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À vos copies !
Droit des obligations
L’indivisibilité juridique des contrats économiquement interdépendants
Chaque mois, retrouvez le commentaire d’une décision de justice issue de l’actualité jurisprudentielle.
Ce mois-ci, Dalloz Actu Étudiant vous propose de commenter l’arrêt Com. 12 juillet 2011, pourvoi n°10-22.930, sur l’indivisibilité juridique des contrats économiquement interdépendants.
Arrêt
« Sur le moyen unique :
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Caen, 12 mai 2010), que la société S. a conclu le 28 septembre 1994 avec la société P., aux droits de laquelle vient la société C. proximité France, un contrat de franchise d'une durée de sept ans, pour l'exploitation d'un supermarché sous l'enseigne Sh. ainsi qu'un contrat d'approvisionnement d'une durée de cinq ans ; que la société S. ayant, le 29 mars 1999, notifié le non renouvellement du contrat d'approvisionnement et déposé en octobre 1999 l'enseigne Sh., a mis en œuvre la procédure arbitrale contractuellement prévue ; que la sentence arbitrale a été annulée par la cour d'appel qui a statué en application de l'article 1485 du code de procédure civile ;
Attendu que la société P. fait grief à l'arrêt de l'avoir déboutée de toutes ses demandes relatives à la violation par la société S. d'un contrat de franchise, alors, selon le moyen :
1°/ que deux contrats ne forment un tout indivisible que lorsque l'exécution de l'un devient impossible sans l'exécution de l'autre ; qu'il résulte des constatations de l'arrêt que le contrat de franchise n'imposait au franchisé qu'une obligation d'assortiment minimum ; qu'en revanche, il ne contenait aucune mention du caractère obligatoire de l'exécution d'un contrat d'approvisionnement ; que dès lors, en retenant pour considérer que les contrats de franchise et d'approvisionnement étaient indivisibles, que la stratégie de la société P. était de conditionner l'exécution du contrat de franchise à celle du contrat d'approvisionnement, la cour d'appel a dénaturé ledit contrat de franchise et, partant, violé l'article 1134 du code civil ;
2°/ que la cour d'appel, qui n'a pas recherché, comme elle y était invitée, si le contrat de franchise n'était pas exécutable en l'absence du contrat d'approvisionnement, a privé son arrêt de base légale au regard de l'article 1134 du code civil ;
Mais attendu que l'arrêt constate que les deux contrats ont été signés le même jour entre les mêmes parties ; qu'il relève que la société P. propose des tarifs de vente à la fois en qualité de fournisseur et de franchiseur ; qu'il retient qu'aux termes des contrats de franchise et d'approvisionnement, d'une part, le contrôle par le franchiseur de la publicité suppose que les produits distribués par le franchisé lui soient fournis par le franchiseur ou une société qu'il contrôle et, d'autre part, les commandes pour l'assortiment général du magasin doivent être effectuées auprès du fournisseur agréé par le franchiseur ; qu'en l'état de ces constatations et appréciations, exemptes de dénaturation, c'est dans l'exercice de son pouvoir souverain que la cour d'appel a retenu, sans avoir à faire la recherche dès lors inopérante visée par la seconde branche, l'intention commune des parties de rendre leurs conventions indivisibles ; que le moyen n'est pas fondé ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi »
Travail préparatoire
Rappel de méthodologie
Un commentaire d’arrêt est un exercice qui comprend deux temps : l’explication de l’arrêt et son appréciation.
En d’autres termes, il faut, en premier lieu, expliquer le sens de l’arrêt. Ce qui suppose d’abord de le lire très attentivement, pour bien le comprendre. Ensuite, et c’est un temps essentiel de votre commentaire, il vous faut identifier la question que l’arrêt à commenter a résolue. En outre, il vous faut détecter la ou les règles de droit qui fondent la décision qui vous est soumise. Enfin, il vous faut faire un exercice de mémoire (si vous composez votre commentaire dans le cadre d’un examen) ou de recherche (si vous composez librement votre commentaire), non seulement pour découvrir le thème général dans lequel s’inscrit l’arrêt à commenter, mais encore pour trouver des éléments bibliographiques qui vous permettront de mieux comprendre l’arrêt que vous devez commenter et donc de mieux l’expliquer.
En second lieu, après avoir expliqué le sens de l’arrêt et démontré que vous l’avez compris, vous devez apprécier l’arrêt à commenter, donner une opinion sur la façon dont la Cour de cassation a tranché le litige et répondu à la question de droit, au fond, il vous faut juger les juges, vous prononcer sur la valeur de la décision, ce qui sera d’autant plus simple que vous pourrez la situer dans le temps, c’est-à-dire en déterminer la portée. Dans cette perspective d’appréciation de la valeur de l’arrêt, il vous faut exploiter des éléments bibliographiques qui vous permettront de recueillir les diverses opinions doctrinales qui se sont prononcées sur la question de droit réglée par la Cour de cassation, et de vous prononcer sur la pertinence des diverses thèses en présence à propos de la question de droit, celle que soutenaient les juges du fond, celle du demandeur au pourvoi et puis celle retenue par la Cour de cassation qui sera fatalement peu ou prou une des deux précédentes.
Analyser l’arrêt conduit à s’en tenir à le présenter en vue d’introduire votre commentaire. Voici la démarche à suivre :
– d’abord, il vous faut sélectionner les faits qui seront utiles dans la perspective de votre commentaire ;
– en outre, il convient de qualifier les faits, ce qui revient à les faire entrer dans une catégorie juridique donnée ;
– ensuite, il faut exposer les différentes étapes de la procédure, à savoir la décision des juges du fond, puis le moyen du pourvoi ;
– de plus, il vous faut énoncer la question de droit que l’arrêt a tranchée ;
– enfin, il convient d’exposer la solution que la Cour de cassation a finalement retenue.
Dans l’arrêt qu’il vous faut ici commenter, reprenons cette démarche :
■ Sélection des faits : La société S. a conclu le même jour deux contrats avec la société P. : un contrat de franchise et un contrat d’approvisionnement. La société S. décide de ne pas renouveler le contrat d’approvisionnement et soutient qu’en conséquence le contrat de franchise est anéanti. La société P. exige l’exécution du contrat de franchise.
■ Qualification des faits : Deux professionnels concluent des contrats de distribution pour organiser leurs relations commerciales. Le franchisé notifie le non-renouvellement du contrat d’approvisionnement au franchiseur et s’estime, par voie de conséquence, délié du contrat de franchise. Le franchiseur considère que la disparition du contrat d’approvisionnement est sans incidence sur l’effectivité du contrat de franchise.
■ Exposé de la procédure : Le franchiseur agit en vue de l’exécution du contrat de franchise par le franchiseur. Les juges du fond rejettent sa demande qu’en cas d’indivisibilité de deux contrats, la résiliation de l’un emporte la caducité de l’autre. La société P. forme un pourvoi au moyen que deux contrats ne forment un tout indivisible que lorsque l’exécution de l’un devient impossible sans l’exécution de l’autre.
■ Énoncé de la question de droit : La résiliation d’un contrat économiquement interdépendant avec un autre contrat emporte-t-elle la caducité de ce dernier ?
■ Exposé de la décision : La Cour de cassation rejette le pourvoi au motif que les juges du fond ont, en l’état de leurs constatations et appréciations, retenu « l’intention des parties de rendre leurs conventions indivisibles ».
L’élaboration du commentaire
L’analyse de l’arrêt est désormais effectuée. Reste à bâtir et nourrir le commentaire.
Il est de bonne méthode de rechercher alors dans quelle thématique générale s’inscrit l’arrêt à commenter, ce qu’une parfaite identification des questions de droit tranchées par l’arrêt vous permet aisément de découvrir. En l’occurrence, l’arrêt concerne l’indivisibilité juridique des contrats économiquement interdépendants.
Dans la perspective de l’élaboration de votre commentaire, vous devez rechercher dans vos ouvrages de droit des obligations et dans les revues juridiques les développements et les décisions consacrés à cette question.
La structure du commentaire
Pour construire votre commentaire, en clair pour élaborer son plan, il convient d’expliquer l’arrêt et d’apprécier sa solution. Ce qui consiste à :
– en restituer clairement le sens ;
– à en déterminer la portée ;
– et à en discuter la valeur,
étant entendu que ces trois éléments sont ici d’égale importance.
Proposition de plan détaillé
Introduction
Avant l’analyse de l’arrêt proprement dite qui compose le cœur de l’introduction (v. supra), il faut revenir sur l’autonomie de principe des contrats qui composent un groupe contractuel.
Après quoi, vous pouvez intégrer l’analyse de l’arrêt proprement dite (v. supra).
Enfin, après avoir exposé la décision retenue par la Cour de cassation, vous devez annoncer le plan de votre commentaire, lequel doit toujours consister à expliquer puis à apprécier la décision.
I. L’existence de l’indivisibilité
Dans cette première partie, il conviendra d’expliquer le concept d’indivisibilité contractuelle.
A. L’indivisibilité dans l’arrêt
Dans cette première sous-partie, il convient d’identifier les raisons pour lesquelles les juges du fond, à l’avis desquels la Cour de cassation s’est finalement rangée, ont considéré qu’en l’espèce les contrats qui étaient économiquement interdépendants étaient, en outre, juridiquement indivisibles.
Confronter l’opinion du demandeur au pourvoi qui soutenait que l’indivisibilité contractuelle suppose que la résiliation d’un des contrats économiquement interdépendant rend impossible l’exécution de l’autre et la décision des juges du fond pour laquelle il suffit que l’intention des parties était de rendre les contrats indivisibles.
B. L’indivisibilité en droit positif
Dans cette seconde sous-partie, il convient de revenir sur l’évolution jurisprudentielle à laquelle la question de l’indivisibilité a donné lieu.
Précisément, il faut exposer, expliquer et apprécier les décisions dans lesquelles la Cour se prononce sur le support conceptuel de l’indivisibilité contractuelle : critère subjectif (volonté des contractants) ou objectif (cause).
Il faut aussi évoquer l’indivisibilité contractuelle dans la loi, notamment en matière de crédit à la consommation et de crédit immobilier.
II. Les conséquences de l’indivisibilité
Il convient ici d’exposer et d’expliquer le régime des contrats juridiquement indivisibles.
A. Les conséquences dans l’arrêt
Dans l’arrêt, la résiliation d’un des contrats indivisible emporte la caducité de l’autre. Il convient à cette occasion de revenir sur la notion de caducité et sur la jurisprudence qui a choisi ce type de sanction pour traduire l’indivisibilité.
Il serait aussi opportun de réfléchir dans cette partie de l’arrêt sur la question de savoir si pour faire échec à cette conséquence de l’indivisibilité, un des contractants pourrait opposer à l’autre une clause de divisibilité, en vue de gérer le risque inhérent à l’indivisibilité. Rappel à faire de la jurisprudence sur ce point.
B. Les conséquences en droit positif
En droit positif, l’indivisibilité contractuelle n’emporte pas uniquement de conséquence quant à l’anéantissement des contrats du groupe. À plusieurs reprises, la Cour de cassation a en effet admis que l’indivisibilité des contrats pouvait avoir pour effet d’emporter la validité d’un des contrats du groupe, alors que s’il avait été appréhendé isolément, sa nullité serait inéluctable.
Références
■ Y. Lequette, Fr. Terré, Ph. Simler, Droit civil. Les obligations, 10e éd., Dalloz, coll. « Précis », 2009.
[Droit civil]
« État d’un acte juridique valable mais privé d’effet en raison de la survenance d’un fait postérieurement à sa création. C’est ainsi que le testament est caduc si le légataire meurt avant le testateur. »
[Droit commercial]
« Contrat par lequel le titulaire d’un signe distinctif, généralement déposé à titre de marque (le franchiseur), en concède l’usage à un commerçant indépendant (le franchisé) auprès duquel il assume une fonction de conseil et d’assistance commerciale, moyennant le paiement d’une redevance sur le chiffre d’affaires du franchisé ainsi que son engagement de s’approvisionner en tout ou en partie auprès du franchiseur ou de tiers déterminés et de respecter un certain nombre de normes tant pour l’implantation que pour la gestion du point de vente. »
[Droit civil]
« État de ce qui ne peut être divisé et doit être envisagé dans son ensemble. Se dit principalement des obligations dont l’exécution partielle est impossible en raison soit de la nature de l’objet de l’obligation, soit de la volonté des parties. »
[Droit civil]
« Anéantissement pour l’avenir d’un contrat successif, en raison de l’inexécution par l’une des parties de ses obligations. La résiliation est une résolution non rétroactive s’appliquant aux contrats à exécution successive.
Le terme désigne aussi la dissolution d’un contrat par décision volontaire, soit à l’initiative d’une seule partie (résiliation unilatérale d’un contrat de travail à durée indéterminée), soit d’un commun accord (résiliation conventionnelle). »
Lexique des termes juridiques 2012, 19e éd., Dalloz, 2011.
■ Code civil
Article 1134
« Les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites.
Elles ne peuvent être révoquées que de leur consentement mutuel, ou pour les causes que la loi autorise.
Elles doivent être exécutées de bonne foi. »
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