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Appréciation de la validité de la clause élusive de garantie

[ 24 octobre 2023 ] Imprimer

Droit des obligations

Appréciation de la validité de la clause élusive de garantie

Chaque mois, retrouvez le commentaire d’une décision de justice issue de l’actualité jurisprudentielle.

Ce mois-ci, Dalloz Actu Étudiant vous propose de commenter l’arrêt Civ. 2e, 12 oct. 2023, n° 22-13-759

Travail préparatoire

Rappel de méthodologie

Un commentaire d’arrêt est un exercice qui comprend deux temps : l’explication de l’arrêt et son appréciation.

En d’autres termes, il faut, en premier lieu, expliquer le sens de l’arrêt. Ce qui suppose d’abord de le lire très attentivement, pour bien le comprendre. Ensuite, et c’est un temps essentiel de votre commentaire, il vous faut identifier la question que l’arrêt à commenter a résolue. En outre, il vous faut détecter la ou les règles de droit qui fondent la décision qui vous est soumise. Enfin, il vous faut faire un exercice de mémoire (si vous composez votre commentaire dans le cadre d’un examen) ou de recherche (si vous composez librement votre commentaire), non seulement pour découvrir le thème général dans lequel s’inscrit l’arrêt à commenter, mais encore pour trouver des éléments bibliographiques qui vous permettront de mieux comprendre l’arrêt que vous devez commentez et donc de mieux l’expliquer.

En second lieu, après avoir expliqué le sens de l’arrêt et démontrer que vous l’avez compris, vous devez apprécier l’arrêt à commenter, donner une opinion sur la façon dont la Cour de cassation a tranché le litige et répondu à la question de droit, au fond, il vous faut juger les juges, vous prononcer sur la valeur de la décision, ce qui sera d’autant plus simple que vous pourrez la situer dans le temps, c’est-à-dire en déterminer la portée. Dans cette perspective d’appréciation de la valeur de l’arrêt, il vous faut exploiter des éléments bibliographiques qui vous permettront de recueillir les diverses opinions doctrinales qui se sont prononcées sur la question de droit réglée par la Cour de cassation, et de vous prononcer sur la pertinence des diverses thèses en présence à propos de la question de droit, celle que soutenaient les juges du fond, celle du demandeur au pourvoi et puis celle retenue par la Cour de cassation qui sera fatalement peu ou prou une des deux précédentes.

Analyse de l’arrêt

Analyser l’arrêt conduit à s’en tenir à le présenter en vue d’introduire votre commentaire. Voici la démarche à suivre :

– d’abord, il vous faut sélectionner les faits qui seront utiles dans la perspective de votre commentaire ;

– en outre, il convient de qualifier les faits, ce qui revient à les faire entrer dans une catégorie juridique donnée ;

– ensuite, il faut exposer les différentes étapes de la procédure, à savoir la décision des juges du fond, puis le moyen du pourvoi ;

– de plus, il vous faut énoncer la question de droit que l’arrêt a tranchée ;

– enfin, il convient d’exposer la solution que la Cour de cassation a finalement retenue.

Dans l’arrêt qu’il vous faut ici commenter, reprenons cette démarche :

■ Sélection des faits : : Une société exploitant un restaurant a souscrit un contrat d'assurance « multirisque professionnel » incluant une garantie « protection financière ». Quatre ans après la conclusion du contrat, deux arrêtés ont été publiés dans le cadre de la lutte contre la propagation du virus Covid-19 à l’effet d’interdire aux restaurants d'accueillir du public, sur deux périodes consécutives. Après avoir été contraint de fermer son établissement, la société a effectué une déclaration de sinistre auprès de son assureur afin d'être indemnisée de ses pertes d'exploitation en application d'une clause du contrat stipulant que « (l)a garantie est étendue aux pertes d'exploitation consécutives à la fermeture provisoire totale ou partielle de l'établissement assuré, lorsque les deux conditions suivantes sont réunies : 1. La décision de fermeture a été prise par une autorité administrative compétente, et extérieure à vous-même. 2. La décision de fermeture est la conséquence d'une maladie contagieuse, d'un meurtre, d'un suicide, d'une épidémie ou d'une intoxication ». L'assureur a toutefois refusé de garantir le sinistre en faisant valoir que l'extension de garantie ne pouvait pas être mise en œuvre, en vertu d’une autre stipulation du contrat excluant la garantie des pertes d’exploitation « lorsque, à la date de la décision de fermeture, au moins un autre établissement, quelle que soit sa nature et son activité, fait l'objet, sur le même territoire départemental que celui de l'établissement assuré, d'une mesure de fermeture administrative, pour une cause identique ». L’exploitant du restaurant a assigné l'assureur en justice aux fins de garantie.

■ Qualification des faits : Après avoir été contraint de fermer son établissement en conséquence de deux décrets ayant édicté, dans le cadre de la lutte contre la propagation du virus Covid-19, l'interdiction pour les restaurants d'accueillir du public, un restaurateur effectue une déclaration de sinistre auprès de son assureur. Ce dernier refuse sa garantie qui s’étend pourtant, en principe, aux pertes d'exploitation causées par une fermeture administrative pour épidémie. Pour justifier son refus, il oppose à son assuré une clause d’exclusion de la garantie au cas présent où la décision de fermeture viserait au moins un autre établissement, situé sur le même département, que l’établissement assuré. Contestant la validité de cette clause élusive de garantie, l’assuré assigne son cocontractant en justice à l’effet de la faire annuler.

■ Procédure : La cour d’appel répute la clause non écrite, la rendant ainsi inopposable à l’assuré, aux motifs que si cette clause est formelle et limitée au sens de l'article L. 113-1 du Code des assurances, et qu'elle ne peut être réputée non écrite ou inopposable à ce titre, elle doit l’être, en revanche, sur le fondement de l’article 1131 du Code civil, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance du 10 février 2016, relatif à la cause de l’obligation, en ce qu’elle contredit la portée de l'obligation essentielle souscrite par le débiteur, soit l’obligation de l’assureur de garantir les pertes d'exploitation causées par une fermeture administrative pour épidémie. Or la clause litigieuse, en réduisant la garantie au cas infinitésimal d'une fermeture administrative pour épidémie imposée au seul assuré pour tout le département, vide de sa substance l’obligation essentielle contractée par l’assuré, qui se trouve ainsi dénuée de toute portée.

■ Moyen du pourvoi : Devant la Cour de cassation, l’assureur reproche à la cour d’appel d’avoir déclaré la clause d'exclusion litigieuse non écrite et inopposable à l'assuré sur le fondement de l'ancien article 1131 du Code civil, quand la validité de cette clause se trouve exclusivement régie par un texte spécial, à savoir l'article L. 113-1 du Code des assurances.

■ Problème de droit : La validité d’une clause d'exclusion de garantie peut-elle être cumulativement examinée au regard du texte spécial de l'article L. 113-1 du Code des assurances et du texte, relevant du droit commun, de l’ancien article 1131 du code civil ?

■ Solution : La validité des clauses d'exclusion de garantie, régie par l'article L. 113-1 du Code des assurances, texte spécial qui exige qu'elles ne vident pas la garantie de sa substance, ne peut être cumulativement examinée au regard de l'article 1131 du Code civil. Dès lors, a fait une fausse application de ce dernier texte la cour d'appel qui, après avoir jugé la clause d'exclusion de garantie formelle et limitée au sens de l'article L. 113-1 du Code des assurances, la déclare non écrite par application de l'article 1131 du Code civil.

I. La validité de la clause d’exclusion de garantie : les fondements disponibles

A. L’exigence d’une cause de l’obligation en droit des contrats 

● Art.1131 anc. C. civ.: l'obligation sans cause, ou sur une fausse cause, ou sur une cause illicite, ne peut avoir aucun effet (comp. art. 1170 nouv. « Toute clause qui prive de sa substance l’obligation essentielle du débiteur est réputée non écrite ».)

● JP : a déduit de cet article qu'est réputée non écrite la clause limitative de réparation ou de garantie qui contredit la portée de l'obligation essentielle souscrite par le débiteur au point de vider celle-ci de sa substance. (Com. 22 oct. 1996, n° 93-18.632 ; Com. 29 juin 2010, n° 09-11.841).

● Sanction : réputé non-écrit

B. L’exigence du caractère formel et limité en droit des assurances

● art.L.113-1 c. assu. : les pertes et les dommages occasionnés par des cas fortuits (ou causés par la faute de l'assuré) sont à la charge de l'assureur, sauf exclusion formelle et limitée contenue dans la police : admission des clauses d'exclusion de garantie, à la condition que celles-ci soient formelles et limitées.

● JP : une clause d'exclusion n'est pas limitée lorsqu'elle vide la garantie de sa substance en ce qu'après son application, elle ne laisse subsister qu'une garantie dérisoire (Civ. 2e, 1er déc. 2022, n° 21-19.341n° 21-19.342, n° 21-19.343, n° 21-15.392 ; Civ. 2e, 19 janv. 2023, n° 21-21.516).

II. La validité de la clause d’exclusion de garantie : un fondement exclusif

A. Un cumul possible

● En raison de l’identité du contrôle de l’équilibre du contrat en droit commun et en droit spécial : vérifier, sur le fondement de la cause ou du caractère limité de l’effet élusif de la garantie, que la clause n’a pas pour effet de vider la garantie de sa substance et de priver ainsi de toute portée l’obligation essentielle du contrat d’assurance ;

● En l’espèce, la cour d’appel avait pour cette raison apprécié la validité de la clause litigieuse sur le double fondement du droit des contrats (1131) et du droit des assurances (L.113-1) et jugé que, malgré son caractère formel et limité, elle contredisait la portée de l’obligation essentielle souscrite par l’assuré en vidant celle-ci de sa substance.

B. Un cumul proscrit

● Cassation de la décision des juges du fond en raison de la règle specialia generalibus derogant ; le spécial l’emporte sur le général ; conséquence : examen de la clause sur le seul fondement du droit des assurances ;

● Dès lors qu’il existe une règle spéciale, celle-ci doit s’appliquer à l’exclusion de la règle générale (comp. en l’absence de texte spécial, Civ. 2e, 2 févr. 2017, n° 16-10.165 Civ.1re, 19 déc. 1990, n° 88-12.863) ;

● Portée : articulation théorie générale du contrat/droits spéciaux à l’œuvre dans la jurisprudence récente pour l’application du droit nouveau : Com. 4 oct. 2023, n° 22-15.781 Com. 20 sept. 2023, n° 21-25.386 Com. 26 janv. 2022, n° 20-16.782 = primat d’application du droit spécial sur les dispositions issues de la théorie générale du contrat ; en l’espèce, confirmation de la place résiduelle du droit commun par rapport au droit spécial du contrat.

 


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