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À vos copies !
Droit des obligations
Qualification de la clause de non-concurrence en clause pénale
Chaque mois, retrouvez le commentaire d’une décision de justice issue de l’actualité jurisprudentielle.
Ce mois-ci, Dalloz Actu Étudiant vous propose de commenter l’arrêt Soc. 14 févr. 2024, n° 22-17.332.
Travail préparatoire
Rappel de méthodologie
Un commentaire d’arrêt est un exercice qui comprend deux temps : l’explication de l’arrêt et son appréciation.
En d’autres termes, il faut, en premier lieu, expliquer le sens de l’arrêt. Ce qui suppose d’abord de le lire très attentivement, pour bien le comprendre. Ensuite, et c’est un temps essentiel de votre commentaire, il vous faut identifier la question que l’arrêt à commenter a résolue. En outre, il vous faut détecter la ou les règles de droit qui fondent la décision qui vous est soumise. Enfin, il vous faut faire un exercice de mémoire (si vous composez votre commentaire dans le cadre d’un examen) ou de recherche (si vous composez librement votre commentaire), non seulement pour découvrir le thème général dans lequel s’inscrit l’arrêt à commenter, mais encore pour trouver des éléments bibliographiques qui vous permettront de mieux comprendre l’arrêt que vous devez commentez et donc de mieux l’expliquer.
En second lieu, après avoir expliqué le sens de l’arrêt et démontrer que vous l’avez compris, vous devez apprécier l’arrêt à commenter, donner une opinion sur la façon dont la Cour de cassation a tranché le litige et répondu à la question de droit, au fond, il vous faut juger les juges, vous prononcer sur la valeur de la décision, ce qui sera d’autant plus simple que vous pourrez la situer dans le temps, c’est-à-dire en déterminer la portée. Dans cette perspective d’appréciation de la valeur de l’arrêt, il vous faut exploiter des éléments bibliographiques qui vous permettront de recueillir les diverses opinions doctrinales qui se sont prononcées sur la question de droit réglée par la Cour de cassation, et de vous prononcer sur la pertinence des diverses thèses en présence à propos de la question de droit, celle que soutenaient les juges du fond, celle du demandeur au pourvoi et puis celle retenue par la Cour de cassation qui sera fatalement peu ou prou une des deux précédentes.
Analyse de l’arrêt
Analyser l’arrêt conduit à s’en tenir à le présenter en vue d’introduire votre commentaire. Voici la démarche à suivre :
– d’abord, il vous faut sélectionner les faits qui seront utiles dans la perspective de votre commentaire ;
– en outre, il convient de qualifier les faits, ce qui revient à les faire entrer dans une catégorie juridique donnée ;
– ensuite, il faut exposer les différentes étapes de la procédure, à savoir la décision des juges du fond, puis le moyen du pourvoi ;
– de plus, il vous faut énoncer la question de droit que l’arrêt a tranchée ;
– enfin, il convient d’exposer la solution que la Cour de cassation a finalement retenue.
Dans l’arrêt qu’il vous faut ici commenter, reprenons cette démarche :
■ Sélection des faits : : Un salarié engagé par une société en qualité de consultant commercial a été licencié pour faute grave. Son contrat de travail stipulait une clause de non-concurrence lui interdisant d’exercer, après la cessation de son contrat de travail, une activité concurrente à celle de son ancien employeur, sous peine d’avoir à lui verser une indemnité égale à quatre fois le montant de la contrepartie financière que l'employeur aurait eu à payer pendant toute la durée de l'obligation. Le salarié a violé cette clause.
■ Qualification des faits : Après la rupture de son contrat de travail, un salarié n’a pas respecté la clause de non-concurrence qui y était stipulée, prévoyant qu’en cas d'inexécution de son obligation de ne pas exercer d’activité concurrente à celle de son ancien employeur, il s’engagerait à lui verser une indemnité égale à quatre fois le montant de la contrepartie financière que l'employeur aurait dû lui verser durant toute la durée de son obligation.
■ Procédure : L’employeur a saisi la juridiction prud’homale, invoquant la violation par son ancien salarié de la clause de non-concurrence et sollicitant à ce titre sa condamnation à lui payer des dommages-intérêts. Le salarié a quant à lui formé une demande reconventionnelle tendant à ce que son employeur soit condamné à lui payer diverses sommes au titre de la rupture injustifiée de son contrat de travail et d’heures supplémentaires non rémunérées. La cour d’appel a considéré que son licenciement reposait sur une faute grave. L’arrêt est néanmoins cassé sur ce point par la Haute juridiction au visa des articles L. 1121-1 et L. 1235-1 du Code du travail. Mais nous nous intéresserons ici uniquement à la question de la violation de la clause de non-concurrence. Les juges du fond ont condamné le salarié à verser à son ancien employeur la somme de 62 820 euros au titre de cette violation, refusant de modérer cette indemnité, aux motifs que la contrepartie financière de la clause de non-concurrence, qui a la nature d’une indemnité compensatrice de salaire stipulée en conséquence de l’engagement du salarié de ne pas exercer, après la cessation du contrat de travail, d’activité concurrente à celle de son ancien employeur, ne constitue pas une indemnité forfaitaire prévue en cas d’inexécution d’une obligation contractuelle et ne pouvait donc être qualifiée de clause pénale. Selon eux, il n’entrait donc pas dans leur pouvoir d’en modérer les effets.
■ Moyen du pourvoi : Le salarié, dans son pourvoi en cassation, rappelle que la clause pénale est celle par laquelle le débiteur, pour assurer l’exécution d’une convention, s’engage à respecter la sanction contractuellement prévue en cas d’inexécution. Aussi, il reprochait à la cour d’appel d’avoir retenu que la pénalité qu’il s’engageait à verser en cas d’inexécution de son engagement de non-concurrence, égale en l’espèce à quatre fois le montant de la contrepartie financière que l’employeur aurait eu à payer pendant toute la durée de l’obligation, ne constituait pas une clause pénale.
■ Problème de droit : La clause d'un contrat prévoyant une indemnité en cas de non-respect par le salarié de la clause de non-concurrence constitue-t-elle une clause pénale ?
■ Solution : Au visa de l’article 1231-5 du Code civil, la Cour de cassation casse la décision des juges du fond. Aux termes de ce texte, « lorsque le contrat stipule que celui qui manquera de l'exécuter paiera une certaine somme à titre de dommages et intérêts, il ne peut être alloué à l'autre partie une somme plus forte ni moindre. Néanmoins, le juge peut, même d’office, modérer ou augmenter la pénalité ainsi convenue si elle est manifestement excessive ou dérisoire ». Le raisonnement de la cour d’appel, ayant refusé de qualifier la stipulation litigieuse de clause pénale, est alors censuré par la Cour de cassation qui rappelle que « la clause du contrat prévoyant une indemnité en cas de non-respect par le salarié de la clause de non-concurrence est une clause pénale ».
I. Qualification de la clause de non-concurrence en clause pénale
A. Critères de qualification de la clause pénale
● Principes : évaluation forfaitaire et anticipée de l’inexécution d’une obligation contractuelle. Constitue une clause pénale la clause d’un contrat pour laquelle les parties évaluent forfaitairement et par avance l’indemnité à laquelle donnera lieu l’inexécution de l’obligation contractée, v. Civ. 1re, 10 oct. 1995, n° 93-16.869 ; pour le refus de qualifier ainsi les clauses sans évaluation forfaitaire et anticipée, v. Com. 18 déc. 2007, n° 04-16.069, à propos de la clause limitative de responsabilité (distinction entre indemnité forfaitaire et plafond indemnitaire) ; adde, Civ. 3e, 20 juill. 1989, n° 88-13.856, concernant la clause résolutoire ; pour le refus de qualifier ainsi les clauses ne sanctionnant pas l’inexécution d’une obligation mais l’exercice d’une faculté, v. Com. 18 janv. 2011, n° 09-16.863, à propos de la clause de dédit ; adde, Civ. 1re, 6 mars 2001, n° 98-20.431, à propos de la clause de résiliation unilatérale ;
● Caractères contractuel et comminatoire : la clause pénale vise la stipulation d’une pénalité contractuelle issue de la libre volonté des parties et non de la loi (Com. 2 nov. 2011, n° 10-14.677) ; elle se définit aussi comme une stipulation ayant pour objet de faire assurer par l’une des parties l’exécution de son obligation, v. Civ. 1re, 16 janv. 1985, Bull., I, n°24 ; Com. 4 mai 2017, n° 15-19.141.
B. Application des critères à la clause de non-concurrence
● Indemnité due par le salarié en cas de violation de son obligation : pénalité contractuellement convenue par avance par les parties au contrat de travail en cas de violation de l’obligation de non-concurrence ; indemnité forfaitaire et anticipée prévue en cas d’inexécution d’une obligation contractuelle = la clause de non-concurrence constitue une clause pénale (v. déjà, Soc. 3 mai 1989, n° 86-41.634 ; Civ. 1re, 17 déc. 2015, n° 14-18.378) ;
● Contrepartie financière due par l’employeur : indemnité compensatrice de salaire, stipulée en conséquence de l’obligation post contractuelle du salarié de ne pas exercer d’activité concurrente à celle de son ancien employeur ; clause constituant la simple contrepartie de l’exécution d’une obligation = la clause de non-concurrence ne constitue pas une clause pénale (Soc. 13 oct. 2021, n° 20-12.059) ;
● Articulation : la contrepartie financière de la clause de non-concurrence compense l’atteinte à la liberté du travail subie par le salarié, ce qui exclut la qualification de clause pénale (indemnité compensatrice et non indemnitaire) ; la clause pénale vient quant à elle sanctionner l’inexécution de l’engagement de non-concurrence par le débiteur de cet engagement (indemnité forfaitaire), ce qui justifie en l’espèce la qualification retenue par la Cour de cassation.
II. Conséquences de la qualification de la clause de non-concurrence en clause pénale
A. Révision judiciaire de la clause
● Clauses manifestement excessives ou dérisoires : admission du pouvoir du juge de réviser à la baisse ou à la hausse le montant de la pénalité stipulé (C. civ., art. 1231-5, al. 2), dans la limite des engagements partiellement exécutés (C. civ., art. 1231-5, al. 3) ;
● Appréciation objective de la disproportion, par comparaison du montant de la peine conventionnellement fixé avec le préjudice effectivement subi, indépendamment du comportement du débiteur (Com. 11 fév. 1997, n° 95-10.851) ; si la clause était jugée excessive, le préjudice subi par le créancier constitue la limite inférieure de la réduction possible (v. Civ. 1re, 24 juill. 1978, n° 77-11.170 : il appartient aux juges du fond, souverains dans l’appréciation du préjudice subi par le créancier, de fixer librement le montant de l’indemnité résultant de l’application d’une clause pénale des lors qu’ils l’estiment manifestement excessive, sans pouvoir toutefois allouer une somme inférieure au montant du dommage).
B. Portée du pouvoir judiciaire
● Dérogation traditionnelle au pouvoir de non-immixtion judiciaire dans le contrat ; enjeu de la qualification de clause pénale : pouvoir de révision en principe exclu dans la mise en œuvre de clauses voisines de la clause pénale ;
● Pouvoir d’office du juge (C. civ., art. 1231-5, al. 2) ; caractère impératif de son pouvoir de révision : toute clause contraire serait réputée non-écrite (C. civ., art. 1231-5, al. 4, anc. art. 1152) : la liberté contractuelle ne saurait empêcher le juge de modifier le montant d’une indemnité prévue contractuellement si cette dernière s’avère être excessive ou dérisoire.
● En tout état de cause, la révision est une simple faculté pour le juge (Civ. 3e, 26 avr. 1978, n° 76-11.424 ; en l’espèce, le refus de révision reproché aux juges du fond s’explique par leur refus préalable de qualifier la clause litigieuse en clause pénale, ce qui ne remet pas en cause le pouvoir discrétionnaire qu’ils détiennent de modifier ou non, après examen, le montant de la peine forfaitairement prévue (Civ. 1re, 23 févr. 1982, n° 81-10.376).
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