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À vos copies !
Droit de la famille
Transidentité et filiation
Chaque mois, retrouvez le commentaire d’une décision de justice issue de l’actualité jurisprudentielle.
Ce mois-ci, Dalloz Actu Étudiant vous propose de commenter l’arrêt CEDH 4 avr. 2023, O.H. et G.H. c/ Allemagne, req. n° 53568/18.
Sur la méthodologie du commentaire d’arrêt : V. vidéo Dalloz
Travail préparatoire
Rappel de méthodologie
Un commentaire d’arrêt est un exercice qui comprend deux temps : l’explication de l’arrêt et son appréciation.
En d’autres termes, il faut, en premier lieu, expliquer le sens de l’arrêt. Ce qui suppose d’abord de le lire très attentivement, pour bien le comprendre. Ensuite, et c’est un temps essentiel de votre commentaire, il vous faut identifier la question que l’arrêt à commenter a résolue. En outre, il vous faut détecter la ou les règles de droit qui fondent la décision qui vous est soumise. Enfin, il vous faut faire un exercice de mémoire (si vous composez votre commentaire dans le cadre d’un examen) ou de recherche (si vous composez librement votre commentaire), non seulement pour découvrir le thème général dans lequel s’inscrit l’arrêt à commenter, mais encore pour trouver des éléments bibliographiques qui vous permettront de mieux comprendre l’arrêt que vous devez commentez et donc de mieux l’expliquer.
En second lieu, après avoir expliqué le sens de l’arrêt et démontrer que vous l’avez compris, vous devez apprécier l’arrêt à commenter, donner une opinion sur la façon dont la Cour de cassation a tranché le litige et répondu à la question de droit, au fond, il vous faut juger les juges, vous prononcer sur la valeur de la décision, ce qui sera d’autant plus simple que vous pourrez la situer dans le temps, c’est-à-dire en déterminer la portée. Dans cette perspective d’appréciation de la valeur de l’arrêt, il vous faut exploiter des éléments bibliographiques qui vous permettront de recueillir les diverses opinions doctrinales qui se sont prononcées sur la question de droit réglée par la Cour de cassation, et de vous prononcer sur la pertinence des diverses thèses en présence à propos de la question de droit, celle que soutenaient les juges du fond, celle du demandeur au pourvoi et puis celle retenue par la Cour de cassation qui sera fatalement peu ou prou une des deux précédentes.
Analyse de l’arrêt
Analyser l’arrêt conduit à s’en tenir à le présenter en vue d’introduire votre commentaire. Voici la démarche à suivre :
– d’abord, il vous faut sélectionner les faits qui seront utiles dans la perspective de votre commentaire ;
– en outre, il convient de qualifier les faits, ce qui revient à les faire entrer dans une catégorie juridique donnée ;
– ensuite, il faut exposer les différentes étapes de la procédure, à savoir la décision des juges du fond, puis le moyen du pourvoi ;
– de plus, il vous faut énoncer la question de droit que l’arrêt a tranchée ;
– enfin, il convient d’exposer la solution finalement retenue.
Dans l’arrêt qu’il vous faut ici commenter, reprenons cette démarche :
■ Sélection des faits : Un parent transgenre, né de sexe féminin, obtient son changement de sexe à l’état civil. Après avoir obtenu la reconnaissance de son appartenance au sexe masculin, il avait procréé avec ses gamètes mâles et ainsi donné naissance à un enfant, conçu avec l’aide d’un donneur de sperme ayant consenti à ne pas avoir le statut de père légal de l’enfant. Le parent transgenre demande alors à être inscrit à l’état civil en tant que père de l’enfant.
■ Qualification des faits : Ayant conservé son appareil reproducteur, un parent transgenre né de sexe féminin donne naissance à un enfant malgré son appartenance au sexe masculin. Les autorités allemandes l’enregistrent en tant que mère de l’enfant, par ailleurs privé de père légal. Conformément à son identité de genre, la mère déclarée de l’enfant demande aux autorités nationales de l’inscrire comme le père de l’enfant.
■ Procédure : L’officier de l’état civil se pose la question de savoir si le parent transgenre doit être inscrit en tant que père ou en tant que mère de l’enfant et soumet la demande à un tribunal d’instance. Le tribunal saisi ordonne au service de l’état civil de l’inscrire en tant que mère de l’enfant. Cette décision est confirmée par la cour d’appel de Berlin et par la Cour fédérale de justice. Le parent transgenre et son fils saisissent, sans succès, la Cour constitutionnelle fédérale. Ils introduisent, par la suite, une requête auprès de la Cour de Strasbourg
■ Moyens : Les requérants (le parent transgenre et l’enfant) dénoncent une ingérence dans l’exercice de leur droit au respect de la vie privée. Le parent transgenre ne serait pas suffisamment protégé en tant qu’individu transgenre pour ce qui concerne son statut de parent. Son changement de sexe serait en effet privé d’effet dans la mesure où des explications s’imposent chaque fois que les requérants doivent présenter l’acte de naissance de l’enfant, ce qui les exposent à un traitement discriminatoire et attentatoire à leur vie privée. Ce serait aux requérants seuls de décider s’ils souhaitent révéler des informations personnelles relatives à l’identité de genre du parent. Ce dernier fait particulièrement état des difficultés alléguées à prouver sa parenté. Les requérants rejettent par ailleurs l’idée que l’inscription litigieuse pourrait être justifiée par un intérêt public résidant dans l’immuabilité et l’exactitude de l’état civil, cette appréciation reposant sur le postulat contestable d’un ordre juridique binaire fondé sur la dualité des sexes. Ils contestent également que l’acte de naissance de l’enfant fasse mention d’une personne de sexe féminin (« mère »), contrairement à la réalité de leur situation familiale. Selon les requérants, cette inscription équivaut à une attribution forcée du genre féminin au parent transgenre et à une dépossession de son rôle de père, qu’il assume dans la vie réelle, et découle de la conviction que les personnes transgenres ne doivent pas pouvoir procréer.
■ Problème de droit : Le parent transgenre ayant donné naissance à l’enfant peut-il être enregistré en tant que père à l’état civil ?
■ Solution : A l’issue d’un contrôle de proportionnalité entre les intérêts publics et privés en présence, la Cour juge que le refus des autorités allemandes d’inscrire le demandeur à l’état civil en tant que père de l’enfant ne viole pas la Convention européenne des droits de l’homme.
I. Exercice du contrôle de proportionnalité
A. Marge d’appréciation laissée aux Etats
● Large et non réduite, en l’absence de consensus des Etats membres « sur la question de savoir comment indiquer dans les registres de l’état civil (d’) un enfant que l’une des personnes ayant la qualité de parent est transgenre ».
● Large et non réduite, en l’absence d’impact sur un aspect particulièrement important de l’existence ou de l’identité d’un individu. Or « ni le lien de filiation entre les requérants ni l’identité de genre du premier requérant [parent transgenre] ne sont en définitive remis en cause » en l’espèce.
B. Mise en balance des intérêts
● Examen de l’équilibre entre les intérêts antinomiques de l’État et ceux des individus, ie entre les intérêts publics et privés en présence ; intérêts privés = droit du parent transgenre au respect de son identité de genre ; droits de l’enfant de connaître sa filiation biologique, de recevoir soins et éducation de ses deux parents, d’où la nécessité de conformité de sa filiation aux fonctions procréatrices de ses parents / intérêts publics = cohérence de l’ordre juridique, ppe de sécurité juridique ; exactitude de l’état civil ;
● Porosité des intérêts privés et publics : la protection de l’intérêt de l’enfant « se confond dans une certaine mesure avec l’intérêt général » ; or « la maternité et la paternité, en tant que catégories juridiques, [ne sont] pas interchangeables » et le lien établi avec la fonction de procréation biologique fonde le rattachement stable de l’enfant à un père et une mère.
II. Issue du contrôle de proportionnalité
A. Conventionnalité du refus de retranscription des autorités allemandes
● Au regard de l’intérêt supérieur de l’enfant : intérêt de pouvoir établir la paternité de son père biologique, d’être rattaché juridiquement à ses parents de manière stable et immuable suivant leurs fonctions procréatrices ;
● Au regard des droits du parent transgenre : reconnaissance de son changement de genre dans les documents le concernant ; existence de mesures permettant de réduire le risque de divulgation du caractère transgenre du parent = restriction de l’accès à l’acte de naissance intégral et possibilité d’obtenir une copie de l’acte de naissance dépourvu de toute mention des parents
● Considérant l’intérêt supérieur de l’enfant, la marge d’appréciation étatique étendue en la matière, le fait que le lien de filiation ne soit pas en cause et les éléments ci-dessus, la Cour conclut à un juste équilibre entre les intérêts en cause et constate à l’unanimité la non-violation de l’article 8 de la Convention (comp. CEDH 4 avr. 2023, A.H. et Autres c/ Allemagne, req. n°7246/20).
B. Conventionnalité du refus de retranscription de la Cour de cassation
● Civ. 1re, 16 sept. 2020, n° 18-50.080 et n° 19.11.251 ; il « résulte du droit positif qu’une personne transgenre homme devenu femme qui, après la modification de la mention de son sexe dans les actes de l’état civil procrée avec son épouse au moyen de ses gamètes mâles, n’est pas privée du droit de faire reconnaître un lien biologique avec son enfant, mais ne peut le faire qu’en ayant recours aux modes d’établissement de la filiation réservés aux pères » = la femme transgenre ayant procréé avec ses gamètes mâles ne pouvait être inscrite que comme père de l’enfant ;
● Conventionnalité, et donc consolidation de la position française, notamment à l’égard de l’intérêt supérieur de l’enfant né d’un parent transgenre, tel qu’il est apprécié par la Cour européenne.
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