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[ 11 décembre 2025 ] Imprimer

À propos du budget public

Fin d’année 2025 – Début d’année 2026. L’heure est aux comptes publics. C’est Aurélien Baudu, Professeur de droit public à l’Université de Lille, auteur d’un manuel de Droit des finances publiques dont la cinquième édition vient de paraître, et coauteur avec le professeur Pierre de Montalivet d’un manuel de Contentieux constitutionnel, qui nous éclaire sur le budget de l’État, alors que les débats au Parlement se poursuivent encore pour quelques jours.

Quels sont les grands principes budgétaires ?

En France, comme dans la plupart des démocraties européennes, le droit des finances publiques repose sur des règles fondamentales, et notamment le principe du consentement de l’impôt, duquel en découle celui de l’autorisation du budget de l’État par le Parlement. Ensuite, la présentation de ce dernier doit respecter de grands principes classiques qui sont consacrés dans notre droit depuis la Restauration (annualité, unité, universalité et spécialité), auxquels il convient d’adjoindre le principe de sincérité et l’objectif d’équilibre des finances publiques, consacré plus récemment, par le législateur organique et le constituant, sous l’influence du droit de l’Union européenne et aussi par les éclairages de la Cour des comptes, du Haut conseil des finances publiques et du Conseil constitutionnel.

Le principe de sincérité budgétaire (LOLF, art. 32), à ne pas confondre avec le principe de sincérité comptable (Const., art. 47-2 ; LOLF, art. 27 et 31) exigeant l’exactitude des comptes publics, vise à ce que les prévisions de recettes comme de dépenses soient réalistes, complètes et fidèles, sans manipulation volontaire de la part du gouvernement. Seule une disposition inscrite en loi de finances révélant de la part du gouvernement une intention de modifier l’équilibre du budget de l’État en ignorant délibérément des informations disponibles au moment de l’élaboration budgétaire pourrait être annulée par le juge constitutionnel pour un motif d’insincérité budgétaire. Depuis 1993 que ce principe est consacré dans notre droit des finances publiques, le Conseil constitutionnel n’a jamais censuré intégralement une loi de finances sur ce motif, alors que ce moyen est régulièrement soulevé devant lui par les parlementaires de l’opposition. Les prévisions budgétaires conditionnent les choix publics (politique sociale, investissement militaire, santé, éducation, dette publique, etc.). Si elles sont biaisées, les décisions des pouvoirs publics peuvent être mal orientées. Une exécution budgétaire différente des prévisions initiales peut conduire à des déficits publics imprévus, une dette publique croissante, des coupes budgétaires dans les services publics (annulations de crédits), ou des imprévus fiscaux. La confiance de l’opinion publique et de nos créanciers dans les finances publiques de la France repose — en partie — sur la sincérité et la transparence des prévisions arrêtées en loi de finances. C’est pourquoi, face à l’ampleur des dérapages budgétaires en 2023 et 2024 constatés lors de l’exécution budgétaire, le Parlement s’est saisi de ce sujet en déployant un contrôle approfondi (commission d’enquête à l’Assemblée nationale, mission d’information de la commission des finances du Sénat) pour connaître les causes de cette insincérité supposée.

Enfin, le principe d’équilibre budgétaire, qui est davantage un objectif qu’un principe juridique contraignant, rappelle que le budget de l’État doit tendre vers un équilibre entre les recettes fiscales et non fiscales et les dépenses, même si des déficits publics peuvent être autorisés sous certaines conditions encadrées par le droit de l’Union européenne. Voilà plus de cinquante ans qu’aucune loi de finances n’a été présentée ni exécutée en équilibre budgétaire en France. Comme vient de le rappeler le Conseil d’État, dans une récente étude, l’introduction d’une règle d’équilibre budgétaire juridiquement contraignante pour l’État impliquerait un changement constitutionnel puis législatif organique majeur, ce qui nécessite un large consensus politique au préalable.

Quelles sont les lois clés du budget de l’État ? 

Tout d’abord, nous avons les normes législatives financières organiques qui encadrent le budget de l’État. Depuis vingt ans, la LOLF du 1er août 2001 vient définir le cadre de la gestion des finances publiques françaises. Elle a remplacé l’ancienne ordonnance organique du 2 janvier 1959 et son bilan est souvent présenté en demi-teinte. La LOLF impose une présentation claire et intelligible du budget de l’État (missions, programmes, actions) afin que les parlementaires puissent se prononcer en connaissance de cause chaque année sur l’ensemble des recettes et des charges de l’État, tout en établissant la destination de la dépense publique. La LOLF a contribué à introduire davantage une logique de résultats, même si l’État se contente souvent encore d’indiquer combien il dépense, selon une logique de moyens qui persiste. Il doit démontrer davantage l’efficacité des politiques publiques via des objectifs et indicateurs de performance, dont la défaillance est souvent pointée du doigt par la Cour des comptes et certains observateurs. Ensuite, la LOLF offre plus de souplesse aux gestionnaires publics (responsables de programmes, etc.) mais en échange, ces derniers se devaient d’être plus responsables et exemplaires dans l’usage des deniers publics, en étant tenus d’atteindre les résultats prévus. La responsabilité managériale d’un côté, et la responsabilité financière des gestionnaires publics de l’autre, constituent des points de fragilité du dispositif qui mérite encore des ajustements à la lumière des travaux et de la jurisprudence de la Cour des comptes (Ord. n° 2022-408 du 23 mars 2022 relative au régime de responsabilité financière des gestionnaires publics, etc.). La LOLF entendait renforcer le rôle du Parlement. Les parlementaires disposent d’informations budgétaires plus complètes ; ils ont vu leurs outils de contrôle se renforcer, notamment au sein des commissions des finances des assemblées et disposent d’une capacité accrue d’évaluer l’action publique. Ils peuvent suivre l’exécution budgétaire mission par mission, avec des rapports de performance (RAP), ce qui leur permet de mieux contrôler l’exécution budgétaire grâce à des règles comptables modernisées (budget, comptabilité générale, comptabilité analytique), une traçabilité plus fine des dépenses, et une assistance renforcée de la Cour des comptes. Toutefois, la rationalisation de la dépense publique est laborieuse, et la mise en œuvre de l’esprit vertueux de la LOLF est à la peine. La limitation des dépenses publiques inefficaces, la réallocation des ressources publiques vers ce qui marche, tout en améliorant la qualité du service public au niveau étatique, sont autant de voies vertueuses qu'il faudrait davantage emprunter. Encore faudrait-il qu’il existe davantage de volonté politique pour ce faire sur l'ensemble des rangs de nos assemblées, pour dégager une démarche plus consensuelle autour de la soutenabilité de nos finances publiques.

Ensuite, il est important d’isoler les normes législatives qui véhiculent le budget de l’État d’une année sur l’autre. Ce dernier peut être défini comme l’ensemble des dispositions, votées par le Parlement, qui prévoient et autorisent les ressources et les charges de l’État pour chaque année. Les lois de finances initiales (LFI), rectificatives (LFR) et de fin de gestion (LFFG) portent et adaptent le budget de l’État au fil du temps. Leur contenu ne se réduit pas à la description du budget de l’État. Elles contiennent aussi des dispositions sur les emplois, l’information et le contrôle du Parlement sur les finances publiques. Elles peuvent également contenir des prélèvements sur recettes au profit des collectivités territoriales et de l’Union européenne et des dispositions fiscales.

Existe-t-il une harmonisation des systèmes budgétaires en Europe ?

Petit à petit même s’il faut souligner que la souveraineté budgétaire appartient toujours et encore aux Parlements nationaux. Les instances de l’Union européenne exercent indubitablement une pression accrue sur les politiques budgétaires menées par les gouvernements des États chaque année, lesquels répercutent par ricochet sur les Parlements nationaux, par des mécanismes de droit interne (Const., art. 49 al. 3, etc.), cette contrainte, suscitant parfois (et de plus en plus souvent) le mécontentement des parlementaires nationaux. Et le droit de l’Union européenne contribue aussi à faire évoluer le droit interne des finances publiques. La récente réforme du Pacte de stabilité et de croissance (PSC) du 29 avril 2024 conduit le Parlement français à réfléchir à faire évoluer certaines règles contenues dans la LOLF, notamment son titre préliminaire contenant les dispositions relatives à la programmation pluriannuelle des finances publiques par exemple (LOLF, art. 1A s.), afin d’adapter le contenu des lois de programmation au plan structurel à moyen terme (PSMT) imposé par ces nouvelles règles européennes. Ce dispositif multilatéral contraignant de politique budgétaire, souvent d’application immédiate au sein des États membres (avec des règlements), est complété par le traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance (TSCG), et celui sur le Mécanisme européen de stabilité (MES), afin d’éviter que la crise des dettes souveraines européennes de ces dernières années ne se reproduise à l’avenir. Le droit des finances publiques, dont les règles étaient hier exclusivement écrites à l’intérieur des frontières nationales, est aujourd’hui, comme l’ensemble des branches du droit, un corpus juridique dont les fondements sont davantage définis dans le cadre des instances de l’Union européenne et au niveau international (ONU, FMI, OCDE).

Comment envisagez-vous la prochaine échéance budgétaire ?

Très certainement bien compliquée encore ! Bien chanceux celui ou celle qui peut prédire précisément la suite des débats budgétaires pour 2026 dans les prochains jours… Si le scénario d’une loi de finances spéciale semblait se dessiner suite au rejet massif de la première partie du projet de loi de finances à l’Assemblée nationale (une seule voix exprimée en faveur du texte !), mais après l'adoption de justesse à l'Assemblée nationale du PLFSS pour 2026 (à 13 voix près), son rejet probable par le Sénat en raison de la dérive des comptes publics, les discussions budgétaires sur le PLF pour 2026 s'annoncent plus difficiles encore car cela implique de trouver 4,5Md€ supplémentaires, conséquence du transfert d'une partie du déficit de la Sécurité sociale sur le budget de l’État ; l’éventualité d’une ordonnance financière (Const., art. 47 al. 3 ; Const., art. 47-1 al. 3), n’est toujours pas à exclure… Depuis l’an passé, avec mon collègue Xavier Cabannes, Professeur de droit public à l’Université Paris Cité (auteur d’un Mémento remarquable récemment mis à jour sur les finances publiques et qui rend un bel hommage au professeur Jacques Buisson), nous nous efforçons d’identifier par nos observations communes les « scénarios probables » en nous fondant sur les mécanismes actuels (LOLF, art. 45, etc.), en prenant en considération les tensions économiques, politiques et internationales (guerre en Ukraine, etc.) ; et les débats budgétaires à l’Assemblée nationale et au Sénat. Les contraintes macroéconomiques sont certaines (endettement public de la France très élevé, taux d’intérêt significatif, dépense publique excessive, etc.) et la pression européenne est réelle, souvent sous-médiatisée (v. ci-dessus). La nécessaire maîtrise des dépenses publiques (57 % du PIB en France, et donc parmi les plus élevés de la zone euro) est souvent rejetée au sein de l’opinion publique, dont les députés sont le reflet. Le contexte social (demandes de services publics plus performants, maintien du niveau des pensions de retraites, défense du pouvoir d’achat et des recrutements de fonctionnaires, etc.) conduit certains parlementaires à revendiquer des augmentations de dépenses ou des réformes sociales (suspension de la réforme des retraites et du report de l’âge de départ à 64 ans, fin des déremboursements de médicaments, etc.) ce qui mettra la pression sur le budget de l’État et des organismes de Sécurité sociale, quand le gouvernement entend renforcer les investissements militaires face aux menaces géopolitiques. Le taux élevé de prélèvements obligatoires en France (environ 43 % du PIB) devrait normalement conduire les parlementaires à voter un scénario budgétaire crédible et prudent, comme envisage de le faire le Sénat, suivant l'orientation de sa commission des finances, car l’intérêt supérieur de la Nation le commande. La commodité conduit certains députés à vouloir privilégier les hausses d’impôts, parfois en dehors de toute réalité économique. On observe que la première partie du projet de loi de finances pour 2026 a été largement rejetée par les députés, qui sont donc profondément divisés sur le sujet fiscal. La crédibilité des hypothèses économiques (croissance, inflation, recettes), c’est un sujet sensible et très complexe (raison pour laquelle le Conseil constitutionnel limite son contrôle sur la sincérité budgétaire à l'erreur manifeste d'appréciation d'ailleurs) surtout en période d’incertitudes fortes. Comme l’expliquaient les auteurs classiques, le budget est l’acte politique majeur d’un gouvernement, et lorsqu’il devient un enjeu électoral, cela rend les arbitrages difficiles et les compromis bien fragiles, ce qui est source d'instabilité gouvernementale. Or depuis 2024, suite à la dissolution de l’Assemblée nationale, l’absence de majorité claire et stable à l’Assemblée nationale, transforme cette étape en véritable chemin de croix budgétaire pour le gouvernement, sans nécessairement une prospérité à la clef. Le déficit public pour 2024 s’est établi selon l’INSEE à 169,6 Md€, soit 5,8 % du produit intérieur brut (PIB), après 5,4 % en 2023 et 4,7 % en 2022. Il est donc à craindre que les années 2025 et 2026 ne soient guère rectifiées.

Le questionnaire de Désiré Dalloz

Quel est votre meilleur souvenir d’étudiant ? Ou le pire ?

Toulousain d’origine, je garde un souvenir ému de mes premiers enseignements juridiques auxquels j’ai assisté au sein de l’amphi Cujas, à écouter mes enseignants qui arboraient la robe universitaire, tout en me passionnant à comprendre ceux qui me parlaient de droit public. Je ne peux oublier mes nombreux passages devant le buste de Maurice Hauriou, qui trône au milieu des jardins des anciennes facultés toulousaines, pour me rendre à la Bibliothèque Garrigou, où régnait une ambiance studieuse et agréable au milieu des vieux ouvrages reliés de cuir et des parquets cirés anciens.

Quel est votre héros de fiction préféré ?

En tant qu’escrimeur, je ne peux m’empêcher de vous répondre Cyrano de Bergerac, ce chef-d’œuvre d’Edmond Rostand ! Plus jeune, Cyrano m’a ému, alors je l’ai lu et relu, vu et revu. C’est un héros romantique que j’affectionne particulièrement ! Grotesque par sa disgrâce physique, je trouve qu’il allie le courage physique à la timidité et qu’il alterne l'énergie et la mélancolie.

Quel est votre droit de l’homme préféré ?

Le droit de constater la nécessité de la contribution publique, de la consentir librement, d'en suivre l'emploi, et d'en déterminer la quotité, l'assiette, le recouvrement et la durée ; et le droit de demander compte à tout agent public de son administration. C’est le fondement de toute démocratie…

 

Auteur :MBC


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