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À vos copies !
Droit des obligations
Validité d’une clause contractuelle prévoyant entre professionnels un délai de forclusion pour exercer une action en responsabilité civile
Chaque mois, retrouvez le commentaire d’une décision de justice issue de l’actualité jurisprudentielle.
Ce mois-ci, Dalloz Actu Étudiant vous propose de commenter l’arrêt Com. 11 oct. 2023, n° 22-10.521.
Travail préparatoire
Rappel de méthodologie
Un commentaire d’arrêt est un exercice qui comprend deux temps : l’explication de l’arrêt et son appréciation.
En d’autres termes, il faut, en premier lieu, expliquer le sens de l’arrêt. Ce qui suppose d’abord de le lire très attentivement, pour bien le comprendre. Ensuite, et c’est un temps essentiel de votre commentaire, il vous faut identifier la question que l’arrêt à commenter a résolue. En outre, il vous faut détecter la ou les règles de droit qui fondent la décision qui vous est soumise. Enfin, il vous faut faire un exercice de mémoire (si vous composez votre commentaire dans le cadre d’un examen) ou de recherche (si vous composez librement votre commentaire), non seulement pour découvrir le thème général dans lequel s’inscrit l’arrêt à commenter, mais encore pour trouver des éléments bibliographiques qui vous permettront de mieux comprendre l’arrêt que vous devez commentez et donc de mieux l’expliquer.
En second lieu, après avoir expliqué le sens de l’arrêt et démontrer que vous l’avez compris, vous devez apprécier l’arrêt à commenter, donner une opinion sur la façon dont la Cour de cassation a tranché le litige et répondu à la question de droit, au fond, il vous faut juger les juges, vous prononcer sur la valeur de la décision, ce qui sera d’autant plus simple que vous pourrez la situer dans le temps, c’est-à-dire en déterminer la portée. Dans cette perspective d’appréciation de la valeur de l’arrêt, il vous faut exploiter des éléments bibliographiques qui vous permettront de recueillir les diverses opinions doctrinales qui se sont prononcées sur la question de droit réglée par la Cour de cassation, et de vous prononcer sur la pertinence des diverses thèses en présence à propos de la question de droit, celle que soutenaient les juges du fond, celle du demandeur au pourvoi et puis celle retenue par la Cour de cassation qui sera fatalement peu ou prou une des deux précédentes.
Analyse de l’arrêt
Analyser l’arrêt conduit à s’en tenir à le présenter en vue d’introduire votre commentaire. Voici la démarche à suivre :
– d’abord, il vous faut sélectionner les faits qui seront utiles dans la perspective de votre commentaire ;
– en outre, il convient de qualifier les faits, ce qui revient à les faire entrer dans une catégorie juridique donnée ;
– ensuite, il faut exposer les différentes étapes de la procédure, à savoir la décision des juges du fond, puis le moyen du pourvoi ;
– de plus, il vous faut énoncer la question de droit que l’arrêt a tranchée ;
– enfin, il convient d’exposer la solution que la Cour de cassation a finalement retenue.
Dans l’arrêt qu’il vous faut ici commenter, reprenons cette démarche :
■ Sélection des faits : : Le 13 octobre 2016, une société d’ambulances engage la responsabilité de son expert-comptable, à qui elle reproche d’avoir commis des erreurs dans le décompte d’heures supplémentaires, en raison desquelles des salariés de cette entreprise avaient saisi, le 18 mars 2013, le conseil de prud’hommes. Cette première affaire opposant l’expert-comptable aux salariés de la société cliente avait finalement été renvoyée devant le bureau de jugement le 11 avril 2023. Dans le litige civil l’opposant, trois ans et demi plus tard, à sa cliente, l’expert-comptable estime l’action de celle-ci irrecevable comme forclose sur le fondement de l’article 5 des conditions générales de la lettre de mission, stipulant une clause de forclusion de trois mois « suivant la date à laquelle le client aura eu connaissance du sinistre ».
■ Qualification des faits : Par une lettre de mission, une société d’ambulances confie à un cabinet d’experts-comptables une mission de présentation de ses comptes annuels et d’établissement des bulletins de paie de ses salariés. Le 13 octobre 2016, la société ayant sollicité la prestation argue que son cocontractant a commis plusieurs erreurs dans le décompte des heures supplémentaires de ses salariés. Une action en justice est alors diligentée afin d’obtenir des dommages-intérêts après que plusieurs salariés de l’entreprise, s’estimant victimes de l’erreur commise, aient saisi, le 18 mars 2013, le conseil de prud’hommes, celui-ci ayant renvoyé l’affaire au bureau de jugement le 11 avril suivant. Dans son contentieux civil, le cabinet d’experts-comptables oppose à sa cliente la forclusion de son action, en vertu l’article 5 des conditions générales du contrat stipulant une clause de forclusion de trois mois à compter de la connaissance du sinistre.
■ Procédure : En appel, les juges du fond jugent irrecevable comme forclose, depuis le 11 juillet 2013, l’action en responsabilité civile engagée par la société à l’encontre de son expert-comptable, relevant que la date de connaissance du sinistre mentionnée dans la clause de forclusion correspondait au jour où cette société avait pris conscience que la faute commise par son cocontractant avait généré un préjudice, soit le 11 avril 2013 – date de renvoi du contentieux de droit social devant une formation de jugement.
■ Moyen du pourvoi : La cliente se pourvoit en cassation. D’une part, elle conteste la date retenue, en méconnaissance de l’article 2224 du Code civil, pour la fixation du point de départ de forclusion, le délai de forclusion ne pouvant courir qu’à compter du jour où elle a connu l’étendue de son préjudice, qui ne pouvait correspondre qu’à une date postérieure à celle du renvoi au bureau de jugement du litige opposant ses salariés à l’expert-comptable car à cette date, le sort des litiges prud'homaux n'était pas encore définitivement connu. D’autre part, et à titre subsidiaire, elle reproche aux juges du fond une méconnaissance de l’office du juge en droit de la consommation puisque la cour d’appel aurait dû, selon elle, relever d’office l’article L. 132-1 dans sa rédaction applicable le caractère abusif de la clause de forclusion qui, en raison de la brièveté de son délai, créait un déséquilibre significatif à son détriment.
■ Problème de droit : Le point de départ d’un délai contractuel de forclusion peut-il être différent de celui légalement prévu par l’article 2224 du Code civil concernant le point de départ du délai de prescription ? La brièveté d’un délai contractuel de forclusion (3 mois) est-elle susceptible de remettre en cause la licéité de la clause sur le fondement du droit des clauses abusives ?
■ Solution : La Cour de cassation rejette le pourvoi. Dans un premier temps, elle approuve la cour d’appel d’avoir jugé que la date à laquelle la cliente avait eu connaissance du sinistre s’entendait du jour où elle avait pris conscience du fait que la faute de l’expert-comptable avait causé un préjudice et non du jour où elle avait eu connaissance de l’étendue de son préjudice. Plus précisément, la connaissance du sinistre est fixée au jour où l’affaire a été renvoyée au bureau de jugement du conseil de prud’hommes, date à laquelle la société ne pouvait plus avoir de doute quant à l’existence d’un sinistre. Dans un second temps, la Cour de cassation relève que le contrat conclu entre les parties, formalisé dans la lettre de mission, avait un rapport direct avec l’activité de la société demanderesse, ce dont il résultait que celle-ci ne pouvait être qualifiée de « non-professionnel » au sens de l’article L. 132-1 du Code de la consommation, qui était dès lors inapplicable.
I. Le point de départ du délai de forclusion
A. La nécessité d’interprétation de la clause
● Point de départ contractuellement fixé à la date à laquelle la société a connaissance du sinistre causé ; ambiguïté de la référence à la « connaissance de sinistre » : date de la manifestation du dommage ou date de la connaissance du fait générateur de responsabilité (faute de l’expert-comptable) ?
● Point de départ fixé au 11 avril 2013 : date de renvoi au bureau de jugement du litige prud’homal noué entre l’expert-comptable et les salariés de la société, soit la date de la connaissance du fait générateur de responsabilité ; distinction avec l’article 2224 du Code civil consacrée.
● Apport principal de l’arrêt : les délais de forclusion (fixant un terme au droit d’agir du créancier) ne sont pas nécessairement régis par les dispositions applicables à la prescription civile (art. 2220 C. civ.) ; sur la distinction du délai de forclusion et de prescription, v. Com. 26 janvier 2016, n° 14-23.285 ;
● Le point de départ de la forclusion contractuelle (connaissance du sinistre ou du fait générateur de responsabilité) peut donc être différent de celui de l’art. 2224 Code civil (connaissance du dommage subi) ; tout dépend des termes de la stipulation convenue entre les parties.
B. La conformité d’interprétation de la clause
● Conformité à l’économie de la stipulation contractuelle ; date du 11 avril 2013 - renvoi à une formation de jugement : traduction en acte de la conséquence de l’erreur comptable justifiant l’action en justice des salariés ; formalisation de la faute à l’origine du préjudice, soit de la « connaissance du sinistre » ;
● Renvoi au bureau de jugement : datation certaine de la connaissance du sinistre, peu important l’issue du litige (montant de la condamnation ; v. sur ce point la thèse du pourvoi) ; dès cette date, absence de doute quant au caractère erroné des bulletins de salaires et de son lien de causalité avec le préjudice subi par les salariés ; connaissance certaine du sinistre causé, à la clause de forclusion ;
● Conséquence : forclusion de l’action ; date de délivrance de l’assignation introductive d’instance contre l’expert-comptable = 13 octobre 2016, soit plus de trois ans après cette date : « En l'état de ces constatations et appréciations souveraines, la cour d'appel a pu retenir que le délai de forclusion avait expiré le 11 juillet 2013 et que l'assignation ayant été délivrée le 13 octobre 2016, la société J. était forclose en sa demande de dommages et intérêts et son action irrecevable » (Déjà, Com. 21 juin 2023, n° 21-21.635).
II. Le contrôle de licéité de la clause de forclusion
A. Au regard du droit de la consommation
● Brièveté du délai : indice de déséquilibre contractuel significatif ; entrave à l’exercice de l’action en justice et restriction potentiellement excessive du temps laissé au créancier pour agir en réparation de son préjudice ; application possible du droit des clauses abusives ;
● Qualité des parties ; critère déterminant du droit des clauses abusives ; or en l’espèce, contrat conclu entre 2 professionnels ; critère du « rapport direct » du contrat conclu avec l’expert-comptable avec l’activité professionnelle de sa cliente = exclusion du mécanisme des clauses abusives (L. 212-1 et L. 212-2 du Code de la consommation) ; déjà, Civ. 3e, 25 mai 2023, n° 21-20.643).
B. Au regard du droit civil
● Article 1171 du Code civil : applicable même en cas de contrat conclu entre 2 professionnels ; différence entre le droit commun et le droit spécial de la consommation dans leur lutte partagée contre le déséquilibre du contrat ;
● Inapplicabilité du texte au litige en raison de l’application de la loi dans le temps : lettre de mission datant du 7 juillet 2005 ; antériorité à l’ordonnance du 1er févr. 2016 ; règle de la survie de la loi ancienne en matière contractuelle ;
● Hypothèse d’une situation postérieure à l’ordonnance : applicabilité possible de l’article 1171 (comp. Com. 26 janv. 2022, n° 20-16.782).
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