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[ 3 juillet 2025 ] Imprimer

À la découverte du droit

Jamais je n’ai regretté mes études de droit. Elles m’ont permis de satisfaire mon besoin primaire de Justice et d’avoir un travail. Mais comme j’aimerais pouvoir tout reprendre depuis le début, rien que pour lire et appliquer les conseils de Julien Dubarry, professeur des universités, agrégé des facultés de droit, titulaire de la Chaire de droit civil français et de comparaison juridique appliquée et directeur du Centre juridique franco-allemand à l’université de la Sarre, détaché de l’université de Toulon., auteur de À la découverte du droit (Dalloz, 2025).

Quel constat faites-vous sur l’enseignement de la matière juridique au lycée et à l’université ?

Je fais deux constats qui pourraient inviter à repenser la transition entre le lycée et la première année de licence en droit. D’une part, la durée du tronc commun des études juridiques s’est réduite à l’Université, passant de quatre à trois années, ce qui comprime par contrecoup soit le volume horaire consacré aux enseignements fondamentaux, soit leur diversité et conduira à en modifier l’approche, même si cette dynamique n’est pas encore aboutie. D’autre part, on remarque que beaucoup de nos étudiants ont suivi, au lycée, l’option « droit et grands enjeux du monde contemporain » et ont déjà été introduits au droit par des enseignants formés aux questions fondamentales du droit. Dans ces circonstances, il pourrait être opportun d’intégrer ces premiers pas juridiques suivis au lycée dans la pédagogie universitaire. Cela pourrait d’autant plus s’envisager que l’Université forme précisément ces enseignants dans le cadre de diplômes (inter)universitaires aux principales problématiques contemporaines soulevées par la matière juridique et les sensibilise aux attendus de ces études. Ainsi défrichée, l’introduction (générale) au droit, matière parfois considérée comme abstraite par des jeunes esprits en ce qu’elle aborde dès le premier semestre de licence les mécanismes intellectuels à l’œuvre chez le juriste avant d’étudier les matières techniques (le droit pénal, le droit des contrats, le droit administratif, etc.), pourrait gagner en accessibilité et même être repensée dans son contenu si l’enseignement optionnel au lycée y devenait obligatoire avec un programme uniformisé, comme partie d’une culture générale citoyenne qui manque cruellement à nos contemporains. Quoi qu’il en soit, je suis convaincu que le Lycée et l’Université ne peuvent plus fonctionner de manière étanche, sauf à introduire une année « tampon » de propédeutique, comme l’a évoqué le Premier ministre François Bayrou dans son discours de politique générale du 14 janvier 2025, ce qui est une autre façon, tout aussi valable, d’appréhender la transition.

Que propose votre livre À la découverte du droit ?

Le livre propose précisément de construire un pont entre le lycée et la première année d’études juridiques. Il ancre le phénomène juridique dans la vie sociale ainsi que dans le contexte européen et international (particulièrement déterminant aujourd’hui), il montre en quoi il est innervé de considérations philosophiques que l’élève pourra étudier en philosophie (le juste, la vérité), et le présente également au travers des métiers du droit dont la description, notamment par des praticiens, montre le droit en action. L’ouvrage veut ainsi donner une vision d’ensemble du droit et des juristes. Il ne se veut cependant pas descriptif, mais davantage dynamique, soulignant les évolutions à l’œuvre et expliquant les enjeux qui s’y attachent. Il présente ainsi selon moi un double intérêt : celui de donner une vision transversale du droit qui facilitera la compréhension du raisonnement des juristes et donc de la matière « introduction (générale) eu droit », mais également et en même temps, celui de compléter utilement ce cours par des incitations à la réflexion. L’ambition est, je l’avoue, marquée du sceau d’une certaine contradiction : rédiger un livre qui soit à la fois une introduction et un approfondissement à un même cours magistral. Mais avant tout, l’idée est de proposer au lycéen ou à l’étudiant souhaitant préparer sa première année de droit un vrai livre de droit, certes allégé en références scientifiques, mais avec une présentation et une densité qui le familiariseront avec la littérature juridique à laquelle il devra se confronter s’il persiste dans cette voie. À ce titre, le livre peut aussi contribuer à l’orientation de l’élève de terminale.

Comment se compose-t-il ?

Formellement, il est découpé en trois parties. La première, intitulée « Approcher le droit », s’intéresse à la forme que prend le discours juridique dans un système juridique de tradition civiliste au cœur de l’Union européenne et dont les interactions avec des cultures juridiques différentes ne peuvent être négligées ainsi qu’aux normes qui en sont le support, avant de voir comment le rapport du juriste au juste et à la vérité peut influencer leur mise en œuvre. La deuxième, intitulée « Explorer le droit », se concentre sur deux thèmes transversaux du droit et assez intuitifs pour pouvoir être compris, dans leurs grandes lignes, par des novices : les personnes et les responsabilités. Ces deux thèmes permettent en effet d’ores et déjà d’aborder de manière exigeante de nombreuses questions de société. La troisième partie, intitulée « Pratiquer le droit », évoque les principaux métiers du droit et la méthodologie des principaux exercices formateurs. J’entends souvent dire que l’Université ne préparerait pas assez à la pratique et je crois sincèrement qu’il n’y a rien de plus faux pour qui comprend ce qui est recherché au travers des exercices demandés : c’est, notamment, ce lien que j’ai essayé de mettre en évidence dans cette troisième partie. Le livre est en principe conçu pour être lu dans l’ordre de sa rédaction par le novice, mais il est évidemment toujours possible de lire les interviews accordées par les praticiens dans la troisième partie pour se motiver avant d’aborder la première, peut-être un peu plus technique !

Pourquoi choisir d'étudier cette matière ?

Si je me mets à la place d’un élève de lycée incertain dans son orientation, une réponse prosaïque mais pas fausse pour autant me vient à l’esprit : parce que les études de droit ne fermeront pas beaucoup de portes ! On peut heureusement être plus idéaliste et intéressé par le fonctionnement de l’administration de l’État et des collectivités territoriales, par le règlement des conflits, par la réalisation d’objectifs politiques en matière environnementale ou sociétale à l’échelle nationale ou européenne, ou tout simplement estimer que la noblesse du droit est de permettre une vie sociale pacifique, ce qui légitime le fait de vouloir en être un acteur… Les bonnes intentions ne suffisent cependant ni pour réussir — c’est une évidence — ni pour accéder aux formations juridiques universitaires. Les études juridiques sont longues (en pratique, point de salut sans master 2, donc bac + 5) et très exigeantes, l’importance des notes obtenues en licence s’étant accrue pour l’accès au master avec la gestion des candidatures par la plateforme Monmaster, et celle de première et terminale étant capitale pour accéder à des universités dont l’accès est devenu beaucoup plus sélectif avec la mise en place de Parcoursup. Je fais partie de ceux qui le regrettent, mais il est essentiel de prévenir les lycéens : les études juridiques se préparent dans un certain état d’esprit et ne s’improvisent plus — comme cela pouvait être le cas à mon époque (oui, c’était il y a déjà vingt-deux ans…) !

Quelles sont les qualités d’un étudiant en droit selon vous ?

L’humilité, la curiosité, l’esprit de contradiction, le goût pour l’argumentation, le plaisir dans le maniement de la plume, la rigueur intellectuelle et une certaine empathie. Je ne sais si elles suffisent, mais je suis convaincu qu’il faut les cultiver pour devenir — et rester — un juriste de qualité.

Le questionnaire de Désiré Dalloz

Quel est votre meilleur souvenir d’étudiant ?

Mes meilleurs souvenirs, d’étudiant comme dans la vie en général, sont tous des rencontres. Les choix sont difficiles, mais deux m’ont particulièrement marqué quand j’étais en maîtrise (devenue master 1), alors je répondrai : « l’année 2006 » ! Il y eut ma « première fois » sur scène avec maestro Pierre Boulez dans le cadre de concerts avec l’Orchestre de Paris, et la découverte du professeur Pierre Mayer en cours de droit international privé à l’université Panthéon-Sorbonne. Les deux n’avaient pas que le prénom en commun. Je les ai perçus comme deux aristocrates — il n’y a rien de péjoratif, plutôt l’expression d’une certaine noblesse dans leur rapport à leurs interlocuteurs — de leurs disciplines respectives, dont l’autorité prenait les traits de la simplicité du langage assise sur une maîtrise souveraine de la matière et une volonté de partager leur art et leur science respectifs avec une exigence sans concession. Je ne savais pas encore que le professeur Mayer était le directeur de thèse de celui que j’allais choisir pour diriger la mienne… Coïncidence ?

Quels sont votre héros et votre héroïne de fiction préférés ?

S’agissant du héros : le Petit Prince, sans hésiter. Il est une figure refuge qui invite à se recentrer sur ce qui est essentiel quand la vie peut distraire par ses futilités ; ses enseignements résonnent différemment à tous les âges de la vie de sorte qu’il ne lasse jamais et instruit toujours avec simplicité. Aux côtés de cette allégorie philosophique que représente le Voyageur des romantiques allemands (le Wanderer), il m’accompagne fidèlement depuis le plus jeune âge. Pour l’héroïne, j’hésite entre Marguerite du Faust, ou Violetta Valery, alias la traviata, mais je retiendrai cette dernière. Femme malade, frivole ayant découvert la vertu de l’amour fidèle dans un milieu qui n’était pas le sien et qui l’a d’abord rejetée, dont l’offrande ultime sera pourtant le sacrifice, elle est un personnage extrêmement complexe, aussi fascinant pour les metteurs en scène que pour ceux qui s’intéressent aux tréfonds de la psyché ; ses meilleures interprètes ont montré la force évocatrice du dépouillement, de la fragilité et de la résignation dont est capable la voix humaine.

Quel est votre droit de l’homme préféré ?

Ai-je le droit de dire : aucun ? Pour être spontanée, la réponse est sans doute excessive, mais je n’aime pas beaucoup la tournure individualiste que prend notre société, dans laquelle les droits et libertés fondamentaux, initialement pensées pour repousser l’intrusion de l’État dans la sphère privée, puis comme morale sociale, deviennent le vecteur de revendications individuelles tout entier subordonné à des satisfactions égoïstes dont il devient parfois socialement délicat de discuter la légitimité. Cette réflexion me conduit finalement à dire que si j’étais contraint d’en défendre un, ce serait la liberté d’expression, dans toutes ses composantes. Celle qui permet de déranger sans blesser et oblige à tolérer, qui est essentielle dans l’enseignement pour donner une éducation complète et développer l’esprit critique, mais qui est de plus en plus bridée en France de manière plus ou moins consciente… parfois précisément par les droits fondamentaux poussés à leur paroxysme. 

 

Auteur :MBC


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