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[ 23 octobre 2025 ] Imprimer

À propos de la loi Duplomb

La loi visant à lever les contraintes à l'exercice du métier d'agriculteur a été promulguée au Journal officiel de la République française le 11 août 2025. La loi a été déclarée partiellement conforme par le Conseil constitutionnel un mois plus tôt. Une pétition « Non à la loi Duplomb. Pour la santé, la sécurité, l’intelligence collective » (2 129 868 signatures) a été mise en ligne sur la plateforme des pétitions de l’Assemblée nationale et attribuée pour examen à la commission des affaires économiques de la chambre des députés. Pour éclairer le débat entre certains agriculteurs et une partie de la société civile, entre le niveau européen et le niveau national, Dalloz actu étudiant se tourne vers Chantal Cutajar, directrice générale du CEIFAC, directrice du Grasco, maître de conférences à l’Université de Strasbourg, directrice du Livre blanc sur la criminalité environnementale. Systématiser les investigations financières pour combattre la criminalité environnementale en Europe (Dalloz, 2025).

Quel est le contenu promulgué de la loi Duplomb ?

La loi n° 2025-794 du 11 août 2025, dite loi Duplomb, a pour objet affiché de « lever les contraintes à l’exercice du métier d’agriculteur ». Promulguée après la décision du Conseil constitutionnel du 7 août 2025, elle modifie en profondeur le Code rural et de la pêche maritime autour de trois grands volets : le conseil phytopharmaceutique, la simplification administrative et la réforme de la gestion de l’eau et du contrôle environnemental.

Premier volet : la réorganisation du conseil agricole

Le texte réforme le dispositif de conseil en matière de produits phytopharmaceutiques.

Il abroge les articles L. 254-6-2 et L. 254-6-3 du Code rural, qui imposaient une séparation stricte entre les activités de vente et de conseil, et autorise désormais leur cumul pour certaines catégories de produits à faible risque : biocontrôle, substances de base ou produits utilisés en agriculture biologique.

La loi rend le conseil obligatoire, formalisé et facturé distinctement, dans une logique de réduction des risques pour la santé humaine et l’environnement.

Elle crée un conseil stratégique, et surtout un conseil stratégique global, centré sur la durabilité économique, environnementale et sociale de l’exploitation : gestion de l’eau, stratégie énergétique, qualité des sols, diversification.

Les manquements aux obligations de conseil sont désormais passibles d’amendes pouvant atteindre 50 000 € (C. rur., art. L. 254-12).

Un encadrement spécifique par décret en Conseil d’État est prévu pour prévenir les conflits d’intérêts dans la délivrance du conseil.

Deuxième volet : la simplification administrative et procédurale

La loi vise à alléger les démarches applicables aux exploitants agricoles en simplifiant certaines procédures relevant du régime des installations classées pour la protection de l’environnement (ICPE), notamment en permettant de substituer la procédure d’enregistrement à l’autorisation complète, en adaptant les modalités de concertation publique et en rationalisant les délais d’instruction. Elle introduit également un objectif d’indemnisation pour les agriculteurs lorsque la France interdit un produit pourtant approuvé au niveau européen, et précise les conditions de reconnaissance mutuelle des autorisations de mise sur le marché en fonction des spécificités nationales.

En parallèle, un plan pluriannuel de renforcement de l’assurance climatique est mis en place pour fiabiliser l’évaluation des pertes sur prairies, améliorer la prise en compte de la qualité de l’herbe et accélérer les recours en cas d’anomalie dans l’indemnisation.

Troisième volet : la gestion de l’eau et le renforcement des contrôles

La loi crée une présomption d’intérêt général majeur et une raison impérative d’intérêt public majeur pour certains ouvrages de stockage d’eau à usage agricole, dès lors qu’ils respectent des critères de concertation, de sobriété et de partage entre usagers. Ces notions, inédites dans ce champ, confèrent un régime juridique dérogatoire aux projets de retenues d’eau, facilitant leur autorisation administrative.

Cette mesure vise à sécuriser juridiquement les projets de retenues de substitution ou « bassines » dans les zones en déficit hydrique.

La préservation de l’accès à l’eau pour l’abreuvement des animaux est désormais un objectif explicite de la politique de l’eau.

Parallèlement, le texte renforce la gouvernance et la police de l’environnement : il confie au ministère de l’Agriculture la coordination des dispositifs de conseil et des contrôles, tout en maintenant l’indépendance scientifique de l’Anses dans l’évaluation des risques liés aux produits phytopharmaceutiques.

La loi prévoit une programmation annuelle des contrôles, la transmission hiérarchisée des signalements et ouvre la possibilité — sous décret et contrôle de la CNIL — pour les inspecteurs de l’environnement d’utiliser des caméras individuelles lors d’interventions.

Enfin, l’introduction dans l’environnement de macro-organismes issus du forçage génétique est expressément interdite, afin d’encadrer strictement les pratiques de lutte biologique.

Quelles sont les dispositions déclarées non conformes à la Constitution ?

La décision n° 2025-891 DC du 7 août 2025, rendue par le Conseil constitutionnel, a conduit à une censure partielle de la loi Duplomb.

Saisi par plus de soixante députés et soixante sénateurs, le Conseil a estimé que plusieurs dispositions portaient atteinte au droit de chacun de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé, garanti par l’article 1er de la Charte de l’environnement, qui a valeur constitutionnelle.

Trois ensembles de dispositions ont été déclarés contraires à la Constitution.

Le premier concerne le d) du 3° de l’article 2, qui introduisait un paragraphe II ter à l’article L. 253-8 du Code rural. Ce dispositif permettait au pouvoir réglementaire d’autoriser, par décret, l’usage de produits phytopharmaceutiques contenant des substances actives non approuvées au niveau européen. Le Conseil a jugé que cette faculté, insuffisamment encadrée et dépourvue de garanties précises, privait de garanties légales le droit de vivre dans un environnement sain. En l’absence de limites claires quant aux produits, aux usages ou à la durée des dérogations, le législateur n’avait pas assuré la conciliation nécessaire entre objectifs économiques et protection de la santé et de la nature.

Le deuxième point censuré vise le troisième alinéa du b) du même 3°, jugé inséparable du précédent, et censuré par voie de conséquence.

Enfin, le troisième ensemble concerne l’article 8 de la loi, déclaré contraire à la Constitution pour vice de procédure. Introduit en nouvelle lecture, il ne présentait aucun lien, même indirect, avec l’objet initial du texte, en méconnaissance de l’article 45 de la Constitution.

Outre ces censures, le Conseil constitutionnel a formulé plusieurs réserves d’interprétation à propos des dispositions relatives aux ouvrages de stockage d’eau. Il a précisé que les présomptions d’« intérêt général majeur » ou de « raison impérative d’intérêt public majeur » instituées par la loi ne sauraient être absolues : elles doivent pouvoir être contestées devant le juge et ne s’appliquer qu’à des projets réellement justifiés par un déficit hydrique avéré, dans le cadre d’une démarche de sobriété et de concertation.

En définitive, la décision du 7 août 2025 réaffirme une lecture exigeante de la Charte de l’environnement : si le législateur peut adapter les règles pour soutenir la compétitivité agricole, il ne saurait, au nom de la simplification, affaiblir les garanties légales assurant l’effectivité du droit de chacun à un environnement équilibré et respectueux de la santé.

Pourquoi les députés de l’Union européenne n’interdisent pas l’acétamipride sur tout le territoire européen ?

L’absence d’interdiction totale de l’acétamipride résulte d’un processus décisionnel européen complexe, à la croisée de la science, du droit et de la politique.

Une approbation européenne toujours en vigueur. L’acétamipride demeure autorisé au niveau européen en vertu du règlement d’exécution (UE) 2018/113, pris dans le cadre du règlement (CE) n° 1107/2009 relatif à la mise sur le marché des produits phytopharmaceutiques. Cette approbation, fondée sur des usages représentatifs et assortie de conditions spécifiques, peut être révisée à tout moment si de nouvelles données scientifiques le justifient.

Un suivi scientifique continu assuré par l’EFSA. L’Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA) évalue régulièrement les données toxicologiques, écotoxicologiques et résiduelles liées à cette substance. À la suite de nouvelles études, notamment transmises par la France, l’EFSA a publié un statement invitant à réévaluer le profil toxicologique de l’acétamipride — en particulier ses effets possibles sur le neurodéveloppement, ses métabolites et la persistance de ses résidus. Tant que cette réévaluation n’établit pas de risque suffisamment grave et généralisé, l’autorisation européenne reste en vigueur.

Un processus de décision mêlant science et politique. Le retrait ou la restriction d’un pesticide ne dépend pas uniquement de l’expertise scientifique. Une fois l’évaluation de l’EFSA rendue, la Commission européenne élabore une proposition qui est soumise au Comité permanent des plantes, des animaux, des denrées alimentaires et de l’alimentation animale (PAFF). Les États membres y votent à la majorité qualifiée, en tenant compte de considérations agricoles, économiques et environnementales souvent divergentes. Cet équilibre institutionnel explique la lenteur du processus et la difficulté d’obtenir un consensus sur une interdiction totale.

Deux régimes juridiques distincts : phytosanitaire et biocide. L’acétamipride relève de deux cadres réglementaires européens distincts, selon son usage. Ainsi, comme substance phytosanitaire, il est encadré par le règlement (CE) n° 1107/2009 relatif aux produits destinés à la protection des plantes ; comme substance biocide (par exemple dans certains insecticides ménagers), il relève du règlement (UE) n° 528/2012 sur la mise à disposition des produits biocides. Ces deux régimes obéissent à des procédures d’évaluation, de renouvellement et de retrait séparées. Ainsi, même si l’acétamipride devait perdre son autorisation dans les usages biocides, cela n’entraînerait pas automatiquement son interdiction pour les usages agricoles, qui relèvent d’une décision spécifique du cadre phytosanitaire.

Des restrictions progressives plutôt qu’un retrait brutal. Même sans interdiction globale, l’Union européenne agit par étapes successives. Elle peut notamment réduire les niveaux maximaux de résidus (MRL) dans les denrées alimentaires afin de limiter l’exposition des consommateurs, comme elle l’a fait en 2025 à la suite d’une nouvelle évaluation de l’EFSA.

Ces ajustements, bien que techniques, peuvent rendre certains usages non viables ou imposer des contraintes fortes aux producteurs.

Un arbitrage permanent entre sécurité et viabilité agricole. Les institutions européennes cherchent à concilier deux impératifs à savoir, protéger la santé humaine et l’environnement, conformément au principe de précaution et garantir la compétitivité du secteur agricole, en maintenant un minimum d’outils phytosanitaires. L’absence d’interdiction généralisée de l’acétamipride résulte donc d’un équilibre fragile entre la prudence scientifique, la faisabilité économique et la recherche du consensus politique.

Cette situation demeure évolutive : une interdiction totale pourrait être décidée si les nouvelles évaluations scientifiques le justifient, et si un consensus politique se forme au sein de l’Union.

Comment combattre pour l’environnement selon vous ?

Combattre pour l’environnement, c’est d’abord refuser la résignation et la complaisance. C’est comprendre que la protection du vivant ne peut plus reposer sur des engagements symboliques, des déclarations d’intention ou la simple responsabilité individuelle. Le défi environnemental exige aujourd’hui une transformation structurelle de nos systèmes juridiques, économiques et institutionnels.

Le Livre blanc Systématiser les investigations financières pour combattre la criminalité environnementale, que j’ai dirigé, part d’un constat simple : la criminalité environnementale est devenue l’un des marchés les plus lucratifs au monde, souvent plus rentable et moins risqué que le trafic de drogue ou la traite des êtres humains. Derrière chaque déforestation illégale, chaque pollution massive ou commerce d’espèces protégées, circulent des flux financiers considérables. Tant que ces flux ne seront pas identifiés, gelés, confisqués et restitués pour réparer les atteintes à l’environnement, la lutte restera vaine.

Combattre pour l’environnement, c’est donc aussi suivre l’argent pour défendre le vivant. C’est intégrer la dimension financière dans toute stratégie environnementale.

Combattre pour l’environnement, ce n’est pas seulement préserver la nature. C’est défendre le droit, la démocratie et la dignité humaine. C’est refuser que le vivant devienne une variable d’ajustement économique. C’est faire du droit pénal international un instrument structurant d’une nouvelle justice planétaire.

Nous n’avons plus le choix : il faut transformer nos systèmes de gouvernance pour que la lutte pour l’environnement soit à la fois juridiquement efficace, économiquement dissuasive et démocratiquement légitime. C’est cette exigence que porte le Livre blanc, et c’est cette exigence qui doit guider notre combat commun pour le vivant.

Le questionnaire de Désiré Dalloz

Quel est votre meilleur souvenir d’étudiant ?

Sans doute mon premier cours de droit pénal avec le professeur Marc Puech. Il avait cette voix calme et grave qui faisait taire tout un amphithéâtre. Il n’enseignait pas seulement la matière, il en faisait sentir la portée humaine. Ce jour-là, j’ai compris que le droit pénal n’était pas un simple arsenal de sanctions, mais une réflexion sur la responsabilité, la faute, la liberté. C’est sans doute à ce moment-là que j’ai choisi le droit pénal, et peut-être aussi la justice, comme horizon.

Quels sont votre héros et votre héroïne de fiction préférés ?

Mon héros de fiction est Jean Valjean. Il incarne la rédemption par l’action juste. Homme traqué, il affronte la loi sans renier l’humanité. Son courage est silencieux, obstiné, tissé de bonté et de lumière au cœur de l’ombre.

Mon héroïne est Antigone. Elle fait entendre la voix de la conscience quand la loi oublie la dignité. Elle ne cherche ni la gloire ni la victoire, elle se dresse par fidélité à ce qui relie les vivants. Elle ne triomphe pas, mais elle révèle la part invincible de l’humain.

L’un et l’autre me rappellent que la vraie victoire n’est pas de vaincre, mais de tenir la lumière dans la nuit.

Quel est votre droit de l’homme préféré ?

Mon droit de l’homme préféré est le droit à la justice, parce qu’il est la respiration même de la dignité humaine. Il ne se résume pas à un procès équitable : il est ce fil invisible qui relie la loi à la conscience. C’est le droit de chacun à être entendu, reconnu, réparé — le droit de ne pas être abandonné. Il dit que la justice n’est pas une institution, mais une promesse : celle que le faible ne sera pas sans voix, et que la vérité finira toujours par se frayer un chemin.

 

Auteur :MBC


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