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À vos copies !
Droit des obligations
Influence de la summa divisio droit réel/droit personnel sur la prescription
Chaque mois, retrouvez le commentaire d’une décision de justice issue de l’actualité jurisprudentielle.
Ce mois-ci, Dalloz Actu Étudiant vous propose de commenter l’arrêt Civ. 3e, 6 avr. 2022, n° 21-13.891
Travail préparatoire
Rappel de méthodologie
Un commentaire d’arrêt est un exercice qui comprend deux temps : l’explication de l’arrêt et son appréciation.
En d’autres termes, il faut, en premier lieu, expliquer le sens de l’arrêt. Ce qui suppose d’abord de le lire très attentivement, pour bien le comprendre. Ensuite, et c’est un temps essentiel de votre commentaire, il vous faut identifier la question que l’arrêt à commenter a résolue. En outre, il vous faut détecter la ou les règles de droit qui fondent la décision qui vous est soumise. Enfin, il vous faut faire un exercice de mémoire (si vous composez votre commentaire dans le cadre d’un examen) ou de recherche (si vous composez librement votre commentaire), non seulement pour découvrir le thème général dans lequel s’inscrit l’arrêt à commenter, mais encore pour trouver des éléments bibliographiques qui vous permettront de mieux comprendre l’arrêt que vous devez commentez et donc de mieux l’expliquer.
En second lieu, après avoir expliqué le sens de l’arrêt et démontrer que vous l’avez compris, vous devez apprécier l’arrêt à commenter, donner une opinion sur la façon dont la Cour de cassation a tranché le litige et répondu à la question de droit, au fond, il vous faut juger les juges, vous prononcer sur la valeur de la décision, ce qui sera d’autant plus simple que vous pourrez la situer dans le temps, c’est-à-dire en déterminer la portée. Dans cette perspective d’appréciation de la valeur de l’arrêt, il vous faut exploiter des éléments bibliographiques qui vous permettront de recueillir les diverses opinions doctrinales qui se sont prononcées sur la question de droit réglée par la Cour de cassation, et de vous prononcer sur la pertinence des diverses thèses en présence à propos de la question de droit, celle que soutenaient les juges du fond, celle du demandeur au pourvoi et puis celle retenue par la Cour de cassation qui sera fatalement peu ou prou une des deux précédentes.
Analyse de l’arrêt
Analyser l’arrêt conduit à s’en tenir à le présenter en vue d’introduire votre commentaire. Voici la démarche à suivre :
– d’abord, il vous faut sélectionner les faits qui seront utiles dans la perspective de votre commentaire ;
– en outre, il convient de qualifier les faits, ce qui revient à les faire entrer dans une catégorie juridique donnée ;
– ensuite, il faut exposer les différentes étapes de la procédure, à savoir la décision des juges du fond, puis le moyen du pourvoi ;
– de plus, il vous faut énoncer la question de droit que l’arrêt a tranchée ;
– enfin, il convient d’exposer la solution que la Cour de cassation a finalement retenue.
Dans l’arrêt qu’il vous faut ici commenter, reprenons cette démarche :
■ Sélection des faits : Le propriétaire d'un lot reproche aux propriétaires d'un lot voisin d'avoir, courant 2008, construit à la limite de sa propriété un abri à usage d'appentis et de local à vélos au sein du lotissement, en violation du cahier des charges.
■ Qualification des faits : En 2008, les propriétaires d’un immeuble ont bâti, en violation du cahier des charges d’un lotissement, un abri à vélos au sein de ce lotissement. Un litige les oppose à un autre coloti, dont la propriété se trouverait atteinte par la construction, édifiée à la limite de son lot.
■ Procédure : Ce dernier agit à la fois en démolition de l’abri litigieux et en indemnisation de son préjudice. La cour d’appel qualifie son action, appréciée dans sa globalité, de personnelle. Elle la soumet en conséquence à la prescription quinquennale de droit commun (C. civ., art. 2224) pour la déclarer, au cas d’espèce, irrecevable comme prescrite.
■ Moyen du pourvoi : Le demandeur fait grief à la cour d’appel de ne pas avoir tenu compte de la dualité d’objet de son action : si celle en réparation de son préjudice constitue bien une action personnelle soumise à la prescription quinquennale de droit commun, celle engagée en démolition de la construction, introduite sur le fondement de la violation du cahier des charges, est soumise à une prescription trentenaire dès lors que la clause dont la méconnaissance est invoquée institue un droit réel. Or si le délai de cinq ans était en l’espèce expiré, tel n’était pas le cas du second délai de prescription en sorte que son action, encore ouverte, ne pouvait être déclarée irrecevable comme prescrite.
■ Problème de droit : La summa divisio droit réel /droit personnel a-t-elle une incidence sur la prescription d’une action engagée tant en démolition d’une construction édifiée en violation d’une charge réelle qu’en indemnisation du préjudice personnel en résultant ?
■ Solution : À cette question, la Cour de cassation répond par l’affirmative. Au double visa des articles 2224 et 2227 du code civil, elle casse la décision des juges du fond, affirmant la nécessité de distinguer suivant l’objet de l’action : d’une part, « (l)'action tendant à obtenir la démolition d'une construction édifiée en violation d'une charge réelle grevant un lot au profit des autres lots en vertu d'une stipulation du cahier des charges d'un lotissement est une action réelle immobilière soumise à la prescription trentenaire ». En revanche et d’autre part, « (l)'action en réparation du préjudice personnel que prétend avoir subi le propriétaire d'un lot en raison de la violation des stipulations du cahier des charges est une action personnelle soumise à la prescription quinquennale ».
I. La distinction des droits réel et personnel
● Fondatrice de la summa divisio personne/chose ; cf dualité d’objet du droit civil : s’intéresse à la personne elle-même, aux relations qu’elle noue avec autrui, mais également aux choses sur lesquelles elle exerce son pouvoir ; le code civil pose ainsi des règles relatives tant aux personnes qu’aux biens ; cf notion de droit subjectif : prérogative d’un individu, reconnue et sanctionnée par le droit objectif, qui s’exerce sur une chose ou à l’encontre d’une personne ;
● Subjectifs, droits réel et personnel sont toutefois distincts ; critère de distinction fondé sur la structure du droit = le droit personnel crée un lien entre deux personnes puisqu’il confère à une personne (le créancier) le droit d’exiger d’une autre personne (le débiteur), l’accomplissement d’une prestation (Ex : celui qui prête de l’argent peut, en tant que créancier, exiger de son débiteur le remboursement de la somme prêtée) / le droit réel établit un contact direct et immédiat entre une personne et une chose, qui ne nécessite pas l’intervention d’une autre personne (Ex : le droit de propriété confère à un individu déterminé la prérogative d’user, de jouir et de disposer d’une chose ; contact direct et immédiat avec la chose traduit par la faculté de l’habiter, de la louer, de la vendre voire de la détruire).
B. Une distinction relative
● Droits réel et personnel = des droits patrimoniaux ; la qualification va de soi pour le droit réel ; à préciser pour le droit personnel : pas de confusion droit personnel /droit extrapatrimonial= le droit personnel (ou droit de créance) confère à une personne – le créancier- le droit d’exiger d’une autre personne, le débiteur, l’accomplissement d’une prestation. La créance s’inscrit à l’actif du patrimoine du créancier, tandis que la dette s’inscrit au passif du patrimoine du débiteur ;
● Parmi les caractères communs aux droits patrimoniaux, la prescriptibilité des droits ; droits réel et personnel sont également soumis au mécanisme de la prescription, acquisitive comme extinctive (avec une exception pour le droit réel de propriété, qui ne se perd pas par le non-usage) ;
● En l’espèce, tant l’action de nature réelle engagée par le demandeur que celle de nature personnelle se voit appliquer un délai de prescription, en l’occurrence extinctive.
II. Conséquences de la distinction sur la prescription
A. La durée du délai de prescription
● L’application de la prescription est cependant différenciée selon la nature réelle ou personnelle de l’action ; même relative, la distinction des droits réels et personnels emporte donc des conséquences en matière de prescription ;
● C. civ., art. 2224 : les actions personnelles se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer ;
● C. civ., art. 2227 : les actions réelles immobilières se prescrivent par trente ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer ;
● Application de ces textes au cas d’espèce : à la fois réelle et personnelle, l’action engagée par le demandeur était enfermée dans un double délai de prescription, quinquennal et trentenaire.
B. L’enjeu de la qualification
● Intérêt de la double qualification retenue en l’espèce : la première action (réelle) est encore ouverte, seule la seconde (personnelle) étant prescrite ; l’action réelle engagée par le demandeur, sur le fondement de son droit de propriété, lui permet ainsi d’échapper au jeu de la prescription extinctive de son action personnelle ;
● Rappelée par la Cour pour censurer l’arrêt d’appel qui l’avait ignorée, cette conséquence directe et immédiate de la summa divisio réel/personnel souligne l’importance et l’enjeu d’une qualification idoine : l’action qualifiée de réelle l’est en ce qu’elle vise à faire respecter le droit réel de propriété ; l’action qualifiée de personnelle l’est en ce qu’elle vise à la réparation d’un préjudice personnel au demandeur, détenteur d’une créance en réparation à l’égard de ses débiteurs (les propriétaires du lot voisin ayant édifié la construction) ;
● V. égal. à propos de la prescription de l’action en exécution forcée d’une promesse de vente, qualifiée d’action personnelle si le transfert de propriété n’a pas encore eu lieu, Civ. 3e, 8 juill. 2021, n° 19-26.342 ; et de l’action en résolution de la vente, qualifiée de personnelle et non de réelle, partant soumise à la prescription quinquennale de l'article 2224 du code civil (Civ. 3e, 2 mars 2022, n° 20-23.602).
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