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Droit de la famille
L’adoption de l’enfant issu d’un couple de femmes séparé
Chaque mois, retrouvez le commentaire d’une décision de justice issue de l’actualité jurisprudentielle.
Ce mois-ci, Dalloz Actu Étudiant vous propose de commenter l’arrêt Lyon, 9 juin 2022, n° 21/09303
Travail préparatoire
Rappel de méthodologie
Un commentaire d’arrêt est un exercice qui comprend deux temps : l’explication de l’arrêt et son appréciation.
En d’autres termes, il faut, en premier lieu, expliquer le sens de l’arrêt. Ce qui suppose d’abord de le lire très attentivement, pour bien le comprendre. Ensuite, et c’est un temps essentiel de votre commentaire, il vous faut identifier la question que l’arrêt à commenter a résolue. En outre, il vous faut détecter la ou les règles de droit qui fondent la décision qui vous est soumise. Enfin, il vous faut faire un exercice de mémoire (si vous composez votre commentaire dans le cadre d’un examen) ou de recherche (si vous composez librement votre commentaire), non seulement pour découvrir le thème général dans lequel s’inscrit l’arrêt à commenter, mais encore pour trouver des éléments bibliographiques qui vous permettront de mieux comprendre l’arrêt que vous devez commentez et donc de mieux l’expliquer.
En second lieu, après avoir expliqué le sens de l’arrêt et démontrer que vous l’avez compris, vous devez apprécier l’arrêt à commenter, donner une opinion sur la façon dont la Cour de cassation a tranché le litige et répondu à la question de droit, au fond, il vous faut juger les juges, vous prononcer sur la valeur de la décision, ce qui sera d’autant plus simple que vous pourrez la situer dans le temps, c’est-à-dire en déterminer la portée. Dans cette perspective d’appréciation de la valeur de l’arrêt, il vous faut exploiter des éléments bibliographiques qui vous permettront de recueillir les diverses opinions doctrinales qui se sont prononcées sur la question de droit réglée par la Cour de cassation, et de vous prononcer sur la pertinence des diverses thèses en présence à propos de la question de droit, celle que soutenaient les juges du fond, celle du demandeur au pourvoi et puis celle retenue par la Cour de cassation qui sera fatalement peu ou prou une des deux précédentes.
Analyse de l’arrêt
Analyser l’arrêt conduit à s’en tenir à le présenter en vue d’introduire votre commentaire. Voici la démarche à suivre :
– d’abord, il vous faut sélectionner les faits qui seront utiles dans la perspective de votre commentaire ;
– en outre, il convient de qualifier les faits, ce qui revient à les faire entrer dans une catégorie juridique donnée ;
– ensuite, il faut exposer les différentes étapes de la procédure, à savoir la décision des juges du fond, puis le moyen du pourvoi ;
– de plus, il vous faut énoncer la question de droit que l’arrêt a tranchée ;
– enfin, il convient d’exposer la solution que la Cour de cassation a finalement retenue.
Dans l’arrêt qu’il vous faut ici commenter, reprenons cette démarche :
■ Sélection des faits : Marié, un couple lesbien recourt, le 4 octobre 2018, à une assistance médicale à la procréation (AMP) avec tiers donneur réalisée en Belgique. La femme ayant porté l’enfant est reconnue comme étant la mère de l’enfant. Par acte notarié en date du 23 octobre 2019, elle donne son accord à l’adoption plénière de l’enfant par sa femme. Le 25 novembre suivant, à la suite de leur séparation, elle se rétracte. Ne souhaitant pas rester sans statut, sa conjointe dépose, cinq jours plus tard, une demande d’adoption plénière au greffe du tribunal de Saint-Etienne.
■ Qualification des faits : Le 4 octobre 2018, deux femmes mariées ont eu un enfant à la suite d’une PMA exogène réalisée à l’étranger. La femme ayant accouché, devenue la mère légale de l’enfant, consent, par acte notarié en date du 23 octobre 2019, à l’adoption plénière de l’enfant par son épouse. Après la séparation du couple, la mère légale rétracte son consentement, le 25 novembre 2019. Co-autrice du projet parental, son épouse demande à ce titre l’établissement judiciaire de sa filiation maternelle à l’égard de l’enfant.
■ Procédure : Sa demande d’adoption plénière est rejetée, le refus de la mère légale d’y consentir étant jugé légitime par le tribunal, qui relève « l’incapacité de la [demanderesse] d’anticiper les besoins matériels et affectifs de l’enfant et d’agir dans l’intérêt de celui-ci au détriment de ses propres besoins ».
■ Moyen du pourvoi : La femme interjette appel du jugement et fait valoir qu’il s’agit d’un projet parental commun réalisé par le biais d’une AMP réalisée avec tiers donneur à l’étranger et que la rétractation de son épouse est abusive en ce qu’elle trouve sa cause exclusive dans leur séparation. Sa requête repose principalement sur les dispositifs de droit transitoire entourant la loi PMA pour toutes, permettant d’établir un double lien de filiation maternelle lorsqu’un projet parental commun réalisé par AMP à l’étranger a été formé même avant la loi du 2 août 2021. Elle s’appuie plus précisément sur la possibilité offerte par la loi du 2 août 2021, relative à la bioéthique, d’établir la double filiation maternelle de l’enfant par le biais d’une reconnaissance conjointe établie a posteriori devant notaire par les deux femmes (art. 6 IV) et, à défaut, de la possibilité offerte au juge par la loi du 21 février 2022 portant réforme de l’adoption, dite loi Limon, de prononcer l’adoption plénière de l’enfant même en l’absence de consentement de la mère légale à une reconnaissance conjointe a posteriori ou à l’adoption plénière de l’enfant (art. 9).
■ Problème de droit : À quelles conditions le juge peut-il prononcer l’adoption plénière d’un enfant par l’ex-conjointe de sa mère légale, qui s’y oppose ?
■ Solution : Les juges lyonnais, en application des dispositions de l’article 9 de la loi du 21 février 2022 visant à réformer l’adoption, admettent qu’ « à titre exceptionnel, pour une durée de trois ans à compter de la promulgation de la présente loi, lorsque, sans motif légitime, la mère inscrite dans l’acte de naissance de l’enfant refuse la reconnaissance conjointe prévue au IV de l’article 6 de la loi n° 2021-1017 du 2 août 2021 relative à la bioéthique, la femme qui n’a pas accouché (puisse) demander à adopter l’enfant, sous réserve de rapporter la preuve du projet parental commun et de l’assistance médicale à la procréation réalisée à l’étranger avant la publication de la même loi, dans les conditions prévues par la loi étrangère, sans que puisse lui être opposée l’absence de lien conjugal ni la condition de durée d’accueil prévue au premier alinéa de l’article 345 du code civil. Le tribunal prononce l’adoption s’il estime que le refus de la reconnaissance conjointe est contraire à l’intérêt de l’enfant et si la protection de ce dernier l’exige. Il statue par une décision spécialement motivée. L’adoption entraîne les mêmes effets, droits et obligations qu’en matière d’adoption de l’enfant du conjoint, du partenaire d’un pacte civil de solidarité ou du concubin ».
I. La filiation adoptive de l’enfant issu d’un couple de femmes séparé : les conditions requises
A. Un projet parental commun réalisé à l’étranger
● Enfant issu d’un « projet parental commun » ; preuve du projet de donner naissance à un enfant par AMP réalisée à l’étranger, et de l’élever en commun ; en l’espèce, le projet de recourir à une PMA en Belgique pour la conception de l’enfant était établi, et l’importance du rôle de la mère n’ayant pas accouché (mère « non statutaire ») dans la vie de l’enfant, soulignée ; malgré la séparation du couple, la relation entre l’enfant et la requérante, jugée « de qualité », avait bien été maintenue ;
● Appréciation : plusieurs éléments versés au débat témoignant de la place de la requérante comme deuxième parent de l’enfant, depuis la naissance de celui-ci jusqu’à la date du litige : distendus après la séparation du couple, les liens n’ont jamais été complètement rompus, la mère légale ayant même octroyé un droit de visite régulier à l’autre femme ; donc pas d’abandon du projet parental commun.
B. Une filiation conforme à l’intérêt de l’enfant
● L’art. 9 de la loi du 21 févr. 2022 (loi Limon) s’applique au cas d’espèce d’un conflit installé au sein d’un couple désuni : le juge doit prononcer l’adoption plénière de l’enfant par la femme n’ayant pas accouché dans le cas où sa mère légale refuse, contrairement à son intérêt, de consentir à l’adoption ou de procéder à une reconnaissance conjointe, grande innovation de la loi du 2 août 2021 ouvrant l’AMP aux couples de femmes permettant d’établir autrement que par l’adoption la filiation maternelle de la femme n’ayant pas accouché ;
● En l’espèce, adoption plénière de l’enfant prononcée sur la base du projet parental commun antérieur et au nom de son intérêt supérieur ; il devrait pouvoir être adopté par la seconde femme « pour s’inscrire dans deux familles (..), un double lien de filiation constituant une protection pour un enfant (…) » ;
II. La filiation adoptive de l’enfant issu d’un couple de femmes séparé : les conditions délaissées
A. L’antériorité du projet parental commun à l’entrée en vigueur de la loi PMA pour toutes
● Sens de l’art. 9 : dispositif de droit transitoire permettant de maintenir la possibilité d’établir une double filiation maternelle d’un enfant issu d’un projet parental commun, même formé avant la publication de la loi du 2 août 2021 ;
● Objectif : régler la situation des mères non statutaires et à sécuriser la situation des enfants, soit par une reconnaissance conjointe faite a posteriori et en cas de refus, par une adoption plénière prononcée par le juge ; considérer que l’enfant issu d’un projet parental commun, s’il était né après la loi du 2 août 2021, disposerait déjà de deux filiations maternelles, ce que soulignent ici les juges.
B. L’opposition de la mère légale à l’adoption
● Difficulté d’application de ce texte : implique d’ignorer le refus de la mère légale de consentir à l’établissement du second lien de filiation de l’enfant, en l’espèce à son adoption ;
● Le juge doit pouvoir prononcer l’adoption plénière même si la mère légale s’y oppose ; cette décision = la première application de l’article 9 ; appréciation du juge : en l’espèce, l’enfant est jeune et la seconde femme a réussi à maintenir des liens avec celui-ci ;
● Portée ? Quid dans d’autres situations, plus anciennes et plus conflictuelles, où la mère non statutaire serait entièrement coupée de l’enfant pourtant né d’un projet parental commun ?
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