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À vos copies !
Libertés fondamentales - droits de l'homme
Prescription de l’action en responsabilité de l’État du chef de crime contre l’humanité
Chaque mois, retrouvez le commentaire d’une décision de justice issue de l’actualité jurisprudentielle.
Ce mois-ci, Dalloz Actu Étudiant vous propose de commenter l’arrêt Civ. 1re, 17 avr. 2019, n° 18-13.894.
« Attendu, selon l'arrêt attaqué (Fort-de-France, 19 déc. 2017), que par acte du 30 mai 2005, l'association Mouvement international pour les réparations (le MIR) et l'association Conseil mondial de la diaspora panafricaine (le CMDPA) ont assigné l'Etat devant le tribunal de grande instance de Fort-de-France aux fins d'obtenir une expertise pour évaluer le préjudice subi par le peuple martiniquais du fait de la traite négrière et de l'esclavage et une provision destinée à une future fondation ; qu'au regard des préjudices subis personnellement ou en leur qualité d'ayants droit, plusieurs personnes physiques se sont jointes à cette action ;
Sur les première, deuxième et cinquième à huitième branches du premier moyen et le second moyen, ci-après annexés :
Attendu qu'il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation ;
Sur le premier moyen, pris en ses troisième et quatrième branches :
Attendu que le MIR fait grief à l'arrêt de déclarer irrecevables comme prescrites les demandes présentées en qualité d'ayants droit par les personnes physiques et de rejeter les autres demandes, alors, selon le moyen :
1°/ que la traite négrière et l'esclavage sont des crimes contre l'humanité, lesquels sont, par nature, imprescriptibles ; qu'en jugeant irrecevables comme prescrites les demandes présentées par les ayants droit d'esclaves, la cour d'appel a violé l'article 1er de la loi du 21 mai 2001, ensemble les articles 213-4 et 213-5 du code pénal, l'article 1er de la loi du 31 décembre 1968 et l'article 2262 du code civil, dans sa version antérieure à la loi du 17 juin 2008 ;
2°/ que, justifié par une exigence de sécurité juridique et de protection de la liberté individuelle, le principe de non-rétroactivité de la loi ne saurait être appliqué au bénéfice d'auteurs de crimes contre l'humanité ; qu'en jugeant le contraire, la cour d'appel a violé l'article 2 du code civil ensemble les articles 213-4 et 213-5 du code pénal, l'article 8 de la déclaration des droits de l'homme et du citoyen, l'article 7 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme, l'article 15 du Pacte international relatif aux droits civils ;
Mais attendu que l'arrêt retient, à bon droit, que les articles 211-1 et 212-1 du code pénal, réprimant les crimes contre l'humanité, sont entrés en vigueur le 1er mars 1994 et ne peuvent s'appliquer aux faits antérieurs à cette date, en raison des principes de légalité des délits et des peines et de non-rétroactivité de la loi pénale plus sévère;
Et attendu qu'après avoir énoncé que la loi du 21 mai 2001 n'avait apporté aucune atténuation à ces principes et que l'action sur le fondement de l'article 1382, devenu 1240 du code civil, de nature à engager la responsabilité de l'Etat indépendamment de toute qualification pénale des faits, était soumise à la fois à la prescription de l'ancien article 2262 du même code et à la déchéance des créances contre l'Etat prévue à l'article 9 de la loi du 29 janvier 1831, devenu l'article 1er de la loi du 31 décembre 1968, la cour d'appel a exactement décidé que cette action, en tant qu'elle portait sur des faits ayant pris fin en 1848 et malgré la suspension de la prescription jusqu'au jour où les victimes, ou leurs ayants droit, ont été en mesure d'agir, était prescrite en l'absence de démonstration d'un empêchement qui se serait prolongé durant plus de cent ans ;
D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;
Par ces motifs :
Rejette le pourvoi ; »
Travail préparatoire
Rappel de méthodologie
Un commentaire d’arrêt est un exercice qui comprend deux temps : l’explication de l’arrêt et son appréciation.
En d’autres termes, il faut, en premier lieu, expliquer le sens de l’arrêt. Ce qui suppose d’abord de le lire très attentivement, pour bien le comprendre. Ensuite, et c’est un temps essentiel de votre commentaire, il vous faut identifier la question que l’arrêt à commenter a résolue. En outre, il vous faut détecter la ou les règles de droit qui fondent la décision qui vous est soumise. Enfin, il vous faut faire un exercice de mémoire (si vous composez votre commentaire dans le cadre d’un examen) ou de recherche (si vous composez librement votre commentaire), non seulement pour découvrir le thème général dans lequel s’inscrit l’arrêt à commenter, mais encore pour trouver des éléments bibliographiques qui vous permettront de mieux comprendre l’arrêt que vous devez commentez et donc de mieux l’expliquer.
En second lieu, après avoir expliqué le sens de l’arrêt et démontrer que vous l’avez compris, vous devez apprécier l’arrêt à commenter, donner une opinion sur la façon dont la Cour de cassation a tranché le litige et répondu à la question de droit, au fond, il vous faut juger les juges, vous prononcer sur la valeur de la décision, ce qui sera d’autant plus simple que vous pourrez la situer dans le temps, c’est-à-dire en déterminer la portée. Dans cette perspective d’appréciation de la valeur de l’arrêt, il vous faut exploiter des éléments bibliographiques qui vous permettront de recueillir les diverses opinions doctrinales qui se sont prononcées sur la question de droit réglée par la Cour de cassation, et de vous prononcer sur la pertinence des diverses thèses en présence à propos de la question de droit, celle que soutenaient les juges du fond, celle du demandeur au pourvoi et puis celle retenue par la Cour de cassation qui sera fatalement peu ou prou une des deux précédentes.
Analyse de l’arrêt
Analyser l’arrêt conduit à s’en tenir à le présenter en vue d’introduire votre commentaire. Voici la démarche à suivre :
– d’abord, il vous faut sélectionner les faits qui seront utiles dans la perspective de votre commentaire ;
– en outre, il convient de qualifier les faits, ce qui revient à les faire entrer dans une catégorie juridique donnée ;
– ensuite, il faut exposer les différentes étapes de la procédure, à savoir la décision des juges du fond, puis le moyen du pourvoi ;
– de plus, il vous faut énoncer la question de droit que l’arrêt a tranchée ;
– enfin, il convient d’exposer la solution que la Cour de cassation a finalement retenue.
Dans l’arrêt qu’il vous faut ici commenter, reprenons cette démarche :
Sélection des faits : Des descendants d’esclaves martiniquais souhaitaient obtenir de l’État la réparation du préjudice subi par leur peuple. En 2005, deux associations avaient porté leur action en justice.
Qualifications des faits : En 2005, à la demande de plusieurs descendants d’esclaves, deux associations avaient assigné l’État français aux fins d’obtenir une expertise pour faire évaluer le préjudice subi par le peuple martiniquais du fait de la traite négrière et de l’esclavage, ainsi qu’une provision destinée à une future fondation.
Procédure : En première instance puis en appel, leurs demandes avaient été jugées irrecevables comme prescrites, aux motifs principaux de l’antériorité des faits dénoncés à la loi pénale les réprimant (loi du 1er mars 1994) et de l’expiration du délai de prescription civile.
L’une des deux associations forma un pourvoi en cassation, au soutien duquel elle invoquait, d’une part, la nature imprescriptible des crimes contre l’humanité que constituent la traite négrière et l’esclavage et, d’autre part, l’inapplicabilité du principe de non-rétroactivité de la loi au bénéfice d’auteurs de crimes contre l’humanité.
Problème de droit : Le caractère rétroactif inhérent à l’incrimination de crimes contre l’humanité, destinée à régir des faits survenus antérieurement aux lois les punissant, conjugué à la gravité de ces crimes historiques, justifient-ils de déroger au principe de non-rétroactivité de la loi, notamment de la loi pénale ?
Solution : A cette question, la Cour de cassation répond par la négative. Elle précise, pour confirmer l’analyse des juges du fond et rejeter le pourvoi, que « les articles 211-1 et 212-1 du code pénal, réprimant les crimes contre l'humanité, sont entrés en vigueur le 1er mars 1994 et ne peuvent s'appliquer aux faits antérieurs à cette date, en raison des principes de légalité des délits et des peines et de non-rétroactivité de la loi pénale plus sévère » ; elle ajoute que l’action en responsabilité contre l’État engagée sur le fondement de l’article 1382 du Code civil, devenu 1240 du Code civil, donc indépendamment de toute qualification pénale des faits, soumise à la prescription de l’ancien article 2262 du même code, est également prescrite « en tant qu'elle portait sur des faits ayant pris fin en 1848 et malgré la suspension de la prescription jusqu'au jour où les victimes, ou leurs ayants droit, ont été en mesure d'agir, était prescrite en l'absence de démonstration d'un empêchement qui se serait prolongé durant plus de cent ans ».
L’élaboration du commentaire
L’analyse de l’arrêt est désormais effectuée. Reste à bâtir et nourrir le commentaire.
Il est de bonne méthode de rechercher alors dans quelle thématique générale s’inscrit l’arrêt à commenter, ce qu’une parfaite identification des questions de droit tranchée par l’arrêt vous permet aisément de découvrir. En l’occurrence, l’arrêt porte sur la prescription de l’action en responsabilité de l’État du chef de crime contre l’humanité.
La structure du commentaire
Pour construire votre commentaire, en clair pour élaborer son plan, il convient d’expliquer l’arrêt et d’apprécier sa solution. Ce qui consiste :
– à en restituer clairement le sens ;
– à en déterminer la portée ;
– et à en discuter la valeur,
étant entendu que ces trois éléments sont ici d’égale importance.
Proposition de plan détaillé
Avant l’analyse de l’arrêt proprement dite qui compose le cœur de l’introduction, il faut insister sur son contexte. Après quoi, vous pouvez intégrer l’analyse de l’arrêt proprement dite.
Enfin, après avoir exposé la décision retenue par la Cour de cassation, vous devez annoncer le plan de votre commentaire.
I. Crime contre l’humanité : la prescription de l’action pénale
A. En raison de l’application de principes fondateurs du droit pénal
- La notion de crime contre l’humanité renvoie, en droit positif interne, aux art. 211-1 et 212-1 C. pén. : incriminent le génocide ainsi qu’un ensemble de crimes, punissables en eux-mêmes tels la réduction en esclavage, mais soumis à un régime spécifique en raison des circonstances et modalités de leur commission (« exécution d’un plan concerté à l’encontre d’un groupe de population civile dans le cadre d’une attaque généralisée ou systématique ».
- Entrée en vigueur de Ces dispositions :1er mars 1994, avec celles des art. 111-3 et 112-1 reprenant les principes de légalité des délits et des peines (pas de crime punissable en l’absence de texte légal l’incriminant expressément) et de non-rétroactivité de la loi pénale plus sévère et qui, comme les art. 8 DDH et 7-1 de la Conv. EDH, ne permettent pas d’appliquer ces dispositions aux faits antérieurs à la date de leur entrée en vigueur.
B. En l’absence de dérogation ou exception admissibles à ces principes
- Origine de l’incrimination : Accord de Londres (8 août 1945) : création d’un Tribunal Militaire International afin de juger les grands criminels de guerre des pays européens de l’Axe des faits de déportation, d’extermination, de réduction en esclavage ou de tout autre acte humain commis durant cette période contre des populations civiles. Incrimination à caractère rétroactif car était vouée à punir des crimes commis antérieurement à l’adoption de l’Accord, mais toutefois formellement limitée à l’objet de cet accord et à la compétence du Tribunal, circonscrite au jugement des atrocités commises durant la seconde guerre mondiale.
- Depuis lors, aucune norme de droit international n’a consacré un principe général de rétroactivité des lois destinées à poursuivre et à punir les crimes contre l’humanité. Faute d’exception apportée au principe de valeur constitutionnelle de non rétroactivité de la loi pénale, un recours en responsabilité ne pouvait donc être envisagé du chef de crime contre l’humanité pour les faits en cause. Invoqué par la demanderesse au pourvoi, son corollaire, l’imprescriptibilité du crime (C. pén., art. 213-5 et C. pr. pén., art. 7 al. 3) était dès lors inopérant, en premier lieu au regard de l’action pénale. Il en allait de même concernant l’action civile.
II. Crime contre l’humanité : la prescription de l’action civile
A. En raison de l’expiration du délai de prescription
- Abolition définitive de l’esclavage : décret du gouvernement provisoire de la République française du 27 avril 1848. Martinique, abolition effectivement proclamée le 23 mai 1848. Le droit à réparation des demandeurs a donc pris naissance au lendemain de cette abolition, le 24 mai 1848.
- Action en responsabilité ayant pour fondement l’ancien art. 1382 C. civ. susceptible d’être engagée à cette date, indépendamment de toute qualification pénale des faits, le législateur de 1848 ayant affirmé « que l’esclavage est un attentat contre la dignité humaine ».
- Cependant, action soumise à la prescription trentenaire de l’ancien art. 2262 C. civ.
B. En l’absence de suspension du délai de prescription
- Bien que recouvrant une pleine capacité théorique d’agir en justice, illusion de considérer que les esclaves affranchis ont pu concrètement avoir la conscience immédiate de leur droit d’agir en justice contre l’État à l’encontre de l’État.
- Action donc été suspendue jusqu’au jour où les victimes, ou leurs ayants droit, ont été en mesure d’agir, conformément au principe contra non valentem non currit prescriptio.
- Pour autant, ceux-ci n’ont pas su démontrer un empêchement qui se serait prolongé durant plus de cent ans et qui aurait fait obstacle à ce qu’au moins les héritiers des anciens esclaves agissent avant l’assignation délivrée seulement en 2005. La prescription de droit civil était donc elle aussi acquise.
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