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La réparation intégrale du préjudice

[ 19 septembre 2013 ] Imprimer

Droit des obligations

La réparation intégrale du préjudice

Chaque mois, retrouvez le commentaire d’une décision de justice issue de l’actualité jurisprudentielle.

Ce mois-ci, Dalloz Actu Étudiant vous propose de commenter l’arrêt Civ. 3e, 10 juillet 2013, pourvoi n°12-13.851, relatif à la réparation intégrale du préjudice.

Arrêt

« Met hors de cause M. X... ; 

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Poitiers, 14 octobre 2011), que Mme Y... a confié à M. Z..., artisan plombier, des travaux de raccordement d'une maison au tout-à-l'égout ; que M. Z... l'a mise en relation avec M. A..., artisan maçon, afin de réaliser les travaux de terrassement de la tranchée ; que ces travaux ont provoqué des fissurations et la désolidarisation d'un pan de mur du rez-de-chaussée et du premier étage ; qu'après une première expertise judiciaire, Mme Y... a assigné MM. Z... et A... en réparation de ses préjudices ; qu'un voisin, M. X..., est intervenu volontairement à l'instance en raison de désordres affectant son immeuble ; que les étais mis en place pour protéger la maison de Mme Y... ayant été volés, il s'en est suivi une aggravation du dommage et l'expert, à nouveau désigné pour évaluer la réparation de l'entier dommage, a conclu à la nécessité d'une démolition suivie d'une reconstruction ; 

Sur le premier moyen du pourvoi principal et le moyen unique du pourvoi incident, réunis, ci-après annexé : 

Attendu qu'ayant relevé que M. Z... s'était adressé à M. A... pour effectuer les travaux de terrassement qui devaient être facturés directement à Mme Y... et que chaque artisan intervenait de manière indépendante dans son propre domaine de compétence en accord avec Mme Y... et en liaison directe avec elle, la cour d'appel a pu en déduire qu'aucun contrat de sous-traitance ne liait M. Z... à M. A... ; 

D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ; 

Sur le troisième moyen du pourvoi principal, ci-après annexé : 

Attendu que, sous couvert du grief de violation de la loi, le moyen ne tend qu'à remettre en cause le pouvoir souverain d'appréciation des juges du fond de l'existence et du montant du préjudice de jouissance invoqué par Mme Y... ; 

D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;

Mais sur le deuxième moyen du pourvoi principal :

Vu l'article 1147 du code civil ; 

Attendu que pour limiter à la somme de 102 309, 33 euros la réparation due par M. A... au titre du préjudice matériel, l'arrêt retient que, dans son premier rapport, l'expert avait constaté que l'étaiement mis en place par M. A... était correctement monté et remplissait sa fonction de consolidation du plancher supérieur et du pignon côté droit, que la reprise des désordres était encore possible et qu'après le vol des étais seule était praticable une démolition suivie d'une reconstruction, que M. A... n'était pas chargé du gardiennage de l'immeuble et qu'il appartenait à Mme Y..., qui avait reçu une provision de l'assureur de l'entrepreneur, de décider de toute mesure conservatoire utile de nature à éviter l'aggravation du dommage provoqué par la disparition des étais et l'abandon de l'immeuble pendant plusieurs mois de sorte que M. A... ne pouvait pas être tenu pour responsable de l'aggravation du dommage ; 

Qu'en statuant ainsi, alors que l'auteur d'un dommage doit en réparer toutes les conséquences et que la victime n'est pas tenue de limiter son préjudice dans l'intérêt du responsable, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;

PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il condamne M. A... à payer à Mme Y... la somme de 102 309, 33 euros en réparation de son préjudice matériel, l'arrêt rendu le 14 octobre 2011, entre les parties, par la cour d'appel de Poitiers ; remet, en conséquence, sur ce point, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Bordeaux ; (…) »

Travail préparatoire

Rappel de méthodologie

Un commentaire d’arrêt est un exercice qui comprend deux temps : l’explication de l’arrêt et son appréciation.

En d’autres termes, il faut, en premier lieu, expliquer le sens de l’arrêt. Ce qui suppose d’abord de le lire très attentivement, pour bien le comprendre. Ensuite, et c’est un temps essentiel de votre commentaire, il vous faut identifier la question que l’arrêt à commenter a résolue. En outre, il vous faut détecter la ou les règles de droit qui fondent la décision qui vous est soumise. Enfin, il vous faut faire un exercice de mémoire (si vous composez votre commentaire dans le cadre d’un examen) ou de recherche (si vous composez librement votre commentaire), non seulement pour découvrir le thème général dans lequel s’inscrit l’arrêt à commenter, mais encore pour trouver des éléments bibliographiques qui vous permettront de mieux comprendre l’arrêt que vous devez commenter et donc de mieux l’expliquer.

En second lieu, après avoir expliqué le sens de l’arrêt et démontré que vous l’avez compris, vous devez apprécier l’arrêt à commenter, donner une opinion sur la façon dont la Cour de cassation a tranché le litige et répondu à la question de droit, au fond, il vous faut juger les juges, vous prononcer sur la valeur de la décision, ce qui sera d’autant plus simple que vous pourrez la situer dans le temps, c’est-à-dire en déterminer la portée. Dans cette perspective d’appréciation de la valeur de l’arrêt, il vous faut exploiter des éléments bibliographiques qui vous permettront de recueillir les diverses opinions doctrinales qui se sont prononcées sur la question de droit réglée par la Cour de cassation, et de vous prononcer sur la pertinence des diverses thèses en présence à propos de la question de droit, celle que soutenaient les juges du fond, celle du demandeur au pourvoi et puis celle retenue par la Cour de cassation qui sera fatalement peu ou prou une des deux précédentes.

Analyse de l’arrêt

Analyser l’arrêt conduit à s’en tenir à le présenter en vue d’introduire votre commentaire. Voici la démarche à suivre :

– d’abord, il vous faut sélectionner les faits qui seront utiles dans la perspective de votre commentaire ;

– en outre, il convient de qualifier les faits, ce qui revient à les faire entrer dans une catégorie juridique donnée ;

– ensuite, il faut exposer les différentes étapes de la procédure, à savoir la décision des juges du fond, puis le moyen du pourvoi ;

– de plus, il vous faut énoncer la question de droit que l’arrêt a tranchée ;

– enfin, il convient d’exposer la solution que la Cour de cassation a finalement retenue.

Dans l’arrêt qu’il vous faut ici commenter, reprenons cette démarche :

■ Sélection des faits : Un particulier contacte un artisan maçon, afin de réaliser des travaux de terrassement. Ces travaux ont provoqué des dommages dans l’immeuble appartenant à ce particulier, lesquels se sont aggravés à la suite d’un vol de matériel mis en place par l’artisan pour protéger l’immeuble de son contractant.

■ Qualification des faits : Un maître de l’ouvrage subit un préjudice économique à la suite de la mauvaise exécution du contrat d’entreprise qu’il a conclu. Son préjudice s’est aggravé à la suite d’un vol du matériel que l’entrepreneur avait mis en place pour protéger son immeuble.

■ Exposé de la procédure : Le maître de l’ouvrage agit en réparation de son préjudice contre l’entrepreneur. Les juges du fond réduisent la réparation de son préjudice au motif que le maître de l’ouvrage aurait du prendre des mesures propres à éviter l’aggravation de son dommage.

■ Énoncé de la question de droit : Quelle est l’influence du comportement de la victime qui n’a pas fait en sorte de diminuer l’importance de son préjudice sur la réparation de celui-ci ?

■ Exposé de la décision : La Cour de cassation casse, au visa de l’article 1147 du Code civil, la décision de la cour d’appel au motif que l'auteur d'un dommage doit en réparer toutes les conséquences et que la victime n'est pas tenue de limiter son préjudice dans l'intérêt du responsable.

L’élaboration du commentaire

L’analyse de l’arrêt est désormais effectuée. Reste à bâtir et nourrir le commentaire.

Il est de bonne méthode de rechercher alors dans quelle thématique générale s’inscrit l’arrêt à commenter, ce qu’une parfaite identification des questions de droit tranchée par l’arrêt vous permet aisément de découvrir. En l’occurrence, l’arrêt porte sur l’obligation de la victime de modérer son dommage.

Dans la perspective de l’élaboration de votre commentaire, il convient que vous exploitiez :

– d’abord, le précis Dalloz de Droit des obligations de MM. Terré, Simler et Lequette, qui comporte des développements sur la réparation en général et sur l’obligation de la victime de modérer son dommage ;

– ensuite, l’ouvrage Les grands arrêts de la jurisprudence civile de MM Terré et Lequette qui contient des commentaires d’arrêts rendus sur ces mêmes questions.

– enfin, le Recueil Dalloz du 10 janvier 2013, le panorama de responsabilité civile de MM. Brun et Gout dans lequel cette question est longuement évoquée.

La structure du commentaire

Pour construire votre commentaire, en clair pour élaborer son plan, il convient d’expliquer l’arrêt et d’apprécier sa solution. Ce qui consiste :

– à en restituer clairement le sens ;

– à en déterminer la portée ;

– et à en discuter la valeur,

étant entendu que ces trois éléments sont ici d’égale importance.

Proposition de plan détaillé

Introduction

Avant l’analyse de l’arrêt proprement dite qui compose le cœur de l’introduction, il faut insister sur son contexte, à savoir le principe de la réparation intégrale du préjudice. Après quoi, vous pouvez intégrer l’analyse de l’arrêt proprement dite (v. supra).

Enfin, après avoir exposé la décision retenue par la Cour de cassation, vous devez annoncer le plan de votre commentaire.

■ ■ ■

I. Aujourd’hui : le refus de l’obligation de modérer le dommage

A. Le constat

Dans cette première sous-partie, il conviendra d’exposer la jurisprudence déjà rendue sur ce point par la Cour de cassation :

– expliquer le sens de l’obligation de modérer son dommage ;

– revenir sur les arrêts dans lesquels la Cour de cassation a exclu l’obligation pour la victime de modérer son dommage ;

– évoquer les incertitudes sur l’état du droit positif qu’avait emporté un arrêt rendu en 2011 (Civ. 2e, 24 nov. 2011), dont certains avaient cru qu’il constituait un revirement de jurisprudence

B. Les raisons

Dans cette seconde sous-partie, il convient d’expliquer pourquoi la Cour de cassation refuse de reconnaître l’existence d’une telle obligation de modérer son dommage :

– revenir sur le principe de la réparation intégrale du préjudice, son sens, sa portée, son importance théorique et pratique ;

– expliquer au regard de l’évolution générale du droit de la responsabilité civile qui se traduit par une protection de plus en plus forte des victimes : indemnisation intégrale, indemnisation rapide, etc. ;

– évoquer la faute de la victime qui, elle, exerce une influence sur son droit à réparation : explication, distinction faute de la victime-obligation de modérer son dommage.

II. Demain : l’admission de l’obligation de modérer son dommage

A. Le constat

Dans cette première sous-partie, il convient de s’arrêter sur les projets de réforme qui admettent cette obligation :

– Projets de réforme du droit français du droit des obligations : avant-projet Catala (art. 1373) et avant-projet Terré (art. 121) admettent cette obligation ;

– Explication du sens de ces textes et du domaine assigné à une telle obligation ; exclusion de son application en matière de préjudice corporel.

– Évocation des avant-projets de réforme européens qui admettent eux aussi cette obligation.

B. Raisons

– La fragilité du principe de réparation intégrale.

– L’impératif d’efficacité économique du droit.

– Raisons morales.

Références

■ Y. Lequette, Fr. Terré, Ph. Simler, Droit civil. Les obligations, 10e éd., Dalloz, coll. « Précis », 2009.

■ Y. LequetteFr. TerréH. CapitantLes grands arrêts de la jurisprudence civile, T2, 12e éd., Dalloz, 2008.

■ Article 1147 du Code civil

« Le débiteur est condamné, s'il y a lieu, au paiement de dommages et intérêts soit à raison de l'inexécution de l'obligation, soit à raison du retard dans l'exécution, toutes les fois qu'il ne justifie pas que l'inexécution provient d'une cause étrangère qui ne peut lui être imputée, encore qu'il n'y ait aucune mauvaise foi de sa part. »

■ MM. Brun et Gou, Panorama - Responsabilité civile, D. 2013. 40, spéc. 45.

 Civ. 2e, 24 nov. 2011, n°10-25.365, D. 2012. 141, note H. Adida-Canac ibid. 644, chron. H. Adida-Canac, O.-L. Bouvier et L. Leroy-Gissinger ; JCP 2012, n° 170, note V. Rebeyrol ; RCA 2012. comm. 34, obs. S. Hocquet-Berg et n° 530, obs. Ph. Stoffel-Munck.

■ Article 1373 de l’avant-projet Catala

« Lorsque la victime avait la possibilité, par des moyens sûrs, raisonnables et proportionnés, de réduire l'étendue de son préjudice ou d'en éviter l'aggravation, il sera tenu compte de son abstention par une réduction de son indemnisation, sauf lorsque les mesures seraient de nature à porter atteinte à son intégrité physique. »

■ Article 121 de l’avant-projet Terré

« Le créancier qui, manquant à ses devoirs contractuels, a contribué à l’inexécution ou à ses conséquences dommageables, n’a droit qu’à des dommages et intérêts réduits à proportion de sa contribution à l’inexécution ou à ses conséquences.

Il en va de même si le créancier n’a point pris les mesures sûres et raisonnables, propres à éviter, à modérer ou à supprimer son préjudice. Le créancier sera remboursé de tous les frais raisonnablement engagés à cet effet. »

 


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