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Question de la conformité du droit de visite et d’hébergement du parent d’intention au droit international et européen des droits de l’homme

[ 14 septembre 2020 ] Imprimer

Libertés fondamentales - droits de l'homme

Question de la conformité du droit de visite et d’hébergement du parent d’intention au droit international et européen des droits de l’homme

Chaque mois, retrouvez le commentaire d’une décision de justice issue de l’actualité jurisprudentielle.

Ce mois-ci, Dalloz Actu Étudiant vous propose de commenter l’arrêt Civ. 1re, 24 juin 2020, n° 19-15.198.

 

Travail préparatoire

Rappel de méthodologie

Un commentaire d’arrêt est un exercice qui comprend deux temps : l’explication de l’arrêt et son appréciation.

En d’autres termes, il faut, en premier lieu, expliquer le sens de l’arrêt. Ce qui suppose d’abord de le lire très attentivement, pour bien le comprendre. Ensuite, et c’est un temps essentiel de votre commentaire, il vous faut identifier la question que l’arrêt à commenter a résolue. En outre, il vous faut détecter la ou les règles de droit qui fondent la décision qui vous est soumise. Enfin, il vous faut faire un exercice de mémoire (si vous composez votre commentaire dans le cadre d’un examen) ou de recherche (si vous composez librement votre commentaire), non seulement pour découvrir le thème général dans lequel s’inscrit l’arrêt à commenter, mais encore pour trouver des éléments bibliographiques qui vous permettront de mieux comprendre l’arrêt que vous devez commentez et donc de mieux l’expliquer.

En second lieu, après avoir expliqué le sens de l’arrêt et démontrer que vous l’avez compris, vous devez apprécier l’arrêt à commenter, donner une opinion sur la façon dont la Cour de cassation a tranché le litige et répondu à la question de droit, au fond, il vous faut juger les juges, vous prononcer sur la valeur de la décision, ce qui sera d’autant plus simple que vous pourrez la situer dans le temps, c’est-à-dire en déterminer la portée. Dans cette perspective d’appréciation de la valeur de l’arrêt, il vous faut exploiter des éléments bibliographiques qui vous permettront de recueillir les diverses opinions doctrinales qui se sont prononcées sur la question de droit réglée par la Cour de cassation, et de vous prononcer sur la pertinence des diverses thèses en présence à propos de la question de droit, celle que soutenaient les juges du fond, celle du demandeur au pourvoi et puis celle retenue par la Cour de cassation qui sera fatalement peu ou prou une des deux précédentes.

Analyse de l’arrêt

Analyser l’arrêt conduit à s’en tenir à le présenter en vue d’introduire votre commentaire. Voici la démarche à suivre :

– d’abord, il vous faut sélectionner les faits qui seront utiles dans la perspective de votre commentaire ;

– en outre, il convient de qualifier les faits, ce qui revient à les faire entrer dans une catégorie juridique donnée ;

– ensuite, il faut exposer les différentes étapes de la procédure, à savoir la décision des juges du fond, puis le moyen du pourvoi ;

– de plus, il vous faut énoncer la question de droit que l’arrêt a tranchée ;

– enfin, il convient d’exposer la solution que la Cour de cassation a finalement retenue.

Dans l’arrêt qu’il vous faut ici commenter, reprenons cette démarche :

Faits et procédure : À la séparation d’un couple homosexuel, une mère d’intention, ayant élevé l’enfant de sa compagne né au cours de leur vie commune, assigne la mère biologique afin que lui soit octroyé un droit de visite et d’hébergement. Sa demande rejetée, elle forme un pourvoi en cassation.

Qualification des faits et procédure : Après plusieurs années de vie commune, un couple homosexuel féminin avait entrepris avec succès un projet parental. A leur séparation, décidée deux ans et demi après la naissance de l’enfant, la mère de ce dernier ne souhaita pas que son ancienne compagne maintînt des liens avec son enfant. Son ex compagne avait alors saisi la justice pour obtenir le maintien de ces liens. La cour d’appel ayant rejeté ses demandes, elle forma un pourvoi en cassation.

Énoncé du moyen: Pour écarter son application au litige, la demanderesse dénonce sur le fondement de diverses dispositions de droit externe l’incompatibilité de l’article L. 371-4, alinéa 2, du Code civil avec le droit supranational, hiérarchiquement supérieur, en cas de contrariété, au droit interne. Elle soutient d’abord que le refus qui lui est opposé sur le fondement de l’article précité méconnait l’intérêt de l’enfant protégé par l’article 3 de la Convention internationale des droits de l’enfant (CIDE) et porte une atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée et familiale du parent d’intention ainsi qu’à celui de l’enfant, garanti par l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme. Ainsi, selon la requérante, le texte contesté, en ce qu’il laisse le juge libre de déterminer les relations entre l’enfant et son parent d’intention, n’exclut donc pas que la rupture irrémédiable de la relation antérieurement nouée entre l’enfant et son parent social puisse être judiciairement décidée, porte ainsi atteinte au droit de l’enfant et de son parent de fait à la vie privée et à celui de mener une vie familiale normale en même temps qu’il méconnaît l’intérêt de l’enfant, protégé par l’article 3-1 de la CIDE, à même de voir ainsi coupés les liens qu’il avait tissés avec celui l’ayant en partie élevé. 

Elle considère également la disposition contestée discriminatoire en ce qu’elle n’oblige pas le juge à conférer un droit de visite et/ou d’hébergement au parent d’intention, contrairement à ce qui est désormais prévu pour l’enfant issu d’un mariage entre deux personnes de même sexe, susceptible d’être adopté par le conjoint du parent biologique, en sorte que ce texte opèrerait ainsi une distinction entre les enfants fondée, en méconnaissance du principe de non-discrimination garanti par l’article 14 de la Convention, sur la nature de l’union contractée par le couple parental.

Question de droit : L’article 371-4 du Code civil, par la liberté qu’il laisse au juge de refuser de conférer un droit de visite et d’hébergement au parent d’intention, est-il conforme au droit supranational, et notamment au droit européen des droits de l’homme garanti par la Convention européenne des droits de l’homme ?  

Solution : Le pourvoi de la demanderesse est rejeté. Après avoir rappelé les termes des différents textes visés, la Cour précise que « [l’article 371-4, al .2, du Code civil] permet le maintien des liens entre l’enfant et l’ancienne compagne ou compagnon de sa mère ou de son père lorsque des liens affectifs durables ont été noués, tout en le conditionnant à l’intérêt de l’enfant » (§ 8). Conciliant le droit au respect de la vie privée et familiale des intéressés et l’intérêt supérieur de l’enfant, il ne saurait, en lui-même, méconnaître les exigences conventionnelles des articles 3, § 1, de la Convention de New-York et 8 de la Convention européenne des droits de l’homme (§ 9), pas plus que les exigences de l’article 14 : le texte n’opère, en lui-même, aucune distinction entre les enfants, fondée sur la nature de l’union contractée par le couple de même sexe, cette distinction résultant d’autres dispositions légales impliquant en l’état du droit positif, pour la création d’un double lien de filiation, l’adoption de l’enfant par le conjoint de son père ou de sa mère (§ 10). Malgré l’implication de la requérante dans le projet parental et son investissement dans le quotidien de l’enfant après sa naissance, la cessation de l’exercice du droit de visite et d’hébergement amiable à l’issue de la séparation du couple, son comportement violent en présence de l’enfant de nature à perturber son équilibre psychique, et l’absence de preuve du développement d’une relation forte et de l’existence d’un lien d’affection durable entre la requérante et l’enfant ont permis à la cour d’appel d’en déduire souverainement qu’il n’était pas dans l’intérêt de l’enfant d’accueillir la demande de la requérante. Elle a ainsi, statuant en considération de l’intérêt supérieur de l’enfant, légalement justifié sa décision, sans porter atteinte de façon disproportionnée au droit au respect de la vie privée et familiale de la requérante.

L’élaboration du commentaire 

L’analyse de l’arrêt est désormais effectuée. Reste à bâtir et nourrir le commentaire.

Il est de bonne méthode de rechercher alors dans quelle thématique générale s’inscrit l’arrêt à commenter, ce qu’une parfaite identification des questions de droit tranchée par l’arrêt vous permet aisément de découvrir. En l’occurrence, l’arrêt porte sur le droit de visite et d’hébergement du parent d’intention.

La structure du commentaire

Pour construire votre commentaire, en clair pour élaborer son plan, il convient d’expliquer l’arrêt et d’apprécier sa solution. Ce qui consiste :

– à en restituer clairement le sens ;

– à en déterminer la portée ;

– et à en discuter la valeur,

étant entendu que ces trois éléments sont ici d’égale importance.

Proposition de plan détaillé

Avant l’analyse de l’arrêt proprement dite qui compose le cœur de l’introduction, il faut insister sur son contexte. Après quoi, vous pouvez intégrer l’analyse de l’arrêt proprement dite.

Enfin, après avoir exposé la décision retenue par la Cour de cassation, vous devez annoncer le plan de votre commentaire.

I.               La liberté du juge de refuser un droit de visite et d’hébergement réaffirmée

A.     Une liberté justifiée par l’intérêt de l’enfant

■ Le « tiers » ayant vécu en couple avec le parent de l’enfant joue souvent un rôle considérable dans la vie voire dans l’éducation de ce dernier. Parfois sereines, les relations entretenues avec lui peuvent également, avant comme après la séparation, se révéler délétères et donc contraires à l’intérêt de l’enfant : c’est la raison pour laquelle la loi fait dépendre le maintien des relations entre l’enfant et le tiers ayant vécu en couple avec son père ou sa mère du seul intérêt de l’enfant, à l’exclusion de tout autre, notamment de celui du parent d’intention : « si tel est l’intérêt de l’enfant, le juge aux affaires familiales fixe les modalités des relations entre l’enfant et un tiers, parent ou non, en particulier lorsque ce tiers a résidé de manière stable avec lui et l’un de ses parents, a pourvu à son éducation, à son entretien ou à son installation, et a noué avec lui des liens affectifs durables » (C. civ., art. 374, al. 2).

■ Indépendamment d’un lien de filiation légalement établi avec l’enfant, le tiers ayant un temps partagé sa vie peut donc être autorisé à lui rendre visite et à l’héberger, a fortiori lorsque tel qu’en l’espèce, un lien de parenté, même d’intention, est établi. Mais comme en témoigne cette décision, ce droit n’est pas acquis. Son obtention dépend de l’intérêt de l’enfant à la poursuite de cette relation.

B.     Une liberté exercée au nom de l’intérêt de l’enfant

■ Pour être poursuivie, la relation entre le tiers et l’enfant doit être suffisamment harmonieuse pour être jugée nécessaire à l’épanouissement de l’enfant. Les juges n’exigent cependant pas une perfection relationnelle, de fait impossible. V. JP antérieure : l’existence de relations conflictuelles entre les parties n’est pas un obstacle suffisant pour justifier le rejet d’une telle demande (Civ. 1re, 13 juill. 2017, n° 16-24.084) ; comp. Civ. 1re, 4 juill. 2018, n° 17-14.955 : les difficultés relationnelles persistantes entre l’enfant et l’ancien conjoint de sa mère, révélées par le refus de l'enfant de s’adresser à lui et par l'attitude déplacée du père, qui tenait des propos dénigrants à l'égard de la mère, constituent des motifs graves justifiant la suppression du droit de visite et d'hébergement.

■ En l’espèce, en l’absence de preuve de liens affectifs réels entre les intéressés et compte tenu des violences avérées exercées par la requérante sur l’enfant, sa demande devait sans nul doute, dans l’intérêt de ce dernier, être rejetée. Or lorsqu’il se voit ainsi débouté de sa demande, l’ancien conjoint ou concubin du parent de l’enfant peut être tenté de contester ce refus sur le terrain des libertés fondamentales en appelant à l’exercice d’un contrôle de constitutionnalité de l’article 371-4 du Code civil, cette première tentative avait échoué concernant cette affaire puisque la Cour de cassation n’avait pas été renvoyée au Conseil constitutionnel la QPC (v. Civ. 1re, QPC, 6 nov. 2019, n° 19-15.198). La contestation du refus avait en l’espèce été alors fondée sur le droit supranational, notamment européen, sous l’angle des droits et libertés fondamentales.

Transition : Après avoir rejeté l’inconstitutionnalité de cet article, le contrôle de conventionnalité en l’espèce exercé par la Haute cour la conduit cette fois à affirmer sa conformité au droit supranational des droits de l’homme et de l’enfant.

II.             La conformité de cette liberté au droit supranational consacrée

A.     Une liberté conforma à l’équilibre des droits de l’enfant et du tiers

■ Principe et exercice d’un contrôle de proportionnalité : l'article 371-4 du Code civil, qui tend à concilier l'intérêt supérieur de l'enfant et le maintien des liens de celui-ci avec l'ancienne compagne ou l'ancien compagnon de sa mère ou de son père, lorsque des liens affectifs durables ont été noués, ne saurait méconnaître le droit de mener une vie familiale normale ni contrevenir à l’intérêt supérieur de l’enfant. 

■ Absence d’atteinte à l'intérêt supérieur de l'enfant dès lors que la disposition contestée fonde les décisions relatives aux relations personnelles que l'enfant entretient avec un tiers, parent ou non, sur l’unique critère de son intérêt supérieur, ici qualifié de « primordial » au point même de rendre indifférent celui de ses parents comme de leurs anciens conjoints ou compagnons. C’est précisément parce que l’intérêt de l’enfant constitue la seule boussole servant au juge de guide dans sa décision de conférer ou de refuser à un tiers un droit de visite et d’hébergement que le grief tiré de sa méconnaissance ne peut être retenu. 

■ Aussi bien, le droit de mener une vie familiale normale, s’il implique d’admettre l’octroi d’un droit de visite à l’ancien parent de fait, justifie-t-il également la possibilité de l’exclure dans le cas où la mésentente entre les différents protagonistes atteint un degré anormal précisément contraire au droit à une vie familiale « normale ». 

■ En l’espèce, le refus opposé à la demanderesse, une fois mis en balance ces différents intérêts, apparaissait légitime.

B.     Une liberté conforme à l’égalité des couples parentaux

■ La Cour ajoute enfin que ce texte n'opère en lui-même aucune discrimination fondée sur la nature de l'union contractée par un couple de même sexe, « cette distinction résultant d'autres dispositions légales selon lesquelles la création d'un double lien de filiation au sein d'un couple homosexuel implique, en l'état du droit positif, l'adoption de l'enfant par le conjoint de son père ou de sa mère » ; distinction fondée sur la différence objective du lien de parenté, selon qu’il est juridique ou factuel  : alors qu’en cas de séparation, le droit de visite et d’hébergement est de droit pour celui ou pour celle dont la filiation à l’égard de l’enfant est légalement établie (Civ. 1re, 14 mars 2006, n° 04-19.527), il est facultatif pour le parent de fait, (beau-parent ou parent d’intention), étant précisé que dans un couple homosexuel, le législateur a fait un pas important envers ces tiers « particuliers » en permettant aux couples homosexuels de se marier et donc de se voir reconnaître comme parent légal via l’adoption.. 

■ L’atteinte au principe de non-discrimination est d’autant plus irrecevable qu’il est acquis que l’octroi d’un droit de visite au parent d’intention est indifférent à son identité de sexe avec le parent biologique de l’enfant comme à la nature de leur relation (maritale ou libre) préalablement entretenue (Civ. 1re, 13 juill. 2017, n° 16-24.084).

 


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