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Libertés fondamentales - droits de l'homme
Protection des victimes mineures de violences sexuelles : condamnation de la France
Chaque mois, retrouvez le commentaire d’une décision de justice issue de l’actualité jurisprudentielle.
Ce mois-ci, Dalloz Actu Étudiant vous propose de commenter l’arrêt CEDH 24 avr. 2025, L. et autres c/ France, n° 46949/21.
Travail préparatoire
Rappel de méthodologie
Un commentaire d’arrêt est un exercice qui comprend deux temps : l’explication de l’arrêt et son appréciation.
En d’autres termes, il faut, en premier lieu, expliquer le sens de l’arrêt. Ce qui suppose d’abord de le lire très attentivement, pour bien le comprendre. Ensuite, et c’est un temps essentiel de votre commentaire, il vous faut identifier la question que l’arrêt à commenter a résolue. En outre, il vous faut détecter la ou les règles de droit qui fondent la décision qui vous est soumise. Enfin, il vous faut faire un exercice de mémoire (si vous composez votre commentaire dans le cadre d’un examen) ou de recherche (si vous composez librement votre commentaire), non seulement pour découvrir le thème général dans lequel s’inscrit l’arrêt à commenter, mais encore pour trouver des éléments bibliographiques qui vous permettront de mieux comprendre l’arrêt que vous devez commentez et donc de mieux l’expliquer.
En second lieu, après avoir expliqué le sens de l’arrêt et démontrer que vous l’avez compris, vous devez apprécier l’arrêt à commenter, donner une opinion sur la façon dont la Cour de cassation/Cour européenne des droits de l’homme a tranché le litige et répondu à la question de droit, au fond, il vous faut juger les juges, vous prononcer sur la valeur de la décision, ce qui sera d’autant plus simple que vous pourrez la situer dans le temps, c’est-à-dire en déterminer la portée. Dans cette perspective d’appréciation de la valeur de l’arrêt, il vous faut exploiter des éléments bibliographiques qui vous permettront de recueillir les diverses opinions doctrinales qui se sont prononcées sur la question de droit réglée par la Cour de cassation/CEDH, et de vous prononcer sur la pertinence des diverses thèses en présence à propos de la question de droit, celle que soutenaient les juges du fond, celle du demandeur au pourvoi et puis celle retenue par la Cour de cassation/Cour européenne des droits de l’homme qui sera fatalement peu ou prou une des deux précédentes.
Analyse de l’arrêt
Analyser l’arrêt conduit à s’en tenir à le présenter en vue d’introduire votre commentaire. Voici la démarche à suivre :
– d’abord, il vous faut sélectionner les faits qui seront utiles dans la perspective de votre commentaire ;
– en outre, il convient de qualifier les faits, ce qui revient à les faire entrer dans une catégorie juridique donnée ;
– ensuite, il faut exposer les différentes étapes de la procédure, à savoir la décision des juges du fond, puis le moyen du pourvoi ;
– de plus, il vous faut énoncer la question de droit que l’arrêt a tranchée ;
– enfin, il convient d’exposer la solution que la Cour de cassation/CEDH a finalement retenue.
Dans l’arrêt qu’il vous faut ici commenter, reprenons cette démarche :
■ Sélection des faits : Il s’agit de trois affaires examinées conjointement par la CEDH présentant des faits similaires. Trois mineures portent plainte pour relations sexuelles non consenties avec des majeurs, survenues dans des contextes de troubles médicaux, d’usage d’alcool et de stupéfiants.
La première affaire résulte de condamnations pour atteinte sexuelle sur mineur de moins de quinze ans, cependant, le comportement de la victime est qualifié de « débridé ». Aucune condamnation ne résulte des autres affaires.
■ Qualification des faits : Trois mineures ont fait l’objet d’actes de pénétration sexuelle commis par des majeurs, dans des contextes de vulnérabilité. Elles déposent des plaintes pour viol. Deux prévenus sont condamnés pour atteinte sexuelle sur un mineur de moins de quinze ans (art. 227-25 C. pén.) dans la première affaire. Dans la seconde affaire les prévenus sont relaxés, et dans la troisième un non-lieu a été prononcé. Est en cause la protection des mineurs contre le viol et les atteintes sexuelles.
■ Procédure : Les plaintes déposées par les requérantes conduisent à l’ouverture d’informations judiciaires dans le cas des première et troisième requérantes, et d’une enquête dans le cas de la seconde.
Dans la première affaire, les faits n’ont pas été qualifiés de viol mais en d’atteintes sexuelles sur mineure de moins de quinze ans par la chambre de l’instruction (C. pén., art. 227-25), la requérante étant âgée de moins de quinze ans au jour des faits. Deux prévenus sont condamnés de ce chef par le tribunal correctionnel.
S’agissant de la seconde affaire, où la requérante était une mineure âgée de plus de 15 ans, les prévenus sont relaxés par la cour d’appel, l’élément moral du viol faisant défaut. La juridiction estime que les prévenus auraient pu croire au consentement de la victime. Le pourvoi en cassation est non admis.
Dans la troisième affaire, où la requérante était aussi une mineure âgée de plus de 15 ans, une ordonnance de non-lieu a été rendue par le juge d’instruction, considérant que les éléments constitutifs du viol (C. pén., art. 222-23) n’étaient pas réunis. La chambre de l’instruction a confirmé le non-lieu. Le pourvoi en cassation n’a pas été admis.
Les requérantes ont saisi la Cour européenne des droits de l’homme.
■ Griefs : Les requérantes soutiennent que les autorités françaises ont manqué à leurs obligations positives de protéger l’intégrité physique des personnes et de mener une enquête effective en cas de griefs dénonçant de telles atteintes. Elles avaient invoqué les articles 3 (interdiction des traitements inhumains ou dégradants) et 8 (protection de la vie privée) de la Convention.
En outre, la première requérante faisait valoir que la réponse des juridictions françaises aurait constitué une discrimination fondée sur le sexe, du fait de la qualification de son comportement, par les termes véhiculant des stéréotypes sexistes. Ainsi, elle dénonce une violation de l’article 14 combiné avec les articles 3 et 8.
■ Problème de droit : L’appréciation par les juridictions internes du consentement de mineures alléguant des viols, indépendamment de leur situation de vulnérabilité, est-elle conforme aux obligations positives de protection et de non-discrimination découlant des articles 3, 8 et 14 de la Conv. EDH ?
■ Solution : La CEDH donne raison aux requérantes, et constate que les autorités françaises n’ont pas suffisamment tenu compte de la situation de vulnérabilité dans la qualification des infractions pénales. Ainsi, les autorités internes n’ont-elles pas fourni la protection requise au regard des articles 3 et 8 de la Convention (interdiction des traitements inhumains, droit à la protection de la vie privée). La CEDH critique notamment le raisonnement des juges internes déduisant le consentement d’un comportement passif, en contradiction avec la jurisprudence ultérieure de la Cour de cassation.
La Cour conclut également à une violation procédurale des articles 3 et 8 dans la mesure où la célérité requise par ces dispositions n’a pas été respectée, l’instruction n’ayant été déclenchée que huit mois après le dépôt de la plainte dans la troisième requête, la procédure ayant duré plus de 11 ans dans la première.
Enfin, s’agissant de la première requérante, la Cour considère que la qualification de ses agissements en « comportement débridé » par les autorités nationales a constitué une victimisation secondaire, à caractère discriminatoire au sens de l’article 14 combiné avec les articles 3 et 8.
I. Protection effective des mineures contre les violences sexuelles : insuffisances substantielles et procédurales
A. Inadéquation de la réponse pénale face à la vulnérabilité des mineures
- La Cour rappelle que le viol constitue une atteinte aux droits garantis par les articles 3 (interdiction des traitements inhumains ou dégradants) et 8 (droit au respect de la vie privée) de la Convention. Ces dispositions imposent aux États des obligations positives, consistant à protéger les individus des violences sexuelles par un cadre normatif effectif et à mener, en cas d’allégations d’atteintes sexuelles, une enquête effective.
- Dans les trois affaires, les juridictions internes n’ont pas qualifié les atteintes sexuelles subies en viols, en raison du consentement des prétendues victimes. La constatation du consentement doit tenir compte des circonstances factuelles (CEDH 23 janv. 2025, H. W. c/ France, n° 13805/21, §91). Or, dans leur appréciation, les juridictions nationales n’ont tenu compte ni de la vulnérabilité des requérantes liée à leur minorité, ni de l’état de santé de la première requérante, ni de la consommation d’alcool ou de stupéfiants par les deux autres, ni de l’importance du droit en question, à savoir de la protection des mineurs contre les atteintes sexuelles.
B. Défaillances procédurales dans la conduite des enquêtes
- Les articles 3 et 8 imposent aux États une obligation procédurale de mener une enquête effective, avec diligence et célérité, lorsqu’une personne allègue avoir été victime d’atteintes sexuelles.
- En l’espèce, la Cour constate plusieurs manquements à cette exigence. La longueur excessive de la procédure pénale dans la première affaire, ayant duré plus de onze ans, n’était pas diligente. De même, s’agissant de la troisième affaire, l’ouverture d’une instruction huit mois après une plainte pour viol ne répond pas aux exigences de célérité. Ces insuffisances constituent un manquement des autorités françaises aux obligations positives procédurales découlant des articles 3 et 8 de la Convention.
II. Appréciation stéréotypée du comportement des mineures
A. L’assimilation stéréotypée de la passivité à un consentement
- Dans la troisième affaire, les juridictions internes ont déduit le consentement de l’absence d’opposition physique de la part de la requérante, sans prendre dûment en compte sa vulnérabilité et ses refus verbaux (pts. 241 et 243).
- Cette interprétation est critiquée par la CEDH, car inadaptée aux connaissances actuelles quant à la psychologie des victimes et marquée de stéréotypes de genre. Ce raisonnement est également en contradiction avec la jurisprudence de la Cour de cassation, qui admet que la simple absence de résistance ne peut être assimilée au consentement : l’état de sidération peut faire obstacle à toute manifestation de refus ou de résistance (Crim. 11 sept. 2024, n° 23-86.657).
- De ce fait, les juridictions françaises n’ont pas été en mesure de fournir une protection appropriée à la requérante, telle qu’exigée par les articles 3 et 8.
B. Appréciation stéréotypée du comportement donnant lieu à un traitement discriminatoire
- S’agissant de la première affaire, la Cour observe que les juridictions internes ont apprécié les faits à travers des stéréotypes sexistes, en qualifiant le comportement de la requérante par des propos inappropriés (« comportement débridé », « n’incitant pas » les prévenus « à la réflexion »). Les juges internes, tout en omettant d’évaluer les circonstances environnantes de l’espèce, notamment son très jeune âge et sa fragilité psychologique, ont eu recours à des propos « moralisateurs véhiculant des stéréotypes sexistes » (pt. 226), attentatoires à la dignité de la requérante. Cela a conduit à une victimisation secondaire, et à une discrimination fondée sur le sexe dans la jouissance de ses droits découlant de la Convention, au titre de l’article 14 combiné aux articles 3 et 8.
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