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L’articulation de la responsabilité et des garanties dans des chaînes de contrats translatives de propriété

[ 2 février 2021 ] Imprimer

Droit des obligations

L’articulation de la responsabilité et des garanties dans des chaînes de contrats translatives de propriété

Chaque mois, retrouvez le commentaire d’une décision de justice issue de l’actualité jurisprudentielle.

Ce mois-ci, Dalloz Actu Étudiant vous propose de commenter l’arrêt Civ. 1re, 6 janvier 2021, n° 19-18.588.

Travail préparatoire

Rappel de méthodologie

Un commentaire d’arrêt est un exercice qui comprend deux temps : l’explication de l’arrêt et son appréciation.

En d’autres termes, il faut, en premier lieu, expliquer le sens de l’arrêt. Ce qui suppose d’abord de le lire très attentivement, pour bien le comprendre. Ensuite, et c’est un temps essentiel de votre commentaire, il vous faut identifier la question que l’arrêt à commenter a résolue. En outre, il vous faut détecter la ou les règles de droit qui fondent la décision qui vous est soumise. Enfin, il vous faut faire un exercice de mémoire (si vous composez votre commentaire dans le cadre d’un examen) ou de recherche (si vous composez librement votre commentaire), non seulement pour découvrir le thème général dans lequel s’inscrit l’arrêt à commenter, mais encore pour trouver des éléments bibliographiques qui vous permettront de mieux comprendre l’arrêt que vous devez commentez et donc de mieux l’expliquer.

En second lieu, après avoir expliqué le sens de l’arrêt et démontrer que vous l’avez compris, vous devez apprécier l’arrêt à commenter, donner une opinion sur la façon dont la Cour de cassation a tranché le litige et répondu à la question de droit, au fond, il vous faut juger les juges, vous prononcer sur la valeur de la décision, ce qui sera d’autant plus simple que vous pourrez la situer dans le temps, c’est-à-dire en déterminer la portée. Dans cette perspective d’appréciation de la valeur de l’arrêt, il vous faut exploiter des éléments bibliographiques qui vous permettront de recueillir les diverses opinions doctrinales qui se sont prononcées sur la question de droit réglée par la Cour de cassation, et de vous prononcer sur la pertinence des diverses thèses en présence à propos de la question de droit, celle que soutenaient les juges du fond, celle du demandeur au pourvoi et puis celle retenue par la Cour de cassation qui sera fatalement peu ou prou une des deux précédentes.

Analyse de l’arrêt

Analyser l’arrêt conduit à s’en tenir à le présenter en vue d’introduire votre commentaire. Voici la démarche à suivre :

– d’abord, il vous faut sélectionner les faits qui seront utiles dans la perspective de votre commentaire ;

– en outre, il convient de qualifier les faits, ce qui revient à les faire entrer dans une catégorie juridique donnée ;

– ensuite, il faut exposer les différentes étapes de la procédure, à savoir la décision des juges du fond, puis le moyen du pourvoi ;

– de plus, il vous faut énoncer la question de droit que l’arrêt a tranchée ;

– enfin, il convient d’exposer la solution que la Cour de cassation a finalement retenue.

Dans l’arrêt qu’il vous faut ici commenter, reprenons cette démarche :

Sélection des faits : Un couple fait construire une maison avec un bardage en bois posé par la société M., qui s’est fournie auprès de la société DMO, qui s’était elle-même fournie auprès de la société P. ayant en amont acheté le bardage auprès d’une quatrième société, la société TBN laquelle fabrique ces bardages. Des désordres ont été constatés par le couple une fois la construction de la maison terminée, ce dernier assigne alors l’entrepreneur et son assureur en responsabilité.

Qualification des faits : Des particuliers font édifier une maison individuelle d’habitation avec un bardage en bois posé par un entrepreneur, qui s’est fourni auprès d’une société qui s’était elle-même fournie auprès d’un vendeur intermédiaire, laquelle avait acheté le bardage auprès d’une quatrième société, fabricant ces bardages. Des désordres ayant été constatés par les maîtres de l’ouvrage une fois la construction achevée, ils ont, après expertise judiciaire contradictoire, assigné l’entrepreneur et son assureur en responsabilité.

Procédure: En première instance, l’entrepreneur et son assureur sont condamnés au paiement in solidum d’une somme en réparation des désordres liés au bardage défectueux mis en œuvre lors de l’édification d’une maison d’habitation. Ils assignent ensuite la société DMO auprès de laquelle le maître d’œuvre s’était fourni. Ce dernier appelle alors en garantie la société P. chez qui elle s’est elle-même approvisionnée. Enfin, la société P. appelle à son tour en garantie le fabricant des bardages, la société TBN. Ces appels en garantie successifs donnent lieu à la condamnation du fabricant à garantir le vendeur intermédiaire de la totalité de la condamnation prononcée. Une opposition du fabricant est formée. Saisie à nouveau, un an et demi plus tard, mais cette fois d’une demande en rétractation, la même cour d’appel estime ne pas y avoir lieu à rétracter la disposition de l’arrêt selon laquelle le fabricant a été condamné à garantir le vendeur intermédiaire de l’intégralité du quantum des condamnations prononcées à son encontre.

Moyens du pourvoi : Faisant grief à la cour d’appel d’avoir maintenu ce quantum de condamnation, quand il tirait moyen de ce qu’il n’avait pas à supporter certains coûts induits de de défauts imputables à un tiers, le fabricant forme un pourvoi en cassation, fondé sur la règle selon laquelle « l’appel en garantie ne crée de lien de droit qu’entre le bénéficiaire de la garantie et son propre garant, et n’en crée aucun entre ceux-ci et le demandeur à l’instance principale », justifiant ainsi la possibilité qu’il détenait d’opposer à la société l’ayant appelé en garantie le moyen selon lequel il n’avait pas à supporter certains coûts (liés à la dépose et à la repose du bardage défectueux) qui s’imposaient qu’en conséquence de défauts d’étanchéité imputables à un tiers et dont il n’avait donc pas à répondre personnellement. Or, la juridiction du second degré s’était limitée à relever la condamnation à garantir le vendeur intermédiaire de l’intégralité de la condamnation sans avoir préalablement examiné ce moyen invoqué pour limiter la garantie du fabricant. 

Problème de droit : La possibilité d’un appel en garantie du fabricant d’un produit affecté d’un vice caché par le vendeur intermédiaire pour la totalité des condamnations mises à sa charge autorise-t-elle néanmoins le fabricant à invoquer des moyens propres à limiter sa garantie ?

Énoncé de la solution : Au visa des articles 1641 et 1645 du Code civil, et 334 et 335 du Code de procédure civile, la Cour affirme qu’il résulte de ces textes que, si le vendeur intermédiaire condamné à garantir les conséquences du produit affecté d'un vice caché, peut exercer un appel en garantie à l'encontre du fabricant à hauteur de la totalité des condamnations mises à sa charge, ce dernier peut invoquer des moyens propres à limiter sa garantie dont il incombe aux juges du fond d'examiner le bien-fondé.

Or pour dire n'y avoir lieu à rétractation de la disposition de l'arrêt du 22 février 2018 en ce qu'il a condamné le fabricant à garantir la société (X) de l'intégralité des condamnations prononcées à son encontre, l'arrêt se borne à énoncer qu'en cas de ventes successives, le vendeur intermédiaire condamné à garantir les conséquences du produit affecté d'un vice caché, conserve la faculté d'exercer cette action à l'encontre du fabricant à hauteur de la totalité des condamnations mises à sa charge sur ce même fondement. En statuant ainsi, sans examiner le bien-fondé du moyen invoqué par le fabricant pour voir limiter sa garantie, la cour d'appel a violé les textes susvisés

L’élaboration du commentaire 

L’analyse de l’arrêt est désormais effectuée. Reste à bâtir et nourrir le commentaire.

Il est de bonne méthode de rechercher alors dans quelle thématique générale s’inscrit l’arrêt à commenter, ce qu’une parfaite identification des questions de droit tranchée par l’arrêt vous permet aisément de découvrir. En l’occurrence, l’arrêt porte sur l’articulation de la responsabilité et des garanties dans des chaînes de contrats translatives de propriété.

La structure du commentaire

Pour construire votre commentaire, en clair pour élaborer son plan, il convient d’expliquer l’arrêt et d’apprécier sa solution. Ce qui consiste :

– à en restituer clairement le sens ;

– à en déterminer la portée ;

– et à en discuter la valeur,

étant entendu que ces trois éléments sont ici d’égale importance.

Proposition de plan détaillé

Avant l’analyse de l’arrêt proprement dite qui compose le cœur de l’introduction, il faut insister sur son contexte. Après quoi, vous pouvez intégrer l’analyse de l’arrêt proprement dite.

Enfin, après avoir exposé la décision retenue par la Cour de cassation, vous devez annoncer le plan de votre commentaire.

I.               Chaîne de contrats : la limitation de la garantie du fabricant

A.     Principe : la garantie du fabricant

·       Contexte du litige : chaîne de contrats ayant transféré la propriété de bardages en bois à l’occasion d’un contrat d’entreprise initial ; appels en garantie successifs des différents maillons intermédiaires de la chaîne, jusqu’au fabricant lui-même.

·       En cas de ventes successives, responsabilité in fine du fabricant, maillon extrême de la chaîne, du défaut de la chose ; tenu par principe de l’indemnisation en raison du vice caché de son produit, doit ici garantir le vendeur intermédiaire des conséquences de ce vice.

·       En l’espèce, c’est sur ce fondement que le fabricant a été condamné à garantir le vendeur intermédiaire de l’intégralité du quantum des condamnations mises à sa charge.

B.     Limite : l’appel en garantie du fabricant

·       Autonomie de l’appel en garantie avec l’instance principale = l’appelé en garantie peut ainsi présenter des moyens propres à limiter sa garantie. 

·       Contours rappelés de l’appel en garantie : outil de condamnation du tiers contre lequel il est formé ; étendue de la condamnation limitée par le bien-fondé du moyen présenté. Cassation ici justifiée par l’alignement de l’action en garantie sur la totalité des condamnations prononcées. Or, nécessité d’ajuster leur quantum compte tenu des moyens invoqués, dont le bien-fondé doit être examiné.

·       Application de cette règle de procédure à une chaîne de contrats où un vice caché est apparu : possibilité pour le fabricant d’invoquer des moyens propres à limiter sa garantie ; en l’espèce, moyen tiré de l’exclusion de sa garantie des coûts générés par le défaut d’étanchéité du produit imputable à un autre maillon de la chaîne.

II.             Chaîne de contrats : la justification de la limitation de la garantie du fabricant

A.      En droit judiciaire privé

·       Solution conforme à celle de l’absence de lien entre le demandeur à l’action principale et l’appelé en garantie, donc à la distinction des instances, permettant à l’appelé de faire valoir sa prétention devant les juges du fond.

·       Justifie la voie ouverte par la solution à la possibilité d’une rétractation de la disposition de l’arrêt rendu à défaut d’examen du bien-fondé du moyen invoqué par le fabricant pour limiter sa garantie. V. cassation de la décision pour violation de la loi : « Pour dire n’y avoir lieu à rétractation de la disposition de l’arrêt (…), sans examiner le bien-fondé du moyen invoqué par le fabricant pour voir limiter sa garantie, la cour d’appel a violé les textes susvisés ».

B.     En droit de la responsabilité contractuelle

·       Adéquation de la limite à la garantie du fabricant à la délimitation de sa responsabilité ; cadre d’une chaîne contractuelle ; le fabricant ainsi condamné à ne garantir le vendeur intermédiaire que pour ce qu’il a vendu = ajustement du quantum de sa condamnation aux limites de sa responsabilité, exclue pour les défauts qui ne lui sont pas imputables. En l’espèce, c’était précisément le cas du défaut d’étanchéité, lequel était lié à un problème autre que celui relevant des bardages, dont il ne devait donc pas contractuellement.

·       Délimitation de la garantie conforme à l’adéquation de la contribution à la dette de chacun des maillons de la chaîne contractuelle.

 


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