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À vos copies !
Le rôle de la cause en droit positif
Chaque mois, retrouvez le commentaire d’une décision de justice issue de l’actualité jurisprudentielle.
Ce mois-ci, Dalloz Actu Étudiant vous propose de commenter l’arrêt Com. 23 octobre 2012, pourvoi n°11-23.376, relatif à la cause.
Arrêt
« Sur le moyen unique :
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Chambéry, 21 juin 2011), qu'en 1995, M. X... a été nommé directeur général et président du conseil d'administration de la société Mécasonic ; qu'en 2005, la société Mécasonic a conclu avec la société PGCD, dont le gérant et associé unique est M. X..., une convention de prestations de service ; qu'en 2007, M. X... ayant été démis de ses fonctions de directeur général de la société Mécasonic et le contrat conclu avec la société PGCD ayant été résilié, cette dernière et M. X... ont assigné la société Mécasonic et demandé le paiement à la société PGCD de l'indemnité contractuelle de résiliation du contrat ; que la société Mécasonic a ensuite fait l'objet d'une procédure de redressement judiciaire, M. Y... étant désigné mandataire judiciaire, et M. Z... commissaire à l'exécution du plan de continuation ;
Attendu que M. X... et la société PGCD font grief à l'arrêt de rejeter la demande de la société PGCD en paiement par la société Mécasonic de l'indemnité contractuelle de résiliation au titre de la convention de prestation de service du 9 novembre 2005 alors, selon le moyen :
1°/ que dans les contrats synallagmatiques, l'obligation d'une partie trouve sa cause dans l'obligation de l'autre, qui en constitue la contrepartie ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a constaté qu'aux termes de la convention du 9 novembre 2005, la société Mécasonic mettait à la charge de la société PGCD différentes prestations consistant dans la création et le développement de filiales à l'étranger, l'organisation et/ ou la participation à des salons professionnels, la définition de stratégie de vente dans les différents pays visés et la recherche de nouveaux clients à l'étranger ; qu'en prononçant l'annulation de cette convention pour absence de cause, aux motifs inopérants qu'elle constituait une véritable délégation à la société PGCD d'une partie des attributions de M. X... en qualité de directeur général de la société Mécasonic et faisait double emploi avec les fonctions de ce dernier, quand il résultait de ses propres constatations que le contrat litigieux mettait à la charge de la société PGCD des obligations déterminées dont la société Mécasonic était en droit de demander l'exécution, de sorte que la convention litigieuse comportait des contreparties réciproques et réelles, la cour d'appel a violé l'article 1131 du code civil ;
2°/ que la société PGCD faisait valoir que la convention du 9 novembre 2005 avait été conclue pour décharger M. X... d'une partie de ses attributions au sein de la société Mécasonic et que sa rémunération avait été corrélativement réduite de 40 %, de sorte que les obligations mises à la charge de la société PGCD ne faisaient pas double emploi avec celles de M. X..., qui ne les assumait plus, et avait vu de ce fait même sa rémunération sensiblement réduite ; qu'en prononçant néanmoins l'annulation pour défaut de cause de la convention litigieuse, en retenant qu'elle constituait une délégation à la société PGCD des fonctions de M. X... en tant que directeur général de la société Mécasonic et que les prestations mises à la charge de la société PGCD faisaient double emploi avec les obligations de M. X..., sans rechercher, comme elle y était expressément invitée, si celui-ci n'avait pas cessé d'assumer ces obligations qui avaient été transférées à la société PGCD, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1131 du code civil ;
Mais attendu qu'après avoir relevé qu'aux termes de la convention litigieuse, la société Mécasonic avait confié à la société PGCD les prestations de création et développement de filiales à l'étranger, d'organisation et (ou) de participation à des salons professionnels, de définition des stratégies de vente dans les différents pays visés et de recherche de nouveaux clients à l'étranger, l'arrêt retient qu'une telle convention constitue une délégation à la société unipersonnelle dont M. X... est le gérant d'une partie des fonctions de décision, de stratégie et de représentation incombant normalement à ce dernier en sa qualité de directeur général de la société Mécasonic et qu'elle fait double emploi, à titre onéreux pour cette société, avec lesdites fonctions sociales ; qu'ayant ainsi fait ressortir que les obligations stipulées à la charge de la société Mécasonic étaient dépourvues de contrepartie réelle, la cour d'appel en a exactement déduit, sans avoir à faire la recherche dès lors inopérante visée à la seconde branche, que la convention litigieuse était dépourvue de cause et devait en conséquence être annulée ; que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches ;
PAR CES MOTIFS : REJETTE le pourvoi »
Travail préparatoire
Rappel de méthodologie
Un commentaire d’arrêt est un exercice qui comprend deux temps : l’explication de l’arrêt et son appréciation.
En d’autres termes, il faut, en premier lieu, expliquer le sens de l’arrêt. Ce qui suppose d’abord de le lire très attentivement, pour bien le comprendre. Ensuite, et c’est un temps essentiel de votre commentaire, il vous faut identifier la question que l’arrêt à commenter a résolue. En outre, il vous faut détecter la ou les règles de droit qui fondent la décision qui vous est soumise. Enfin, il vous faut faire un exercice de mémoire (si vous composez votre commentaire dans le cadre d’un examen) ou de recherche (si vous composez librement votre commentaire), non seulement pour découvrir le thème général dans lequel s’inscrit l’arrêt à commenter, mais encore pour trouver des éléments bibliographiques qui vous permettront de mieux comprendre l’arrêt que vous devez commenter et donc de mieux l’expliquer.
En second lieu, après avoir expliqué le sens de l’arrêt et démontré que vous l’avez compris, vous devez apprécier l’arrêt à commenter, donner une opinion sur la façon dont la Cour de cassation a tranché le litige et répondu à la question de droit, au fond, il vous faut juger les juges, vous prononcer sur la valeur de la décision, ce qui sera d’autant plus simple que vous pourrez la situer dans le temps, c’est-à-dire en déterminer la portée. Dans cette perspective d’appréciation de la valeur de l’arrêt, il vous faut exploiter des éléments bibliographiques qui vous permettront de recueillir les diverses opinions doctrinales qui se sont prononcées sur la question de droit réglée par la Cour de cassation, et de vous prononcer sur la pertinence des diverses thèses en présence à propos de la question de droit, celle que soutenaient les juges du fond, celle du demandeur au pourvoi et puis celle retenue par la Cour de cassation qui sera fatalement peu ou prou une des deux précédentes.
Analyser l’arrêt conduit à s’en tenir à le présenter en vue d’introduire votre commentaire. Voici la démarche à suivre :
– d’abord, il vous faut sélectionner les faits qui seront utiles dans la perspective de votre commentaire ;
– en outre, il convient de qualifier les faits, ce qui revient à les faire entrer dans une catégorie juridique donnée ;
– ensuite, il faut exposer les différentes étapes de la procédure, à savoir la décision des juges du fond, puis le moyen du pourvoi ;
– de plus, il vous faut énoncer la question de droit que l’arrêt a tranchée ;
– enfin, il convient d’exposer la solution que la Cour de cassation a finalement retenue.
Dans l’arrêt qu’il vous faut ici commenter, reprenons cette démarche :
■ Sélection des faits : Une société a conclu avec une EURL une convention de prestation de services, étant précisé que le dirigeant de la société est aussi le gérant et l’associé unique de l’EURL. La société a démis son dirigeant de ses fonctions et a résilié le contrat qui la liait à l’EURL.
■ Qualification des faits : Un contrat conclu entre deux personnes morales est rompu unilatéralement par l’un des contractants. Le dirigeant social d’une des contractantes, gérant et associé unique de sa cocontractante est révoqué.
■ Exposé de la procédure : Le gérant révoqué et la contractante, dont le contrat est résilié, réclament le paiement de l’indemnité contractuelle de résiliation. La contractante, auteur de la rupture réplique en agissant en nullité du contrat pour absence de cause.
Les juges du fond ont rejeté cette demande parce que les prestations contractuellement dues par l’EURL faisaient double emploi avec les fonctions de son gérant, en qualité de dirigeant de la société cocontractante, de sorte que la convention de prestation de services était nulle pour absence de cause.
Le gérant révoqué forme un pourvoi au moyen que les prestations effectuées par la personne morale qu’il gérait ne faisaient pas double emploi avec celles qui lui incombaient en qualité de dirigeant social de la personne morale, qui avait résilié unilatéralement le contrat.
■ Énoncé de la question de droit : Le contrat conclu entre les personnes morales était-il privé de cause en raison de l’identité de prestations contractuellement dues par la personne morale contractante, d’une part, et par le dirigeant social de sa cocontractante, en raison de ses fonctions sociales dans celle-ci, d’autre part.
■ Exposé de la décision : La Cour de cassation a rejeté le pourvoi au motif que les juges du fond avaient, dans leur motivation, « fait ressortir que les obligations stipulées à la charge de la société M. étaient dépourvues de contrepartie réelle [et en avait] exactement déduit […] que la convention litigieuse était dépourvue de cause et devait en conséquence être annulée ».
L’élaboration du commentaire
L’analyse de l’arrêt est désormais effectuée. Reste à bâtir et nourrir le commentaire.
Il est de bonne méthode de rechercher alors dans quelle thématique générale s’inscrit l’arrêt à commenter, ce qu’une parfaite identification des questions de droit tranchée par l’arrêt vous permet aisément de découvrir. En l’occurrence, l’arrêt porte sur le rôle de la cause objective.
Dans la perspective de l’élaboration de votre commentaire, il convient que vous exploitiez :
– d’abord, le précis Dalloz de Droit des obligations de MM. Terré, Simler et Lequette, qui comporte des développements sur la cause ;
– ensuite, l’ouvrage Les grands arrêts de la jurisprudence civile de MM Terré et Lequette qui contient des commentaires d’arrêts rendus sur la question.
La structure du commentaire
Pour construire votre commentaire, en clair pour élaborer son plan, il convient d’expliquer l’arrêt et d’apprécier sa solution. Ce qui consiste :
– à en restituer clairement le sens ;
– à en déterminer la portée ;
– et à en discuter la valeur,
étant entendu que ces trois éléments sont ici d’égale importance.
Proposition de plan détaillé
Introduction
Avant l’analyse de l’arrêt proprement dite qui compose le cœur de l’introduction, il faut insister sur son contexte, à savoir la discussion actuelle sur l’avenir de la cause.
Après quoi, vous pouvez intégrer l’analyse de l’arrêt proprement dite (v. supra).
Enfin, après avoir exposé la décision retenue par la Cour de cassation, vous devez annoncer le plan de votre commentaire.
■ ■ ■
I. Cause, encore !
A. L’application de la notion de cause objective en l’espèce
Il convient de convenablement expliquer l’application de la notion de cause objective dans l’espèce commentée : si la convention de prestations de services est annulée, c’est parce que l’engagement souscrit par la société au profit de l’EURL était privé de contrepartie. En effet, l’engagement prétendu souscrit par sa cocontractante correspondait à des prestations qui incombaient déjà à son dirigeant en raison des fonctions qu’il occupait en son sein. Aussi, l’engagement contractuel était-il dépourvu de cause et la convention de prestations de services affectée d’un déséquilibre structurel.
B. L’exploitation de la notion de cause objective au xxe siècle
Cette décision est à ranger au rayon de la jurisprudence qui a exploité la cause objective de façon fréquente et souvent audacieuse.
En premier lieu peuvent être recensés les arrêts qui décident que les contrats dans lesquels un engagement contractuel a été conclu sans contrepartie ou moyennant une contrepartie illusoire ou dérisoire doivent être frappés de nullité : Com. 8 févr. 2005 ; Civ. 3e, 21 sept. 2011 ; Com. 9 juin 2009.
En second lieu doivent être évoqués les arrêts qui étendent soit temporellement (Civ. 1re, 30 oct. 2008), soit fonctionnellement (Civ. 1re, 13 juin 2006 ; Com. 29 juin 2010 ; Com. 29 juin 2010).
En somme, dans la jurisprudence contemporaine, la cause connaît un succès éclatant. Pourtant son destin est plus qu’incertain, à tel point qu’il n’est pas illégitime de se demander si elle survivrait à une réforme de notre droit des contrats.
II. Cause toujours ?
A. Disparition de la cause en droit prospectif
D’une part, aucun des différents projets européens, qu’ils émanent d’universitaires, comme les Principes du droit européen du contrat ou le Draft common from référence, ou des institutions européennes elles-mêmes, comme la récente proposition de règlement sur le droit commun européen de la vente, en date du 8 octobre 2011, ne font la moindre allusion à la cause.
D’autre part, l’avant-projet de réforme du droit des contrats élaboré sous la houlette de François Terré a supprimé, lui aussi, toute référence à la notion de cause.
Pour autant, on ne saurait en conclure que ces différents projets se désintéressent du sort des contractants qui sont victimes d’un grave déséquilibre contractuel. Seulement, leur protection est assurée par d’autres règles et d’autres notions.
B. Quelles règles pour remplacer la cause ?
Pour l’essentiel, c’est la notion de lésion qualifiée qui, dans les projets susvisés, constitue le principal concurrent de la cause et qui, très probablement, expliquent que celle-ci en soit absente.
En termes de politique législative, toute la question est donc aujourd’hui de savoir s’il est opportun de supprimer la cause et de lui préférer la lésion qualifiée.
La fin du commentaire doit donc comparer les mérites respectifs de la cause et de la lésion qualifiée.
Références
■ Y. Lequette, Fr. Terré, Ph. Simler, Droit civil. Les obligations, 10e éd., Dalloz, coll. « Précis », 2009.
■ Y. Lequette, Fr. Terré, H. Capitant, Les grands arrêts de la jurisprudence civile, T2, 12e éd., Dalloz, 2008.
■ Article 1131 du Code civil
L'obligation sans cause, ou sur une fausse cause, ou sur une cause illicite, ne peut avoir aucun effet.
■ Com. 8 févr. 2005 n° 03-10.749 ; D. 2005. Pan. 2836, obs. S. Amrani-Mekki.
■ Civ. 3e, 21 sept. 2011, n°10-21.900 ; D. 2011. 2711, note D. Mazeaud.
■ Com. 9 juin 2009 n° 08-11.420, RTD civ. 2009. 719, obs. B. Fages.
■ Civ. 1re, 30 oct. 2008, n° 07-17.646, RTD civ. 2009. 118, obs. B. Fages.
■ Civ. 1re, 13 juin 2006, n° 04-15.456, D. 2006. Pan. 2638, obs. S. Amarani-Mekki et 2007. 277, note J. Ghestin.
■ Com. 29 juin 2010, n°09-11.841, D. 2010. 1832, note Mazeaud.
■ Com. 29 juin 2010, n° 09-67.369, D. 2010. 2481 , note D. Mazeaud et 2485, note Th. Genicon.
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