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À vos copies !
Droit de la responsabilité civile
Les conditions et modalités d’évaluation de la perte de chance
Chaque mois, retrouvez le commentaire d’une décision de justice issue de l’actualité jurisprudentielle.
Ce mois-ci, Dalloz Actu Étudiant vous propose de commenter l’arrêt Com. 17 nov. 2021, n° 20-12.954
Travail préparatoire
Rappel de méthodologie
Un commentaire d’arrêt est un exercice qui comprend deux temps : l’explication de l’arrêt et son appréciation.
En d’autres termes, il faut, en premier lieu, expliquer le sens de l’arrêt. Ce qui suppose d’abord de le lire très attentivement, pour bien le comprendre. Ensuite, et c’est un temps essentiel de votre commentaire, il vous faut identifier la question que l’arrêt à commenter a résolue. En outre, il vous faut détecter la ou les règles de droit qui fondent la décision qui vous est soumise. Enfin, il vous faut faire un exercice de mémoire (si vous composez votre commentaire dans le cadre d’un examen) ou de recherche (si vous composez librement votre commentaire), non seulement pour découvrir le thème général dans lequel s’inscrit l’arrêt à commenter, mais encore pour trouver des éléments bibliographiques qui vous permettront de mieux comprendre l’arrêt que vous devez commentez et donc de mieux l’expliquer.
En second lieu, après avoir expliqué le sens de l’arrêt et démontrer que vous l’avez compris, vous devez apprécier l’arrêt à commenter, donner une opinion sur la façon dont la Cour de cassation a tranché le litige et répondu à la question de droit, au fond, il vous faut juger les juges, vous prononcer sur la valeur de la décision, ce qui sera d’autant plus simple que vous pourrez la situer dans le temps, c’est-à-dire en déterminer la portée. Dans cette perspective d’appréciation de la valeur de l’arrêt, il vous faut exploiter des éléments bibliographiques qui vous permettront de recueillir les diverses opinions doctrinales qui se sont prononcées sur la question de droit réglée par la Cour de cassation, et de vous prononcer sur la pertinence des diverses thèses en présence à propos de la question de droit, celle que soutenaient les juges du fond, celle du demandeur au pourvoi et puis celle retenue par la Cour de cassation qui sera fatalement peu ou prou une des deux précédentes.
Analyse de l’arrêt
Analyser l’arrêt conduit à s’en tenir à le présenter en vue d’introduire votre commentaire. Voici la démarche à suivre :
– d’abord, il vous faut sélectionner les faits qui seront utiles dans la perspective de votre commentaire ;
– en outre, il convient de qualifier les faits, ce qui revient à les faire entrer dans une catégorie juridique donnée ;
– ensuite, il faut exposer les différentes étapes de la procédure, à savoir la décision des juges du fond, puis le moyen du pourvoi ;
– de plus, il vous faut énoncer la question de droit que l’arrêt a tranchée ;
– enfin, il convient d’exposer la solution que la Cour de cassation a finalement retenue.
Dans l’arrêt qu’il vous faut ici commenter, reprenons cette démarche :
Sélection des faits : Une dermatologue commande plusieurs appareils pour l’exercice de son activité. Quelques jours après, elle loue ces matériels pour une longue durée. Deux ans plus tard, arguant du caractère défectueux des appareils loués, elle cesse de payer les loyers.
Qualification des faits : Après avoir commandé des appareils nécessaires à l’exercice de son activité, une dermatologue conclut presque concomitamment un contrat de bail de longue durée portant sur ces appareils. Deux ans plus tard, se plaignant de la défectuosité des appareils loués, elle cesse le paiement des loyers.
Procédure : La dermatologue assigne le bailleur en prononcé de la résolution de la vente du matériel et du contrat de location, et en indemnisation de ses préjudices. Le bailleur est condamné à payer à la dermatologue la somme de 73 939,30 euros en indemnisation du préjudice né du manquement à ses obligations d’information et de mise en garde, ayant privé sa cocontractante de la chance de ne pas avoir conclu un bail de longue durée. Le bailleur se pourvoit en cassation.
Moyen du pourvoi : Le bailleur conteste l’évaluation du préjudice subi par la praticienne. Selon lui, le préjudice dont elle pouvait se prévaloir consistait dans la perte de chance de ne pas avoir contracté le bail longue durée. Or, la cour d'appel avait fixé ce préjudice à la somme correspondant à l'intégralité des loyers versés. En statuant ainsi, la cour d'appel, qui n'a pas indemnisé un préjudice de perte de chance de ne pas conclure le contrat mais l'entier avantage qu'aurait procuré cette chance si elle s'était réalisée, aurait ainsi violé l'article 1147 du Code civil dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016.
Problème de droit : Le principe de réparation intégrale du dommage justifie-t-il de faire correspondre le montant de l’indemnisation d’une perte de chance à la totalité du préjudice qui aurait pu être évité si cette chance n’avait pas été perdue ?
Réponse de la Cour : La Cour de cassation censure cette décision. Elle rappelle que : « La réparation d'une perte de chance, qui doit être mesurée à la chance perdue, ne peut être égale à l'avantage qu'aurait procuré cette chance si elle s'était réalisée ». Pour allouer une indemnité au dermatologue, après avoir retenu que le bailleur avait engagé sa responsabilité en raison d'un manquement à son obligation de mise en garde, la cour d'appel retient que le préjudice subi par le médecin consiste en une perte de chance de ne pas avoir contracté le bail de longue durée, laquelle sera justement indemnisée par l'octroi de la somme de 73 939,30 euros. En statuant ainsi, la cour d'appel, qui a indemnisé en totalité le préjudice au titre des loyers payés, alors que la réparation devait être mesurée à la chance perdue, a violé le texte susvisé.
L’élaboration du commentaire
L’analyse de l’arrêt est désormais effectuée. Reste à bâtir et nourrir le commentaire.
Il est de bonne méthode de rechercher alors dans quelle thématique générale s’inscrit l’arrêt à commenter, ce qu’une parfaite identification des questions de droit tranchée par l’arrêt vous permet aisément de découvrir.
En l’occurrence, l’arrêt porte sur les conditions et modalités d’évaluation de la perte de chance.
La structure du commentaire
Pour construire votre commentaire, en clair pour élaborer son plan, il convient d’expliquer l’arrêt et d’apprécier sa solution. Ce qui consiste :
– à en restituer clairement le sens ;
– à en déterminer la portée ;
– et à en discuter la valeur ;
étant entendu que ces trois éléments sont ici d’égale importance.
Proposition de plan détaillé
Avant l’analyse de l’arrêt proprement dite qui compose le cœur de l’introduction, il faut insister sur son contexte. Après quoi, vous pouvez intégrer l’analyse de l’arrêt proprement dite.
Enfin, après avoir exposé la décision retenue par la Cour de cassation, vous devez annoncer le plan de votre commentaire.
I. Le rappel des conditions d’indemnisation de la perte de chance
A. Une réparation a priori exclue
· Conditions de réparabilité du préjudice : personnel, direct, actuel et certain, et lésant un intérêt légitime.
· Pb lié à la condition de certitude du préjudice : la chance est par essence aléatoire, donc incertaine ; or l’indemnisation de la perte d'une chance ne déroge pas au principe de certitude du dommage.
· Distinction en JP entre le préjudice probable ou virtuel (réparable), et le préjudice aléatoire, ou éventuel (irréparable) : Req. 1er juin 1932 : DP 1932. 1. 169 (3 arrêts) : s’il n’est pas possible d’indemniser un préjudice purement éventuel, il en est autrement lorsque le préjudice, quoique futur, apparaît comme la prolongation certaine et directe d’un état de chose actuel et susceptible d’estimation immédiate.
· La jurisprudence n’accepte d’indemniser la chance perdue par la victime qu’un événement futur favorable ait pu lui profiter qu’à la condition que la survenance de cet événement ne fût pas simplement hypothétique, mais réelle et sérieuse ; ainsi la condition de certitude du dommage est satisfaite : elle réside ici dans la certitude « de l'interruption du processus de chance ». Et c’est ainsi que le principe de sa réparation peut être retenu.
B. Une réparation finalement retenue
· Arrêts de principe : « (L)’élément de préjudice constitué par la perte d’une chance présente un caractère direct et certain chaque fois qu’est constatée la disparition, par l’effet du délit, de la probabilité d’un événement favorable — encore que, par définition, la réalisation d’une chance ne soit jamais certaine » (Crim. 6 juin 1990, n° 89-83.703). Pour tenir compte de cet inévitable aléa, seule peut constituer une perte de chance réparable « la disparition actuelle et certaine d’une éventualité favorable » (Civ. 1re, 21 nov. 2006, n° 05-15.674) = La jurisprudence accepte donc d’indemniser la chance perdue par la victime qu’un événement favorable ait pu lui profiter dès lors que la réalisation de cet événement n'était pas simplement hypothétique (v. Civ. 1re, 4 avr. 2001, n° 98-23.157), mais réelle et sérieuse.
· En l’espèce : absence d’information et de mise en garde précontractuelle, reconnue comme fautive ; indemnisation de la perte de chance, dès lors que celle à qui cette information était due ne se serait certainement pas engagée ou alors à d’autres conditions (contrat de plus courte durée) si elle avait été correctement informée, la perte de chance impliquant la privation d’une probabilité raisonnable et non certaine.
II. Le rappel des modalités d’indemnisation de la perte de chance
A. Intégralité et proportionnalité de l’indemnité
· Ppe d’évaluation : réparation intégrale, règle générale également applicable à la perte de chance (Civ. 1re, 14 déc. 2016, n° 16-12.686), même minime (Civ. 1re, 12 oct. 2016, n° 15-23.230 et 15-26.147), celle-ci constituant un préjudice certain, contrairement à celui relatif à la réalisation de l'événement qui, purement éventuel, n’est pas réparable.
· Modalités d’évaluation : ajustement de l’indemnisation fixée en fonction de la probabilité de survenance de la chance perdue, sans que celle-ci ne puisse jamais être égale à l'avantage qu'elle aurait procuré si elle s'était réalisée (Civ. 1re, 14 nov. 2019, n° 18-23.915 ; Civ. 1re, 16 juill. 1998, n° 96-15.380) ; montant nécessairement moindre puisque l’objet de la réparation n’est pas la privation d’un avantage mais la seule perte d’une chance d’avoir pu l’obtenir.
· Modulation de l’évaluation : limitation à une certaine somme, correspondant à la seule chance perdue (Civ. 3e, 7 avr. 2016, n° 15-11.342) ; en l’espèce, CA : confusion de l’indemnisation de la chance perdue avec le bénéfice que la victime aurait retiré de la survenance de l'événement favorable.
B. Absence d’égalité avec le gain espéré
· Principe de fractionnement : Les dommages-intérêts ne doivent donc représenter qu'une fraction, plus ou moins importante selon la probabilité de sa réalisation, de l'avantage escompté ; une fraction des différents préjudices subis qui auraient pu être évités si la chance s’était produite. Ce dommage spécifique correspond à un pourcentage du dommage final pouvoir souverain d’appréciation des juges du fond.
· Illustrations en JP antérieure : (Civ 1re, 18 juill. 2000, n° 98-20.430 ; Civ 1re, 14 nov. 2019, préc., Civ 1re, 22 janv.2020, n° 18-50.068 ; Civ. 2e, 9 avr. 2009, n° 08-15.977 ; Civ. 1re, 26 sept. 2007, n° 06-13.772) = La Cour de cassation censure systématiquement les décisions des juges du fond qui font correspondre l’indemnisation à la totalité du gain espéré ; confirmation en l’espèce.
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