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À vos copies !

L’obligation d’information et le devoir de conseil du vendeur professionnel

[ 5 février 2014 ] Imprimer

L’obligation d’information et le devoir de conseil du vendeur professionnel

Chaque mois, retrouvez le commentaire d’une décision de justice issue de l’actualité jurisprudentielle.

Ce mois-ci, Dalloz Actu Étudiant vous propose de commenter l’arrêt Civ. 1re, 11 déc. 2013, pourvoi, n°12-23.372, relatif à l’obligation d’information et au devoir de conseil qui pèsent sur le vendeur professionnel.

Arrêt

« Attendu selon l'arrêt attaqué, que M. X... ayant acquis auprès de la société commerciale Citroën un véhicule d'occasion après avoir été informé que celui-ci avait été accidenté et réparé selon les normes constructeurs, a, au vu du rapport d'expertise judiciaire qui précisait que la réparation du véhicule avait consisté en la remise en ligne de la caisse sur marbre, assigné la société commerciale Citroën afin de voir prononcer l'annulation de la vente ;

Sur le premier moyen :

Vu l'article 1147 du code civil ;

Attendu que pour rejeter les demandes de M. X... fondées sur un manquement du vendeur à son obligation d'information et de conseil, l'arrêt retient que la société Citroën ne pouvait deviner que M. X...... faisait une question de principe de ce que les réparations avaient été réalisées sans passage au marbre et... qu'en l'absence d'interrogation sur ce point, elle n'était pas tenue de détailler les réparations qu'elle lui avait signalées ;

Qu'en statuant ainsi alors qu'il incombait à la société commerciale Citroën, vendeur professionnel, de prouver qu'elle s'était acquittée de son obligation de conseil lui imposant de se renseigner sur les besoins de M. X... afin d'être en mesure de l'informer, au regard de la nature et de l'importance des réparations effectuées sur ce véhicule, de l'adéquation de celui-ci à l'utilisation qu'il projetait et aux qualités qu'il en attendait, la cour d'appel a violé l'article 1147 du code civil ;

Et sur le second moyen :

Vu l'article 1641 du code civil ;

Attendu que pour rejeter la demande de M. X... tendant au prononcé de la résolution de la vente, à la restitution du prix et au versement de dommages-intérêts, l'arrêt, après avoir relevé que l'expert judiciaire s'était borné à conclure que la revente à un particulier, même en informant celui-ci, était impossible, retient qu'une telle difficulté ne saurait être considérée comme un vice diminuant l'usage du véhicule puisque celui-ci peut normalement rouler ;

Qu'en se déterminant ainsi alors que la restriction à la possibilité de revendre le véhicule constituait un défaut caché qui en affectait l'usage, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;

PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il a débouté M. X... de ses demandes fondées sur un manquement de la société Citroën à son obligation d'information et de conseil, ainsi que de celles fondées sur l'article1641 du code civil, l'arrêt rendu le 10 avril 2012, entre les parties, par la cour d'appel d'Orléans ; remet, en conséquence, sur ces points, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Versailles (…). »

Travail préparatoire

Rappel de méthodologie

Un commentaire d’arrêt est un exercice qui comprend deux temps : l’explication de l’arrêt et son appréciation.

En d’autres termes, il faut, en premier lieu, expliquer le sens de l’arrêt. Ce qui suppose d’abord de le lire très attentivement, pour bien le comprendre. Ensuite, et c’est un temps essentiel de votre commentaire, il vous faut identifier la question que l’arrêt à commenter a résolue. En outre, il vous faut détecter la ou les règles de droit qui fondent la décision qui vous est soumise. Enfin, il vous faut faire un exercice de mémoire (si vous composez votre commentaire dans le cadre d’un examen) ou de recherche (si vous composez librement votre commentaire), non seulement pour découvrir le thème général dans lequel s’inscrit l’arrêt à commenter, mais encore pour trouver des éléments bibliographiques qui vous permettront de mieux comprendre l’arrêt que vous devez commenter et donc de mieux l’expliquer.

En second lieu, après avoir expliqué le sens de l’arrêt et démontré que vous l’avez compris, vous devez apprécier l’arrêt à commenter, donner une opinion sur la façon dont la Cour de cassation a tranché le litige et répondu à la question de droit, au fond, il vous faut juger les juges, vous prononcer sur la valeur de la décision, ce qui sera d’autant plus simple que vous pourrez la situer dans le temps, c’est-à-dire en déterminer la portée. Dans cette perspective d’appréciation de la valeur de l’arrêt, il vous faut exploiter des éléments bibliographiques qui vous permettront de recueillir les diverses opinions doctrinales qui se sont prononcées sur la question de droit réglée par la Cour de cassation, et de vous prononcer sur la pertinence des diverses thèses en présence à propos de la question de droit, celle que soutenaient les juges du fond, celle du demandeur au pourvoi et puis celle retenue par la Cour de cassation qui sera fatalement peu ou prou une des deux précédentes.

Analyse de l’arrêt

Analyser l’arrêt conduit à s’en tenir à le présenter en vue d’introduire votre commentaire. Voici la démarche à suivre :

– d’abord, il vous faut sélectionner les faits qui seront utiles dans la perspective de votre commentaire ;

– en outre, il convient de qualifier les faits, ce qui revient à les faire entrer dans une catégorie juridique donnée ;

– ensuite, il faut exposer les différentes étapes de la procédure, à savoir la décision des juges du fond, puis le moyen du pourvoi ;

– de plus, il vous faut énoncer la question de droit que l’arrêt a tranchée ;

– enfin, il convient d’exposer la solution que la Cour de cassation a finalement retenue.

Dans l’arrêt qu’il vous faut ici commenter, reprenons cette démarche :

■ Sélection des faits : Un particulier achète une automobile d’occasion. Avant la vente, le vendeur professionnel l’avait informé que celle-ci avait été accidentée et réparée. Après la vente, l’acquéreur apprend qu’en fait le véhicule avait subi un choc important qui avait exigé un passage au marbre du véhicule.

■ Qualification des faits : Un vendeur professionnel ne communique à l’acheteur profane que certaines informations relatives au bien d’occasion vendu.

■ Exposé de la procédure : L’acquéreur exerce une action en responsabilité contractuelle pour manquement à son obligation d’information et à son devoir de conseil par le vendeur professionnel, et une action rédhibitoire pour vice caché. 

Les juges du fond le déboutent de son action en responsabilité parce que le vendeur professionnel ne pouvait pas deviner que l’acquéreur faisait une question de principe de ce que les réparations avaient été réalisées sans passage au marbre. Ils le déboutent aussi de son action rédhibitoire au motif que l’impossibilité par l’acquéreur du véhicule de le revendre n’affectait pas le bien vendu d’un vice caché, puisque celui-ci pouvait normalement rouler.

■ Énoncé de des questions de droit : Quel est l’objet de l’obligation d’information qui pèse sur le vendeur professionnel ? L’impossibilité de revendre le bien acquis peut-elle être qualifiée de vice caché au sens de l’article 1641 du Code civil ?

■ Exposé de la décision : La Cour de cassation a cassé, au visa des articles 1147 et 1641 du Code civil, la décision des juges du fond. D’une part, parce que le vendeur professionnel est tenu de s’informer sur les besoins de l’acquéreur pour l’informer sur l’adéquation du bien vendu à l’utilisation qu’il projetait et aux qualités qu’il en attendait. D’autre part, parce que la restriction à la possibilité de revendre le véhicule constituait un défaut caché qui en affectait l’usage.

L’élaboration du commentaire

L’analyse de l’arrêt est désormais effectuée. Reste à bâtir et nourrir le commentaire.

Il est de bonne méthode de rechercher alors dans quelle thématique générale s’inscrit l’arrêt à commenter, ce qu’une parfaite identification des questions de droit tranchées par l’arrêt vous permet aisément de découvrir. En l’occurrence, l’arrêt porte sur à l’obligation d’information et au devoir de conseil qui pèsent sur le vendeur professionnel.

Dans la perspective de l’élaboration de votre commentaire, il convient que vous exploitiez :

– le précis Dalloz de Droit des contrats spéciaux de MM. Collart-Dutilleul et Delebecque, qui comporte des développements sur cette question, ainsi que l’HyperCours de Contrats spéciaux de M. Puig.

La structure du commentaire

Pour construire votre commentaire, en clair pour élaborer son plan, il convient d’expliquer l’arrêt et d’apprécier les deux règles qu’il rappelle. Ce qui consiste :

– à en restituer clairement le sens ;

– à en déterminer la portée ;

– et à en discuter la valeur,

étant entendu que ces trois éléments sont ici d’égale importance.

Proposition de plan détaillé

Introduction

Avant l’analyse de l’arrêt proprement dite qui compose le cœur de l’introduction, il faut insister sur son contexte, à savoir les actions de l’acquéreur. Après quoi, vous pouvez intégrer l’analyse de l’arrêt proprement dite (v. supra).

Enfin, après avoir exposé la décision retenue par la Cour de cassation, vous devez annoncer le plan de votre commentaire.

■ ■ ■

I. L’intensité de l’obligation d’information du vendeur

A. Le vendeur professionnel

Exposé : Un antique adage énonçait que « L’acheteur doit être curieux ». Manifestement, la Cour de cassation l’a « abrogé ». C’est au vendeur, surtout s’il est professionnel, de l’être. Il doit s’informer de l’état du bien vendu pour être en mesure d’exécuter correctement son devoir de conseil et des attentes de l’acquéreur quant à ce bien.

Discussion : Ce n’est pas la première fois que la Cour de cassation se montre aussi rigoureuse à l’égard du vendeur professionnel qui doit s’informer auprès de l’acquéreur des raisons pour lesquelles il acquiert le bien. Il ne pourra pas s’exonérer en démontrant que l’acquéreur avait conclu la vente dans un but insolite et entendait recevoir des informations inédites et imprévisibles.

B. L’information « sur-mesure »

Exposé : Selon la Cour, le vendeur professionnel, pour correctement exécuter son obligation d’information et son devoir de conseil, ne peut pas se contenter de transmettre à l’acquéreur des informations d’ordre général, des informations « fongibles » en ce sens qu’il transmettrait les mêmes à tous les acquéreurs quels qu’ils soient. Il doit informer et conseiller l’acquéreur en tenant compte de sa situation spécifique, de ses souhaits personnels.

Discussion : À cet égard, la Cour de cassation s’inscrit dans une séquence jurisprudentielle assez dense qui impose au débiteur de l’obligation, une information dynamique, personnalisée, profilée, adaptée aux spécificités de la personne de l’acquéreur et de sa situation personnelle, familiale, professionnelle, etc.

II. La nature du vice

A. Le choix de la Cour

Exposé : De façon assez classique, les juges du fond avaient considéré que l’impossibilité de revendre le bien acquis, ne pouvait pas constituer un vice caché au sens de l’article 1641 du Code civil, lequel ne « sanctionne » que les vices qui rendent la chose impropre à l’usage qui pouvait en être légitimement attendu. En l’occurrence, cet usage ne pouvait donc consister, à propos d’une automobile, qu’ à pouvoir rouler normalement, ce qui était bien le cas. La Cour de cassation, pour sa part, a considéré que l’impossibilité pour l’acquéreur de le revendre constituait un vice qui entrait dans le champ d’application du texte susvisé.

Discussion :Manifestement, la Cour se livre à une appréciation de l’existence du vice très généreuse pour l’acquéreur profane et très rigoureuse, au contraire, pour le vendeur professionnel. Signe de la rigueur à laquelle elle soumet le contractant professionnel, spécialement le vendeur, dans l’appréciation de l’exécution de son obligation d’information et de son devoir de conseil.

B. La subjectivité du vice

Exposé : Dans la définition classique du vice, l’accent est mis sur l’idée qu’il est caractérisé au regard de l’usage du bien acquis, tel qu’il est légitimement attendu. Autrement-dit, le vice est caractérisé par rapport un étalon qui réside dans l’acquéreur standard. C’est une notion plutôt objective. Dans l’arrêt, la Cour retient l’usage que l’acquéreur entendait personnellement en faire, à savoir le revendre… C’est donc un usage économique de la chose vendue qui est prise en considération pour caractériser le vice.

Discussion :Cette subjectivisation de la notion de vice, appréciée au regard des attentes personnelles de l’acquéreur, emportera une protection accrue de l’acquéreur en élargissant le champ de l’action en garantie des vices cachés.

Références

■ Ph. Delebecque, Fr. Collart Dutilleul, Contrats civils et commerciaux, 9e éd., Dalloz, coll. « Précis », 2011.

■ P. Puig, Contrats spéciaux, 5e éd. Dalloz, coll. « HyperCours », 2013.

■ Code civil

Article 1147

« Le débiteur est condamné, s'il y a lieu, au paiement de dommages et intérêts soit à raison de l'inexécution de l'obligation, soit à raison du retard dans l'exécution, toutes les fois qu'il ne justifie pas que l'inexécution provient d'une cause étrangère qui ne peut lui être imputée, encore qu'il n'y ait aucune mauvaise foi de sa part. »

Article 1641

« Le vendeur est tenu de la garantie à raison des défauts cachés de la chose vendue qui la rendent impropre à l'usage auquel on la destine, ou qui diminuent tellement cet usage que l'acheteur ne l'aurait pas acquise, ou n'en aurait donné qu'un moindre prix, s'il les avait connus. »

 


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