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Droit des obligations
Enrichissement injustifié : application de la loi dans le temps et calcul de l’indemnité
Chaque mois, retrouvez le commentaire d’une décision de justice issue de l’actualité jurisprudentielle.
Ce mois-ci, Dalloz Actu Étudiant vous propose de commenter l’arrêt Civ. 1re, 3 mars 2021, n° 19-19.000.
Travail préparatoire
Rappel de méthodologie
Un commentaire d’arrêt est un exercice qui comprend deux temps : l’explication de l’arrêt et son appréciation.
En d’autres termes, il faut, en premier lieu, expliquer le sens de l’arrêt. Ce qui suppose d’abord de le lire très attentivement, pour bien le comprendre. Ensuite, et c’est un temps essentiel de votre commentaire, il vous faut identifier la question que l’arrêt à commenter a résolue. En outre, il vous faut détecter la ou les règles de droit qui fondent la décision qui vous est soumise. Enfin, il vous faut faire un exercice de mémoire (si vous composez votre commentaire dans le cadre d’un examen) ou de recherche (si vous composez librement votre commentaire), non seulement pour découvrir le thème général dans lequel s’inscrit l’arrêt à commenter, mais encore pour trouver des éléments bibliographiques qui vous permettront de mieux comprendre l’arrêt que vous devez commentez et donc de mieux l’expliquer.
En second lieu, après avoir expliqué le sens de l’arrêt et démontrer que vous l’avez compris, vous devez apprécier l’arrêt à commenter, donner une opinion sur la façon dont la Cour de cassation a tranché le litige et répondu à la question de droit, au fond, il vous faut juger les juges, vous prononcer sur la valeur de la décision, ce qui sera d’autant plus simple que vous pourrez la situer dans le temps, c’est-à-dire en déterminer la portée. Dans cette perspective d’appréciation de la valeur de l’arrêt, il vous faut exploiter des éléments bibliographiques qui vous permettront de recueillir les diverses opinions doctrinales qui se sont prononcées sur la question de droit réglée par la Cour de cassation, et de vous prononcer sur la pertinence des diverses thèses en présence à propos de la question de droit, celle que soutenaient les juges du fond, celle du demandeur au pourvoi et puis celle retenue par la Cour de cassation qui sera fatalement peu ou prou une des deux précédentes.
Analyse de l’arrêt
Analyser l’arrêt conduit à s’en tenir à le présenter en vue d’introduire votre commentaire. Voici la démarche à suivre :
– d’abord, il vous faut sélectionner les faits qui seront utiles dans la perspective de votre commentaire ;
– en outre, il convient de qualifier les faits, ce qui revient à les faire entrer dans une catégorie juridique donnée ;
– ensuite, il faut exposer les différentes étapes de la procédure, à savoir la décision des juges du fond, puis le moyen du pourvoi ;
– de plus, il vous faut énoncer la question de droit que l’arrêt a tranchée ;
– enfin, il convient d’exposer la solution que la Cour de cassation a finalement retenue.
Dans l’arrêt qu’il vous faut ici commenter, reprenons cette démarche :
Sélection des faits : Deux personnes vivent en concubinage entre novembre 2014 et décembre 2015. À la séparation du couple, l’ex-concubin prétend avoir participé à la construction de la piscine creusée sur le terrain de sa concubine. Il l’assigne en justice pour obtenir une contrepartie pécuniaire à sa contribution sur le fondement de l’enrichissement sans cause.
Qualification des faits : Deux concubins cohabitent entre novembre 2014 et décembre 2015. À la séparation du couple, l’ex-concubin argue avoir participé à la construction de la piscine construite sur le terrain dont son ancienne partenaire est propriétaire. Il l’assigne en justice pour obtenir une indemnité sur le fondement de l’enrichissement injustifié, anciennement qualifié d’enrichissement sans cause.
Procédure : La cour d’appel accueille sa demande, au motif qu’il a effectivement exposé des frais pour la construction de la piscine sur le terrain de son ancienne concubine. Elle applique au calcul de l’indemnité, dont elle le juge donc créancier, l’article 1303 du Code civil, issu de l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, pour parvenir à une somme de 24 227,16 €.
Énoncé du moyen : Son ancienne concubine se pourvoit en cassation, se prévalant de deux principaux moyens :
- d’une part, en vertu du principe de non-rétroactivité de la loi civile, l’article 1303 n’était pas applicable au litige, le concubinage ayant eu lieu entre novembre 2014 et décembre 2015 ;
- d’autre part, les modalités de calcul des juges du fond étaient erronées, ces derniers n’ayant pas pris en compte la plus-value générée par la piscine ainsi construite.
Problème de droit :
1) Quelle est la loi applicable à un litige relatif à l’enrichissement injustifié né d’un concubinage antérieur à 2016 ?
2) Le calcul de l’indemnité résultant du succès de l’action de in rem verso doit-il tenir de la plus-value générée par le bien construit sur le bien d’autrui ?
Solution : Pour juger le premier moyen non fondé, la Cour de cassation s’appuie sur plusieurs règles d’application de la réforme dans le temps : l’article 9 de l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, qui fixe son entrée en vigueur au 1er octobre 2016. Elle ajoute qu’en l’absence de disposition transitoire concernant les quasi-contrats lorsqu’une instance a été introduite après cette date, les règles de conflit de lois dans le temps sont celles du droit commun, prévues à l’article 2 du Code civil. Selon ce texte, la loi ne dispose que pour l’avenir et elle n’a point d’effet rétroactif.
Elle déduit de ce qui précède que si la loi applicable aux conditions d’existence de l’enrichissement injustifié est celle du fait juridique qui en est la source, la loi nouvelle s’applique immédiatement à la détermination et au calcul de l’indemnité. Elle estime en conséquence que « la cour d’appel a déterminé l’indemnisation de celui-ci en se référant à bon droit aux dispositions de l’article 1303 du code civil, dans sa rédaction issue de l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, lequel n’a fait que reprendre la règle de droit antérieure ».
Le deuxième moyen justifie en revanche la cassation de la décision des juges du fond pour défaut de base légale. Au visa de l’article 1303 du Code civil, selon lequel l’indemnité due au titre de l’enrichissement injustifié est égale à la moindre des deux valeurs de l’enrichissement et de l’appauvrissement, elle relève que l’arrêt s’est borné à retenir le montant de l’appauvrissement, correspondant au coût de la construction d’une piscine dans la propriété de la demanderesse, sans rechercher, comme il le lui incombait, la plus-value qui en était résulté et dont la prise en compte se révélait nécessaire pour fixer le montant final de l’indemnité, qui doit être égale à la moins élevée des deux sommes représentatives de l’enrichissement et de l’appauvrissement
L’élaboration du commentaire
L’analyse de l’arrêt est désormais effectuée. Reste à bâtir et nourrir le commentaire.
Il est de bonne méthode de rechercher alors dans quelle thématique générale s’inscrit l’arrêt à commenter, ce qu’une parfaite identification des questions de droit tranchée par l’arrêt vous permet aisément de découvrir.
En l’occurrence, l’arrêt porte sur l’enrichissement injustifié : application de la loi dans le temps et calcul de l’indemnité.
La structure du commentaire
Pour construire votre commentaire, en clair pour élaborer son plan, il convient d’expliquer l’arrêt et d’apprécier sa solution. Ce qui consiste :
– à en restituer clairement le sens ;
– à en déterminer la portée ;
– et à en discuter la valeur,
étant entendu que ces trois éléments sont ici d’égale importance.
Proposition de plan détaillé
Avant l’analyse de l’arrêt proprement dite qui compose le cœur de l’introduction, il faut insister sur son contexte. Après quoi, vous pouvez intégrer l’analyse de l’arrêt proprement dite.
Enfin, après avoir exposé la décision retenue par la Cour de cassation, vous devez annoncer le plan de votre commentaire.
I. L’application différenciée de la loi dans le temps
A. Selon l’existence ou les effets de l’enrichissement
· Existence : « la loi applicable aux conditions d’existence de l’enrichissement injustifié est celle du fait juridique qui en est la source », c-a-d le fait générateur ayant donné lieu à l’enrichissement injustifié = en l’espèce, le concubinage, qui seul détermine la loi applicable à la qualification de ce quasi-contrat (l’acte introductif d’instance n’est pas pris en compte).
· Effets : l’indemnisation consécutive à l’existence d’un enrichissement injustifié = application immédiate du texte nouveau (1303) aux modalités de calcul dans l’instance postérieure à la rupture du concubinage : « la loi nouvelle s’applique immédiatement à la détermination et au calcul de l’indemnité ».
B. Justification de la différenciation
· Codification à droit constant : « la cour d’appel a déterminé l’indemnisation de celui-ci en se référant à bon droit aux dispositions de l’article 1303 du code civil (…), lequel n’a fait que reprendre la règle de droit antérieure ». Simple légalisation d’une règle déjà acquise concernant l’évaluation de l’indemnité.
· Conséquence : aucun intérêt ici à distinguer le droit antérieur du droit nouveau, sur le fond identique. Avant comme après l’ordonnance, indemnité calculée sur la base de la règle inchangée dite du double plafond = prise en compte de la plus faible des deux sommes entre l’appauvrissement de celui qui a payé et l’enrichissement corrélatif du concubin propriétaire.
II. La prise en compte de la plus-value pour le calcul de l’indemnité
A. Une recherche nécessaire
· V. le moyen ayant entraîné la cassation : prise en compte des dépenses liées aux factures de l’entreprise ayant posé la piscine (= 24 227,16 €) insuffisante.
· Prise en compte de la plus-value déterminante en matière d’enrichissement injustifié ; règle ancienne et acquise (Civ. 1re, 19 janv. 1953) ; donc en l’espèce, le calcul devait être effectué à la fois en fonction du coût de la construction de la piscine mais également de la plus-value générée par cette édification supplémentaire ; or la cour d’appel n’avait pas procédé à cette recherche.
B. Une opération indispensable
· Obligation d’évaluer la plus-value générée par l’enrichissement pour calculer l’indemnité due à l’appauvri.
· But : éviter de fausser le calcul de l’indemnité finale, devant être exacte pour être juste (a fortiori dans le cadre d’une action fondée sur un enrichissement injustifié) ; la plus-value doit être précisément évaluée pour qu’en application de la règle du double-plafond, l’indemnité finale soit exacte dans son montant.
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