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À vos copies !
Droit de la responsabilité civile
Responsabilité médicale des professionnels de santé
Chaque mois, retrouvez le commentaire d’une décision de justice issue de l’actualité jurisprudentielle.
Ce mois-ci, Dalloz Actu Étudiant vous propose de commenter l’arrêt Civ. 1re, 14 déc. 2022, n° 21-22.037
Travail préparatoire
Rappel de méthodologie
Un commentaire d’arrêt est un exercice qui comprend deux temps : l’explication de l’arrêt et son appréciation.
En d’autres termes, il faut, en premier lieu, expliquer le sens de l’arrêt. Ce qui suppose d’abord de le lire très attentivement, pour bien le comprendre. Ensuite, et c’est un temps essentiel de votre commentaire, il vous faut identifier la question que l’arrêt à commenter a résolue. En outre, il vous faut détecter la ou les règles de droit qui fondent la décision qui vous est soumise. Enfin, il vous faut faire un exercice de mémoire (si vous composez votre commentaire dans le cadre d’un examen) ou de recherche (si vous composez librement votre commentaire), non seulement pour découvrir le thème général dans lequel s’inscrit l’arrêt à commenter, mais encore pour trouver des éléments bibliographiques qui vous permettront de mieux comprendre l’arrêt que vous devez commentez et donc de mieux l’expliquer.
En second lieu, après avoir expliqué le sens de l’arrêt et démontrer que vous l’avez compris, vous devez apprécier l’arrêt à commenter, donner une opinion sur la façon dont la Cour de cassation a tranché le litige et répondu à la question de droit, au fond, il vous faut juger les juges, vous prononcer sur la valeur de la décision, ce qui sera d’autant plus simple que vous pourrez la situer dans le temps, c’est-à-dire en déterminer la portée. Dans cette perspective d’appréciation de la valeur de l’arrêt, il vous faut exploiter des éléments bibliographiques qui vous permettront de recueillir les diverses opinions doctrinales qui se sont prononcées sur la question de droit réglée par la Cour de cassation, et de vous prononcer sur la pertinence des diverses thèses en présence à propos de la question de droit, celle que soutenaient les juges du fond, celle du demandeur au pourvoi et puis celle retenue par la Cour de cassation qui sera fatalement peu ou prou une des deux précédentes.
Analyse de l’arrêt
Analyser l’arrêt conduit à s’en tenir à le présenter en vue d’introduire votre commentaire. Voici la démarche à suivre :
– d’abord, il vous faut sélectionner les faits qui seront utiles dans la perspective de votre commentaire ;
– en outre, il convient de qualifier les faits, ce qui revient à les faire entrer dans une catégorie juridique donnée ;
– ensuite, il faut exposer les différentes étapes de la procédure, à savoir la décision des juges du fond, puis le moyen du pourvoi ;
– de plus, il vous faut énoncer la question de droit que l’arrêt a tranchée ;
– enfin, il convient d’exposer la solution que la Cour de cassation a finalement retenue.
Dans l’arrêt qu’il vous faut ici commenter, reprenons cette démarche :
■ Sélection des faits : Le 10 février 2003, dans le cadre de son activité libérale exercée au sein d’un établissement de santé public, un chirurgien procède à la pose d’une prothèse de la hanche d’un patient. À la suite de cette intervention, ce dernier présente plusieurs luxations nécessitant de nouvelles interventions pour changer la prothèse et poser un dispositif anti-luxation.
■ Qualification des faits : Exerçant à titre libéral au sein d’un établissement de santé public, un chirurgien procède à la pose d’une prothèse de la hanche d’un patient à la suite de laquelle des complications post-opératoires nécessitent que ce dernier subisse de nouvelles opérations chirurgicales.
■ Procédure : Afin d’obtenir la réparation de son préjudice, le patient assigne, d’une part, le fabricant de la prothèse et d’autre part, le chirurgien ayant pratiqué l’opération. La cour d’appel déclare le chirurgien responsable pour faute au motif que ce dernier n’a pas tiré les conséquences des caractéristiques morphologiques de son patient, lesquelles commandaient d’implanter un dispositif anti-luxation dès la première intervention. Autrement dit, la survenance des luxations résultait de cette erreur d’appréciation initiale, si bien que la faute du chirurgien se trouvait à l’origine du dommage subi par le patient.
■ Moyen du pourvoi : Le chirurgien se pourvoit en cassation, arguant que « même lorsqu’ils ont recours à des produits de santé pour l’accomplissement d’un acte médical, les professionnels de santé n’engagent leur responsabilité qu’en cas de faute ». Il appartient alors au patient de rapporter la preuve de cette faute. Or, en l’espèce, les expertises judiciaires ont conclu qu’il n’y avait pas eu d’erreurs, de maladresses ou de négligences dans la pose de la prothèse, laquelle était parfaitement adaptée à la morphologie du patient. En jugeant toutefois que le chirurgien avait commis une faute en ne tirant pas les conséquences des caractéristiques morphologiques de son patient, sans préciser quels éléments probants et médicaux leur permettaient de retenir la faute, les juges du fond auraient ainsi, selon le demandeur au pourvoi, privé leur décision de base légale au regard de l’article L. 1142-1 du Code de la santé publique. Autrement dit, les juges du fond n’auraient pas suffisamment caractérisé la faute du chirurgien, seule à même de justifier l’engagement de sa responsabilité.
■ Problème de droit : Dans quelle mesure l’engagement de la responsabilité médicale d’un chirurgien libéral recourant à un produit de santé pour effectuer une opération dépend de la caractérisation de sa faute ?
■ Solution : La première chambre civile casse et annule la décision de la cour d’appel. Au visa de l’article L. 1142-1 du Code de la santé publique, elle rappelle que « selon ce texte, la responsabilité des professionnels de santé au titre d’actes de prévention, de diagnostic ou de soins n’est engagée qu’en cas de faute ». Or, en ne précisant pas sur quels éléments médicaux elle se fondait pour retenir la faute du chirurgien, alors même que les différentes expertises avaient conclu, au contraire, à son inexistence, la cour d’appel a privé sa décision de base légale.
Dans cet arrêt, la Cour de cassation vient rappeler une solution classique : le professionnel de santé n’engage sa responsabilité qu’en cas de faute (I). La valeur de cette solution, certes acquise, mérite toutefois d’être discutée (II).
I. La responsabilité pour faute du professionnel de santé : le rappel du principe
A. Une responsabilité sans faute envisagée en cas de recours à un produit de santé
● CSP, art. L. 1142-1 « hors les cas où leur responsabilité est encourue en raison d’un défaut d’un produit de santé, les professionnels de santé […] ainsi que tout établissement, service ou organisme dans lesquels sont réalisés des actes individuels de prévention, de diagnostic ou de soins ne sont responsables des conséquences dommageables d’actes de prévention, de diagnostic ou de soins qu’en cas de faute » = responsabilité pour faute prouvée des médecins et établissements de soins, sauf en cas de défaut d’un produit de santé ;
● Interprétations possibles de la limite liée au défaut du produit de santé : 1 / responsabilité pour faute, y compris s’agissant des produits de santé, le professionnel de santé ou l’établissement de soins échappant, à défaut de pouvoir revêtir la qualité de producteur, à la responsabilité sans faute du fait des produits défectueux ; 2/ responsabilité sans faute, en l’absence de renvoi à un autre texte de droit spécial, même en cas de recours à des produits de santé.
B. Une responsabilité pour faute exigée en cas de recours à un produit de santé
● C. cass. : adoption de la première interprétation : la responsabilité des prestataires de services de soins ne peut « être recherchée que pour faute lorsqu’ils ont recours aux produits, matériels et dispositifs médicaux nécessaires à l’exercice de leur art ou à l’accomplissement d’un acte médical » ; v. Civ. 1re, 12 juill. 2012, n° 11-17.510 ; 26 févr. 2020, n° 18-26.256 ;
● Confirmation en l’espèce : responsabilité du professionnel de santé qu’en cas de faute, y compris lorsqu’il a recours à des produits de santé pour l’accomplissement de l’acte médical, tels que des prothèses ; rappel de l’exigence de la faute ; vigilance de la Cour sur la caractérisation de cette faute.
II. La responsabilité pour faute du professionnel de santé : la valeur du principe
A. Un principe relatif
● Au secteur privé ; comp. secteur public de la santé : CE 12 mars 2012, n° 327449 : « la directive du 25 juillet 1985 ne fait pas obstacle à l’application du principe selon lequel, sans préjudice des actions susceptibles d’être exercées à l’encontre du producteur, le service public hospitalier est responsable, même en l’absence de faute de sa part, des conséquences dommageables pour les usagers de la défaillance des produits et appareils de santé qu’il utilise » ;
● Dans le service public hospitalier, le professionnel de santé est responsable même en l’absence de faute du dommage causé par la défaillance d’un produit de santé, alors que dans le secteur privé, sa responsabilité est, par principe et de façon générale, une responsabilité pour faute ; le professionnel de santé ne répond que de sa faute.
B. Un principe injuste
● Objet de la preuve incombant aux victimes du secteur privé : existence d’une faute ; du secteur public : défaut du produit de santé ;
● Disparité de traitement entre les victimes en matière de responsabilité médicale selon que le préjudice est subi dans le secteur privé ou public de la santé ;
● Disparité maintenue en l’espèce, malgré l’occasion donnée à la Cour de cassation de s’aligner sur la solution rendue par les juridictions administratives, comme en appelle de ses vœux une partie de la doctrine.
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