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À vos copies !
Droit de la famille
Droit au respect de la vie privée d’un enfant né d’une GPA à l’étranger
Chaque mois, retrouvez le commentaire d’une décision de justice issue de l’actualité jurisprudentielle.
Ce mois-ci, Dalloz Actu Étudiant vous propose de commenter l’arrêt CEDH, 22 nov. 2022, nos 58817/15 et 58252/15, D.B. et autres c/ Suisse.
Travail préparatoire
Rappel de méthodologie
Un commentaire d’arrêt est un exercice qui comprend deux temps : l’explication de l’arrêt et son appréciation.
En d’autres termes, il faut, en premier lieu, expliquer le sens de l’arrêt. Ce qui suppose d’abord de le lire très attentivement, pour bien le comprendre. Ensuite, et c’est un temps essentiel de votre commentaire, il vous faut identifier la question que l’arrêt à commenter a résolue. En outre, il vous faut détecter la ou les règles de droit qui fondent la décision qui vous est soumise. Enfin, il vous faut faire un exercice de mémoire (si vous composez votre commentaire dans le cadre d’un examen) ou de recherche (si vous composez librement votre commentaire), non seulement pour découvrir le thème général dans lequel s’inscrit l’arrêt à commenter, mais encore pour trouver des éléments bibliographiques qui vous permettront de mieux comprendre l’arrêt que vous devez commentez et donc de mieux l’expliquer.
En second lieu, après avoir expliqué le sens de l’arrêt et démontrer que vous l’avez compris, vous devez apprécier l’arrêt à commenter, donner une opinion sur la façon dont la Cour de cassation a tranché le litige et répondu à la question de droit, au fond, il vous faut juger les juges, vous prononcer sur la valeur de la décision, ce qui sera d’autant plus simple que vous pourrez la situer dans le temps, c’est-à-dire en déterminer la portée. Dans cette perspective d’appréciation de la valeur de l’arrêt, il vous faut exploiter des éléments bibliographiques qui vous permettront de recueillir les diverses opinions doctrinales qui se sont prononcées sur la question de droit réglée par la Cour de cassation, et de vous prononcer sur la pertinence des diverses thèses en présence à propos de la question de droit, celle que soutenaient les juges du fond, celle du demandeur au pourvoi et puis celle retenue par la Cour de cassation qui sera fatalement peu ou prou une des deux précédentes.
Analyse de l’arrêt
Analyser l’arrêt conduit à s’en tenir à le présenter en vue d’introduire votre commentaire. Voici la démarche à suivre :
– d’abord, il vous faut sélectionner les faits qui seront utiles dans la perspective de votre commentaire ;
– en outre, il convient de qualifier les faits, ce qui revient à les faire entrer dans une catégorie juridique donnée ;
– ensuite, il faut exposer les différentes étapes de la procédure, à savoir la décision des juges du fond, puis le moyen du pourvoi ;
– de plus, il vous faut énoncer la question de droit que l’arrêt a tranchée ;
– enfin, il convient d’exposer la solution que la Cour de cassation a finalement retenue.
Dans l’arrêt qu’il vous faut ici commenter, reprenons cette démarche :
■ Sélection des faits : Non marié, un couple de personnes de même sexe conclut une convention de GPA aux États-Unis. Sur le sol américain, la filiation de l’enfant né de cette convention est reconnue à l’égard de ses deux pères d’intention. De retour en Suisse, le couple demande aux autorités locales la retranscription à l’état civil de l’acte de naissance de l’enfant.
■ Qualification des faits : Un couple de même sexe uni par un pacte civil demande la retranscription à l’état civil de l’acte de naissance de leur enfant, né à l’étranger à l’issue d’une convention de GPA interdite dans leur pays.
■ Procédure : Cette demande est rejetée par l’office de l’état civil du canton de leur résidence. À la suite d’un recours formé contre cette décision, le couple accède à sa demande d’inscription à l’état civil de l’acte de naissance de leur enfant. L’Office fédéral de la justice (OFJ) conteste cette décision devant le Tribunal administratif cantonal. Après avoir mis en balance les intérêts en présence, en l’occurrence l’interdiction de la GPA en Suisse et « le bien » de l’enfant, le tribunal considéra que l’enfant ne devait pas subir les conséquences négatives du choix de ses parents et qu’il en va de son intérêt de voir sa filiation légalement établie à l’égard de ses deux pères d’intention. L’OFJ saisit alors le Tribunal fédéral, qui annule l’arrêt de la juridiction cantonale au motif que le recours à une convention de GPA afin de contourner l’interdiction en Suisse de la maternité pour autrui constitue une fraude à la loi : s’il reconnaît le lien de filiation entre l’enfant et son père d’intention génétique, il refuse en revanche de reconnaître le lien constaté par la justice américaine entre l’enfant et son parent d’intention non génétique. À la suite de cette décision, le couple saisit la Cour européenne à l’effet de voir reconnu le lien de filiation de l’enfant à l’égard de son second parent d’intention.
■ Moyen du pourvoi : Les requérants dénoncent le refus des autorités suisses de reconnaître le lien de filiation entre le parent d’intention non génétique (premier requérant) et l’enfant (troisième requérant) en ce qu’il constituerait, principalement, une violation du droit au respect de la vie privée de l’enfant.
■ Problème de droit : Le refus de reconnaitre le lien de filiation établi à l’étranger entre un enfant né d’une GPA et son père d’intention non génétique porte-t-il atteinte au droit au respect de la vie privée de l’enfant ?
■ Solution : Après avoir rappelé les principes généraux issus de ses précédents jurisprudentiels, la Cour européenne juge que le droit au respect de la vie privée de l’enfant requiert que le droit interne des États parties à la Convention offre une possibilité de reconnaissance d’un lien de filiation entre l’enfant et son parent d’intention (ibidem, dispositif, § 1), même non génétique, le caractère d’ordre public de l’interdiction de la GPA en droit suisse ne pouvant donc justifier à lui seul une atteinte à ce droit. Nécessaire au respect de la vie privée de l’enfant né d’une GPA à l’étranger, cette reconnaissance peut toutefois être effectuée autrement que par la retranscription sur les registres de l’état civil de l’acte de naissance légalement établi à l’étranger. Toutefois, la Cour constate qu’à la date de naissance du troisième requérant, le droit suisse n’offrait aux deux premiers aucune possibilité de reconnaître le lien de filiation entre le parent d’intention non génétique (le premier requérant) et l’enfant. En effet, l’interdiction de la GPA en droit suisse s’opposait à la transcription de l’acte de naissance et de surcroît, l’adoption n’était ouverte qu’aux couples mariés, excluant les couples unis par un partenariat enregistré. La Cour observe que durant presque 7 ans et 8 mois, le couple n’avait donc aucune possibilité de faire reconnaître le lien de filiation du second parent d’intention, l’enfant s’étant ainsi trouvé dans une incertitude juridique quant à son identité dans la société et privé de la possibilité de vivre et d’évoluer dans un milieu stable. La Cour juge donc que le refus des autorités suisses de reconnaître l’acte de naissance établi légalement à l’étranger concernant le lien de filiation entre les premier et troisième requérants, conjugué à l’absence de modes alternatifs de reconnaissance de ce lien, contrevenait à l’intérêt supérieur de l’enfant. Autrement dit, l’impossibilité générale et absolue d’obtenir la reconnaissance du lien de filiation entre le troisième et le premier requérant pendant un laps de temps significatif constitue une ingérence disproportionnée dans le droit de l’enfant au respect de sa vie privée protégée par l’article 8. La Suisse a donc excédé sa marge d’appréciation en n’ayant pas prévu à temps, dans sa législation, une telle possibilité.
I. Droit au respect de la vie privée d’un enfant né à l’étranger d’une GPA : le principe de reconnaissance de sa filiation paternelle
A. À l’égard de son parent d’intention génétique
● Arrêts Mennesson (CEDH, 26 juin 2014, Mennesson c/ France, n° 65192/11 ; voir aussi CEDH, 26 juin 2014, Labassee c. France, n° 65941/11) : sanction de la France pour le refus de retranscription des actes de naissance établissant le lien de filiation entre les enfants et leur père biologique ;
● Fondement : art. 8 Conv. EDH : droit au respect de la vie privée de l’enfant ;
● En l’espèce, ce lien de filiation a été reconnu par les autorités suisses ; pas de sanction à ce titre.
B. À l’égard de son parent d’intention non génétique
● Arrêt D. c. France (CEDH, 16 juill. 2020, D c. France, n° 11288/18, § 41 : le principe de reconnaissance du lien de filiation entre l’enfant et son parent d’intention s’applique également au parent d’intention non génétique de l’enfant (en l’espèce, à la mère d’intention) ;
● Fondement : art. 8 Conv. EDH : droit au respect de la vie privée de l’enfant ;
● En l’espèce, ce lien de filiation n’a pas été reconnu par les autorités suisses ; par analogie, la Cour applique le principe dégagé dans l’arrêt D. c. France au père d’intention non génétique de l’enfant ; sanction à ce titre de la Suisse.
II. Droit au respect de la vie privée d’un enfant né à l’étranger d’une GPA : la mise en œuvre de la reconnaissance de son lien de filiation paternelle
A. La possibilité de modes alternatifs à la retranscription de l’acte de naissance
● CEDH, arrêt Mennesson (précité) ; Avis consultatif, 10 avr.2019, (CEDH, 10 avr. 2019, n° P-16‑2018‑001) : transcription de l’acte de naissance à l’état civil est un mode possible mais non exclusif de reconnaissance du lien de filiation ;
● Autres modes possibles : acte de reconnaissance, possession d’état, adoption ;
● Justification : découlant de son droit à la vie privée, le droit de l’enfant à l’établissement de son identité, dont sa filiation, est moins directement en jeu lorsqu’il s’agit non du principe même de l’établissement de celle-ci mais des moyens de la mettre œuvre.
B. La nécessité de modes alternatifs à la retranscription de l’acte de naissance
● En présence de modes alternatifs, l’État défendeur peut échapper au grief d’atteinte à la vie privée ; v. arrêt D. c. France, préc. (refus de retranscription mais possibilité d’adoption) ;
● En l’absence de modes alternatifs, l’État défendeur sera, comme en l’espèce, condamné, au motif de l’impossibilité générale et absolue d’obtenir la reconnaissance du lien de filiation entre l’enfant et son parent d’intention.
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