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À vos copies !
Voie de fait ?
Chaque mois, retrouvez le commentaire d’une décision de justice issue de l’actualité jurisprudentielle.
Ce mois-ci, Dalloz Actu Étudiant vous propose de commenter l’arrêt Civ. 3e, 11 octobre 2018, n° 17-17.806 permettant de faire le point sur la voie de fait.
Attendu que l'implantation, même sans titre, d'un ouvrage public sur le terrain d'une personne privée ne procède pas d'un acte manifestement insusceptible de se rattacher à un pouvoir dont dispose l'administration et ne saurait, dès lors, constituer une voie de fait ;
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Bourges, 16 février 2017), qu'invoquant l'existence d'une voie de fait, M. et Mme X..., propriétaires d'une maison avec un terrain attenant, ont assigné le syndicat Intercommunal d'alimentation en eau potable des Amognes et la commune de Saint-Bénin-des-Bois en retrait d'une canalisation d'eau potable traversant leur terrain ;
Attendu que l'arrêt a rejeté la demande ;
Qu'en statuant ainsi, alors que la demande en retrait de la canalisation relevait de la seule compétence de la juridiction administrative, la cour d'appel a excédé ses pouvoirs et violé les textes susvisés ;
Et vu l'article 627 du code de procédure civile ;
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur le moyen du pourvoi :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 16 février 2017, entre les parties, par la cour d'appel de Bourges ;
DIT n'y avoir lieu à renvoi ;
Déclare les juridictions de l'ordre judiciaire incompétentes pour connaître du litige ;
Renvoie les parties à mieux se pourvoir »
Travail préparatoire
Rappel de méthodologie
Un commentaire d’arrêt est un exercice qui comprend deux temps : l’explication de l’arrêt et son appréciation.
En d’autres termes, il faut, en premier lieu, expliquer le sens de l’arrêt. Ce qui suppose d’abord de le lire très attentivement, pour bien le comprendre. Ensuite, et c’est un temps essentiel de votre commentaire, il vous faut identifier la question que l’arrêt à commenter a résolu. En outre, il vous faut détecter la ou les règles de droit qui fondent la décision qui vous est soumise. Enfin, il vous faut faire un exercice de mémoire (si vous composez votre commentaire dans le cadre d’un examen) ou de recherche (si vous composez librement votre commentaire), non seulement pour découvrir le thème général dans lequel s’inscrit l’arrêt à commenter, mais encore pour trouver des éléments bibliographiques qui vous permettront de mieux comprendre l’arrêt que vous devez commentez et donc de mieux l’expliquer.
En second lieu, après avoir expliqué le sens de l’arrêt et démontré que vous l’avez compris, vous devez apprécier l’arrêt à commenter, donner une opinion sur la façon dont la Cour de cassation a tranché le litige et répondu à la question de droit, au fond, il vous faut juger les juges, vous prononcer sur la valeur de la décision, ce qui sera d’autant plus simple que vous pourrez la situer dans le temps, c’est-à-dire en déterminer la portée. Dans cette perspective d’appréciation de la valeur de l’arrêt, il vous faut exploiter des éléments bibliographiques qui vous permettront de recueillir les diverses opinions doctrinales qui se sont prononcées sur la question de droit réglée par la Cour de cassation, et de vous prononcer sur la pertinence des diverses thèses en présence à propos de la question de droit, celle que soutenaient les juges du fond, celle du demandeur au pourvoi et puis celle retenue par la Cour de cassation qui sera fatalement peu ou prou une des deux précédentes.
Analyse de l’arrêt
Analyser l’arrêt conduit à s’en tenir à le présenter en vue d’introduire votre commentaire. Voici la démarche à suivre :
– d’abord, il vous faut sélectionner les faits qui seront utiles dans la perspective de votre commentaire ;
– en outre, il convient de qualifier les faits, ce qui revient à les faire entrer dans une catégorie juridique donnée ;
– ensuite, il faut exposer les différentes étapes de la procédure<s>, </s>à savoir la décision des juges du fond, puis le moyen du pourvoi ;
– de plus, il vous faut énoncer la question de droit que l’arrêt a tranchée ;
– enfin, il convient d’exposer la solution que la Cour de cassation a finalement retenue.
Dans l’arrêt qu’il vous faut ici commenter, reprenons cette démarche :
Sélection des faits : Un organisme public érige un ouvrage traversant une propriété privée, ce dont se plaignent les propriétaires.
Qualification des faits : Un syndicat intercommunal fait installer une canalisation d’eau potable qui traverse le terrain appartenant à un couple de propriétaires.
Exposé de la procédure : Invoquant une voie de fait, ces derniers assignent devant un juge de l’ordre judiciaire le syndicat et la commune concernée en retrait de cette canalisation. Leur demande est rejeté par la cour d’appel : la mise en place de la canalisation grevant le fonds litigieux n’est pas constitutive d’une voie de fait. Les propriétaires forment un pourvoi en cassation.
Énoncé de la question de droit : L’installation d’un ouvrage public sur une partie du terrain appartenant à des personnes privées est-elle constitutive d’une voie de fait susceptible, le cas échéant, d’être sanctionnée par le juge judiciaire ?
Exposé de la décision : Au visa de la loi des 16-24 août 1790 et de l'article 92, alinéa 2, du code de procédure civile, la Cour de cassation censure la cour d’appel ; rappelle le principe selon lequel « l'implantation, même sans titre, d'un ouvrage public sur le terrain d'une personne privée ne procède pas d'un acte manifestement insusceptible de se rattacher à un pouvoir dont dispose l'administration et ne saurait, dès lors, constituer une voie de fait » ; dès lors :« la demande en retrait de la canalisation relevait de la seule compétence de la juridiction administrative ». En statuant comme elle l’a fait, la cour d’appel a, en l’espèce, « excédé ses pouvoirs et violé les textes susvisés ».
L’élaboration du commentaire
L’analyse de l’arrêt est désormais effectuée. Reste à bâtir et nourrir le commentaire.
Il est de bonne méthode de rechercher alors dans quelle thématique générale s’inscrit l’arrêt à commenter, ce qu’une parfaite identification des questions de droit tranchée par l’arrêt vous permet aisément de découvrir. En l’occurrence, l’arrêt porte sur l’absence de voie de fait.
La structure du commentaire
Pour construire votre commentaire, en clair pour élaborer son plan, il convient d’expliquer l’arrêt et d’apprécier sa solution. Ce qui consiste :
– à en restituer clairement le sens ;
– à en déterminer la portée ;
– et à en discuter la valeur,
étant entendu que ces trois éléments sont ici d’égale importance.
Proposition de plan détaillé
Avant l’analyse de l’arrêt proprement dite qui compose le cœur de l’introduction (voir ci-dessus), il faut insister sur son contexte, à savoir la notion de voie de fait. Après quoi, vous pouvez intégrer l’analyse de l’arrêt proprement dite (voir ci-dessus).
Enfin, après avoir exposé la décision retenue par la Cour de cassation, vous devez annoncer le plan de votre commentaire.
I Canalisation d’eau : absence de voie de fait
A Notion de voie de fait
- Notion issue du droit administratif : vise une action que l'administration a réalisée sans en avoir le droit et qui porte une atteinte grave et manifeste à une liberté fondamentale ou au droit de propriété. Le droit privé s’est également emparé de la notion pour sanctionner des comportements ouvertement attentatoires à une situation légitime et qui ne peuvent être justifiés par aucune disposition légale, réglementaire ou contractuelle.
- En l’espèce, la voie de fait invoquée par les demandeurs au pourvoi l’était au sens administratif du terme, et justifiée par l’atteinte alléguée à leur droit de propriété, dont l’exercice était entravé par l’installation de la canalisation d’eau.
- Rejet du pourvoi car les éléments caractéristiques de la voie de fait de la part de l’administration n’étaient pas réunis.
B La caractérisation de la voie de fait
- Sous l’angle du droit de propriété, voie de fait imputable à l'administration seulement lorsque celle-ci a pris ou fait exécuter un acte qui conduit à l'extinction d’un droit de propriété et qui est manifestement insusceptible d'être rattaché à un pouvoir appartenant à l'autorité administrative.
- Confirmation d’un arrêt de principe du tribunal des conflits, jugeant que l'implantation, même sans titre, d'un ouvrage public sur le terrain d'une personne privée ne procède pas d'un acte manifestement insusceptible de se rattacher à un pouvoir dont dispose l'administration. En l’espèce, poteau électrique, directement affecté au service public de la distribution d'électricité, ne constituant donc pas un acte de ce type et ne conduisant pas, en outre, à l'extinction d'un droit de propriété. Dès lors, il ne pouvait être reproché à la société chargée de ce service public d’avoir commis une voie de fait (T. confl. 17 juin 2013, Bergoend, n° 3911). La même analyse est ici retenue pour exclure la voie de fait.
- Notion de voie de fait essentielle à caractériser car d’elle dépend la compétence du juge judiciaire, justifiant, en l’espèce, la cassation de la décision des juges du fond.
II Absence de voie de fait : compétence du juge administratif
A Une compétence exclusive
- Décision précitée du 17 juin 2013, le Tribunal des conflits précise les contours de la notion de voie de fait, nécessaire en raison de la conséquence qu’elle emporte en termes de compétence juridictionnelle ; la voie de fait, si caractérisée, fonde la compétence de la juridiction judiciaire pour sanctionner et/ou réparer les atteintes irrégulièrement portées par l'autorité administrative à la propriété privée. Dans le cas jugé par le tribunal, ce dernier avait, en l’absence de voie de fait, soumis l’affaire au juge administratif.
- Jugé dans le même sens, T. confl. 9 déc. 2013, n° 13-03.931, et Civ. 1re, 15 oct. 2014, n° 13-27.484.
B Une exclusivité justifiée
- Compétence du juge judiciaire pour ordonner la cessation d’actes constitutifs d’une voie de fait, ou pour décider de la réparation qui doit en conséquence être allouée à leurs victimes : exception au principe de séparation des autorités administratives et judiciaires.
- La seule constatation d'une voie de fait ouvre droit à réparation (Civ. 3e, 9 sept. 2009, n° 08-11.154).
- Respect du principe fondamental de la séparation des pouvoirs et automaticité de la réparation susceptible d’être obtenue en cas de voie fait : justification du contrôle étroit de la notion ; en l’absence de voie de fait, exclusivité de la compétence du juge administratif, préservée et réaffirmée, comme en l’espèce, avec fermeté.
Références
■ T. confl. 17 juin 2013, Bergoend, n° 3911 : Dalloz Actu Étudiant, 1er juill. 2013 ; Lebon ; AJDA 2013. 1245 ; ibid. 1568, chron. X. Domino et A. Bretonneau ; D. 2014. 1844, obs. B. Mallet-Bricout et N. Reboul-Maupin ; AJDI 2014. 124, étude S. Gilbert ; RFDA 2013. 1041, note P. Delvolvé
■ T. confl. 9 déc. 2013, Épx. Panizzonc/ Cne de Saint-Palais-sur-Mer, n° 3931 : Lebon ; AJDA 2014. 216, chron. A. Bretonneau et J. Lessi ; ibid. 2013. 2519 ; RDI 2014. 171, étude N. Foulquier ; RFDA 2014. 61, note P. Delvolvé
■ Civ. 1re, 15 oct. 2014, n° 13-27.484: D. 2015. 1863, obs. L. Neyret et N. Reboul-Maupin.
■ Civ. 3e, 9 sept. 2009, n° 08-11.154 : AJDA 2009. 1639 ; D. 2009. 2220, obs. G. Forest ; ibid. 2010. 49, obs. P. Brun et O. Gout ; AJDI 2010. 329, obs. R. Hostiou ; ibid. 113, chron. S. Gilbert ; ibid. 2011. 111, chron. S. Gilbert ; RDI 2009. 583, obs. C. Morel
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