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À vos copies !
Droit des obligations
Validité et exécution de la promesse unilatérale de vente
Chaque mois, retrouvez le commentaire d’une décision de justice issue de l’actualité jurisprudentielle.
Ce mois-ci, Dalloz Actu Étudiant vous propose de commenter l’arrêt Civ. 3e. 21 nov. 2024, n° 21-12.661.
Travail préparatoire
Rappel de méthodologie
Un commentaire d’arrêt est un exercice qui comprend deux temps : l’explication de l’arrêt et son appréciation.
En d’autres termes, il faut, en premier lieu, expliquer le sens de l’arrêt. Ce qui suppose d’abord de le lire très attentivement, pour bien le comprendre. Ensuite, et c’est un temps essentiel de votre commentaire, il vous faut identifier la question que l’arrêt à commenter a résolue. En outre, il vous faut détecter la ou les règles de droit qui fondent la décision qui vous est soumise. Enfin, il vous faut faire un exercice de mémoire (si vous composez votre commentaire dans le cadre d’un examen) ou de recherche (si vous composez librement votre commentaire), non seulement pour découvrir le thème général dans lequel s’inscrit l’arrêt à commenter, mais encore pour trouver des éléments bibliographiques qui vous permettront de mieux comprendre l’arrêt que vous devez commentez et donc de mieux l’expliquer.
En second lieu, après avoir expliqué le sens de l’arrêt et démontrer que vous l’avez compris, vous devez apprécier l’arrêt à commenter, donner une opinion sur la façon dont la Cour de cassation a tranché le litige et répondu à la question de droit, au fond, il vous faut juger les juges, vous prononcer sur la valeur de la décision, ce qui sera d’autant plus simple que vous pourrez la situer dans le temps, c’est-à-dire en déterminer la portée. Dans cette perspective d’appréciation de la valeur de l’arrêt, il vous faut exploiter des éléments bibliographiques qui vous permettront de recueillir les diverses opinions doctrinales qui se sont prononcées sur la question de droit réglée par la Cour de cassation, et de vous prononcer sur la pertinence des diverses thèses en présence à propos de la question de droit, celle que soutenaient les juges du fond, celle du demandeur au pourvoi et puis celle retenue par la Cour de cassation qui sera fatalement peu ou prou une des deux précédentes.
Analyse de l’arrêt
Analyser l’arrêt conduit à s’en tenir à le présenter en vue d’introduire votre commentaire. Voici la démarche à suivre :
– d’abord, il vous faut sélectionner les faits qui seront utiles dans la perspective de votre commentaire ;
– en outre, il convient de qualifier les faits, ce qui revient à les faire entrer dans une catégorie juridique donnée ;
– ensuite, il faut exposer les différentes étapes de la procédure, à savoir la décision des juges du fond, puis le moyen du pourvoi ;
– de plus, il vous faut énoncer la question de droit que l’arrêt a tranchée ;
– enfin, il convient d’exposer la solution que la Cour de cassation a finalement retenue.
Dans l’arrêt qu’il vous faut ici commenter, reprenons cette démarche :
■ Sélection des faits : : Le 21 octobre 1971, [S] [D] a promis de vendre à [M] [K], ou à ses ayants droit une parcelle de terrain. Cette promesse unilatérale de vente était consentie pour quatre années à compter du 1er novembre 1971, durée tacitement prorogée et prenant fin un an après la mise en service d'une rocade à proximité de la parcelle et dont le principe de la construction était acquis. [S] [D] et [M] [K] sont décédées, respectivement les 28 décembre 1978 et 6 mars 1999, laissant pour leur succéder, la première, son fils, M. [L] [D] (le promettant), la seconde, son fils, M. [U] [K] (le bénéficiaire). Par lettre recommandée du 1er juin 2011, le promettant a indiqué au bénéficiaire qu'il considérait la promesse de vente comme caduque. Le 18 novembre 2016, le bénéficiaire a levé l'option, la rocade devant être ouverte à la circulation le 24 novembre suivant. Il n’a obtenu aucune réponse du promettant.
■ Qualification des faits : Postérieurement à la rétractation du promettant, le bénéficiaire d’une promesse unilatérale de vente a levé l’option dans le délai prévu par la promesse. Restant silencieux, le promettant entend maintenir sa décision de rétractation malgré la volonté, régulièrement exprimée par le bénéficiaire, d’acheter le bien promis.
■ Procédure : Le 17 janvier 2018, le bénéficiaire a assigné le promettant afin de se voir transférer la propriété du bien et allouer des dommages-intérêts pour résistance abusive. En première instance puis en appel, sa demande d’exécution forcée de la promesse est rejetée aux motifs, d’une part, de l’impossibilité d’ordonner la réalisation forcée de la vente à la date de sa conclusion, antérieure à l’admission de cette sanction et, d’autre part, de la nullité du contrat de promesse conclu en l’absence de prix réel et sérieux à la date de la levée d’option.
■ Moyen du pourvoi : 1/ Méconnaissance de la force obligatoire du contrat de promesse qui oblige définitivement le promettant, dès la date de sa conclusion, à vendre le bien promis, sans possibilité de rétractation ; 2/ Méconnaissance de la date d’appréciation des conditions de validité du contrat de promesse, requises dès sa conclusion, en sorte que le contrôle de la réalité du prix, qui compte parmi les éléments essentiels du contrat définitif servant à l’exercice de la faculté d’option du bénéficiaire, doit être effectué à la date de conclusion de la promesse, et non à la date de la levée d’option.
■ Problème de droit : : 1/ La formation différée de la vente promise justifie-t-elle de soumettre l’appréciation des conditions de validité de la promesse unilatérale à la date de la levée d’option par le bénéficiaire ?
2/ En cas de rétractation du promettant postérieurement à la levée d’option du bénéficiaire dans le délai stipulé, l’exécution forcée d’une promesse unilatérale de vente, conclue antérieurement à l’admission légale de cette sanction, peut-elle être néanmoins ordonnée ?
■ Solution : La troisième chambre civile casse la décision des juges du fond, d’abord au visa des articles 1101 et 1134, al. 1, du Code civil, dans leur rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, et 1591 du même code. Pour confirmer le rejet de la demande de transfert de la propriété de l'immeuble promis, la cour d’appel a énoncé que l'appréciation du prix s'effectue, non pas à la date de la promesse, mais à celle de l'échange de l'accord des volontés, c'est-à-dire à la date de levée de l'option par le bénéficiaire, soit en l'espèce le 18 novembre 2016, la disparité entre les offres de prix obtenues par le promettant et la proposition d'achat émanant du bénéficiaire établissant le caractère ni réel ni sérieux du prix et conduisant à la nullité de l'acte. Après avoir rappelé la définition du contrat, le principe de sa force obligatoire et, concernant la vente, la nécessité d’un prix, la Cour juge qu’en statuant ainsi, alors que la promesse unilatérale de vente est un avant-contrat qui contient, outre le consentement du vendeur, les éléments essentiels du contrat définitif qui serviront à l'exercice de la faculté d'option du bénéficiaire, de sorte que la vileté du prix s'apprécie, à la différence de l'action en rescision pour lésion ouverte dans les conditions prévues par les articles 1674 et suivants du Code civil, à la date de la promesse et non à celle de la levée d'option, la cour d'appel a violé les textes susvisés.
C’est ensuite au visa des mêmes dispositions, ainsi que de l’ancien article 1142 du Code civil, que la Cour censure l’analyse des juges du fond, en ce qu’elle n’est pas conforme à l’état actuel de sa jurisprudence, qui n’admet plus que la révocation de la promesse par le promettant pendant le temps laissé au bénéficiaire pour opter puisse empêcher la formation du contrat promis. Or bien qu’énonçant que la révocation de la promesse par le promettant pendant le temps laissé au bénéficiaire pour opter ne peut empêcher la formation du contrat promis, l'arrêt d’appel a retenu qu'il n'était pas possible en pareil cas d'ordonner la réalisation forcée de la vente, s'agissant d'une obligation de faire ne se résolvant qu'en dommages-intérêts. En statuant ainsi, se conformant à l'état de la jurisprudence à la date du prononcé de son arrêt, la cour d'appel a violé les textes susvisés.
I. La formation de la promesse unilatérale de vente
A. Spécificité de la promesse unilatérale : la formation différée de la vente
● Qualification de la PUV : un avant-contrat, toutefois constitutif d’un véritable contrat, par lequel le promettant accorde au bénéficiaire le droit d’opter pour la conclusion d’un contrat dont les éléments sont déterminés et pour la formation duquel ne manque que le consentement du bénéficiaire (C. civ., art. 1124, al. 1) ; contrat unilatéral obligeant le promettant à vendre le bien promis au bénéficiaire si celui-ci consent à conclure le contrat définitif ;
● Soumission de la PUV au droit commun des contrats (anc. art. 1101 et 1134 figurant au visa), notamment à l’exigence du consentement des parties au contrat de promesse ; il y a en effet une réelle rencontre des volontés entre le promettant, ayant donné son consentement à la future convention, et le bénéficiaire, examinant sa proposition et disposant d’un délai de réflexion ; mais si les 2 parties consentent bien au contrat de promesse, seul le promettant est obligé par cette promesse, le bénéficiaire conservant toute liberté quant à la formation du contrat définitif ;
● Formation différée du contrat de vente en cas de levée d’option par le bénéficiaire (en l’absence d’exercice de la faculté d’option par le bénéficiaire, caducité de la promesse) ; bilatéralisation du contrat unilatéral initial par la réciprocité des volontés de vendre et d’acquérir des deux parties au contrat.
B. Conséquences sur l’appréciation des conditions de validité
● Distinction des effets de la promesse selon la partie au contrat considérée = pour son auteur, consentement donné dès la conclusion de la promesse, sans possibilité de rétractation / pour le bénéficiaire, liberté de consentir ou non jusqu’à l’expiration du délai d’option ; ce n’est qu’en cas de levée de l’option durant le délai que le consentement du bénéficiaire à l’achat rencontre le consentement déjà donné par le promettant à la vente ;
● Contrairement à une vente classique, la validité du contrat de promesse dépend donc du seul consentement du vendeur (pt 19), à la date de sa conclusion, le consentement du bénéficiaire à former le contrat de vente définitif restant libre jusqu’à la levée d’option (en l’espèce, 18 novembre 2016).
● Contrairement à l’offre, la validité du contrat de promesse dépend de la détermination des éléments essentiels du contrat définitif ; c’est donc à la date de la promesse que doivent s’apprécier les conditions de validité du contrat, notamment s’agissant de la nécessité d’un prix déterminé par les parties (C. civ., art. 1591), et non au moment de la réalisation de la vente définitive (date de la levée d’option) ; outre le consentement du vendeur, les éléments essentiels du contrat définitif, et principalement le prix, doivent donc être fixés par les parties à la date de la promesse, et non à celle de l’échange des volontés réciproques de vendre et d’acquérir (pts 17 et 19) ; justification : sans prix fixé dès la date de la promesse, le bénéficiaire ne pourrait valablement exercer son droit d’option (pt 19). Concrètement, le bénéficiaire prendra sa décision de lever (ou non) l’option en fonction de cet élément essentiel, d’où la nécessité non seulement théorique mais pratique d’un prix fixé dès la conclusion du contrat de promesse ;
● Conséquence sur l’appréciation du caractère réel et sérieux du prix, qui doit être examiné à la date de la promesse et non à celle de la levée d’option (différence avec l’action en rescision pour lésion) ; en l’espèce, la vileté du prix devait être appréciée à la date du contrat initial, et non à celle de la proposition d’achat du bénéficiaire à un prix notoirement inférieur aux offres de prix reçues par le promettant.
II. La sanction de l’inexécution de la promesse unilatérale de vente
A. L’admission tardive de l’exécution forcée
● Hypothèse de la levée d’option du bénéficiaire postérieure à la rétractation du promettant durant le délai d’option : rétractation fautive (violation de son obligation de maintenir son consentement jusqu’à l’expiration du délai d’option) ;
● Jusqu’à la réforme du 10 févr. 2016, sanction de l’exécution forcée de la promesse écartée par une jurisprudence constante au profit de l’exécution par équivalent de la promesse, la violation par le promettant de son obligation de faire ne pouvant se résoudre qu’en DI ; v. arrêt de principe, Civ. 3e , 15 déc. 1993, n° 91-10.199, Consorts Cruz ; adde, Civ. 3e, 11 mai 2011, n° 10-12.875 ; Civ. 3e, 6 déc. 2018, n° 17-21.170 : tant que le bénéficiaire n’a pas déclaré acquérir, l’obligation du promettant ne constitue qu’une obligation de faire qui se résout en DI, et la levée de l’option, postérieure à la rétractation du promettant, exclut toute rencontre des volontés réciproques de vendre et d’acquérir indispensable à la formation d’une vente, en sorte que sa réalisation forcée ne peut pas être ordonnée ;
● Solution unanimement critiquée par la doctrine : méconnaissance de la force obligatoire du contrat de promesse ; caractère définitif de l’engagement de vendre du promettant incompatible avec la reconnaissance à son profit d’un droit de repentir, ainsi qu’avec la qualification d’obligation de faire, ce dernier étant seulement tenu d’exécuter le contrat ; alignement du régime de la promesse avec celui de l’offre de contrat ; insécurité juridique du bénéficiaire de la promesse ;
● Abandon de cette solution : C. civ., art. 1124, al. 2, (mod. par ord. n° 2016-131, 10 févr. 2016, art. 2) : la révocation de la promesse pendant le temps laissé au bénéficiaire pour opter n'empêche pas la formation du contrat promis. Pour les promesses postérieures à la réforme, admission de l’exécution forcée, au même titre que l’exécution par équivalent.
B. L’application anticipée de l’exécution forcée
● Problème général et en particulier posé par cette affaire : inégalité de situation du bénéficiaire selon la date de conclusion de la promesse ; seul le bénéficiaire d’une PUV conclue après l’entrée en vigueur de l’ordonnance de 2016 devrait être autorisé à solliciter l’exécution forcée ;
● Problème résolu par un revirement de jp : Civ. 3e, 23 juin 2021, n° 20-17.554 (pt 11) : dans le cas d’un contrat de promesse ne relevant pas encore de l’application de l’ordonnance de 2016, la Cour a affirmé qu’il convient « d’apprécier différemment la portée juridique de l’engagement du promettant signataire d’une promesse unilatérale de vente et de retenir qu’il s’oblige définitivement à vendre dès la conclusion de l’avant-contrat, sans possibilité de rétractation » ; dans le même sens, v. égal. Com. 15 mars 2023, n° 21-20.399, refusant toute modulation du revirement opéré par la Civ. 3 afin de sanctionner par l’exécution forcée la rétractation du signataire d’une promesse conclue antérieurement à la réforme ;
● Dans le cas similaire de l’espèce d’une promesse conclue antérieurement à la réforme, confirmation du choix d’une application anticipée du revirement, justifiant la censure de la décision rendue au fond, ayant refusé d’appliquer le droit nouveau à la promesse litigieuse ne relevant pas temporellement de l’ordonnance de 2016. Elle casse donc l’arrêt d’appel qui, pour rejeter la demande de réalisation forcée d’une vente, après avoir constaté que le contrat de promesse litigieux avait été conclu avant l’entrée en vigueur de la réforme, a retenu que, conformément au droit positif d’alors, la levée de l’option par le bénéficiaire de la promesse unilatérale postérieurement à la rétractation du promettant excluait toute rencontre des volontés réciproques de vendre et d’acquérir.
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