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Droit des obligations
Nature de la nullité d’une vente pour prix vil ou dérisoire
Chaque mois, retrouvez le commentaire d’une décision de justice issue de l’actualité jurisprudentielle.
Ce mois-ci, Dalloz Actu Étudiant vous propose de commenter l’arrêt Com., 22 mars 2016, n° 14-14.218 permettant de faire le point sur la nature de la nullité d’une vente pour prix vil ou dérisoire.
Statuant tant sur le pourvoi principal formé par MM. X..., Y... et Z... que sur le pourvoi incident relevé par M. A... ;
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Versailles, 21 janvier 2014), que MM. X..., Y... et Z..., qui sont les associés fondateurs de la société Tleta devenue la société Atir rail (la société), ont souhaité obtenir la participation de M. A... à leur projet de développement de la société ; que le 14 février 2003, ils ont conclu avec M. A... un "accord-cadre", aux termes duquel MM. X..., Z... et Y... s'engageaient chacun à céder à celui-ci 5 % du capital de la société "pour le prix forfaitaire et symbolique de 500 euros", cependant qu'"en contrepartie de la cession au prix d'acquisition symbolique précité", M. A... s'engageait à "mettre au service de la société en qualité de directeur commercial sa connaissance du marché ainsi que son industrie, pendant une durée minimum de cinq années" ; que le 5 mars 2003, trois actes de cession de parts sociales ont été signés conformément à l'accord-cadre ; que le 31 mars 2003, la société a engagé M. A... en qualité de directeur commercial ; que par acte du 17 mars 2010, MM. X..., Y... et Z... ont assigné ce dernier, à titre principal, en nullité des cessions de parts pour indétermination du prix, à défaut, pour vileté du prix et, à titre subsidiaire, en résolution des cessions du fait de sa défaillance dans l'exécution de ses obligations ; que M. A... a soulevé la prescription de l'action en nullité et, reconventionnellement, a réclamé le paiement de dommages-intérêts
Sur le premier moyen du pourvoi principal, pris en sa première branche
Attendu que MM. X..., Y... et Z... font grief à l'arrêt de dire prescrite l'action en nullité des actes de cession de parts alors, selon le moyen, que la vente consentie sans prix ou sans prix sérieux est affectée d'une nullité qui, étant fondée sur l'absence d'un élément essentiel du contrat, est une nullité absolue soumise à la prescription de droit commun qui était, à l'époque de l'acte litigieux, trentenaire ; que pour déclarer l'action en nullité pour indétermination du prix prescrite, la cour d'appel a retenu que l'action pour indétermination du prix constituait une action en nullité relative visant à la protection des intérêts privés du cocontractant et se prescrivant par cinq ans ; que ce faisant, elle a violé l'article 1591 et l'article 2262 du code civil dans sa rédaction applicable à l'espèce;
Attendu que la Cour de cassation jugeait depuis longtemps que la vente consentie à vil prix était nulle de nullité absolue (1re Civ., 24 mars 1993, n° 90-21.462) ; que la solution était affirmée en ces termes par la chambre commerciale, financière et économique : "la vente consentie sans prix sérieux est affectée d'une nullité qui, étant fondée sur l'absence d'un élément essentiel de ce contrat, est une nullité absolue soumise à la prescription trentenaire de droit commun" (Com., 23 octobre 2007, n° 06-13.979, Bull. n° 226) ;
Attendu que cette solution a toutefois été abandonnée par la troisième chambre civile de cette Cour, qui a récemment jugé "qu'un contrat de vente conclu pour un prix dérisoire ou vil est nul pour absence de cause et que cette nullité, fondée sur l'intérêt privé du vendeur, est une nullité relative soumise au délai de prescription de cinq ans" (3e Civ., 24 octobre 2012, n° 11-21.980) ; que pour sa part, la première chambre civile énonce que la nullité d'un contrat pour défaut de cause, protectrice du seul intérêt particulier de l'un des cocontractants, est une nullité relative (1re Civ., 29 septembre 2004, n° 03-10.766, Bull. n° 216) ;
Attendu qu'il y a lieu d'adopter la même position ; qu'en effet, c'est non pas en fonction de l'existence ou de l'absence d'un élément essentiel du contrat au jour de sa formation, mais au regard de la nature de l'intérêt, privé ou général, protégé par la règle transgressée qu'il convient de déterminer le régime de nullité applicable ;
Attendu qu'en l'espèce, l'action en nullité des cessions de parts conclues pour un prix indéterminé ou vil ne tendait qu'à la protection des intérêts privés des cédants ;
Attendu que c'est donc à bon droit que la cour d'appel a retenu que cette action, qui relève du régime des actions en nullité relative, se prescrit par cinq ans par application de l'article 1304 du code civil ; que le moyen n'est pas fondé ;
…
PAR CES MOTIFS :
REJETTE les pourvois, principal et incident ;
Laisse à chaque partie la charge de ses dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-deux mars deux mille seize.
Travail préparatoire
Rappel de méthodologie
Un commentaire d’arrêt est un exercice qui comprend deux temps : l’explication de l’arrêt et son appréciation.
En d’autres termes, il faut, en premier lieu, expliquer le sens de l’arrêt. Ce qui suppose d’abord de le lire très attentivement, pour bien le comprendre. Ensuite, et c’est un temps essentiel de votre commentaire, il vous faut identifier la question que l’arrêt à commenter a résolue. En outre, il vous faut détecter la ou les règles de droit qui fondent la décision qui vous est soumise. Enfin, il vous faut faire un exercice de mémoire (si vous composez votre commentaire dans le cadre d’un examen) ou de recherche (si vous composez librement votre commentaire), non seulement pour découvrir le thème général dans lequel s’inscrit l’arrêt à commenter, mais encore pour trouver des éléments bibliographiques qui vous permettront de mieux comprendre l’arrêt que vous devez commentez et donc de mieux l’expliquer.
En second lieu, après avoir expliqué le sens de l’arrêt et démontrer que vous l’avez compris, vous devez apprécier l’arrêt à commenter, donner une opinion sur la façon dont la Cour de cassation a tranché le litige et répondu à la question de droit, au fond, il vous faut juger les juges, vous prononcer sur la valeur de la décision, ce qui sera d’autant plus simple que vous pourrez la situer dans le temps, c’est-à-dire en déterminer la portée. Dans cette perspective d’appréciation de la valeur de l’arrêt, il vous faut exploiter des éléments bibliographiques qui vous permettront de recueillir les diverses opinions doctrinales qui se sont prononcées sur la question de droit réglée par la Cour de cassation, et de vous prononcer sur la pertinence des diverses thèses en présence à propos de la question de droit, celle que soutenaient les juges du fond, celle du demandeur au pourvoi et puis celle retenue par la Cour de cassation qui sera fatalement peu ou prou une des deux précédentes.
Analyse de l’arrêt
Analyser l’arrêt conduit à s’en tenir à le présenter en vue d’introduire votre commentaire. Voici la démarche à suivre :
– d’abord, il vous faut sélectionner les faits qui seront utiles dans la perspective de votre commentaire ;
– en outre, il convient de qualifier les faits, ce qui revient à les faire entrer dans une catégorie juridique donnée ;
– ensuite, il faut exposer les différentes étapes de la procédure, à savoir la décision des juges du fond, puis le moyen du pourvoi ;
– de plus, il vous faut énoncer la question de droit que l’arrêt a tranchée ;
– enfin, il convient d’exposer la solution que la Cour de cassation a finalement retenue.
Dans l’arrêt qu’il vous faut ici commenter, reprenons cette démarche :
Sélection des faits : Des associés fondateurs d’une société ont souhaité obtenir la participation d’un tiers à leur projet de développement et se sont, dans un accord-cadre, engagés à lui céder une partie du capital de leur société, ce que ce dernier a accepté. Par la suite, des actes de cession de parts ont été conclus entre les parties.
Qualification des faits : Une convention de cession de parts de société est conclue entre des associés fondateurs et un tiers.
Exposé de la procédure : Les cédants ont assigné le cessionnaire en nullité de cession de parts pour indétermination du prix et, à défaut, pour vileté du prix. Ce dernier réplique en prétendant que l’action est prescrite.
La cour d’appel décide que l’action est prescrite.
Les cédants forment un pourvoi au moyen que l’action en nullité de la convention de cession consentie sans prix ou sans prix sérieux est absolue et que, par conséquent, elle est soumise à la prescription de droit commun, laquelle était à l’époque des faits litigieux trentenaire.
La cour d’appel accueille favorablement cette demande.
Énoncé de la question de droit : Quelle est la nature de la nullité d’une vente pour prix vil ou dérisoire et, partant, la durée du délai de la prescription de l’action en nullité ?
Exposé de la décision : La Cour de cassation rejette le pourvoi au motif que « l'action en nullité des cessions de parts conclues pour un prix indéterminé ou vil ne tendait qu'à la protection des intérêts privés des cédants, que c'est donc à bon droit que la cour d'appel a retenu que cette action, qui relève du régime des actions en nullité relative, se prescrit par cinq ans par application de l'article 1304 du code civil »
L’élaboration du commentaire
L’analyse de l’arrêt est désormais effectuée. Reste à bâtir et nourrir le commentaire.
Il est de bonne méthode de rechercher alors dans quelle thématique générale s’inscrit l’arrêt à commenter, ce qu’une parfaite identification des questions de droit tranchée par l’arrêt vous permet aisément de découvrir. En l’occurrence, l’arrêt porte sur la nature de la nullité d’une vente consentie à vil prix ou dérisoire et se singularise par sa motivation qui tranche avec celle des arrêts qu’elle rend de coutume.
La structure du commentaire
Pour construire votre commentaire, en clair pour élaborer son plan, il convient d’expliquer l’arrêt et d’apprécier sa solution. Ce qui consiste :
– à en restituer clairement le sens ;
– à en déterminer la portée ;
– et à en discuter la valeur,
étant entendu que ces trois éléments sont ici d’égale importance.
Proposition de plan détaillé
Avant l’analyse de l’arrêt proprement dite qui compose le cœur de l’introduction (voir ci-dessus), il faut insister sur son contexte, à savoir la nature de la nullité d’une vente pour prix vil ou dérisoire, ainsi que sur la singularité de sa motivation. Après quoi, vous pouvez intégrer l’analyse de l’arrêt proprement dite (voir ci-dessus).
Enfin, après avoir exposé la décision retenue par la Cour de cassation, vous devez annoncer le plan de votre commentaire.
I. La décision
Dans cet arrêt, la chambre commerciale se rallie à la jurisprudence d’autres chambres de la Cour après s’en être démarqué.
A. La discorde passée
Jusqu’à l’arrêt commenté, la chambre commerciale de la Cour de cassation décidait que « la vente consentie sans prix sérieux est affectée d'une nullité qui, étant fondée sur l'absence d'un élément essentiel de ce contrat, est une nullité absolue soumise à la prescription trentenaire de droit commun » (Com. 23 oct. 2007, n° 06-13.979).
En revanche, la troisième chambre civile de cette Cour, d’une part, décidait, dans un arrêt non publié au Bulletin…, « qu'un contrat de vente conclu pour un prix dérisoire ou vil est nul pour absence de cause et que cette nullité, fondée sur l'intérêt privé du vendeur, est une nullité relative soumise au délai de prescription de cinq ans » (Civ. 3e, 24 oct. 2012, n° 11-21.980) ; de même, la première chambre civile avait finalement affirmé que la nullité d'un contrat (de partage en l’occurrence) pour défaut de cause, protectrice du seul intérêt particulier de l'un des cocontractants, est une nullité relative (Civ. 1re, 29 sept. 2004, n° 03-10.766).
B. Le ralliement
Dans l’arrêt commenté, la chambre commerciale adopte la position des première et troisième chambres civiles de la Cour de cassation, puisqu’elle décide que « c'est non pas en fonction de l'existence ou de l'absence d'un élément essentiel du contrat au jour de sa formation, mais au regard de la nature de l'intérêt, privé ou général, protégé par la règle transgressée qu'il convient de déterminer le régime de nullité applicable ».
Ce faisant, elle applique la théorie dite « moderne » des nullités, créée par Japiot et Gaudemet, et reprend la règle énoncée au nouvel article 1179 du Code civil issu de l’ordonnance du 10 février 2016 qui réforme le droit des contrats : « La nullité est absolue lorsque la règle violée a pour seul objet la sauvegarde de l’intérêt général.
Elle est relative lorsque la règle violée a pour objet la sauvegarde des intérêts privés ».
II. La motivation
Dans le grand chantier de la réforme de la Cour de cassation lancé par le premier Président de la Cour de cassation, la motivation des arrêts tient un rôle majeur. Cet arrêt semble bien constituer le premier arrêt qui adopte une motivation plus explicite, ce qui ne signifie pas qu’elle soit plus éclairante.
A. Une motivation plus explicite
Ce qui singularise la motivation de cet arrêt par rapport aux arrêts rendus par la Cour de cassation, c’est qu’elle contient l’exposé des précédents arrêts rendus sur la question qu’elle devait trancher.
En bref, la chambre commerciale de la Cour de cassation expose l’évolution de la jurisprudence des différentes chambres de la Cour de cassation sur la nature de la nullité en cas de vente conclue pour un prix vil ou dérisoire, avant de prendre sa propre décision et de modifier sa propre jurisprudence.
C’est donc au regard des précédents arrêts rendus sur cette question qu’elle décide « qu’il y a lieu d’adopter la même position » que celle retenue par la première et la troisième chambre civile.
B. Une motivation plus éclairante ?
Il n’est pas certain que cette motivation renforcée éclaire le justiciable sur la raison d’être de la décision rendue.
Pour ce faire, il eût fallu que la chambre commerciale explique pourquoi le prix n’est pas un élément essentiel du contrat de vente au regard des textes qui régissent ce contrat spécial ou se prononce sur les notions respectives d’intérêt privé et d’intérêt général.
Références
■ Com. 23 oct. 2007, n° 06-13.979 P, D. 2008. 954, obs. X. Delpech, note G. Chantepie ; AJDI 2008. 795, note F. Cohet-Cordey ; RTD com. 2008. 408, obs. B. Bouloc.
■ Civ. 3e, 24 oct. 2012, n° 11-21.980, AJDI 2013. 137 ; ibid. 540, obs. S. Porcheron.
■ Civ. 1re, 29 sept. 2004, n° 03-10.766 P, D. 2004. 2690 ; AJ fam. 2004. 458, obs. F. Bicheron.
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