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Limite de la distinction entre garantie des vices cachés et obligation de délivrance conforme

[ 21 mars 2023 ] Imprimer

Droit des obligations

Limite de la distinction entre garantie des vices cachés et obligation de délivrance conforme

Chaque mois, retrouvez le commentaire d’une décision de justice issue de l’actualité jurisprudentielle.

Ce mois-ci, Dalloz Actu Étudiant vous propose de commenter l’arrêt Civ. 2e, 2 mars 2023, n° 21-18.771

Travail préparatoire

Rappel de méthodologie

Un commentaire d’arrêt est un exercice qui comprend deux temps : l’explication de l’arrêt et son appréciation.

En d’autres termes, il faut, en premier lieu, expliquer le sens de l’arrêt. Ce qui suppose d’abord de le lire très attentivement, pour bien le comprendre. Ensuite, et c’est un temps essentiel de votre commentaire, il vous faut identifier la question que l’arrêt à commenter a résolue. En outre, il vous faut détecter la ou les règles de droit qui fondent la décision qui vous est soumise. Enfin, il vous faut faire un exercice de mémoire (si vous composez votre commentaire dans le cadre d’un examen) ou de recherche (si vous composez librement votre commentaire), non seulement pour découvrir le thème général dans lequel s’inscrit l’arrêt à commenter, mais encore pour trouver des éléments bibliographiques qui vous permettront de mieux comprendre l’arrêt que vous devez commentez et donc de mieux l’expliquer.

En second lieu, après avoir expliqué le sens de l’arrêt et démontrer que vous l’avez compris, vous devez apprécier l’arrêt à commenter, donner une opinion sur la façon dont la Cour de cassation a tranché le litige et répondu à la question de droit, au fond, il vous faut juger les juges, vous prononcer sur la valeur de la décision, ce qui sera d’autant plus simple que vous pourrez la situer dans le temps, c’est-à-dire en déterminer la portée. Dans cette perspective d’appréciation de la valeur de l’arrêt, il vous faut exploiter des éléments bibliographiques qui vous permettront de recueillir les diverses opinions doctrinales qui se sont prononcées sur la question de droit réglée par la Cour de cassation, et de vous prononcer sur la pertinence des diverses thèses en présence à propos de la question de droit, celle que soutenaient les juges du fond, celle du demandeur au pourvoi et puis celle retenue par la Cour de cassation qui sera fatalement peu ou prou une des deux précédentes.

Analyse de l’arrêt

Analyser l’arrêt conduit à s’en tenir à le présenter en vue d’introduire votre commentaire. Voici la démarche à suivre :

– d’abord, il vous faut sélectionner les faits qui seront utiles dans la perspective de votre commentaire ;

– en outre, il convient de qualifier les faits, ce qui revient à les faire entrer dans une catégorie juridique donnée ;

– ensuite, il faut exposer les différentes étapes de la procédure, à savoir la décision des juges du fond, puis le moyen du pourvoi ;

– de plus, il vous faut énoncer la question de droit que l’arrêt a tranchée ;

– enfin, il convient d’exposer la solution que la Cour de cassation a finalement retenue.

Dans l’arrêt qu’il vous faut ici commenter, reprenons cette démarche :

■ Sélection des faits : Ayant rencontré des difficultés avec des moteurs, un acquéreur obtient en 2009 en référé une mesure d’expertise. En février 2015, l’expert rend son rapport. En 2016, l’acquéreur assigne son vendeur pour manquement à son obligation de délivrance conforme.

■ Qualification des faits : Après avoir rencontré des difficultés dans l’utilisation des moteurs qu’il avait acquis, un acheteur a obtenu en référé, en 2009, une mesure d’expertise fondée sur la garantie des vices cachés. Un an après l’établissement du rapport d’expertise, en 2016, l’acheteur assigne le vendeur au titre du manquement à son obligation de délivrance conforme.

■ Procédure : La cour d’appel (Lyon, 29 avr. 2021) déclare l’action de l’acquéreur irrecevable car prescrite. Pour les juges du fond, si la prescription est suspendue par l’expertise, cette suspension ne vaut que si « la demande d'expertise tend au même but que la demande formulée devant la juridiction du fond ». Or, l’action en référé expertise avait été introduite sur le fondement de la garantie des vices cachés, tandis que l’action au fond était exercée sur le fondement de l’obligation de délivrance. Partant, la suspension de la prescription ne jouait que pour l’action en garantie des vices cachés, et non pour l’action fondée sur le manquement à l’obligation de délivrance.

■ Moyen du pourvoi : Conformément au critère d’ « identité du but » et quel que soit le fondement sur la base duquel cette mesure a pu être ordonnée, un référé-expertise suspend le délai de prescription de l’action au fond lorsque cette mesure tend au même but que la demande formulée devant la juridiction du fond, c’est-à-dire lorsqu’il apparaît que les résultats de l’expertise diligentée permettent à la juridiction saisie ultérieurement au fond de se prononcer. Une telle identité était en l’espèce caractérisée, l’expertise demandée, bien qu’elle ait eu pour objet de déterminer si les moteurs étaient atteints d’un vice rédhibitoire, permettant en toute hypothèse dans le cadre d’une action ultérieure au fond, fondée sur le défaut de délivrance conforme, d’établir si les moteurs étaient effectivement affectés d’une non-conformité.

■ Problème de droit : La prescription de l’action au fond en inexécution de l’obligation de délivrance conforme a-t-elle pu être suspendue pour la même cause suspensive du délai applicable à l’action en référé-expertise fondée sur la garantie des vices cachés ?

■ Solution : A cette question, la Cour de cassation répond par l’affirmative : au visa de l’article 2239 du Code civil, la deuxième chambre civile censure en conséquence l’arrêt des juges lyonnais. Pour la Haute juridiction, « si, en principe, la suspension comme l'interruption de la prescription ne peuvent s'étendre d'une action à une autre, il en est autrement lorsque les deux actions tendent à un même but, de sorte que la seconde est virtuellement comprise dans la première ». Or, juge la Cour, « la demande d'expertise en référé tendant à identifier les causes des sinistres subis par les matériels livrés et à déterminer s'ils sont atteints d'un vice rédhibitoire tend au même but que l'action en inexécution de l'obligation de délivrance conforme ».

I. Rappel de la distinction entre défaut de conformité et vice caché

A. Distinction des obligations du vendeur

● Depuis les années 90, distinction en jurisprudence entre obligation de délivrance conforme (C. civ., art. 16031604) et garantie des vices cachés (C. civ., art. 1641) ;

● Objet de l’obligation de délivrance conforme : mise à disposition de la chose vendue ; la délivrance est la mise à disposition par le vendeur à l’acheteur de la chose vendue pour qu’il en prenne livraison ; la conformité imposée oblige le vendeur à délivrer exactement ce qui a été convenu dans le contrat ; identité objective de la chose délivrée et de la chose contractuellement promise, aucune différence n’est possible ;

● Objet de l’obligation de garantir les vices cachés : le vendeur doit délivrer une chose apte à remplir son usage normalement attendu ; couvre les vices inhérents à la chose, non apparents, antérieurs à la vente et non réparés à la date de sa conclusion, et qui compromettent ou empêchent d’utiliser la chose conformément à sa destination normale ;

● Fondement de la distinction : concernant la première obligation, conception purement matérielle de la conformité (au contrat) ; concernant la seconde, conception fonctionnelle de la conformité, supposant de tenir compte de l’aptitude de la chose à remplir l’usage attendu par l’acheteur. Le défaut de conformité résulte donc de la seule différence matérielle entre la chose délivrée et la chose promise alors que la non-conformité de la chose à l’usage attendu relève de la garantie des vices cachés.

B. Application de la distinction au droit de la prescription

● C. civ., art. 2239 : en principe, la suspension comme l'interruption de la prescription ne peuvent s'étendre d'une action à une autre ; la cause d’interruption ou de suspension de l’action intentée sur le fondement de la garantie des vices cachés ne peut donc trouver à s’appliquer à l’action distincte engagée sur le fondement de l’obligation de délivrance conforme ;

● En l’espèce, l’action en référé expertise, cause de suspension de la prescription, était introduite sur le fondement de la garantie des vices cachés, tandis que l’action au fond était fondée sur le fondement de l’obligation de délivrance = la suspension de la prescription ne devrait donc jouer que pour l’action en garantie des vices cachés, et non pour l’action fondée sur le manquement à l’obligation de délivrance (v. décis. de la CA).

II. Relativité de la distinction entre défaut de conformité et vice caché

A. Identité du but des deux actions

● Dérogation au principe précité : « si, en principe, la suspension comme l'interruption de la prescription ne peuvent s'étendre d'une action à une autre, il en est autrement lorsque les deux actions tendent à un même but, de sorte que la seconde est virtuellement comprise dans la première ».

● Identité en l’espèce caractérisée, justifiant la cassation de la décision des juges du fond : « la demande d'expertise en référé tendant à identifier les causes des sinistres subis par les matériels livrés et à déterminer s'ils sont atteints d'un vice rédhibitoire tend au même but que l'action en inexécution de l'obligation de délivrance conforme » = parce que la finalité de l’action rédhibitoire intentée sur le fondement de la garantie des vices cachés est identique à celle de l’action en résolution de la vente pour inexécution de l’obligation de délivrance, la suspension de l’une bénéficie à l’autre.

B. Opportunité de la solution

● Rapprochement entre les deux obligations observées dans la jurisprudence récente, v. par ex. Civ. 3e, 30 sept. 2021, nos 20-15.354 et 20-16.156, à propos d’un terrain pollué ; en pratique, frontière difficile à tracer ;

● Fusion des deux obligations appelée de ses vœux par la doctrine, v. notamment L. Thibierge, « Quand le vice caché le dispute à la non-conformité », RDC 2022/1. 45 ; v. aussi, en droit prospectif, proposition de la Commission Stoffel-Munck ; contra, O. Tournafond, D. 2023. 349.

 


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