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À vos copies !

La bonne foi contractuelle au service de la protection de l’avocat collaborateur

[ 20 juin 2023 ] Imprimer

Droit des obligations

La bonne foi contractuelle au service de la protection de l’avocat collaborateur

Chaque mois, retrouvez le commentaire d’une décision de justice issue de l’actualité jurisprudentielle.

Ce mois-ci, Dalloz Actu Étudiant vous propose de commenter l’arrêt Civ. 1re, 25 mai 2023, n° 21-25.333.

 

Sur la méthodologie du commentaire d’arrêt : V. vidéo Dalloz

Travail préparatoire

Rappel de méthodologie

Un commentaire d’arrêt est un exercice qui comprend deux temps : l’explication de l’arrêt et son appréciation.

En d’autres termes, il faut, en premier lieu, expliquer le sens de l’arrêt. Ce qui suppose d’abord de le lire très attentivement, pour bien le comprendre. Ensuite, et c’est un temps essentiel de votre commentaire, il vous faut identifier la question que l’arrêt à commenter a résolue. En outre, il vous faut détecter la ou les règles de droit qui fondent la décision qui vous est soumise. Enfin, il vous faut faire un exercice de mémoire (si vous composez votre commentaire dans le cadre d’un examen) ou de recherche (si vous composez librement votre commentaire), non seulement pour découvrir le thème général dans lequel s’inscrit l’arrêt à commenter, mais encore pour trouver des éléments bibliographiques qui vous permettront de mieux comprendre l’arrêt que vous devez commentez et donc de mieux l’expliquer.

En second lieu, après avoir expliqué le sens de l’arrêt et démontrer que vous l’avez compris, vous devez apprécier l’arrêt à commenter, donner une opinion sur la façon dont la Cour de cassation a tranché le litige et répondu à la question de droit, au fond, il vous faut juger les juges, vous prononcer sur la valeur de la décision, ce qui sera d’autant plus simple que vous pourrez la situer dans le temps, c’est-à-dire en déterminer la portée. Dans cette perspective d’appréciation de la valeur de l’arrêt, il vous faut exploiter des éléments bibliographiques qui vous permettront de recueillir les diverses opinions doctrinales qui se sont prononcées sur la question de droit réglée par la Cour de cassation, et de vous prononcer sur la pertinence des diverses thèses en présence à propos de la question de droit, celle que soutenaient les juges du fond, celle du demandeur au pourvoi et puis celle retenue par la Cour de cassation qui sera fatalement peu ou prou une des deux précédentes.

Analyse de l’arrêt

Analyser l’arrêt conduit à s’en tenir à le présenter en vue d’introduire votre commentaire. Voici la démarche à suivre :

– d’abord, il vous faut sélectionner les faits qui seront utiles dans la perspective de votre commentaire ;

– en outre, il convient de qualifier les faits, ce qui revient à les faire entrer dans une catégorie juridique donnée ;

– ensuite, il faut exposer les différentes étapes de la procédure, à savoir la décision des juges du fond, puis le moyen du pourvoi ;

– de plus, il vous faut énoncer la question de droit que l’arrêt a tranchée ;

– enfin, il convient d’exposer la solution que la Cour de cassation a finalement retenue.

Dans l’arrêt qu’il vous faut ici commenter, reprenons cette démarche :

 Sélection des faits : En 2012, une société d'avocats résilie le contrat de collaboration qu’elle avait conclu trois ans plus tôt. Son ancien collaborateur dénonce une rupture abusive du contrat et des faits de harcèlement moral commis par un avocat associé du cabinet.

 Qualification des faits : Son contrat de collaboration unilatéralement résilié, un avocat, exerçant à titre libéral, assigne la société d’avocats ayant ainsi rompu son contrat en responsabilité contractuelle pour rupture abusive et le harcèlement moral dont il aurait été victime de la part d’un associé de la société.

 Procédure : La cour d’appel retient, d’une part, la responsabilité de la société en raison de la rupture abusive du contrat de collaboration. Elle énonce que la société d’avocats avait invoqué dans la lettre de rupture des griefs infondés, faussement tirés d’un traitement laxiste des dossiers, d’une attitude incorrecte avec les salariés du cabinet, de l’absence de signalement d’une période de sous-charge ou encore d’une majoration artificielle de son temps de travail ; or tous ces arguments se sont révélés être des prétextes fallacieux ; elle constate également la brutalité de la rupture, malgré le respect d’un délai de prévenance de quatre mois, dans la mesure où la résiliation du contrat a été unilatéralement et soudainement décidée alors que la relation contractuelle se déroulait à la satisfaction mutuelle des parties, que les évaluations du collaborateur étaient positives au point de s’être traduites par l’attribution de primes et d’augmentations conséquentes. D’autre part, la juridiction du second degré engage la responsabilité contractuelle de la société en raison des faits de harcèlement moral commis par l’un de ses associés.

 Moyens du pourvoi : 1 / En l’absence d’obligation de motiver la rupture d’un contrat à durée indéterminée, le juge ne peut exiger de la partie à laquelle il est reproché un abus dans la rupture d’un contrat de collaboration libérale qu’elle justifie de griefs réels et sérieux à l’encontre de son cocontractant. 2/ Une condamnation par le juge civil pour harcèlement moral suppose que les conditions posées par l’article L. 1152-1 du Code du travail soient réunies et que la victime puisse donc se prévaloir de l’existence d’un contrat de travail, alors qu’il était ici question d’un contrat de collaboration non salarié.

 Problème de droit : Un avocat collaborateur exerçant à titre libéral peut-il dénoncer la fausseté des motifs de la résiliation de son contrat et le harcèlement moral dont il a été victime pour engager la responsabilité contractuelle de son ancien cocontractant ?

 Solution : 1) « Si une partie peut résilier un contrat de collaboration dans le respect des modalités prévues sans avoir [à] justifier d’un quelconque motif, elle engage sa responsabilité en cas d’abus dans l’exercice de ce droit », notamment lorsque le cabinet d’avocats invoque « dans la lettre de rupture des griefs […] infondés » et qu’il agit « soudainement et brutalement alors que la relation contractuelle se déroulait à la satisfaction mutuelle des parties » ;

2) « Il résulte des articles 1134, alinéa 3, et 1147 du code civil, dans leur rédaction antérieure à celle issue de l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, que l’avocat collaborateur libéral peut obtenir la réparation du préjudice causé par des faits de harcèlement moral caractérisant un manquement aux obligations essentielles inhérentes au contrat de collaboration et que la responsabilité de l’associé auteur du harcèlement peut être engagée à titre personnel ».

Au nom du principe de loyauté contractuelle, l’avocat collaborateur libéral peut obtenir la réparation du préjudice causé par des faits de harcèlement moral caractérisant un manquement aux obligations essentielles inhérentes au contrat de collaboration. De même, en cas de fallacieux prétextes motivant la résiliation de son contrat, l’abus de droit est reconnu.

 

I.  Abus du droit de rompre un contrat de collaboration

A.       La liberté de rupture

● Liberté de rompre un contrat à durée indéterminée : principe général garantissant la liberté individuelle (Cons. const. 9 nov. 1999, n° 99-419 DC, en application de l’art. 4 de la DDH) ; droit de résiliation unilatérale : expression de la liberté individuelle de son titulaire ;

● Absence d’obligation de motivation : droit de résiliation discrétionnaire ; absence de contrôle des motifs de la rupture ; rappel du régime applicable aux contrats à durée indéterminée : « (…) une partie peut résilier un contrat de collaboration dans le respect des modalités prévues sans avoir [à] justifier d’un quelconque motif » (RIN, art. 14.4. ; C. civ., art. 1201) » ; résiliation vue comme une prérogative contractuelle unilatérale discrétionnaire, sans contrôle des motifs.

B.       La réserve de l’abus

● Responsabilité de l’auteur de la rupture « en cas d’abus dans l’exercice de ce droit » ; règle prétorienne générale : « La règle selon laquelle les conventions doivent être exécutées de bonne foi permet au juge de sanctionner l’usage déloyal d’une prérogative contractuelle » (Com. 10 juill. 2007, n° 06-14.768 ) ;

● Critères de l’abus : emploi volontaire d’un faux motif et brutalité de la rupture ; critères en l’espèce cumulatifs ;

● Premier critère de l’abus : fausseté du motif ; condamnation des « griefs infondés » ; critère des motifs fallacieux déjà appliqué en jurisprudence ; v. pour le contrat d’exercice médical, Civ. 1re, 6 juill. 2000, n° 98-12.828 ; pour la révocation d’un mandat social, Soc. 22 nov. 1972, n° 71-12.390 et Com. 3 janv. 1996, n° 94-10.765 ; pour la rupture d’un contrat de distribution, Com. 5 oct. 1993, n° 91-10.408 = critère justifié par l’appartenance du contrat de collaboration à la catégorie des contrats « relationnels », conclus intuitu personae ;

● Second critère de l’abus : brutalité dans la rupture ; soit par l’absence de préavis, soit par la contradiction de la décision de rompre avec les circonstances entourant l’exécution du contrat : la société avait agi « soudainement et brutalement alors que la relation contractuelle se déroulait à la satisfaction mutuelle des parties, que les évaluations de M. [X] étaient positives et s’étaient traduites par l’attribution de primes et des augmentations conséquentes de sa rétrocession » ;

● Sanction de l’abus : réparation du préjudice moral résultant de l’atteinte à la réputation et à la dignité de la victime de l’abus (C. civ., art. 16).

I.  Déloyauté dans l’exécution du contrat de collaboration

A.       La reconnaissance d’un harcèlement moral constitutif d’un manquement contractuel

● Sources légales du harcèlement moral : articles L. 1152-1 du Code du travail et 222-33-2 du Code pénal ; prohibition applicable aux agissements venant de collègues ou de collaborateurs (harcèlement horizontal) ;

● Problème : inapplicabilité de ces textes à des collaborateurs indépendants (Crim. 13 déc. 2016, n° 16-81.253) ; cf. l’argument du pourvoi ; cependant, recherche de la responsabilité non pas pénale mais civile de la société d’avocats ; or la cour d’appel a retenu que les faits de harcèlement moral imputés à la société d’avocats et à l’associé étaient établis ; la Cour de cassation. les juge constitutifs d’un manquement aux obligations inhérentes au contrat de collaboration ;

● Harcèlement moral assimilé à un manquement contractuel ; cf. obligations essentielles inhérentes au contrat de collaboration : « indépendance, honneur, dignité, confraternité, délicatesse, modération et courtoisie » (RIN, art. 1.3)

● Sont en ce sens constitutifs d’un harcèlement moral à l’endroit d’un collaborateur, les propos ou comportements répétés émanant d’un associé du cabinet, détenteur d’une autorité de droit ou de fait, ayant pour objet ou effet une dégradation des conditions de la collaboration susceptible de porter atteinte à sa dignité ou à ses droits fondamentaux ou d’altérer sa santé physique ou mentale.

● Analyse approuvée par la Cour de cassation : possibilité pour l’avocat collaborateur libéral d’obtenir la réparation du préjudice causé par des faits de harcèlement moral ;

B.       La réparation civile du harcèlement moral

● Source contractuelle originelle du délit de harcèlement, né du manquement à « l’obligation d’exécuter loyalement le contrat de travail » (Soc. 13 juill. 2005, n° 03-44.980); obligation de respecter la moralité et la dignité du salarié, intégrées au champ contractuel ;

● Lien de la prohibition du harcèlement moral avec le contrat : prohibition fondée sur l’exigence de bonne foi contractuelle ; portée : tous les contrats relationnels, comme les mandats sociaux (lorsque des dirigeants minoritaires ou non associés subissent des atteintes à leur honneur de la part des associés) ou encore les membres d’un réseau de distribution intégré.

● Responsabilité de l’associé engagée à titre personnel et responsabilité contractuelle du cabinet ; même si les faits sont commis par un associé, civilement, l’associé agit comme un organe ou un représentant de la société personne morale (Civ. 2e, 27 avr. 1977, Sté Guerre, n° 75-14.761).

 


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