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À vos copies !
Droit administratif général
Responsabilité extra-contractuelle
Chaque mois, retrouvez le commentaire d’une décision de justice issue de l’actualité jurisprudentielle.
Ce mois-ci, Dalloz Actu Étudiant vous propose de commenter l’arrêt CE 11 février 2011, Mlle Susilawati., sur le thème de la responsabilité sans faute du fait des conventions internationales.
Arrêt
« Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que par un arrêt du 3 mai 2001, la cour d'appel de Paris, confirmant le jugement du conseil des prud'hommes de Paris du 1er février 1999, a condamné M. Kamal Hassan Macki, ancien employeur de Mlle SUSILAWATI, alors délégué permanent adjoint du sultanat d'Oman auprès de l'organisation des Nations Unies pour l'éducation, la science et la culture (UNESCO), à lui verser des sommes s'élevant à 33 380,50 € à titre de rappels de salaires et de diverses indemnités ; que Mlle SUSILAWATI n'a pu obtenir l'exécution de ces décisions, tant ses demandes amiables que les commandements adressés par des huissiers de justice s'étant vu opposer le fait que M. Macki bénéficiait du statut de diplomate et était à ce titre couvert par l'immunité d'exécution prévue par la convention de Vienne du 18 avril 1961 à laquelle renvoie l'accord relatif au siège, aux privilèges et aux immunités de l'UNESCO ; que Mlle SUSILAWATI a alors saisi le ministre des affaires étrangères d'une demande tendant à la réparation, sur le terrain de la responsabilité sans faute de l'État, du préjudice subi par elle du fait de l'impossibilité où elle s'est trouvée d'obtenir l'exécution de ces décisions de justice du fait de l'immunité d'exécution dont bénéficiait son ancien employeur en sa qualité de diplomate accrédité auprès de l'UNESCO ; que sa demande a fait l'objet d'une décision de rejet en date du 27 février 2006 ; que par un arrêt en date du 8 décembre 2008, la cour administrative d'appel de Paris a confirmé le rejet, prononcé par un jugement du 27 avril 2007 du tribunal administratif de Paris, de sa demande tendant à ce que l'État soit condamné à lui verser une somme de 73 562,12 € en réparation des préjudices qu'elle estime avoir subis de ce fait ; que Mlle SUSILAWATI se pourvoit en cassation contre cet arrêt ;
Sur la responsabilité sans faute de l'État :
Sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens du pourvoi ;
Considérant que la responsabilité de l'État est susceptible d'être engagée, sur le fondement de l'égalité des citoyens devant les charges publiques, pour assurer la réparation de préjudices nés de conventions conclues par la France avec d'autres États et incorporées régulièrement dans l'ordre juridique interne, à la condition, d'une part, que ni la convention elle-même ni la loi qui en a éventuellement autorisé la ratification ne puissent être interprétées comme ayant entendu exclure toute indemnisation et, d'autre part, que le préjudice dont il est demandé réparation, revêtant un caractère grave et spécial, ne puisse, dès lors, être regardé comme une charge incombant normalement aux intéressés ;
Considérant, en premier lieu, que pour juger que Mlle SUSILAWATI ne pouvait se prévaloir d'un préjudice spécial de nature à engager la responsabilité de l'État envers elle sur le fondement de la responsabilité sans faute du fait de l'application de conventions internationales, la cour administrative d'appel de Paris a relevé que la requérante ne pouvait ignorer, lors de la conclusion de son contrat de travail, la qualité de diplomate de son employeur, et par suite, les immunités de juridiction et d'exécution dont il pouvait le cas échéant bénéficier en vertu des conventions internationales ci-dessus mentionnées ; que si le contrat de travail de Mlle SUSILAWATI ne précise pas la loi applicable, la loi française doit être appliquée à ce contrat exécuté sur le territoire français ; qu'un salarié ne peut être réputé avoir par avance accepté le risque résultant de la méconnaissance par son employeur des dispositions d'ordre public applicables à la conclusion et à l'exécution de son contrat de travail ; que parmi ces dispositions, figurent celles permettant le recouvrement, même contraint, des créances salariales du salarié sur son employeur en contrepartie du travail effectué ; que, par suite, en opposant à Mlle SUSILAWATI l'exception du risque accepté au motif qu'elle ne pouvait ignorer la qualité de diplomate de son employeur et les immunités de juridiction et d'exécution dont ce dernier pouvait le cas échéant bénéficier en vertu des conventions internationales susvisées, la cour administrative d'appel a entaché sa décision d'une erreur de droit ;
Considérant, en second lieu, que pour écarter l'existence d'un préjudice spécial de nature à engager la responsabilité de l'État envers elle, la cour a également relevé que la généralité des conventions internationales invoquées et le nombre de personnes auxquelles elles peuvent s'appliquer faisaient obstacle à ce que le préjudice allégué puisse être regardé comme revêtant un caractère spécial, nonobstant la circonstance que les diplomates étrangers qui sont susceptibles de s'en prévaloir sont en nombre restreint ; que, toutefois, il appartenait aux juges du fond de retenir, pour apprécier le caractère spécial du préjudice, outre la portée des stipulations internationales en cause, le nombre connu ou estimé de victimes de dommages analogues à celui subi par la personne qui en demandait réparation ; que par suite, la cour a commis une erreur de droit en jugeant que le préjudice invoqué par Mlle SUSILAWATI ne pouvait, compte tenu du nombre de diplomates étrangers auxquelles ces conventions internationales peuvent s'appliquer, être regardé comme revêtant un caractère spécial ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède que la requérante est fondée à demander l'annulation de l'arrêt attaqué ;
Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de régler l'affaire au fond en application des dispositions de l'article L. 821-2 du code de justice administrative ;
Considérant que pour les motifs indiqués ci-dessus, c'est à tort que le tribunal administratif de Paris s'est fondé, pour écarter l'action en responsabilité engagée par Mlle SUSILAWATI, sur ce que la requérante ne pouvait ignorer la qualité de diplomate de son employeur et sur ce que la généralité desdites conventions internationales et le nombre de personnes auxquelles elles peuvent s'appliquer faisaient obstacle à ce que le préjudice invoqué puisse être regardé comme revêtant un caractère spécial de nature à engager la responsabilité de l'État envers la requérante sur le fondement de la responsabilité sans faute du fait de l'application des conventions internationales ;
Considérant qu'il appartient au Conseil d'État, saisi du litige par l'effet dévolutif de l'appel, de statuer sur les demandes indemnitaires présentées par Mlle SUSILAWATI sur le terrain de la responsabilité sans faute devant le tribunal administratif ;
Considérant, d'une part, qu'il ne ressort pas des termes de l'accord relatif au siège, aux privilèges et aux immunités de l'UNESCO et de la convention de Vienne auquel cet accord renvoie que les parties ont exclu toute indemnisation par l'État des préjudices nés de leur application ; que ni la loi du 6 août 1955 ni celle du 20 novembre 1969 qui ont autorisé la ratification respectivement de cet accord et de cette convention n'ont, elles non plus, exclu cette indemnisation ;
Considérant, d'autre part, qu'il résulte de l'instruction qu'eu égard au montant des sommes en cause et à la situation de la requérante, le préjudice invoqué par Mlle SUSILAWATI revêt un caractère de gravité de nature à ouvrir droit à indemnisation ; que compte tenu de la rédaction des stipulations de conventions internationales en cause et du faible nombre des victimes d'agissements analogues imputables à des diplomates présents sur le territoire français, le préjudice dont elle se prévaut peut être regardé comme présentant un caractère spécial et, dès lors, comme ne constituant pas une charge incombant normalement à l'intéressée ; qu'il résulte également de l'instruction que si Mlle SUSILAWATI, qui n'a pu obtenir de son ancien employeur l'exécution des décisions de justice le condamnant au versement des sommes dont il est redevable au titre des salaires et diverses indemnités dues à la requérante, n'a pas saisi le juge de l'exécution, cette circonstance ne saurait être regardée, dans les circonstances de l'espèce, eu égard aux termes de l'article 31 de la convention de Vienne du 18 avril 1961 relative aux relations diplomatiques, comme l'ayant privée d'une chance raisonnable de recouvrer sa créance alors même que son ancien employeur avait cessé ses fonctions en France le 31 octobre 2005 et ne pouvait plus se prévaloir des immunités attachées à sa qualité de diplomate ; que par suite, le préjudice dont se prévaut Mlle SUSILAWATI doit également être regardé comme présentant un caractère certain ; qu'ainsi, la responsabilité de l'État se trouve engagée, à son égard, sur le fondement du principe de l'égalité devant les charges publiques ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède que Mlle SUSILAWATI est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à la condamnation de l'État à la réparation du préjudice que lui a causé l'impossibilité d'obtenir l'exécution de l'arrêt de la cour d'appel de Paris du 3 mai 2001, du fait de l'immunité d'exécution dont jouissait son employeur en application de l'accord relatif au siège, aux privilèges et aux immunités de l'organisation des Nations Unies pour l'éducation, la science et la culture (UNESCO) et de la convention de Vienne auquel cet accord renvoie ;
(…)
Décide :
Article 1er : L'arrêt de la cour administrative d'appel de Paris du 8 décembre 2008 et le jugement du tribunal administratif de Paris du 27 avril 2007 sont annulés.
Article 2 : L'État est condamné à verser à Mlle SUSILAWATI la somme de 33 380,50 €, avec les intérêts au taux légal à compter de la date du jugement du conseil des prud'hommes de Paris en date du 1er février 1999 jusqu'au 16 décembre 2005. À compter de cette date, la somme correspondante portera elle-même intérêt au taux légal. Les intérêts échus à la date du 16 décembre 2006, puis à chaque échéance annuelle à compter de cette date, seront capitalisés à chacune de ces dates pour produire eux-mêmes intérêts.
(…) »
Travail préparatoire
Rappel de méthodologie
Cette phase comporte une étape de compréhension de l’arrêt, préalable nécessaire à l’établissement de la problématique.
La compréhension de l’arrêt constitue la phase la plus critique, puisque d’elle découleront les autres éléments du devoir (problématique et plan). Il faut donc bien le lire pour en comprendre tous les aspects. En outre, il faut repérer la ou les règles de droit qui fondent la décision juridictionnelle soumise, et de là faire ressortir le thème central dans lequel s’inscrit l’arrêt à commenter. Une fois ce premier travail réalisé, il faut apprécier la portée de l’arrêt, autrement dit indiquer s’il s’agit d’une précision, d’une évolution voire d’un revirement. Pour cela, il faut maîtriser l’antériorité de la jurisprudence sur cette thématique.
Analyse de l’arrêt
Analyser l’arrêt conduit à s’en tenir à le présenter pour développer par la suite les arguments dans le commentaire lui-même. La démarche est la suivante :
— rappel des faits de l’espèce : cela peut être particulièrement important, s’agissant de certains contentieux et notamment de celui sur la responsabilité ;
— exposer les différentes étapes de la procédure juridictionnelle de manière succincte ;
— qualifier les faits pour les intégrer dans une catégorie juridique déterminée ;
— énoncer la question de droit ;
— exposer la solution retenue finalement par le Conseil d’État.
Dans l’arrêt proposé, reprenons cette démarche :
■ Rappel des faits : la requérante avait réussi à obtenir la condamnation de son employeur pour non-paiement de salaires et indemnités devant le juge judiciaire. Elle n’avait toutefois pas pu obtenir totalement gain de cause dans la mesure où la décision juridictionnelle n’avait pu être exécutée. En effet, son précédent employeur étant agent diplomatique auprès de l’UNESCO, il était couvert par l’immunité d’exécution, ce qui empêchait de pouvoir exercer à son encontre tout acte de recouvrement des créances détenues par la requérante.
■ Procédure juridictionnelle : la requérante a saisi le ministre des Affaires étrangères d'une demande tendant à la réparation, sur le terrain de la responsabilité sans faute de l'État, du préjudice subi par elle du fait de l'impossibilité où elle s'est trouvée d'obtenir l'exécution de ces décisions de justice. Après un rejet de sa demande par le ministre, puis par les juridictions du fond, la requérante s’est pourvue en cassation auprès du Conseil d’État.
■ Énoncé de la question de droit : en fondant sa demande sur un tel moyen, la requérante doit démontrer que :
— ni la convention elle-même ni la loi qui en a éventuellement autorisé la ratification ne peuvent être interprétées comme ayant entendu exclure toute indemnisation ;
— le préjudice dont il est demandé réparation est d'une gravité suffisante et présente un caractère spécial.
■ Exposé de la décision : le Conseil d’État reconnaît la responsabilité sans faute de l’État sur le fondement d’une rupture d’égalité devant les charges publiques. Après avoir rappelé les conditions liées à la convention elle-même (régularité de la procédure d’incorporation en droit interne et absence d’exclusion de toute réparation), il juge :
– d’une part qu’en opposant à la requérante « l'exception du risque accepté au motif qu'elle ne pouvait ignorer la qualité de diplomate de son employeur et les immunités de juridiction et d'exécution dont ce dernier pouvait le cas échéant bénéficier en vertu des conventions internationales susvisées, la cour administrative d'appel a entaché sa décision d'une erreur de droit » ;
– d’autre part, qu’ « il appartenait aux juges du fond de retenir, pour apprécier le caractère spécial du préjudice, outre la portée des stipulations internationales en cause, le nombre connu ou estimé de victimes de dommages analogues à celui subi par la personne qui en demandait réparation ».
Élaboration du commentaire
Une fois l’analyse de l’arrêt effectuée, il reste à bâtir le commentaire.
Il faut d’abord rechercher à quelle(s) thématique(s) générale(s) se rattache(nt) l’arrêt à commenter. L’analyse effectuée auparavant doit la (les) « révéler ». Les conditions posées par le juge pour admettre la responsabilité sans faute de l’État sont principalement liées à la convention internationale et à la notion de préjudice.
Dans la perspective de l’élaboration de votre commentaire, il convient d’exploiter :
– d’une part, le Précis Dalloz de Droit administratif de M. Waline, l’HyperCours de Mme Lombard et M. Dumont, ou bien encore l’ouvrage Sirey Université de M. Dupuis, Mme Guédon et M. Chrétien, pour la question générale de la responsabilité sans faute du fait des conventions internationales ;
– d’autre part, les Grands arrêts de la jurisprudence administrative qui comporte un commentaire très fourni sur l’arrêt de référence en la matière (CE, Ass., 30 mars 1966, Compagnie générale d’énergie radioélectrique) sur la question du régime de ce type de responsabilité, et notamment sur ses conditions de mise en œuvre.
Structure du commentaire
Pour construire votre commentaire, en clair pour élaborer son plan, il convient d’expliquer l’arrêt et d’apprécier les deux règles qu’il rappelle. Ce qui consiste à :
– en restituer clairement le sens ;
– à en déterminer la portée ;
– et à en discuter la valeur.
Étant entendu que ces trois éléments sont ici d’égale importance.
Proposition de plan détaillé
Introduction
Avant l’analyse de l’arrêt proprement dite qui compose le cœur de l’introduction (v. supra), il faut situer l’arrêt dans son contexte « historique », politique et juridique. Si cet arrêt constitue une application d’une jurisprudence bien établie dans ses fondements, il n’en demeure pas moins intéressant sur plusieurs points. Le premier est qu’il constitue seulement la troisième application positive par la Haute juridiction administrative de la responsabilité sans faute de l’État du fait des conventions internationales. Le second intérêt réside dans l’appréciation que fait le juge des conditions de mise en œuvre de ce régime.
Après avoir ainsi situé historiquement et théoriquement l’arrêt, et après avoir souligné son importance, vous pouvez intégrer son analyse proprement dite (v. supra).
Après quoi, c’est-à-dire après avoir exposé les solutions retenues par le Conseil d’État, vous devez annoncer le plan de votre commentaire, lequel épousera nécessairement les deux points majeurs soulevés en l’espèce.
I. Une interprétation souple des conditions attachées aux conventions internationales
A. Le maintien du contrôle par le juge de la régularité d’incorporation de la convention
Dans cette première sous-partie, il conviendra de rappeler qu’il s’agit d’une des conditions posées depuis 1966 par la jurisprudence.
Il faudra surtout revenir sur la portée de l’arrêt, et notamment sur la réintroduction par le Conseil d’État à cette occasion de la condition d'incorporation régulière de la convention dans l'ordre juridique interne, abandonnée implicitement par l'arrêt Almayrac (CE 29 déc. 2004).
En effet, ce dernier évoquait « la réparation de préjudices nés de conventions conclues par la France avec d'autres États et entrées en vigueur dans l'ordre interne », alors même, comme le soulignent les commentateurs du GAJA, que la régularité de leur introduction dans l'ordre juridique national pouvait prêter à discussion en raison d'un défaut d'autorisation du Parlement dans un cas où celle-ci semblait requise par l'article 53 de la Constitution.
L'arrêt Mlle Susilawati, revient à la formule de « préjudices nés de conventions conclues par la France avec d'autres États et incorporées régulièrement dans l'ordre juridique interne ».
B. L’absence d’obstacle du fait de la convention elle-même à l’indemnisation
Dans cette seconde sous-partie, il faut rappeler les termes mêmes de cette condition : « ni la convention elle-même ni la loi qui en a éventuellement autorisé la ratification ne puissent être interprétées comme ayant entendu exclure toute indemnisation ».
Dans beaucoup d’affaires mettant en cause un traité international, cette condition joue dans un sens restrictif, puisque, par définition, ce dernier a été adopté dans un intérêt qui dépasse les individus eux-mêmes et pour des motifs souvent impérieux d’intérêts étatiques.
Or, et alors même que les conventions internationales en cause dans cet arrêt (convention de Vienne du 18 avril 1961 et accord de siège de l’UNESCO), entendent, par leur « généralité » et la nature même des dispositions discutées (immunités de juridiction et d’exécution des agents diplomatiques), exclure toute possibilité d’indemnisation, le Conseil d’État n’entend pas faire de ce paramètre un élément exclusif de tout droit à réparation.
Il faudrait enfin, là encore, apporter un éclairage sur la portée de cette solution, notamment au regard de la jurisprudence Consorts Burgat (CE, Sect., 29 oct. 1976) qui mettait en cause le jeu des immunités diplomatiques. Si, a priori, l’arrêt Mlle Susilawati est une parfaite transposition de la jurisprudence de 1976, une analyse plus fine des faits de cette dernière montre que la solution retenue en 2011 ne s’imposait pas probablement de manière aussi certaine (la location ayant été conclue à une date où les propriétaires ne pouvaient prévoir que leur locataire bénéficierait ultérieurement des immunités diplomatiques).
II. Une appréciation ouverte de la notion de préjudice
A. Le rejet de l’exception de risque accepté
Tout en soulignant dans l’arrêt l’extrait du considérant visant cette notion, il faut en rappeler la définition (situation de nature à provoquer un refus de réparer pour les dommages prévisibles auxquels une personne a, en connaissance de cause et en l’absence de faute de sa part, pris le risque de s’exposer) et son admission dans la jurisprudence.
Le Conseil d’État énonce que les règles de la responsabilité de la puissance publique incluent celle selon laquelle « le préjudice résultant d’une situation à laquelle la victime s’est sciemment exposée ne lui ouvre pas droit à réparation » (CE 10 juill. 1996, Meunier : à propos de l’installation dans un site troglodytique d’un restaurant discothèque, dont le maire a dû prescrire la fermeture au public en raison d’un risque d’éboulement connu du commerçant). De façon plus ou moins explicite, le risque accepté a été opposé par le juge à un professionnel de l’immobilier qui ne pouvait ignorer le risque, qu’il a « assumé en toute connaissance de cause », d’abandon par la commune d’un projet immobilier (CE 16 nov. 1998, Sille).
Vous pouvez à ce stade donner votre opinion sur la portée de la position du Conseil d’État sur ce point de droit, par exemple en expliquant que le rejet dans une hypothèse où elle aurait pu parfaitement jouer, implique peut-être le caractère désuet de cette condition, et s’inscrit dans une politique jurisprudentielle plus générale consistant à admettre plus souplement l’indemnisation de personnes devant supporter des conséquences importantes de la mise en œuvre d’une finalité d’intérêt général.
B. La reconnaissance d’un préjudice spécial
Après avoir rappelé que la Haute juridiction administrative, contrairement à la cour administrative d’appel, retient la notion de préjudice spécial, expliquer le caractère spécial du préjudice, et noter en quoi son application en matière de responsabilité sans faute jouait là aussi dans un sens particulièrement restrictif pour la réparation (rappel de quelques jurisprudences antérieures).
Puis, montrer la volonté du juge de faire une appréciation concrète de ce caractère de spécialité (en reprenant l’extrait du considérant).
Vous pouvez également insister sur l’absence de contrôle particulier du juge quant au caractère d’anormalité du préjudice (le juge ne retenant dans son considérant de principe que la notion de « caractère grave »), et sur le sens à donner à cet « oubli ».
Enfin, vous pouvez livrer votre analyse sur la méthode employée par le juge et le bénéfice qu’en tire la requérante (par exemple, en soulignant que cette méthode va dans le sens d’un renforcement de l’office du juge).
Références
■ Immunité d’exécution
« Privilège qui protège contre toute exécution forcée les bénéficiaires d’une immunité de juridiction. De ce fait, les biens détenus en France par des États étrangers ou des organismes qui en sont l’émanation directe, échappent à toute voie d’exécution, au nom du respect de la souveraineté étatique.
Cette immunité n’exclut pas l’exequatur qui n’est pas, en lui-même, un acte d’exécution, mais une simple mesure préalable à l’exécution forcée. »
« Synonyme de traité très généralement, la convention internationale est un accord conclu entre États ou autres sujets de la société internationale (à l’instar des organisations internationales) en vue de produire des effets de droit dans leurs relations mutuelles. »
« Il s’agit d’un moyen soulevé par l’une des parties lors d’un procès en invoquant les dommages prévisibles auxquels une personne a, en connaissance de cause et en l’absence de faute de sa part, pris le risque de s’exposer. »
■ Rupture de l’égalité devant les charges publiques
« C’est l’un des fondements de la responsabilité publique sans faute, propre au droit public, à la différence du risque et de la garde. Il s’agit d’assurer l’indemnisation de personnes ayant subi une rupture d’égalité provenant d’une activité d’intérêt général, volontaire et régulière. »
Sources : Lexique des termes juridiques 2011, 18e éd., Dalloz, 2010.
« Ce sont les prérogatives reconnues aux agents diplomatiques et consulaires en vue de favoriser le libre exercice de leurs fonctions : inviolabilité des agents, du domicile, des locaux et de la correspondance, immunité de juridiction (impossibilité juridique de traduire un agent devant les juridictions de l’État où il réside) et d’exécution (impossibilité juridique d’assurer l’exécution de payer une créance, y compris de manière forcée, sur un bien d’un agent) et exemptions fiscales. »
« Il s’agit du préjudice particulier à un individu ou à un groupe limité d’individus. »
« Il s’agit de la gravité anormalement élevée du préjudice. Plus exactement, il doit ne pas y avoir de commune mesure entre les avantages généraux que chacun retire de la vie en société et le dommage matériel ou moral subi. »
« Dans ce système de responsabilité, il n’y a pas à prouver l’existence d’une faute dans le fonctionnement de l’administration mais simplement le lien de causalité entre l’activité administrative et le dommage qu’elles ont subi. »
Sources : Dictionnaire de droit administratif, 5e éd., Dalloz-Sirey, 2008.
■ Article 53 de la Constitution
« Les traités de paix, les traités de commerce, les traités ou accords relatifs à l'organisation internationale, ceux qui engagent les finances de l'État, ceux qui modifient des dispositions de nature législative, ceux qui sont relatifs à l'état des personnes, ceux qui comportent cession, échange ou adjonction de territoire, ne peuvent être ratifiés ou approuvés qu'en vertu d'une loi.
Ils ne prennent effet qu'après avoir été ratifiés ou approuvés.
Nulle cession, nul échange, nulle adjonction de territoire n'est valable sans le consentement des populations intéressées. »
■ CE 29 déc. 2004, req. n° 262190, RFDA 2005. 586, concl. Stahl ; AJDA 2005. 427, chron. C. Landais et F. Lenica.
■ CE, Sect., 29 oct. 1976, Lebon 452 ; AJDA 1977. 30, chron. Nauwelaers et Fabius ; D. 1978. 77, note Vier et Lamoureux.
■ CE 10 juill. 1996, Meunier, Lebon. 289.
■ CE 16 nov. 1998, Sille, Lebon. 418.
■ Waline J., Droit administratif, 23e éd., Dalloz, coll. « Précis » , 2010.
■ Dumond G., Lombard M., Droit administratif, 8e éd., Dalloz, coll. « Hypercours », 2009.
■ Dupuis G., Guédon M.-J., Chrétien P., Droit administratif, 12e éd., Sirey, coll. « Université », 2010.
■ Les grands arrêts de la jurisprudence administrative, 17e éd., Dalloz, coll. « Grands arrêts », 2009.
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