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À propos du mode de scrutin et de la composition de l’Assemblée nationale
Jean-Pierre Camby est professeur associé à l’Université de Versailles Saint-Quentin en Yvelines, auteur des commentaires et des annotations de jurisprudence et de bibliographie du Code électoral Dalloz. Grâce son expertise mais également son intense énergie, il nous fait comprendre ce que sont les lignes essentielles des différents scrutins.
Quel était le mode de scrutin des dernières élections législatives ?
Le mode de scrutin aux élections législatives (pour les députés et les sénateurs) relève de la compétence du législateur ordinaire. Pour les sénateurs, il est adapté au nombre de sénateurs à élire dans la circonscription, c’est-à-dire qu’il est fonction de la taille du département en cause : majoritaire s’il y a un ou deux sénateurs à élire, proportionnel au-delà. Le curseur a parfois été fixé à trois, mais, depuis 2013, il est donc de deux. Ce double mode de scrutin ne crée pas de différence notable quant à l’exercice du mandat, compte tenu de l’homogénéité du corps électoral, « essentiellement composé de membres des assemblées délibérantes des collectivités territoriales » (Cons. const. 6 juill. 2000, n° 2000-431 DC). Pour les députés, le scrutin a toujours été, depuis 1958, majoritaire à deux tours à une exception près. En 1986, les élections se sont en effet déroulées à la proportionnelle dans un cadre départemental, mais la législature de cohabitation qui en a résulté n’a duré que deux ans. Le premier ministre de l’époque, Jacques Chirac, est à l’initiative d’un retour au scrutin majoritaire à deux tours dès novembre 1986. Ce mode de scrutin majoritaire à deux tours a donc été appliqué aux élections des 30 juin et 7 juillet derniers, comme aux précédentes.
Le scrutin majoritaire impose de découper le territoire (ou le reste du monde pour les 11 députés représentant les Français établis hors de France) en 577 circonscriptions qui doivent respecter l’égalité de suffrage, c’est-à-dire un critère essentiellement démographique. En France, il est uninominal (on ne vote que pour un nom, assorti d’un nom de remplaçant appelé à occuper le siège dans certaines circonstances, notamment si le titulaire devient ministre, alors de manière provisoire).
À l’exception de 1986, il y a toujours eu deux tours, séparés d’une semaine : seuls les candidats ayant obtenu au moins 12,5 % des inscrits peuvent se maintenir. Cette modalité est propice aux négociations entre les deux tours, qui évitent des triangulaires : on l’a vu lors des premiers jours de juillet par les désistements qui expliquent le résultat en sièges.
Le principal reproche adressé à ce mode de scrutin est d’être inégalitaire : il ne répartit pas les sièges en fonction des voix obtenues par les forces en présence, mais au profit du seul vainqueur dans la circonscription. Il est d’effet très brutal à un seul tour, comme en Grande Bretagne et aux États-Unis où l’élection présidentielle se joue à la majorité relative dans chaque État : les grands électeurs d’un candidat, majoritaires dans l’État, obtiennent la totalité des mandats de cet État en vue d’élire le Président (« Winner takes all »). En revanche, il évite les marchandages. Il conduit ainsi, comme Maurice Duverger a pu le soutenir en 1951, à un bipartisme au niveau national et dégage des majorités cohérentes. À deux tours, il n’engendre pas la même bipolarisation lors du vote, puisqu’il permet à des formations multiples, « courants », « nuances » ou nouvelles forces politiques émergentes d’obtenir des sièges, mais il rend nécessaire leur regroupement en vue d’un accord de gouvernement. De telles conséquences, habituelles, n’ont cependant pas été vérifiées en 2022, et moins encore en 2024, où la mobilisation, pourtant forte de l’électorat, se traduit par un émiettement de la représentation divisée en 11 groupes à l’Assemblée, par la montée du vote aux extrêmes, et par l’absence de majorité numérique claire. Les groupes de députés sont restés fortement indépendants les uns des autres, en dépit du scrutin majoritaire. Si ce mode de scrutin a pour but de dégager une majorité en sièges, il faut constater au soir du 7 juillet que ce but n’est pas atteint. La difficulté de nommer un Premier ministre et de composer un gouvernement en témoigne.
Au-delà de cette conjoncture politique, le scrutin majoritaire demeure généralement associé à la stabilité gouvernementale.
S’il avait été proportionnel, comment cela aurait changé la composition de l’Assemblée nationale ?
Le mode de scrutin joue un grand rôle quant à l’attribution des sièges : la représentation proportionnelle aurait changé la composition de l’Assemblée. Il est beaucoup plus difficile de répondre à la question « comment » elle l’aurait fait, et cette difficulté s’explique par au moins trois raisons.
La première est que l’électeur ne se détermine pas de la même manière selon qu’il vote au scrutin majoritaire dans une circonscription, où l’équation personnelle du candidat joue un rôle parfois délié de son étiquette politique, ou qu’il est confronté à une liste entière, où les appartenances politiques deviennent un critère de choix essentiel, voire exclusif. En cas de représentation proportionnelle, chaque parti se présenterait séparément, sauf accord en amont, tandis qu’en juillet 2024 l’accord au sein du Nouveau Front Populaire, et les consignes de désistement, opérations déterminantes pour les résultats finaux, n’interviennent qu’après le premier tour, restreignant souvent le vote à un choix manichéen, qui traduit moins la préférence positive de l’électeur que son souci d’éliminer un des deux candidats restant en lice. La représentation proportionnelle aurait sans doute traduit un émiettement encore plus fort du paysage politique et conduit à des difficultés accrues pour composer un gouvernement.
La deuxième raison est qu’en cas de représentation proportionnelle, les partis sont presque prêts en permanence à l’échéance suivante : ils tiennent à jour un programme électoral, préparent leurs candidats par des processus internes, etc. Au contraire la dissolution du 9 juin prend de court tous les acteurs, et ne permet pas l’émergence organisée des candidatures. Les investitures n’auraient pas été les mêmes si la représentation proportionnelle était appliquée.
Le troisième élément d’indétermination de la réponse est sans doute le plus important. Lorsque s’applique une représentation proportionnelle, les modalités concrètes du scrutin jouent un rôle essentiel dans la détermination des résultats. La représentation proportionnelle vise une répartition qui traduit en sièges les résultats en voix, une sorte de photographie de l’état réel de l’opinion publique au moment du vote. Mais cette photographie peut être retouchée de plusieurs manières : un seuil minimal de voix pour participer à l’attribution des sièges, un résultat très différent selon la taille, nationale, régionale, départementale ou locale de la consultation, des règles de calcul qui ont une importance sur l’attribution des derniers sièges (les voix qui n’atteignent pas le quotient électoral nécessaire à l’attribution d’un siège ou les voix restantes après la première attribution). Et surtout on reprochera à la photographie de ne faire figurer que les personnages choisis par les partis et d’émietter la représentation qui en résulte.
On peut illustrer cela en faisant une projection nationale, même grossière, des sièges qu’aurait obtenus chacune des grandes formations si les résultats du second tour étaient retenus comme base de calcul. Sur le plan national, comme ce fut le cas pour les élections européennes du 9 juin, si l’on se réfère aux nuances des candidats telles que retenues par le ministère de l’Intérieur, et aux résultats correspondants au second tour, dès la première attribution des sièges, le RN serait encore plus représenté (32 % des voix, soit 185 sièges), l’Union de la gauche en obtiendrait 144 (25 % des voix), le camp présidentiel 132 (23 %) et, avec un seuil de 5 %, les républicains comme l’union de la droite (Ciottiste) auraient 5 % des sièges, soit 23 députés chacune. 60 sièges resteraient encore à attribuer, compte tenu des formations n’atteignant pas le seuil, ce qui conduirait à attribuer environ 20 sièges au RN et 15 pour l’union des gauches. Au total, avec une représentation proportionnelle nationale, le RN aurait plus de 200 sièges, alors que celui-ci compte actuellement 126 membres. Le camp présidentiel en aurait obtenu 150 soit à peu près sa représentation actuelle. Mais un tel calcul est nécessairement inexact : un seuil de 3 %, une proportionnelle régionale ou départementale donnerait de tout autres résultats.
Une telle projection n’a donc rien d’une science exacte : la stratégie de partis centristes, d’Horizon, du parti socialiste ou des LR aurait pu infléchir ces résultats, qui varieraient également beaucoup en fonction du cadre géographique retenu pour les circonscriptions : un scrutin régional ou départemental donnerait des résultats différents. Les modalités d’une représentation proportionnelle jouent donc un grand rôle.
Quelles sont les différentes catégories de scrutin proportionnel ?
D’abord il peut être intégral ou non : en Allemagne, le vote se fait à la fois pour des listes et pour des candidats individuels. Il peut aussi être fonction de la taille de la circonscription. En 2021, la proposition de loi de Patrick Mignola proposait d’appliquer la Représentation proportionnelle dans les départements élisant 12 députés ou plus, et, en deçà d’appliquer un scrutin majoritaire. Mais le risque de discriminer ainsi les départements les plus peuplés (Nord, Paris, Bouches du Rhône, Rhône, Gironde, …) est de créer deux sortes de députés, les petits départements conduisant à un lien plus fort entre l’élu et l’électeur. Le rôle des fédérations des partis serait ainsi essentiel dans les grands départements alors que le localisme des candidatures autant que l’étiquette seraient déterminants sur le reste du territoire.
En outre, l’attribution des restes (une fois les sièges attribués à toutes les listes qui franchissent un nombre entier d’attributions) selon que l’on répartit le siège à attribuer à la plus forte moyenne ou aux plus forts restes, qui favorise plutôt les petites formations. Il existe enfin de nombreuses autres variantes selon le diviseur retenu pour l’obtention des sièges.
Autant de variantes, autant de résultats différents sur l’attribution de quelques-uns des sièges, qui peut s’avérer déterminante par exemple pour la possibilité de créer un groupe parlementaire, voire pour dégager une majorité d’accord gouvernemental.
Ce mode est -il utilisé lors des élections dans d’autres États membres de l’Union européenne ?
Oui, dans la plupart des démocraties voisines le scrutin proportionnel est en vigueur : Espagne, Belgique, Portugal, Allemagne Danemark ou Italie par exemple. Au sein de l’Union européenne, la France fait figure d’exception, avec le Sénat polonais, élu au suffrage universel majoritaire. Sur le continent européen, l’exception la plus marquée est la Grande Bretagne qui a toujours pratiqué un scrutin majoritaire à un tour. Mais si les accords de gouvernement en Allemagne, en Espagne, voire en Italie incitent à la référence ou suscitent l’envie, il faut se souvenir que l’équation institutionnelle y est très différente. Il existe nécessairement en France une majorité présidentielle qui détermine la gouvernance par la légitimation d’un Président élu. Et par ailleurs il existe aussi en France une majorité parlementaire dont le gouvernement collégial doit être l’émanation, comme dans tout régime parlementaire. Lorsque les deux coïncident, un accord de gouvernement renforce la place du président de la République plus que celle du gouvernement. Lorsque ni l’une ni l’autre ne sont « trouvables », ce qui est le cas aujourd’hui par érosion de la première et éclatement de la deuxième, l’accord ne peut exister que par défaut.
Selon vous, le déficit de confiance dans les institutions changerait-il grâce à un nouveau mode de scrutin ?
Non : la confiance ne s’établit pas par voie de prescription juridique. Et le déficit de confiance, certes accentué par le quinquennat et la chronologie électorale actuelle, a bien d'autres causes.
Le questionnaire de Désiré Dalloz
Quel est votre meilleur souvenir d’étudiant ?
Les amitiés alors nouées.
Quels sont votre héros et votre héroïne de fiction préférés ?
Cyrano de Bergerac et Laureline (dans la bande dessinée Valérian et Laureline de Christin et Mézières)
Quel est votre droit de l’homme préféré ?
La liberté de conscience.
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