de possession jointe au paiement intégral = réception tacite caractérisée (Civ. 3e, 16 mars 1994, n° 92-10.957; comp. Civ. 3e, 6 mai 2015, préc. : la seule prise de possession ne suffit pas à l’établir ; idem pour le seul paiement, même intégral, du prix : Civ. 3e, 30 sept. 1998, n° 96-17.014).
Paiement sans réserve du solde du prix concomitant à l’achèvement des travaux (Civ. 3e, 23 mai 2012, n° 11-10.502).
· En toute hypothèse, les juges doivent, pour caractériser une réception tacite, rechercher si la prise de possession manifeste une volonté non équivoque du maître d’accepter l’ouvrage. Ils doivent aussi en préciser la date.
II. La précision de la date de réception tacite des travaux
A. La date de paiement par chèque du prix des travaux
· La réception résulte en général et en l’espèce du paiement du solde du prix des travaux.
· Mais à quelle date situer ce règlement du solde du prix en cas de paiement par chèque ? Ppe = date de son émission = dépossession irrévocable pour le tireur du chèque. Caractérisation du règlement du prix, et donc, de la réception tacite des travaux.
B. La preuve de la date d’émission du chèque
· Si en cas de paiement par chèque, la date à retenir est celle de l’émission du chèque, il incombe au maître d’ouvrage de prouver celle-ci (absence de présomption) pour permettre de considérer la date d’émission du chèque comme date de réception tacite.
· Si comme en l’espèce, la preuve de celle-ci ne peut être rapportée, la date à retenir = l’encaissement du chèque, qui établit avec certitude le paiement et donc la réception tacite des travaux.
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