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Incidence de la distinction entre formation et exécution d’une obligation conditionnelle sur l’exception de nullité

[ 8 février 2022 ] Imprimer

Droit des obligations

Incidence de la distinction entre formation et exécution d’une obligation conditionnelle sur l’exception de nullité

Chaque mois, retrouvez le commentaire d’une décision de justice issue de l’actualité jurisprudentielle.

Ce mois-ci, Dalloz Actu Étudiant vous propose de commenter l’arrêt Com. 19 janv. 2022, n° 20-14.010.

Travail préparatoire

Rappel de méthodologie

Un commentaire d’arrêt est un exercice qui comprend deux temps : l’explication de l’arrêt et son appréciation.

En d’autres termes, il faut, en premier lieu, expliquer le sens de l’arrêt. Ce qui suppose d’abord de le lire très attentivement, pour bien le comprendre. Ensuite, et c’est un temps essentiel de votre commentaire, il vous faut identifier la question que l’arrêt à commenter a résolue. En outre, il vous faut détecter la ou les règles de droit qui fondent la décision qui vous est soumise. Enfin, il vous faut faire un exercice de mémoire (si vous composez votre commentaire dans le cadre d’un examen) ou de recherche (si vous composez librement votre commentaire), non seulement pour découvrir le thème général dans lequel s’inscrit l’arrêt à commenter, mais encore pour trouver des éléments bibliographiques qui vous permettront de mieux comprendre l’arrêt que vous devez commentez et donc de mieux l’expliquer.

En second lieu, après avoir expliqué le sens de l’arrêt et démontrer que vous l’avez compris, vous devez apprécier l’arrêt à commenter, donner une opinion sur la façon dont la Cour de cassation a tranché le litige et répondu à la question de droit, au fond, il vous faut juger les juges, vous prononcer sur la valeur de la décision, ce qui sera d’autant plus simple que vous pourrez la situer dans le temps, c’est-à-dire en déterminer la portée. Dans cette perspective d’appréciation de la valeur de l’arrêt, il vous faut exploiter des éléments bibliographiques qui vous permettront de recueillir les diverses opinions doctrinales qui se sont prononcées sur la question de droit réglée par la Cour de cassation, et de vous prononcer sur la pertinence des diverses thèses en présence à propos de la question de droit, celle que soutenaient les juges du fond, celle du demandeur au pourvoi et puis celle retenue par la Cour de cassation qui sera fatalement peu ou prou une des deux précédentes.

Analyse de l’arrêt

Analyser l’arrêt conduit à s’en tenir à le présenter en vue d’introduire votre commentaire. Voici la démarche à suivre :

– d’abord, il vous faut sélectionner les faits qui seront utiles dans la perspective de votre commentaire ;

– en outre, il convient de qualifier les faits, ce qui revient à les faire entrer dans une catégorie juridique donnée ;

– ensuite, il faut exposer les différentes étapes de la procédure, à savoir la décision des juges du fond, puis le moyen du pourvoi ;

– de plus, il vous faut énoncer la question de droit que l’arrêt a tranchée ;

– enfin, il convient d’exposer la solution que la Cour de cassation a finalement retenue.

Dans l’arrêt qu’il vous faut ici commenter, reprenons cette démarche :

■ Sélection des faits : Une personne physique et une société ont conclu le 5 mai 2000 une promesse de cession des parts qu’ils détenaient d’une SARL exploitant un hôtel à Biarritz dont la gestion a été confiée à deux sociétés distinctes entre 2005 et 2017. La cession avait été convenue sous deux conditions suspensives tenant au remboursement échelonné par la SARL exploitant l’hôtel du solde créditeur des comptes courants détenus par les promettants. Ladite société est placée en redressement judiciaire en 2009. Un plan de continuation a été décidé et plusieurs augmentations de capital ont été souscrites dans cette optique par diverses sociétés exploitant d’autres hôtels. Les promettants refusent de céder leurs parts malgré l’engagement du 5 mai 2000.

■ Qualification des faits : le 5 mai 2000, une personne physique et une société avaient conclu une promesse de cession des parts qu’ils détenaient d’une SARL exploitant un hôtel dont la gestion fut par la suite confiée, entre 2005 et 2017, à deux autres sociétés. Cette cession avait été conclue sous deux conditions suspensives tenant au remboursement échelonné de la SARL du solde créditeur des comptes courants détenus par les promettants. Dans cette perspective, après que cette société eut été placée en redressement judiciaire assorti d’un plan de continuation, plusieurs augmentations de capital avaient été souscrites par plusieurs sociétés d’hôtellerie. C’est alors que les promettants refusèrent d’honorer leur engagement de cession de parts pris dix ans plus tôt.

■ Procédure : La société bénéficiaire de la promesse avait alors assigné les promettants, ainsi que les sociétés ayant procédé aux augmentations de capital pour obtenir, notamment, leur annulation de même que celle des parts sociales émises. En défense, les promettants lui opposèrent une exception de nullité tirée de la vileté du prix et de l’absence de cause du contrat de cession. L’affaire ayant donné lieu à un premier arrêt de cassation, notamment pour défaut de base légale concernant la mise en jeu de la condition suspensive, rendu en 2017 par la chambre commerciale (Com. 15 mars 2017, nos 15-16.609 et 15-17.589), elle était ensuite revenue devant la Cour d’appel de Paris, autrement composée. Celle-ci refusa de faire le jeu de l’exception de nullité soulevée par les promettants en raison de la réalisation des conditions suspensives « les paiements intervenus pour solder les créances de comptes courants, qui aurait ainsi fait débuter l’exécution de l’obligation de vendre les parts, ces paiements s’analys(a)nt en un commencement d’exécution de la promesse ».

■ Moyen du pourvoi : Les promettants forment un pourvoi en cassation, reprochant à l’arrêt attaqué d’avoir déduit en les confondant l’exécution de l’obligation de cession de la réalisation des conditions suspensives.

■ Problème de droit : La réalisation d’une condition suspensive peut-elle constituer un commencement d’exécution de l’obligation susceptible de faire échec à la perpétuité de l’exception de nullité alléguée par son débiteur ?

■ Solution : La chambre commerciale casse l’arrêt d’appel au motif « qu’une condition suspensive fait dépendre l’obligation souscrite d’un événement futur et incertain mais ne constitue pas l’objet de l’obligation, de sorte que la réalisation de la condition ne constitue pas l’exécution, même partielle, de cette obligation et ne peut, par suite, faire échec au caractère perpétuel d’une exception de nullité ». Ainsi la réalisation des conditions suspensives n’emportait-elle pas, en l’espèce, l’exécution de l’obligation, même partielle, en sorte que l’exception de nullité pouvait être valablement opposée.

 

I.               Distinction entre modalité et exécution de l’obligation

A.     La condition suspensive, une notion précisée 

● Modalité de l’obligation faisant dépendre la naissance même du lien de droit à un événement futur et incertain que les parties ont décidé d’ériger en condition de leur engagement ; modalité accessoire de l’obligation principale du contrat revenant à soumettre la formation de l’obligation à la réalisation de l’événement érigé par les parties en condition de leur engagement ;

● Distincte de « l’objet de l’obligation » ; simple modalité déterminante de sa formation ;

● Si l’événement, futur et incertain, se produit, la condition suspensive est réalisée ; naissance de l’obligation initialement affectée d’une telle modalité ; formation définitive de l’obligation souscrite sous condition suspensive (sans rétroactivité, depuis la réforme de 2016).

B.     La réalisation de la condition suspensive, des effets limités

● Déterminante de la formation de l’obligation, la réalisation de la condition suspensive est sans effet sur son exécution ; à ce stade, la condition suspensive n’a plus de rôle à jouer ; une fois l’obligation formée, son caractère contraignant peut s’exercer au stade de l’exécution ;

● Absence d’influence de la réalisation de la condition stipulée sur l’exécution de l’obligation qu’elle a conditionnée ; 

● Fondement : distinction classique entre formation et exécution du contrat ;

● En l’espèce, distinction entre les paiements effectués pour solder les comptes courants (réalisation des conditions suspensives) et le contrat de promesse en lui-même (exécution de l’obligation de cession), s’analysant en un droit personnel distinct.

II.             Conséquences de la distinction sur l’exception de nullité

A.     Incidence du commencement d’exécution sur l’exception de nullité

● Perpétuité attachée au moyen de défense tiré de l’exception de nullité, qui rend celle-ci imprescriptible (C. Civ., art. 1185), sauf en cas de commencement d’exécution ;

● Si la partie qui invoque la nullité par voie d’exception a commencé à exécuter l’obligation dont elle demande l’annulation, elle perd le bénéfice de la perpétuité attachée à l’exception de nullité ;

B.     Absence d’incidence de la réalisation de la condition sur l’exception de nullité

● Absence d’équivalence entre réalisation de la condition suspensive et commencement d’exécution (cf distinction précédente entre formation et exécution) ;

● Réalisation de la condition : sans effet sur le jeu de l’exception de nullité (contra décision de la CA : la réalisation de la condition suspensive a fait débuter l’exécution de l’obligation, d’où son refus d’accueillir le moyen de défense des promettants) ;

● En l’espèce, l’exécution n’avait donc pas commencé avec la seule réalisation des conditions suspensives ; seule la formation de l’obligation était acquise ; rien n’empêchait alors aux promettants d’arguer, par voie d’exception, que le contrat était nul.

 


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