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La combinaison des traités internationaux et le contrôle du juge administratif

[ 15 mars 2012 ] Imprimer

Droit administratif général

La combinaison des traités internationaux et le contrôle du juge administratif

Chaque mois, retrouvez le commentaire d’une décision de justice issue de l’actualité jurisprudentielle.

Ce mois-ci, Dalloz Actu Étudiant vous propose de commenter l’arrêt CE, Ass., 23 décembre 2011, M. Kandyrine de Brito Paiva, req. n° 303678, sur les modalités d’articulation de traités internationaux.

Arrêt

 « Considérant qu’il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que M.  K., ressortissant portugais, a demandé au trésorier principal du 8ème arrondissement de Paris d’enregistrer les obligations et actions russes au porteur dont il est devenu propriétaire à l’issue de la succession de son grand-oncle, qui était ressortissant français, afin de bénéficier d’une indemnisation au titre de l’accord du 27 mai 1997 conclu entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la Fédération de Russie sur le règlement définitif des créances réciproques financières et réelles apparues antérieurement au 9 mai 1945 ; que, par une décision du 17 mai 1999 rendue sur recours hiérarchique de l’intéressé, le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie a confirmé la décision du 15 décembre 1998 du trésorier principal du 8ème arrondissement de Paris refusant l’enregistrement de ces créances, en raison de l’absence de nationalité française de l’intéressé ; que le recours pour excès de pouvoir introduit par M.  K. à l’encontre de la décision ministérielle a été rejeté par un jugement du 20 juin 2003 du tribunal administratif de Paris ; que ce jugement a été confirmé par un arrêt du 18 octobre 2006 de la cour administrative d’appel de Paris, contre lequel l’intéressé se pourvoit en cassation ;

Considérant que l’article 1er de l’accord du 27 mai 1997 entre la France et la Russie stipule que les créances dont il prévoit le règlement concernent : « A. – Les revendications relatives à tous emprunts et obligations émis ou garantis avant le 7 novembre 1917 par le Gouvernement de l’Empire de Russie ou par des autorités qui administraient une partie quelconque de l’Empire de Russie, et appartenant au Gouvernement de la République française ou à des personnes physiques ou morales françaises (…) » ; qu’en vertu de l’article 73 de la loi du 2 juillet 1998 portant diverses dispositions d’ordre économique et financier : « Les opérations de recensement des personnes titulaires des créances mentionnées à l’article 1er de l’accord du 27 mai 1997 (…) se dérouleront selon des modalités fixées par décret. / A défaut d’avoir déclaré leurs créances dans un délai de six mois à compter de l’entrée en vigueur du décret prévu à l’alinéa précédent, ces créanciers ne seront plus admis au bénéfice des opérations de recensement et ne pourront prétendre à une indemnisation au titre de l’accord précité. (…) » ; qu’en application de cette loi, le décret du 3 juillet 1998 fixant les conditions de recensement des personnes titulaires de créances mentionnées à l’article 73 de la loi a prévu, en son article 3, que « les valeurs représentatives de créances, telles que les titres et certificats d’emprunts ou de rentes, les obligations, les bons, les lettres de gage et les actions sont déclarées et déposées aux guichets du Trésor public » et, en son article 6, que « pour les personnes physiques détentrices des valeurs visées à l’article 3, l’identité et la qualité de porteur français du déclarant sont établies par la présentation de la carte nationale d’identité ou du passeport » ;

Considérant que, lorsque le juge administratif est saisi d’un recours dirigé contre un acte portant publication d’un traité ou d’un accord international, il ne lui appartient pas de se prononcer sur la validité de ce traité ou de cet accord au regard d’autres engagements internationaux souscrits par la France ; qu’en revanche, sous réserve des cas où serait en cause l’ordre juridique intégré que constitue l’Union européenne, peut être utilement invoqué, à l’appui de conclusions dirigées contre une décision administrative qui fait application des stipulations inconditionnelles d’un traité ou d’un accord international, un moyen tiré de l’incompatibilité des stipulations, dont il a été fait application par la décision en cause, avec celles d’un autre traité ou accord international ; qu’il incombe dans ce cas au juge administratif, après avoir vérifié que les stipulations de cet autre traité ou accord sont entrées en vigueur dans l’ordre juridique interne et sont invocables devant lui, de définir, conformément aux principes du droit coutumier relatifs à la combinaison entre elles des conventions internationales, les modalités d’application respectives des normes internationales en débat conformément à leurs stipulations, de manière à assurer leur conciliation, en les interprétant, le cas échéant, au regard des règles et principes à valeur constitutionnelle et des principes d’ordre public ; que dans l’hypothèse où, au terme de cet examen, il n’apparaît possible ni d’assurer la conciliation de ces stipulations entre elles, ni de déterminer lesquelles doivent dans le cas d’espèce être écartées, il appartient au juge administratif de faire application de la norme internationale dans le champ de laquelle la décision administrative contestée a entendu se placer et pour l’application de laquelle cette décision a été prise et d’écarter, en conséquence, le moyen tiré de son incompatibilité avec l’autre norme internationale invoquée, sans préjudice des conséquences qui pourraient en être tirées en matière d’engagement de la responsabilité de l’État tant dans l’ordre international que dans l’ordre interne ;

Considérant qu’il résulte de ce qui précède qu’en écartant le moyen tiré de la contrariété avec la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales de la condition de nationalité prévue par le décret du 3 juillet 1998 en application de l’accord du 27 mai 1997 présenté devant elle par M.  K., au seul motif qu’il n’appartient pas au juge administratif de se prononcer sur la validité des stipulations d’un engagement international au regard d’autres engagements internationaux souscrits par la France, sans rechercher, après s’être assuré que cette convention était entrée en vigueur dans l’ordre juridique interne et était invocable devant lui, s’il était possible de regarder comme conciliables les stipulations de cette convention et celles de l’accord susmentionné du 27 mai 1997, la cour administrative d’appel de Paris a commis une erreur de droit ; que, par suite, son arrêt du 18 octobre 2006 doit être annulé, sans qu’il soit besoin d’examiner les autres moyens du pourvoi ;

Considérant qu’il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de régler l’affaire au fond en application de l’article L. 821 - 2 du code de justice administrative ;

Sur le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations de l’accord du 27 mai 1997 par les dispositions de l’article 73 de la loi du 2 juillet 1998 et celles de l’article 6 du décret du 3 juillet 1998 :

Considérant d’une part, qu’il résulte des dispositions précédemment citées de la loi du 2 juillet 1998, éclairées par les débats parlementaires, dont l’article 6 du décret du 3 juillet 1998 a fait une juste application, que s’agissant des titres relevant du § A de l’article 1er de l’accord du 27 mai 1997 signé entre la France et la Russie, auquel la loi renvoie, seuls les ressortissants de nationalité française peuvent déposer leurs titres à fin de recensement ; que, d’autre part, l’accord du 27 mai 1997 tend à permettre le règlement définitif des créances réciproques, financières et réelles, apparues antérieurement au 9 mai 1945 entre la France et la Russie ; que l’article 1er de cet accord réserve la possibilité d’enregistrement des créances aux personnes disposant de la nationalité française ; qu’il résulte tant de l’objet que des termes des stipulations de l’accord conclu entre la France et la Russie que ce dernier a entendu apurer un contentieux financier entre ces deux États, le règlement des litiges liés aux créances entre les particuliers et chacun de ces États demeurant exclusivement de la compétence nationale ; qu’ainsi ces stipulations ne produisent pas d’effet direct à l’égard des particuliers ; que le requérant ne peut par conséquent utilement invoquer, à l’appui de ses conclusions tendant à l’annulation de la décision administrative contestée, un moyen tiré de la méconnaissance par la loi du 2 juillet 1998 et le décret du 3 juillet 1998 des stipulations de l’accord du 27 mai 1997 signé entre la France et la Russie ;

Sur le moyen tiré de la méconnaissance de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales :

Considérant que M. K. soutient que les dispositions précitées de la loi du 2 juillet 1998 portant diverses dispositions d’ordre économique et financier, ainsi que celles du décret du 3 juillet 1998 qui subordonnent l’enregistrement des créances des porteurs de valeurs mobilières à la justification de leur nationalité française lors de cet enregistrement sont incompatibles avec les stipulations de l’article 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et de l’article 1er du premier protocole additionnel à cette convention, en ce qu’elles instaurent une discrimination fondée sur la nationalité ;

Considérant qu’aux termes de l’article 1er du premier protocole additionnel à cette convention : « Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d’utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international. / Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les Etats de mettre en vigueur les lois qu’ils jugent nécessaires pour réglementer l’usage des biens conformément à l’intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d’autres contributions ou des amendes » ; qu’aux termes de l’article 14 de cette convention : « La jouissance des droits et libertés reconnus dans la présente convention doit être assurée, sans distinction aucune, fondée notamment sur le sexe, la race, la couleur, la langue, la religion, les opinions politiques ou toutes autres opinions, l’origine nationale ou sociale, l’appartenance à une minorité nationale, la fortune, la naissance ou toute autre situation » ;

Considérant que les dispositions critiquées prévoient les modalités d’indemnisation des porteurs de titres russes au titre de l’accord du 27 mai 1997 ; que, ainsi qu’il a été dit, M.  K. est propriétaire de titres entrant dans le champ de l’indemnisation prévue ; que, dès lors, le requérant peut se prévaloir d’un droit patrimonial, qui doit être regardé comme un bien au sens des stipulations précitées de l’article 1er du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, et peut demander au juge d’écarter l’application des dispositions de l’article 73 de la loi du 2 juillet 1998 et de l’article 6 du décret du 3 juillet 1998 en invoquant leur incompatibilité avec les stipulations de l’article 14 de la convention ;

Considérant qu’une distinction entre des personnes placées dans une situation analogue ne peut être regardée comme discriminatoire, au sens de ces stipulations, que si elle n’est pas assortie de justifications objectives et raisonnables, c’est-à-dire si elle ne poursuit pas un objectif d’utilité publique, ou si elle n’est pas fondée sur des critères objectifs et rationnels en rapport avec les buts de la disposition applicable ; qu’en l’espèce en signant avec la Fédération de Russie l’accord du 27 mai 1997, la France a mis un terme à un contentieux entre États ; qu’il était matériellement impossible de déterminer, pour l’ensemble des titres indemnisés, la nationalité de leurs porteurs à la date où est intervenue la dépossession ; que la France a obtenu le versement d’une indemnisation au profit des ressortissants français porteurs de titres d’emprunts russes en échange de l’abandon de sa protection diplomatique au soutien de la revendication de ces créances ; qu’eu égard à l’objet de cet accord, à la contrepartie qu’il comporte, aux modalités pratiques de sa mise en œuvre et à l’impossibilité d’identifier les porteurs de titres à la date de leur dépossession, la limitation de l’indemnisation aux seuls ressortissants français par l’article 1er de l’accord du 27 mai 1997 n’est, en tout état de cause, pas incompatible avec les stipulations de l’article 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et de l’article 1er du premier protocole additionnel à cette convention ;

Considérant qu’il résulte de ce qui précède que M.  K. n’est pas fondé à soutenir à l’appui de ses conclusions tendant à l’annulation de la décision du trésorier du 8ème arrondissement de Paris, que les dispositions du décret du 3 juillet 1998, ainsi que celles de la loi du 2 juillet 1998 pour l’application de laquelle elles ont été prises, qui imposent la preuve de la nationalité française des porteurs de titres et sur le fondement desquelles a été prise la décision contestée, auraient méconnu le principe d’égalité, garanti notamment par l’article 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;

Considérant que ne peut être regardée que comme sans incidence la circonstance que les titres litigieux auraient été acquis avant le 7 novembre 1917 par un ressortissant français dont M.  K. est l’ayant droit ; que, du fait de sa qualité de porteur des titres litigieux, M.  K ne pouvait davantage prétendre à leur recensement comme ayant droit d’un ressortissant français spolié ;

Considérant qu’il résulte de tout ce qui précède que M.  K. n’est pas fondé à soutenir que c’est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande ; que, par voie de conséquence, ses conclusions à fin d’injonction présentées devant la cour administrative d’appel de Paris doivent être rejetées ;

(…)

Décide :

Article 1er : L’arrêt du 18 octobre 2006 de la cour administrative d’appel de Paris est annulé.

Article 2 : La requête présentée par M.  K. devant la cour administrative d’appel de Paris ainsi que ses conclusions présentées devant le Conseil d’État au titre de l’article L. 7611 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 3 : La présente décision sera notifiée à M. Eduardo José K. et au ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. Copie en sera adressée pour information au ministre d’État, ministre des affaires étrangères et européennes. »

 

Travail préparatoire

Rappel de méthodologie

Cette phase comporte une étape de compréhension de l’arrêt, préalable nécessaire à l’établissement de la problématique.

La compréhension de l’arrêt constitue la phase la plus critique, puisque d’elle découleront les autres éléments du devoir (problématique et plan). Il faut donc bien le lire pour en comprendre tous les aspects. En outre, il faut repérer la ou les règles de droit qui fondent la décision juridictionnelle soumise, et de là faire ressortir le thème central dans lequel s’inscrit l’arrêt à commenter. Une fois ce premier travail réalisé, il faut apprécier la portée de l’arrêt, autrement dit indiquer si il s’agit d’une précision, d’une évolution voire d’un revirement. Pour cela, il faut maîtriser l’antériorité de la jurisprudence sur cette thématique.

Analyse de l’arrêt

Analyser l’arrêt conduit à s’en tenir à le présenter pour développer par la suite les arguments dans le commentaire lui-même. La démarche est la suivante :

– rappel des faits de l’espèce : cela peut être particulièrement important ;

– exposer les différentes étapes de la procédure juridictionnelle de manière succincte ;

– qualifier les faits pour les intégrer dans une catégorie juridique déterminée ;

– énoncer la question de droit ;

– exposer la solution retenue finalement par le Conseil d’État.

Dans l’arrêt proposé, reprenons cette démarche :

■ Rappel des faits : un ressortissant portugais devenu, à la suite d’une succession, propriétaire d’emprunts russes auparavant détenu par un aïeul français, contestait devant la juridiction administrative la décision des autorités françaises lui refusant d’enregistrer ses titres afin de bénéficier d’une indemnisation au titre de l’accord du 27 mai 1997 conclu entre la France et la Russie. Ce refus s’appuyait sur cet accord ainsi que sur l’article 6 d’un décret du 3 juillet 1998 organisant le recensement des personnes titulaires de créances (lui-même pris pour l’application de l’article 73 de la loi du 2 juillet 1998) qui réservaient une telle indemnisation aux personnes de nationalité française.

■ Procédure juridictionnelle : devant le tribunal administratif et la cour administrative d’appel, le requérant avait contesté les stipulations de cet accord, en invoquant leur incompatibilité avec le principe de non-discrimination posé par la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (art. 14 Conv. EDH et art. 1er du Premier protocole). La cour administrative d’appel avait écarté ce moyen en jugeant qu’il n’appartient pas au juge administratif de se prononcer sur la validité des stipulations d’un engagement international au regard d’autres engagements internationaux souscrits par la France. Saisi en cassation, le Conseil d’État a annulé l’arrêt de la cour.

■ Énoncé de la question de droit : le requérant soutenait notamment qu'à supposer que la condition de nationalité française du porteur présente dans le décret découle directement du traité, elle constituait une discrimination incompatible avec les stipulations des articles 14 Conv. EDH et 1er du Premier protocole additionnel à cette Convention. Se posait donc la question de l’articulation des traités internationaux dans l’ordre juridique interne.

■ Exposé de la décision : le Conseil d’État a d’abord confirmé qu’il n’appartient pas au juge administratif de se prononcer sur la validité d’un traité ou d’un accord international au regard d’autres engagements internationaux de la France.

Il a par la suite jugé que, lorsqu’est invoqué, à l’appui de conclusions dirigées contre une décision administrative faisant application des stipulations inconditionnelles d’un traité ou d’un accord international, un moyen tiré de l’incompatibilité de ces stipulations avec celles d’un autre traité ou accord international, il incombe au juge administratif, après avoir vérifié que les stipulations de cet autre traité ou accord sont entrées en vigueur dans l’ordre juridique interne et sont invocables devant lui :

1°) de définir, conformément aux principes du droit coutumier relatifs à la combinaison entre elles des conventions internationales, les modalités d’application respectives des normes internationales en débat conformément à leurs stipulations, de manière à assurer leur conciliation, en les interprétant le cas échéant au regard des règles et principes à valeur constitutionnelle et des principes d’ordre public ;

2°) en cas de difficulté persistante de conciliation de ces conventions internationales, de faire application de la norme internationale dans le champ de laquelle la décision administrative contestée a entendu se placer, en écartant en conséquence le moyen tiré de son incompatibilité avec l’autre norme internationale invoquée, sans préjudice des conséquences qui pourraient en être tirées en matière d’engagement de la responsabilité de l’État tant dans l’ordre international que dans l’ordre interne.

En l’espèce, le Conseil d’État a censuré la cour administrative d’appel pour n’avoir pas procédé à cette vérification. Réglant ensuite l’affaire au fond, le Conseil d’État a jugé que, eu égard à l’objet de cet accord, à la contrepartie qu’il comporte, aux modalités pratiques de sa mise en œuvre et à l’impossibilité d’identifier les porteurs de titres à la date de la dépossession, la limitation de l’indemnisation aux seuls ressortissants français par l’accord du 27 mai 1997 n’est, en tout état de cause, pas incompatible avec les stipulations de la Convention EDH.

Élaboration du commentaire

Une fois l’analyse de l’arrêt effectuée, il reste à bâtir le commentaire.

Il faut d’abord rechercher à quelle(s) thématique(s) générale(s) se rattache(nt) l’arrêt à commenter. L’analyse effectuée auparavant doit la (les) « révéler ». Il s’agit dans un premier temps de rappeler les conditions et effets du contrôle de validité d’un traité, puis dans un second d’amener à décrire la méthode de conciliation ouverte par le juge en cas de conflit entre traités internationaux (contrôle de compatibilité entre normes internationales).

Dans la perspective de l’élaboration de votre commentaire, il convient d’exploiter :

– d’une part, le « Précis » Dalloz de Droit administratif de M. Waline, l’ « HyperCours » de Droit administratif Mme Lombard et M. Dumont, l’ouvrage «  Sirey Université » Droit administratif de M. Dupuis, Mme Guédon et M. Chrétien, ou bien encore le « Cours » Dalloz de Droit administratif général de M. Lebreton, sur la question générale des normes internationales ;

– d’autre part, les Grands arrêts de la jurisprudence administrative (18e éd.) qui comporte des commentaires très fournis sur deux arrêts notamment en lien avec notre propos (CE, Ass., 20 oct. 1989, Nicolo CE, Ass., 8 févr. 2007, Société Arcelor Atlantique et Lorraine et autres).

La structure du commentaire

Pour construire votre commentaire, en clair pour élaborer son plan, il convient d’expliquer l’arrêt et d’apprécier les deux règles qu’il rappelle. Ce qui consiste à :

– en restituer clairement le sens ;

– à en déterminer la portée ;

– et à en discuter la valeur ;

étant entendu que ces trois éléments sont ici d’égale importance.

 

 

Proposition de plan détaillé 

Introduction

Avant l’analyse de l’arrêt proprement dite qui compose le cœur de l’introduction (v. supra), il faut situer l’arrêt dans son contexte « historique », politique et juridique. Le problème posé par l’arrêt soulève, à travers un jour nouveau, la question du conflit de traités internationaux sous l’angle du contrôle juridictionnel. Son intérêt pour l’étudiant porte au moins sur deux points :

– le premier est qu’il confirme le refus du juge administratif de se prononcer sur la validité d’un traité au regard d’autres engagements internationaux :

– le second réside dans la mise en place d’une méthode d’analyse à destination du juge pour trancher un conflit de normes internationales.

Il établit ainsi une sorte de contrôle de compatibilité, et accroît ainsi le pouvoir juridictionnel d’interprétation des traités.

Après avoir ainsi situé historiquement et théoriquement l’arrêt, et après avoir souligné son importance, vous pouvez intégrer son analyse proprement dite (v. supra).

Après quoi, c’est-à-dire après avoir exposé les solutions retenues par le Conseil d’État, vous devez annoncer le plan de votre commentaire, lequel épousera nécessairement les deux points majeurs soulevés en l’espèce.

I. Le refus de contrôler la validité d’un traité au regard d’autres engagements internationaux

A. L’incompétence du juge administratif

Dans cette première sous-partie, il conviendra de rappeler que l’arrêt confirme l’incompétence du Conseil d’État lorsqu’il est saisi d’un recours dirigé contre un acte portant publication d’un traité ou d’un accord international pour se prononcer sur la validité de ce traité ou de cet accord au regard d’autres engagements internationaux souscrits par la France (CE 18 déc. 1998, SARL du parc d'activités de Blotzheim et SCI Haselaecker CE 8 juill. 2002, Commune de Porta, récemment confirmé par : CE, Ass., 9 juill. 2010, Fédération nationale de la libre pensée et autres).

En effet, en l’absence d’habilitation expresse dans la Constitution, le juge administratif se refuse à effectuer ces contrôles de conventionnalité ou de constitutionnalité de l’acte d’approbation ou de publication des accords internationaux. Ce faisant, le Conseil d’État se refuse à consacrer, dans l’ordre juridique interne, une hiérarchie entre les normes internationales.

Une autre solution, certes décalée, aurait consisté à fonder cette incompétence sur la théorie des actes de gouvernement. Mais, comme le soulignait le rapporteur public dans ses conclusions sur l’arrêt du 23 décembre 2011, elle « n’est plus d’actualité ».

B. L’absence de hiérarchie entre les traités

Dans cette seconde sous-partie, il s’agit d’expliciter cette solution d’incompétence. Comme le rappellent les chroniqueurs du Conseil d’État « à de rares exceptions près (celle de la hiérarchie qui peut exister entre droit primaire et droit dérivé [en droit communautaire] ainsi que celle qui découle, dans certains États au nombre desquels la France ne compte pas, de la reconnaissance du jus cogens), il n'existe pas de hiérarchie entre les différentes normes de droit international. (…) [Le juge] ne pourrait, s'agissant de deux normes de même niveau, censurer l'une (même indirectement, par le truchement du décret de publication en assurant l'introduction en droit interne) en arguant de l'autre, la validité d'un traité ne pouvant par définition pas dépendre de sa conformité à un autre traité ». Ce raisonnement l’amène ainsi à n’assurer que la primauté de la Constitution sur ces normes internationales (CE, Ass., 30 oct. 1998, Sarran et Levacher).

Vous pouvez également rappeler, pour mieux mettre en relief la solution retenue par le Conseil d’État, la jurisprudence du Conseil constitutionnel qui ne se reconnaît pas plus le pouvoir de contrôler la conformité des traités à d’autres normes de droit international. Il considère en effet qu’il ne lui appartient pas, lorsqu’il est saisi, en application de l’article 61 de la Constitution, de la loi autorisant la ratification ou l’approbation d’un engagement international, d’apprécier la conformité de celui-ci aux stipulations d’un autre engagement international (Cons. const. 17 juill. 1980).

Il faut enfin relever — et cela peut être la transition entre vos deux parties — que l’argument tiré de l’absence de hiérarchie entre les traités peut aboutir à un véritable déni de justice par le refus de statuer sur un conflit entre traités.

II. La mise en place d’un contrôle pour trancher les conflits de normes internationales

A. Les préalables au contrôle

Il ne faut pas hésiter à reprendre ici le deuxième aspect du considérant de principe (« sous réserve des cas où serait en cause l’ordre juridique intégré que constitue l’Union européenne », « (…) à l’appui de conclusions dirigées contre une décision administrative qui fait application des stipulations inconditionnelles d’un traité ou d’un accord international ») pour en analyser les deux conditions ou réserves posées par le juge pour examiner un « moyen tiré de l’incompatibilité des stipulations, dont il a été fait application par la décision en cause, avec celles d’un autre traité ou accord international ».

Il s’agit pour vous d’expliciter l’hypothèse première « où serait en cause l’ordre juridique intégré que constitue l’Union européenne ». En ce domaine, c’est la Cour de justice de l’Union européenne qui a la compétence pour arbitrer un éventuel conflit entre le droit de l’Union et un accord international même si le Conseil d’État a pu lui-même préciser les contours de l'office du juge administratif confronté à l'application du droit international conventionnel, primaire comme dérivé, en acceptant, pour statuer sur la conventionnalité d'une loi transposant une directive communautaire, de se prononcer sur la conformité de cette directive aux droits fondamentaux protégés par la Convention européenne des droits de l’homme (CE, Sect., 10 avr. 2008, Conseil national des Barreaux). Par ailleurs, il n’est pas inutile de rappeler la place particulière du droit de l’Union européenne dans notre droit interne (v. not. art. 88-1 Const.).

La seconde hypothèse, celle d’une « décision administrative qui fait application des stipulations inconditionnelles d’un traité ou d’un accord international » renvoie directement à la question de l’effet direct des traités. Un rappel de la signification de cette notion est important pour la compréhension de la solution, car si l’une des normes internationales invoquée est dépourvue d’un tel effet, il ne pourra pas y avoir conflit et donc possibilité pour le juge d’appliquer un contrôle permettant la conciliation ou du moins la résolution de ce litige.

B. Les éléments du contrôle

Cette sous-partie doit mettre en avant la méthode du contrôle opéré par le juge pour trancher un conflit de normes internationales. Cette méthode n’est pas sans rappeler celle utilisée dans l’affaire Arcelor (CE, Ass., 8 févr. 2007, Société Arcelor Atlantique et Lorraine et autres).

Vous devez décomposer le raisonnement du Conseil d’État en citant l’autre partie du considérant de principe pris en ses deux branches et en explicitant bien chacune d’elles : « qu’il incombe dans ce cas au juge administratif, après avoir vérifié que les stipulations de cet autre traité ou accord sont entrées en vigueur dans l’ordre juridique interne et sont invocables devant lui, de définir (…) ».

La portée de ce type de contrôle ne doit pas être négligée dans votre devoir. Il faut par exemple dire en quoi il se différencie du contrôle de conventionnalité traditionnel, et montrer qu’il participe à un accroissement, depuis l’arrêt GISTI (CE, Ass., 29 juin 1990) des pouvoirs d’interprétation du juge administratif dans l’appréciation des normes internationales. Pour cela, vous pouvez reprendre certains termes du considérant cité précédemment pour montrer l’étendue des outils tant internationaux — « les principes du droit coutumier relatifs à la combinaison entre elles des conventions internationales » — qu’internes — les « règles et principes à valeur constitutionnelle » ou bien encore les « principes d'ordre public » — à la disposition du juge pour interpréter des conventions internationales.

Enfin, na pas oublier d’indiquer que conformément aux prescriptions du Conseil d’État, ce contrôle ne préjudicie en rien la recherche de « responsabilité de l’État tant dans l’ordre international que dans l’ordre interne », en rappelant les possibilités ouvertes par la jurisprudence Gardedieu (CE, Ass., 8 févr. 2007).

Références

■ Convention internationale

« Synonyme de traité très généralement, la convention internationale est un accord conclu entre États ou autres sujets de la société internationale (à l’instar des organisations internationales) en vue de produire des effets de droit dans leurs relations mutuelles. »

■ Conventionnalité (Contrôle de)

« Au cours d’une instance devant une juridiction administrative ou judiciaire, contrôle exercé par celle-ci sur un texte législatif invoqué par une partie, en vue de s’assurer qu’il ne méconnaît pas une convention internationale ou un texte international de force juridique équivalente, comme un texte de droit dérivé européen. Dans ce cas, le texte national est écarté par le juge. Il n’est possible pour le justiciable d’invoquer le moyen que si la norme internationale est d’effet direct. »

■ Coutume internationale

« “Pratique juridique acceptée comme étant le droit ” (art. 38-§ 2 du Statut de la Cour internationale de justice) ; ce qui implique un élément matériel (répétition de précédents constituant un usage continu et général) et un élément psychologique (l'opinio juris, c'est-à-dire la conviction des États qu'en suivant cet usage ils obéissent à une règle de droit). »

■ Effet direct

« Principe selon lequel une règle adoptée par une organisation internationale ou un traité international s'applique directement dans le droit interne des États sans qu'il soit besoin, voire possible, que cet État transpose préalablement cette règle dans son droit interne par l'adoption d'une loi ou d'un vote réglementaire. Classique en droit communautaire, l'effet direct reste exceptionnel dans le droit international public. »

 Interprétation

« L'interprétation peut consister à donner la signification d'un acte ou d'une convention. Le juge administratif est exclusivement compétent pour se prononcer sur le sens ou la portée d'un acte administratif non réglementaire duquel dépend la solution à un litige, pendant devant le juge judiciaire non répressif. Le juge administratif, comme le juge judiciaire, ont compétence pour interpréter les dispositions législatives obscures, ils se réfèrent alors aux travaux préparatoires de la loi, voire à l'intention du législateur. Depuis l'arrêt GISTI, le Conseil d’État (CE) s'est, en outre, reconnu compétent pour interpréter les conventions internationales. Afin d'assurer l'unité d'application du droit communautaire, il appartient en revanche, aux cours suprêmes de renvoyer pour interprétation les dispositions originaires ou dérivées à la Cour de justice de l'Union européenne. La théorie de l'acte clair, développée par le CE, lui a cependant permis d'éviter le renvoi à plusieurs reprises. »

■ Jus cogens

« Norme impérative du droit international général, reconnue par la communauté internationale dans son ensemble en tant que norme à laquelle aucune dérogation n'est permise et qui ne peut être modifiée que par une nouvelle norme du droit international général ayant le même caractère » (art. 53 de la Convention de Vienne sur le droit des traités du 23 mai 1969). »

Sources : Lexique des termes juridiques 2012, 19e éd., Dalloz, 2011 ; A. Van Lang, G. Gondouin, V. Inserguet-Brisset, Dictionnaire de droit administratif6e éd., Sirey, coll. « Dictionnaires Sirey », 2011.

■ Article 14 de la Convention européenne des droits de l’homme - Interdiction de discrimination

« La jouissance des droits et libertés reconnus dans la présente Convention doit être assurée, sans distinction aucune, fondée notamment sur le sexe, la race, la couleur, la langue, la religion, les opinions politiques ou toutes autres opinions, l’origine nationale ou sociale, l’appartenance à une minorité nationale, la fortune, la naissance ou toute autre situation. »

■ Article 1er du premier protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l’homme - Protection de la propriété

« Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens.

Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d’utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international.

Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les États de mettre en vigueur les lois qu’ils jugent nécessaires pour réglementer l’usage des biens conformément à l’intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d’autres contributions ou des amendes. »

■ Article 61 de la Constitution

« Les lois organiques, avant leur promulgation, les propositions de loi mentionnées à l'article 11 avant qu'elles ne soient soumises au référendum, et les règlements des assemblées parlementaires, avant leur mise en application, doivent être soumis au Conseil Constitutionnel qui se prononce sur leur conformité à la Constitution.

Aux mêmes fins, les lois peuvent être déférées au Conseil Constitutionnel, avant leur promulgation, par le Président de la République, le Premier Ministre, le Président de l'Assemblée Nationale, le Président du Sénat ou soixante députés ou soixante sénateurs.

Dans les cas prévus aux deux alinéas précédents, le Conseil Constitutionnel doit statuer dans le délai d'un mois. Toutefois, à la demande du Gouvernement, s'il y a urgence, ce délai est ramené à huit jours.

Dans ces mêmes cas, la saisine du Conseil Constitutionnel suspend le délai de promulgation. »

■ Article 88-1 de la Constitution

« La République participe à l'Union européenne constituée d'États qui ont choisi librement d'exercer en commun certaines de leurs compétences en vertu du traité sur l'Union européenne et du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, tels qu'ils résultent du traité signé à Lisbonne le 13 décembre 2007. »

■ CE, Ass., 20 oct. 1989, Nicolo, n° 108243, GAJA, 18e éd., n°91.

■ CE, Ass., 8 févr. 2007Société Arcelor Atlantique et Lorraine et autres, GAJA, 18e éd., n° 114.

■ CE 18 déc. 1998SARL du parc d'activités de Blotzheim et SCI HaselaeckerAJDA 1999. 127, chron. F. Raynaud et P. Fombeur.

■ CE 8 juill. 2002, Commune de PortaAJDA 2002. 1005, chron. F. Donnat et D. Casas.

 CE, Ass., 9 juill. 2010, Fédération nationale de la libre pensée et autresAJDA 2010. 1635, chron. S.-J. Lieber et D. Botteghi ; Cah. Cons. const. 2011. 206, note A. Roblot-Troizier.

■ CE, Ass., 30 oct. 1998, Sarran et LevacherGAJA 18e éd., n° 100.

■ Cons. const. 17 juill. 1980, n° 80-116 DC, Loi autorisant la ratification de la convention franco-allemande additionnelle à la Convention européenne d'entraide judiciaire en matière pénale du 20 avril 1959RGDIP 1980. 202, note Ch. Vallée ; RDP 1980. 1640, note L. Favoreu.

 CE, Sect., 10 avr. 2008, Conseil national des BarreauxAJDA 2008. 1085, chron. J. Boucher et B. Bourgeois-Machureau.

■ CE, Ass., 29 juin 1990, GISTI, GAJA, 18e éd., n° 93.

■ CE, Ass., 8 févr. 2007, GardedieuRFDA 2007. 361, concl. L. Derepas.

 


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