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À vos copies !
Droit des obligations
La question de l’obligation de la victime de minimiser le dommage
Chaque mois, retrouvez le commentaire d’une décision de justice issue de l’actualité jurisprudentielle.
Ce mois-ci, Dalloz Actu Étudiant vous propose de commenter l’arrêt Com. 23 sept. 2020, n° 15-28.898.
Travail préparatoire
Rappel de méthodologie
Un commentaire d’arrêt est un exercice qui comprend deux temps : l’explication de l’arrêt et son appréciation.
En d’autres termes, il faut, en premier lieu, expliquer le sens de l’arrêt. Ce qui suppose d’abord de le lire très attentivement, pour bien le comprendre. Ensuite, et c’est un temps essentiel de votre commentaire, il vous faut identifier la question que l’arrêt à commenter a résolue. En outre, il vous faut détecter la ou les règles de droit qui fondent la décision qui vous est soumise. Enfin, il vous faut faire un exercice de mémoire (si vous composez votre commentaire dans le cadre d’un examen) ou de recherche (si vous composez librement votre commentaire), non seulement pour découvrir le thème général dans lequel s’inscrit l’arrêt à commenter, mais encore pour trouver des éléments bibliographiques qui vous permettront de mieux comprendre l’arrêt que vous devez commentez et donc de mieux l’expliquer.
En second lieu, après avoir expliqué le sens de l’arrêt et démontrer que vous l’avez compris, vous devez apprécier l’arrêt à commenter, donner une opinion sur la façon dont la Cour de cassation a tranché le litige et répondu à la question de droit, au fond, il vous faut juger les juges, vous prononcer sur la valeur de la décision, ce qui sera d’autant plus simple que vous pourrez la situer dans le temps, c’est-à-dire en déterminer la portée. Dans cette perspective d’appréciation de la valeur de l’arrêt, il vous faut exploiter des éléments bibliographiques qui vous permettront de recueillir les diverses opinions doctrinales qui se sont prononcées sur la question de droit réglée par la Cour de cassation, et de vous prononcer sur la pertinence des diverses thèses en présence à propos de la question de droit, celle que soutenaient les juges du fond, celle du demandeur au pourvoi et puis celle retenue par la Cour de cassation qui sera fatalement peu ou prou une des deux précédentes.
Analyse de l’arrêt
Analyser l’arrêt conduit à s’en tenir à le présenter en vue d’introduire votre commentaire. Voici la démarche à suivre :
– d’abord, il vous faut sélectionner les faits qui seront utiles dans la perspective de votre commentaire ;
– en outre, il convient de qualifier les faits, ce qui revient à les faire entrer dans une catégorie juridique donnée ;
– ensuite, il faut exposer les différentes étapes de la procédure, à savoir la décision des juges du fond, puis le moyen du pourvoi ;
– de plus, il vous faut énoncer la question de droit que l’arrêt a tranchée ;
– enfin, il convient d’exposer la solution que la Cour de cassation a finalement retenue.
Dans l’arrêt qu’il vous faut ici commenter, reprenons cette démarche :
Sélection des faits : La société SPM Express a fait construire en 2004 un catamaran de transport de passagers en vue d’assurer, dans le cadre d’une délégation de service public obtenue le 20 juin 2003, la desserte des îles de l’archipel de Saint Pierre et Miquelon. Ce bateau était équipé de deux moteurs, fabriqués et vendus par la société MTU Allemagne. La société MTU France était chargée de leur maintenance. En mars et en avril 2009, les injecteurs d’origine ont été remplacés par des injecteurs neufs. Le 27 juin 2009, les deux moteurs, tribord puis bâbord, ont présenté des dysfonctionnements, auxquels il n’a pas été possible de remédier, et qui ont été imputés par un expert judiciaire à la livraison d’un mauvais lot d’injecteurs. La société SPM Express a assigné les sociétés MTU France et MTU Allemagne en garantie des vices cachés et indemnisation de son préjudice.
Qualification des faits : Dans le cadre d’une délégation de service public, une société de transport maritime avait fait construire un catamaran destiné au transport de passagers. Ce bateau était équipé de deux moteurs, fabriqués et vendus par une société étrangère, et dont la maintenance était effectuée par une filiale française de cette société. Cinq ans plus tard, les injecteurs d’origine de ces moteurs avaient été remplacés par des injecteurs neufs. Deux mois seulement après leur remplacement, les deux moteurs du bateau avaient présenté des dysfonctionnements irréparables, qu’un expert judiciaire avait imputés à la livraison d’un lot d’injecteurs défaillants. Le transporteur avait alors assigné le fabricant de ces moteurs ainsi que la société chargée de leur maintenance en indemnisation de son préjudice sur le fondement de la garantie des vices cachés.
Procédure: La cour d’appel condamna solidairement ces deux sociétés à réparer le préjudice né de l’immobilisation du navire et constitué par la perte de chance de pouvoir le louer mais limita l’étendue de l’indemnisation due au transporteur à la période d’immobilisation forcée du navire, fixée à compter du jour de l’apparition des vices jusqu’au terme de la délégation de service public du transporteur, au motif qu’il appartenait à ce dernier d’entreprendre, dans le délai le plus bref possible, les réparations nécessaires à la reprise de ses activités et qu’il ne justifiait pas que l’immobilisation du bateau dont elle demandait réparation lui ait été imposée par des tiers au-delà de la période considérée.
Enoncé du moyen : Ayant repris l’instance, le liquidateur du transporteur forma un pourvoi en cassation pour contester la réduction de sa créance indemnitaire jugée en appel au moyen qu’en principe, « l’acheteur, bénéficiaire de la garantie des vices cachés, n’est pas tenu de réparer le bien affecté d’un vice dans l’intérêt du vendeur » en sorte qu’en l’espèce, le transporteur n’était pas tenu de procéder à la réparation des moteurs dont les vices étaient garantis par les deux sociétés en vue de limiter, dans leur intérêt, l’étendue du préjudice indemnisable.
Problèmes de droit : La victime d’un vice caché peut-elle être tenue de limiter son préjudice dans l’intérêt du garant ?
Solution : A cette question, la Cour de cassation répond par la négative, au visa des articles 1641 et 1645 du Code civil relatifs à la garantie des vices cachés, ainsi que du principe général du droit de la responsabilité civile obligeant à la réparation intégrale du préjudice. Affirmant que « (…) résulte de ces textes et principe (la règle selon laquelle) l’acheteur peut exercer à l’encontre du vendeur professionnel une action indemnitaire autonome à raison des vices cachés de la chose vendue et que l’auteur d’un dommage doit en réparer toutes les conséquences, la victime n’étant pas tenue de limiter son préjudice dans l’intérêt du responsable », elle casse la décision de la cour d’appel qui, en violation des textes et principe susvisés, avait imposé au transporteur de faire réparer son navire dans l’intérêt du responsable du dommage et d’effectuer, dans les meilleurs délais, les réparations nécessaires à sa remise en état.
L’élaboration du commentaire
L’analyse de l’arrêt est désormais effectuée. Reste à bâtir et nourrir le commentaire.
Il est de bonne méthode de rechercher alors dans quelle thématique générale s’inscrit l’arrêt à commenter, ce qu’une parfaite identification des questions de droit tranchée par l’arrêt vous permet aisément de découvrir. En l’occurrence, l’arrêt porte sur la question de l’obligation de la victime de minimiser le dommage.
La structure du commentaire
Pour construire votre commentaire, en clair pour élaborer son plan, il convient d’expliquer l’arrêt et d’apprécier sa solution. Ce qui consiste :
– à en restituer clairement le sens ;
– à en déterminer la portée ;
– et à en discuter la valeur,
étant entendu que ces trois éléments sont ici d’égale importance.
Proposition de plan détaillé
Avant l’analyse de l’arrêt proprement dite qui compose le cœur de l’introduction, il faut insister sur son contexte. Après quoi, vous pouvez intégrer l’analyse de l’arrêt proprement dite.
Enfin, après avoir exposé la décision retenue par la Cour de cassation, vous devez annoncer le plan de votre commentaire.
I. Le refus de principe d’une obligation de minimiser le dommage
A. Le rappel du principe
· Prémices du principe : Civ. 2e, 19 mars 1997, n° 93-10.914 : à propos de la victime d’un accident refusant des soins de nature à améliorer son état et à réduire, partant, la dette indemnitaire du responsable de cet accident. Refus jugé fautif mais non directement sur le terrain de la responsabilité civile. Refus expressément fondé sur le droit intangible au respect de son intégrité corporelle (C. civ., art. 16-1 s.).
· Affirmation du principe : Civ. 2e, 19 juin 2003 (n° 00-22.302 , 2 esp.). A l’occasion d’accidents de la circulation ayant causé des dommages à la fois corporel (1re espèce) et matériel (2e espèce) aux victimes, refus affirmé par 2 attendus de principe d’obliger la victime à agir en sorte de limiter dans l’intérêt du responsable, son préjudice ; ainsi son refus d’agir à cet effet n’est pas une faute et ne rompt pas le lien de causalité entre le fait générateur et le dommage qu’elle a subi (2e esp.).
· Confirmation du principe : par Civ. 1re, ralliée à cette solution par un abandon du fondement de l'inviolabilité du corps humain ( Civ. 1re, 3 mai 2006, n° 05-10.411 ) ; V. aussi : Civ. 2e, 22 janv. 2009, n° 07-20.878 ; Civ. 2e, 28 mars 2013, n° 12-15.373 ; Crim. 27 sept. 2016, n° 15-83.309). Solution désormais acquise en droit français ici à nouveau illustrée par le refus de la Cour de cassation de juger fautive l’absence de réparations du navire par le transporteur : n’en avait pas l’obligation, car pas tenu de limiter son préjudice dans l’intérêt du responsable, en l’espèce garant, notamment sur le plan indemnitaire, de la garantie des vices cachés.
B. Le fondement du principe
· Fondement de cette solution : principe de la réparation intégrale du dommage. Objectif : replacer la victime dans l’état où elle se serait trouvée en l’absence de dommage. Elle ne doit subir ni perte ni profit du dommage subi et le responsable ne saurait être tenu de réparer le dommage ni au-delà ni en-deçà du préjudice causé.
· Fondement contestable : si cette règle implique de réparer la totalité du préjudice subi, encore faut-il, aux fins d’exclure la mitigation of damage, que la réparation intégrale du dommage soit admise en totale indépendance avec le comportement de la victime dans la période postérieure au fait dommageable : jamais formellement justifié par la Cour de cassation, ni dans ses arrêts de 2003, ni dans celui commenté.
Une motivation plus explicite faciliterait pourtant la compréhension de la portée de sa solution
II. La portée du refus de l’obligation de minimiser le dommage
A. Une généralité affirmée
· Très large portée conférée à cette solution formulée en terme de principe : v. Civ. 1re, 19 juin 2003, préc. : « Attendu que l'auteur d'un accident est tenu d'en réparer toutes les conséquences dommageables ; que la victime n'est pas tenue de limiter son préjudice dans l'intérêt du responsable ». Dans la décision rapportée : « l’auteur d’un dommage doit en réparer toutes les conséquences, la victime n’étant pas tenue de limiter son préjudice dans l’intérêt du responsable ». En outre, solution applicable quelle que soit la nature du dommage (corporel, matériel, ou économique), et indépendamment de la nature ou de l’étendue des actes de minimisation envisageables, par principe exclus : solution qui se présente en substance comme un refus par principe, que sa portée très générale rendrait quasiment absolu.
· Un point en suspens concernant l’étendue de cette solution : s’applique-t-elle dans le cadre de la responsabilité contractuelle ? Solution commentée, rendue sur le fondement de l’action indemnitaire, autonome des actions contractuelles rédhibitoire et estimatoire susceptibles d’être également engagées sur le terrain de la garantie des vices cachés : ne permet pas d’y répondre.
· Doctrine majoritaire : oui. Car : forte identité des règles régissant la réparation du dommage dans les deux ordres de responsabilité + principe issu de l'obligation de bonne foi dans l'exécution du contrat, de loyauté réciproque entre les contractants). En laissant s'aggraver le dommage, la victime ferait preuve d'une attitude déloyale, en cherchant notamment à tirer profit de sa situation (en ce sens, V. Civ. 2e, 24 nov. 2011, n° 10-25.635)
· Rapport annuel Cour de cassation 2003 : principe doit être retenu « en matière quasi-délictuelle ». Mais pas de précision sur solution à appliquer dans le domaine contractuel.
Cette précision serait pourtant nécessaire, la solution, même restreinte à son domaine jurisprudentiel d’application, étant contestée.
B. Une généralité contestée
· Portée très générale de la solution la Cour de cassation : réserve de la part de la doctrine. Pourquoi ? Regrette l’absence de condition et de réserve à l’obligation pour la victime de minimiser son préjudice. Absence de distinction selon le type des dommages subis + selon la nature du comportement susceptible d’être adopté par la victime et escompté par le responsable. Or sans imposer à la victime des diligences démesurées, refus de principe de tenir compte de son comportement, jugé excessif, notamment lorsqu’il s’agit, non pas de réduire le dommage réalisé, mais seulement de veiller à ne pas l’aggraver.
· Echos à ce débat dans projet de réforme du droit de la responsabilité la Chancellerie: art. 1263 : possibilité d’admettre, sauf en cas de dommage corporel, une obligation de minimiser le dommage lorsque la victime n’a pas pris des « mesures sûres et raisonnables, notamment au regard de ses facultés contributives ». Pas certain que la solution de la Cour de cassation survive à cette réforme qui entend prendre en compte non pas la seule nature du dommage, mais également l’étendue des diligences de sa victime.
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