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À vos copies !
Introduction au droit
Preuve de la réalisation d’une prestation conclue « sur la parole donnée »
Chaque mois, retrouvez le commentaire d’une décision de justice issue de l’actualité jurisprudentielle.
Ce mois-ci, Dalloz Actu Étudiant vous propose de commenter l’arrêt Civ. 1re, 29 oct .2014, pourvoi n°13-25.080, relatif au régime de la preuve littérale.
Arrêt
« Sur le moyen unique, pris en sa première branche :
Vu l'article 1341 du code civil ;
Attendu, selon l'arrêt attaqué, statuant en référé, que la société Campinoise et Ferrand (la société) a assigné M. et Mme X... en paiement d'une provision en règlement d'une facture du 7 mars 2011 relative au remplacement d'une chaudière dans leur maison ;
Attendu que pour faire droit à cette demande, l'arrêt énonce que la société ne produit aucun devis ni commande, mais qu'une relation contractuelle peut être nouée verbalement, notamment lorsque les parties « ont de bonnes relations », que la facture litigieuse, qui a pour objet le « remplacement de chaudière + préparateur ECS », décrit de manière précise un ensemble de matériels et prestations pour le montant réclamé, que les attestations produites par la société pour apporter la preuve de la réalisation de la prestation en cause, de l'existence de bonnes relations entre les parties et de l'usage, entre personnes d'origine portugaise, de travailler « sur la parole donnée », ne sont pas arguées de faux, et que, les époux X... ne produisant aucune pièce, leur contestation ne paraît pas sérieuse ;
Qu'en statuant ainsi, alors que l'établissement d'un contrat relatif à des obligations d'une valeur supérieure à 1 500 euros est soumis au régime de la preuve littérale, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres branches du moyen :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 12 septembre 2013, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Versailles (…) »
Travail préparatoire
Rappel de méthodologie
Un commentaire d’arrêt est un exercice qui comprend deux temps : l’explication de l’arrêt et son appréciation.
En d’autres termes, il faut, en premier lieu, expliquer le sens de l’arrêt. Ce qui suppose, d’abord, de le lire très attentivement, pour bien le comprendre. Ensuite, et c’est un temps essentiel de votre commentaire, il vous faut identifier la question que l’arrêt à commenter a résolue. En outre, il vous faut détecter la ou les règles de droit qui fondent la décision qui vous est soumise. Enfin, il vous faut faire un exercice de mémoire (si vous composez votre commentaire dans le cadre d’un examen) ou de recherche (si vous composez librement votre commentaire), non seulement pour découvrir le thème général dans lequel s’inscrit l’arrêt à commenter, mais encore pour trouver des éléments bibliographiques qui vous permettront de mieux comprendre l’arrêt que vous devez commenter et donc de mieux l’expliquer.
En second lieu, après avoir expliqué le sens de l’arrêt et démontré que vous l’avez compris, vous devez apprécier l’arrêt à commenter, donner une opinion sur la façon dont la Cour de cassation a tranché le litige et répondu à la question de droit, au fond, il vous faut juger les juges, vous prononcer sur la valeur de la décision, ce qui sera d’autant plus simple que vous pourrez la situer dans le temps, c’est-à-dire en déterminer la portée. Dans cette perspective d’appréciation de la valeur de l’arrêt, il vous faut exploiter des éléments bibliographiques qui vous permettront de recueillir les diverses opinions doctrinales qui se sont prononcées sur la question de droit réglée par la Cour de cassation, et de vous prononcer sur la pertinence des diverses thèses en présence à propos de la question de droit, celle que soutenaient les juges du fond, celle du demandeur au pourvoi et puis celle retenue par la Cour de cassation qui sera fatalement peu ou prou une des deux précédentes.
Analyser l’arrêt conduit à s’en tenir à le présenter en vue d’introduire votre commentaire. Voici la démarche à suivre :
– d’abord, il vous faut sélectionner les faits qui seront utiles dans la perspective de votre commentaire ;
– en outre, il convient de qualifier les faits, ce qui revient à les faire entrer dans une catégorie juridique donnée ;
– ensuite, il faut exposer les différentes étapes de la procédure, à savoir la décision des juges du fond, puis le moyen du pourvoi ;
– de plus, il vous faut énoncer la question de droit que l’arrêt a tranchée ;
– enfin, il convient d’exposer la solution que la Cour de cassation a finalement retenue.
Dans l’arrêt qu’il vous faut ici commenter, reprenons cette démarche :
■ Sélection des faits : Une société assigne un couple en paiement d’une provision d’un montant de 13 583,13 euros, en règlement d’une facture relative au remplacement d’une chaudière dans leur maison.
■ Qualification des faits : À l’appui de sa demande en paiement, la société demanderesse invoque la possibilité de contracter seulement verbalement pour en déduire qu’en dépit de l’absence d’une preuve écrite pour établir l’existence et le contenu du contrat litigieux, ceux-ci peuvent néanmoins, en l’espèce, être établis par d’autres éléments, notamment des témoignages.
■ Exposé de la procédure : La cour d’appel fait droit à sa demande au motif qu’une relation contractuelle peut être nouée seulement verbalement, notamment lorsque les parties ont, comme en l’espèce, de bonnes relations et que l’usage les autorise à se dispenser de produire un écrit, ce qui est encore le cas, les parties au litige, d’origine portugaise, ayant l’habitude « de travailler sur la parole donnée ».
■ Énoncé de la question de droit : La cordialité des relations entre les parties et l’usage de leur communauté d’origine de travailler verbalement autorisent-elles à déroger à l’application de l’article 1341 du Code civil ?
■ Exposé de la décision : Au visa de l’article 1341 du Code civil, la Cour de cassation répond par la négative et casse en conséquence la décision des juges du fond : « (…) l’établissement d’un contrat relatif à des obligations d’une valeur supérieure à 1500 euros est soumis au régime de la preuve littérale ».
L’élaboration du commentaire
L’analyse de l’arrêt est désormais effectuée. Reste à bâtir et nourrir le commentaire.
Il est de bonne méthode de rechercher alors dans quelle thématique générale s’inscrit l’arrêt à commenter, ce qu’une parfaite identification des questions de droit tranchée par l’arrêt vous permet aisément de découvrir. En l’occurrence, l’arrêt porte sur le régime de la preuve littérale.
Dans la perspective de l’élaboration de votre commentaire, il convient que vous exploitiez, notamment :
– le précis Dalloz d’Introduction générale au droit de M. Terré, qui comporte des développements sur le droit de la preuve.
La structure du commentaire
Pour construire votre commentaire, en clair pour élaborer son plan, il convient d’expliquer l’arrêt et d’apprécier sa solution. Ce qui consiste :
– à en restituer clairement le sens ;
– à en déterminer la portée ;
– et à en discuter la valeur,
étant entendu que ces trois éléments sont ici d’égale importance.
Proposition de plan détaillé
Introduction
Avant l’analyse de l’arrêt proprement dite qui compose le cœur de l’introduction, il faut insister sur son contexte, à savoir le régime de la preuve littérale. Après quoi, vous pouvez intégrer l’analyse de l’arrêt proprement dite (v. supra).
Enfin, après avoir exposé la décision retenue par la Cour de cassation, vous devez annoncer le plan de votre commentaire.
■ ■ ■
■ Annonce du plan : La Cour rappelle le domaine d’application de la preuve littérale (I) pour rejeter, en l’espèce, le jeu de l’exception tirée de l’impossibilité morale de se préconstituer un écrit (II).
I. Le rappel du domaine d’application de la preuve littérale
Requis par l’article 1341 du Code civil pour rapporter la preuve des actes supérieurs à 1 500 euros (A), l’écrit se présente comme une exigence découlant plus largement du système de légalité de la preuve (B).
A. La preuve d’un acte supérieur à 1 500 euros
L’article 1341 du Code civil figurant au visa dispose qu’« il doit être passé acte devant notaires ou sous signatures privées de toutes choses excédant une somme ou une valeur fixée par décret (…), et il n’est reçu aucune preuve par témoins contre et outre le contenu aux actes, ni sur ce qui serait allégué avoir été dit avant, lors ou depuis les actes, encore qu’il s’agisse d’une somme ou valeur moindre ».
Ainsi ce texte pose-t-il comme première règle celle selon laquelle la preuve d’un acte juridique, comme le contrat, supérieur à 1 500 euros ne peut être rapportée que par écrit. Le seuil fixé par décret est essentiel à prendre en compte. En effet, la preuve des « petits contrats » reste, par principe, libre, seuls les contrats emportant des engagements d’un montant estimé à plus de 1 500 euros étant soumis à l’exigence de l’écrit.
En l’espèce, ce seuil était largement dépassé, d’où l’affirmation par la Cour de sa soumission au régime de la preuve littérale, lequel découle plus largement du système de légalité de la preuve.
B. Une exigence issue du système de légalité de la preuve
Le principe de la preuve littérale ici en cause relève plus largement du système de la preuve légale, qui repose sur l’encadrement des modes de preuve admissibles.
Selon ce système, la preuve d’un acte ou d’un fait juridique ne peut être rapportée que par certains moyens légalement définis et prévus, et par aucun autre. Cela étant, la preuve légale n’équivaut pas à la preuve littérale.
Ainsi, pour prouver un acte juridique, comme un contrat, l’aveu judiciaire et le serment décisoire sont également, à côté de l’écrit, et en dépit de leur plus faible utilisation pratique, considérés par la loi comme des preuves admissibles.
Il n’en reste pas moins que la preuve d’un acte juridique ne peut être rapportée que par ces moyens, les seuls admis par la loi, à l’exclusion des autres. Ainsi la preuve d’un contrat par témoignage ou par présomptions sera-t-elle, par principe, jugée irrecevable.
Toutefois, la liberté de prouver pourra être retrouvée dans le cas exceptionnel, que la demanderesse au pourvoi tentait d’exploiter, de l’impossibilité morale de produire un écrit, celle-ci ayant pour effet, en vertu du système alternatif de la preuve libre, de rendre admissible tous modes de preuve. Mais pour pouvoir bénéficier de l’exception et être autorisé à rapporter la preuve par tous moyens d’un contrat pourtant supérieur à 1 500 euros, encore faut-il réussir à établir une véritable impossibilité morale de se préconstituer un écrit, ce à quoi la demanderesse au pourvoi n’est pas, en l’espèce, parvenue.
II. Le rejet de l’exception tirée de l’impossibilité morale de se préconstituer un écrit
Admise par l’article 1348 du Code civil au titre des exceptions à l’article 1341 du Code civil, l’impossibilité morale de se préconstituer une preuve écrite est, en l’espèce, écartée en raison de l’insuffisance, pour la reconnaître, des bonnes relations qu’entretenaient les parties au contrat (A) comme de celle de l’usage (B) propre à leur communauté de contracter verbalement.
A. L’insuffisance de bonnes relations entre les parties
« L'impossibilité morale résulte d'obstacles non plus externes, mais internes aux parties à l'acte. La rédaction d'un écrit, bien que facile à réaliser sur le plan matériel, va à l'encontre de réflexes psychologiques » (Ph. Malinvaud). Il s'agit de situations dans lesquelles, pour le demandeur, il aurait été, à l'égard de l'autre partie, offensant, déplacé, malséant de se montrer méfiant en exigeant la rédaction d'un écrit. En résumé, il s'agit des occurrences où, comme dit la sagesse populaire, « ça ne se fait pas ».
L'exception de l'impossibilité morale ne pouvant raisonnablement être érigée en système, elle relève de l’appréciation souveraine des juges du fond, lesquels jugent au cas par cas, en tenant compte des circonstances propres à chaque affaire pour caractériser ou non l’existence d’éléments ayant rendu impossible l'établissement préalable d'une preuve écrite.
Or, comme en atteste la décision rapportée, l’impossibilité morale peut résulter tant d’un lien personnel entre les parties que d’un usage. En l’espèce, ce fut d’abord la convivialité et la confiance de ses relations avec la partie adverse que la demanderesse invoquait pour être autorisée à prouver librement le contrat qu’elles avaient conclu.
Cet élément, même caractérisé, n’est pas toutefois jugé suffisant par la Cour pour déroger valablement à l’article 1341. De façon générale, quoique non systématique, les juges considèrent que la cordialité des relations professionnelles ne suffit pas à rendre celles-ci invocables au titre de l’article 1348 (par ex. entre un maître de l'ouvrage et un entrepreneur), sauf circonstances particulières (relations entre un bailleur et un preneur, le propriétaire étant hébergé par son locataire et de bons rapports ayant existé entre les parties au début de leur relation : Civ. 1re, 29 mai 1961 ; Civ. 1re, 11 févr. 2010 : un garagiste se trouve dans l'impossibilité morale de se procurer un écrit pour prouver une commande de travaux de restauration, dès lors que ses rapports avec son client se situent dans le « contexte » d'un lien de voisinage et d'entente cordiale née d'une passion commune pour les véhicules automobiles anciens).
Et même lorsqu’un véritable lien d’amitié existe entre les parties, les juges peinent souvent à constater une véritable impossibilité morale dès lors, qu’en principe, des professionnels ne peuvent s'offusquer d'une demande d'écrit et s’opposer, partant, à leur préconstitution (Toulouse, 24 juill. 2003). Cela étant, l’usage commande parfois de tempérer cette affirmation. Mais à défaut de pouvoir, comme en l’espèce, constater un usage véritable, la preuve littérale redevient exigée.
B. L’insuffisance de l’usage
En l’espèce, le motif, tiré de l’usage existant dans la communauté portugaise, de travailler « sur la parole donnée » est écarté par la Cour. Il est pourtant vrai que l’usage, même si l'article 1348 n’y fait pas allusion, est depuis longtemps reconnu, en jurisprudence comme en doctrine, comme possiblement constitutif d’une impossibilité morale, voire matérielle, de se préconstituer un écrit (v. Ph. Malinvaud, préc., parle d'un « abus de langage », mais évoque les usages à propos de l'impossibilité matérielle). Le caractère supplétif du texte de l’article 1341 permet cette inclusion (Cass. req., 5 mai 1941).
La Cour de cassation ne contrôlant pas la bonne interprétation des usages (à l'inverse des coutumes, en raison de leur généralité d’application), le constat de l'usage relève également de la souveraineté des juges du fond (Civ. 1re, 15 avr. 1980).
Toutefois, la Haute cour vérifie que les juges du fait ont suffisamment motivé leur décision dans la constatation de l'existence de l'usage (Soc. 8 janv. 1964). Cette exception apportée au régime de la preuve littérale est le plus fréquemment reconnue en matière commerciale, dans certains secteurs d'activité particuliers (Crim. 7 août 1924 : commerce de fourrures : « la Cour ne conteste pas qu'il ne soit pas généralement dans l'usage d'exiger d'un fourreur à qui on remet des peaux à travailler un écrit établissant cette remise » ; Civ. 1re, 28 févr. 1995 : vente de produits agricoles, vente de fumier.) Les décisions jurisprudentielles vont même parfois au-delà de l'usage stricto sensu, au sens traditionnel d’une pratique contractuelle d'une place ou d'un secteur, pour admettre un usage d'application restreinte, un usage d'entreprise, voire une simple habitude entre les deux parties en cause.
La décision commentée montre cependant que l’usage ne peut pas toujours aller dans le sens de la liberté probatoire, notamment lorsque l’usage n'empêchait pas la préconstitution d'une preuve écrite compte tenu de la qualité professionnelle et juridique des parties (V. aussi en ce sens, Besançon, 15 déc. 1999 : usage du « top là » dans la vente d'animaux).
Or en l’espèce, toutes les parties au contrat avaient la qualité de commerçants, ce qui explique sans doute, quoique l’usage existant au sein de la communauté portugaise de travailler verbalement soit reconnu, que celui-ci ne fut pas jugé suffisant pour équivaloir à une véritable impossibilité morale de produire un écrit.
Références
■ Code civil
« Il doit être passé acte devant notaires ou sous signatures privées de toutes choses excédant une somme ou une valeur fixée par décret, même pour dépôts volontaires, et il n'est reçu aucune preuve par témoins contre et outre le contenu aux actes, ni sur ce qui serait allégué avoir été dit avant, lors ou depuis les actes, encore qu'il s'agisse d'une somme ou valeur moindre.
Le tout sans préjudice de ce qui est prescrit dans les lois relatives au commerce. »
« Les règles ci-dessus reçoivent encore exception lorsque l'obligation est née d'un quasi-contrat, d'un délit ou d'un quasi-délit, ou lorsque l'une des parties, soit n'a pas eu la possibilité matérielle ou morale de se procurer une preuve littérale de l'acte juridique, soit a perdu le titre qui lui servait de preuve littérale, par suite d'un cas fortuit ou d'une force majeure.
Elles reçoivent aussi exception lorsqu'une partie ou le dépositaire n'a pas conservé le titre original et présente une copie qui en est la reproduction non seulement fidèle mais aussi durable. Est réputée durable toute reproduction indélébile de l'original qui entraîne une modification irréversible du support. »
■ Ph. Malinvaud, « L'impossibilité de la preuve écrite », JCP 1972. I. 2468, n° 17.
■ Civ. 1re, 29 mai 1961, Bull. civ. I, n° 276.
■ Civ. 1re, 11 févr. 2010, n° 09-11.527.
■ Cass. req., 5 mai 1941, S. 1941. I. 174.
■ Civ. 1re, 15 avr. 1980, Bull. civ. I, n° 113.
■ Soc. 8 janv. 1964, D. 1964. 263.
■ Crim. 7 août 1924, DH 1924. 557.
■ Civ. 1re, 28 févr. 1995, n°93-15.448, RTD civ. 1996. 174, obs. J. Mestre.
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