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À vos copies !

Illustration et application dans le temps d’un revirement de jurisprudence

[ 1 juin 2021 ] Imprimer

Droit des obligations

Illustration et application dans le temps d’un revirement de jurisprudence

Chaque mois, retrouvez le commentaire d’une décision de justice issue de l’actualité jurisprudentielle.

Ce mois-ci, Dalloz Actu Étudiant vous propose de commenter les arrêts Civ. 1re, 19 mai 2021, n° 19-25.749 et n° 20-17.779.

Travail préparatoire

Rappel de méthodologie

Un commentaire d’arrêt est un exercice qui comprend deux temps : l’explication de l’arrêt et son appréciation.

En d’autres termes, il faut, en premier lieu, expliquer le sens de l’arrêt. Ce qui suppose d’abord de le lire très attentivement, pour bien le comprendre. Ensuite, et c’est un temps essentiel de votre commentaire, il vous faut identifier la question que l’arrêt à commenter a résolue. En outre, il vous faut détecter la ou les règles de droit qui fondent la décision qui vous est soumise. Enfin, il vous faut faire un exercice de mémoire (si vous composez votre commentaire dans le cadre d’un examen) ou de recherche (si vous composez librement votre commentaire), non seulement pour découvrir le thème général dans lequel s’inscrit l’arrêt à commenter, mais encore pour trouver des éléments bibliographiques qui vous permettront de mieux comprendre l’arrêt que vous devez commentez et donc de mieux l’expliquer.

En second lieu, après avoir expliqué le sens de l’arrêt et démontrer que vous l’avez compris, vous devez apprécier l’arrêt à commenter, donner une opinion sur la façon dont la Cour de cassation a tranché le litige et répondu à la question de droit, au fond, il vous faut juger les juges, vous prononcer sur la valeur de la décision, ce qui sera d’autant plus simple que vous pourrez la situer dans le temps, c’est-à-dire en déterminer la portée. Dans cette perspective d’appréciation de la valeur de l’arrêt, il vous faut exploiter des éléments bibliographiques qui vous permettront de recueillir les diverses opinions doctrinales qui se sont prononcées sur la question de droit réglée par la Cour de cassation, et de vous prononcer sur la pertinence des diverses thèses en présence à propos de la question de droit, celle que soutenaient les juges du fond, celle du demandeur au pourvoi et puis celle retenue par la Cour de cassation qui sera fatalement peu ou prou une des deux précédentes.

Analyse de l’arrêt

Analyser l’arrêt conduit à s’en tenir à le présenter en vue d’introduire votre commentaire. Voici la démarche à suivre :

– d’abord, il vous faut sélectionner les faits qui seront utiles dans la perspective de votre commentaire ;

– en outre, il convient de qualifier les faits, ce qui revient à les faire entrer dans une catégorie juridique donnée ;

– ensuite, il faut exposer les différentes étapes de la procédure, à savoir la décision des juges du fond, puis le moyen du pourvoi ;

– de plus, il vous faut énoncer la question de droit que l’arrêt a tranchée ;

– enfin, il convient d’exposer la solution que la Cour de cassation a finalement retenue.

Dans l’arrêt qu’il vous faut ici commenter, reprenons cette démarche :

Sélection des faits : 

Des personnes souhaitaient ouvrir des instituts d’esthétique pour pratiquer notamment des épilations. Elles ont, dans cette perspective, conclu un contrat de franchise avec la société D…, laquelle proposait des méthodes d’épilation définitive dite « par lumière pulsée ». Le droit d’entrée dans le réseau s’élevait à 28 400 € pour le premier franchisé, à 52 800 € pour les seconds ; dans les deux affaires, les franchisés n’ont pu obtenir le financement nécessaire au règlement de ces droits.

Qualification des faits : Des exploitants d’instituts esthétiques pour l’établissement desquels ils ont conclu un contrat de franchise entendent se délier de leur engagement contractuel, qu’ils ne peuvent en définitive financer.

Procédure : Les franchisés assignent le franchiseur en nullité du contrat pour objet illicite. Dans la première espèce (pourvoi n° 19-25.749), la cour d’appel d’Aix-en-Provence refuse d’annuler le contrat. Dans la seconde espèce (pourvoi n° 20-17.779), la même cour d’appel annule au contraire les contrats de franchise litigieux au motif « qu’en 2014, l’épilation à la lumière pulsée exercée par des non-médecins, proposée par le franchiseur, était une activité illicite relevant d’un exercice illégal de la médecine, tout mode d’épilation, sauf à la pince ou à la cire, étant interdit aux non-médecins ».

Énoncé du moyen : Dans la première affaire, le franchisé fonde son pourvoi en cassation sur la législation sanitaire qui, en dépit des évolutions jurisprudentielles, continue de réserver aux médecins la pratique de cette méthode épilatoire ; l’article L. 4161-1 du Code de la santé publique indique en effet que toute personne n’ayant pas la qualité de médecin qui se livre à l’un des actes prévus par un arrêté (Arr. du 6 janv. 1962, art. 2, 5°) dressant la liste des actes médicaux ne pouvant être pratiqués que par des médecins, exerce illégalement la médecine ; or selon ce dernier texte, la pratique de tout mode d'épilation, à l'exception des épilations pratiquées à la pince ou à la cire, est réservée aux médecins.

Dans la seconde affaire, le franchiseur fait grief à la juridiction d’appel d’avoir, au mépris de son droit à un procès équitable, méconnu le principe d'application immédiate des revirements de jurisprudence. 

Problème (s) de droit : 1) Un contrat ayant pour objet la pratique d'épilations à la lumière pulsée par un professionnel n’ayant pas la qualité de médecin est-il néanmoins licite ?

2) Comment s’applique, dans le temps, un revirement de jurisprudence ?

Solution : Par une motivation « enrichie », accompagnant désormais tout revirement de jurisprudence, la première chambre civile rend une nouvelle solution sur la question en refusant d’annuler les contrats de franchise pour objet illicite et en conséquence, rejette le pourvoi formé dans la première affaire et casse l’arrêt d’appel rendu dans la seconde. Ainsi la première chambre civile de la Cour de cassation abandonne-t-elle sa jurisprudence antérieure selon laquelle les professionnels non médecins ne pouvaient réaliser d'épilations à la lumière pulsée et conformément au principe de la rétroactivité des revirements de jurisprudence, applique celui ici opéré à l’instance en cours.

L’élaboration du commentaire 

L’analyse de l’arrêt est désormais effectuée. Reste à bâtir et nourrir le commentaire.

Il est de bonne méthode de rechercher alors dans quelle thématique générale s’inscrit l’arrêt à commenter, ce qu’une parfaite identification des questions de droit tranchée par l’arrêt vous permet aisément de découvrir. 

En l’occurrence, l’arrêt porte sur l’application dans le temps d’un revirement de jurisprudence.

La structure du commentaire

Pour construire votre commentaire, en clair pour élaborer son plan, il convient d’expliquer l’arrêt et d’apprécier sa solution. Ce qui consiste :

– à en restituer clairement le sens ;

– à en déterminer la portée ;

– et à en discuter la valeur,

étant entendu que ces trois éléments sont ici d’égale importance.

Proposition de plan détaillé

Avant l’analyse de l’arrêt proprement dite qui compose le cœur de l’introduction, il faut insister sur son contexte. Après quoi, vous pouvez intégrer l’analyse de l’arrêt proprement dite.

Enfin, après avoir exposé la décision retenue par la Cour de cassation, vous devez annoncer le plan de votre commentaire.

I.               La réalisation d’un revirement de jurisprudence

A.     La nouveauté du principe

·       Licéité de l’objet du contrat portant sur la pratique de l’épilation par lumière pulsée; comp. jp antérieure : Civ. 1re, 14 déc. 2016, n° 15-21.597, 15-24.610 ; v.aussi, dans l’ordre administratif, CE 28 mars 2013, n° 348089, réservant cette pratique aux médecins ; adde, en droit pénal, Crim. 13 sept. 2016, n° 15-85.046 : pratique constitutive d’un cas d’exercice illégal de la médecine.

·       Fondement : notion d’objet du contrat. Instrument traditionnel de contrôle de licéité du contrat, ie conformité du contrat aux normes juridiques (légales ou réglementaires) applicables (comp. nouveau vocable de « contenu » du contrat, art. 1162 C. civ.)

·       En l’espèce, absence de violation d’une quelconque norme légale ou réglementaire, notam. depuis 2 revirements (CE 8 nov. 2019, n° 424954 ; Crim. 31 mars 2020, n° 19-85.121), procédant d’un changement d’interprétation des textes applicables en la matière (CSP, art. L. 4161-1, qui renvoie à un Arr. du 6 janv. 1962, art. 2, 5°).

B.     La portée du principe

·       Unanimité judiciaire sur l’ouverture de la pratique de cette méthode d’épilation aux professionnels non médecins.

·       Harmonisation des jurisprudences administrative, pénale et civile 

·       Conséquence essentielle : absence de sanction, pénale ou civile ; au pénal, cette pratique ne constitue plus un cas d’exercice illégal de la médecine, en sorte qu’au civil, les contrats (de franchise en l’espèce) qui portent sur cette pratique ne peuvent être annulés pour illicéité de l’objet (ou du contenu) contractuel.

II.             L’application du revirement de jurisprudence

A.      Une application rétroactive

·       Règle générale : changement d’interprétation de la loi par le juge, le revirement est par principe rétroactif ; ce n’est que par exception qu’il ne joue que pour l’avenir (en cas de privation du droit d’accès au juge, comme ici rappelé).

·       Fondement : caractère déclaratif (et non constitutif) de la jurisprudence ; rétroactivité justifiée par l’idée que l’interprétation de la loi par le juge fait corps avec la loi interprétée ; l’interprétation judiciaire s’applique donc au jour où la loi est entrée en vigueur.

B.     L’application corrélative du revirement aux instances en cours

·       Si l’interprétation judiciaire change par l’effet d’un revirement, le juge l’appliquera donc immédiatement pour trancher le litige à l’occasion duquel il a été opéré ; application rétroactive puisqu’au moment de la naissance du litige, une solution jurisprudentielle différente était retenue.

·       En l’espèce, la rétroactivité du revirement joue pour les deux litiges à l’occasion desquels il a été opéré. Le revirement s’applique donc immédiatement aux instances en cours.

·       Portée : le revirement s’applique au litige et au-delà du litige, c’est-à-dire à tous les litiges similaires, en cours + à ceux introduits antérieurement au revirement intervenu (V. 2e esp.).

 


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