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[ 4 juillet 2019 ] Imprimer

Accès aux origines personnelles et anonymat

Au début du mois de juin 2019, une tribune publiée dans Le Monde revient sur l’accès aux origines pour les enfants conçus par don alors que la révision des lois de bioéthique devrait être présentée en Conseil des ministres prochainement. Jean-René Binet, professeur à la Faculté de droit de Rennes, directeur de l’École doctorale de droit et de science politique (ED DSP), auteur d’un manuel de Droit de la bioéthique et coauteur de « La bioéthique en débat : Le début de la vie » paru récemment chez Dalloz, a bien voulu nous répondre sur ce sujet si intime.

En quoi consiste l’accès aux origines personnelles ?

L’accès aux origines personnelles peut être sommairement défini comme celui qui permet d’accéder à la véritable filiation biologique lorsque celle-ci a été volontairement cachée : le père ou la mère ou les deux sont inconnus. Dans la plupart des cas, l’enfant peut aujourd’hui agir aux fins d’établissement de sa filiation paternelle ou maternelle, principalement grâce au recours à une preuve génétique. On ne parle cependant pas, dans ces hypothèses, d’accès aux origines, mais d’établissement de la filiation. L’expression « accès aux origines personnelles » est alors réservée aux situations où la loi a volontairement organisé le secret des origines. Deux cas de figure se rencontrent. Le premier est celui de l’accouchement dans le secret, parfois nommé accouchement « sous X ». C’est au sujet de cette situation que l’expression a été initialement consacrée. Lorsqu’une femme a, conformément à l’article 326 du Code civil, demandé à conserver le secret sur son identité lors de son accouchement, l’enfant qui en est issu dispose, depuis la loi du 22 janvier 2002 d’un droit d’accès à ses origines personnelles, c’est-à-dire à l’identité de celle-ci. Il s’agit cependant d’un accès conditionné car il suppose une saisine du Conseil national d’accès aux origines personnelles et, surtout, que la femme ait, conformément aux dispositions de l’article L. 222-6 du Code de l’action sociale et des familles, laissé des informations permettant de l’identifier. Toutefois, la quête des origines n’est pas réservée à ces seuls enfants. La seconde situation concerne en effet ceux qui sont issus du recours à une technique d’assistance médicale à la procréation avec un don de gamètes. Depuis les premières lois de bioéthique, promulguées le 29 juillet 1994, il est en effet possible pour un couple formé d’un homme et d’une femme vivants et en âge de procréer, de bénéficier d’une assistance pouvant, si les techniques intraconjugales sont infructueuses, nécessiter un don de gamètes, ovocytes ou spermatozoïdes. Ces techniques d’assistance médicale à la procréation, que l’on nomme exogènes ou hétérologues, représentent aujourd’hui 0,15 % des naissances annuelles en France. Sur 800 000 naissances, à peu près 23 000 enfants naissent à la suite d’une AMP intraconjugale et environ 1 200 enfants à l’issue d’une assistance médicale exogène. À sa naissance, l’enfant voit sa filiation établie à l’égard des deux membres du couple. Pour l’un des deux, cette filiation n’est donc pas conforme à la vérité biologique.

Quels en sont les obstacles ?

Pour se limiter à la question des enfants nés d’un don de gamètes, les obstacles résultent de la loi qui impose une règle de strict anonymat de manière générale, pour tous les dons d’éléments et de produits du corps humain : organes, sang, tissus, etc… Malgré la différence essentielle que les cellules sexuelles – les gamètes – entretiennent avec les autres éléments et produits, la même règle, posée à l’article L. 1211-5 du Code de la santé publique, leur est applicable. En raison de cette fausse analogie, le donneur ne peut connaître l'identité du receveur, ni le receveur celle du donneur et aucune information permettant d'identifier à la fois celui qui a fait don d'un élément ou d'un produit de son corps et celui qui l'a reçu ne peut être divulguée. L’article 511-10 du Code pénal en renforce l’effectivité en punissant de deux ans d’emprisonnement et 30 000 euros d’amende le fait de divulguer une information permettant à la fois d'identifier une personne ou un couple qui a fait don de gamètes et le couple qui les a reçus. Cette interdiction se double d’un interdit d’établissement de la filiation à l’égard du donneur affirmé par l’article 311-19 du Code civil

Le juge administratif a été récemment saisi de plusieurs demandes d’accès à leurs origines par des enfants nés d’un don de gamètes. Les prétentions des requérants étaient principalement fondées sur la violation de leur droit à la vie privée et familiale, protégée au titre de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme. L’argumentation n’a cependant pas séduit le Conseil d’État qui, dans deux décisions, rendues le 12 novembre 2015 pour la première et le 28 décembre 2017 pour la seconde, a refusé de considérer que l’atteinte portée à l’identité des requérants justifiait une levée, à leur profit, de l’anonymat.

Faut-il craindre la fin de l’anonymat des dons de spermatozoïdes et d’ovules, les gamètes ?

Deux raisons convergentes permettent de considérer que le strict anonymat actuel ne pourra être maintenu. 

La première raison est liée à l’évolution des techniques et de leur coût ainsi qu’au développement des sites offrant des services généalogiques. Malgré l’interdiction posée par l’article 226-28-1 du Code pénal, il est désormais possible, pour moins de 1 000 euros d’obtenir un séquençage de son génome et de découvrir, par exemple, que l’on a des ascendances vikings ou que l’on présente un risque accru d’infarctus du myocarde. En règle générale, les sites internet proposant ce type de service, conservent les données génétiques de leurs clients et alimentent ainsi une base de données qui ne cesse de croître rendant chaque jour plus probable qu’un lien de famille soit identifié entre deux clients. Il suffit alors qu’un cousin germain ou une vieille tante du donneur de sperme ait rendu son patrimoine génétique accessible de cette manière pour qu’un enfant né de son don identifie en y procédant à son tour, une personne qui lui est apparentée. Il ne reste plus qu’à mener une petite enquête dans la famille de l’apparenté pour identifier le membre de la famille qui, vingt ans ou trente ans plus tôt habitait à proximité de l’hôpital où le sperme a été donné. Techniquement, le secret absolu ne peut donc plus être garanti.

La seconde raison est juridique. La Cour européenne des droits de l’homme est actuellement saisie de deux requêtes, initiées par les plaideurs déboutés par le Conseil d’État. Le risque de condamnation de la France est élevé car la jurisprudence de Strasbourg accorde une place prépondérante à la vérité des origines. Elle a consacré un véritable droit aux origines personnelles au profit des enfants nés sous X et affirme que l’intérêt supérieur de l’enfant est toujours de connaître la vérité sur celles-ci. La décision devrait être prochainement rendue et elle pourrait condamner cette règle de secret absolu.

Quelles pourraient être les nouvelles dispositions sur l’anonymat dans les lois de bioéthique en cours de révision ?

Disons tout d’abord que, sans connaître encore la teneur du projet de loi, qui sera vraisemblablement présenté en Conseil des ministres en juillet, il est fort probable, pour les deux raisons évoquées plus haut, qu’il modifie les règles relatives à l’anonymat du donneur. Plusieurs pistes ont été esquissées par le Conseil d’État dans l’étude qu’il a publiée en juillet 2018 au sujet de la révision. Le rapport Touraine du 15 janvier 2019, rédigé au nom de la mission d’information parlementaire les a également envisagées. Il préconise de permettre aux personnes conçues à partir d’un don de gamètes ou d’embryon d’accéder à leurs origines sur simple demande, dès l’âge de 18 ans :

– pour tous les dons effectués après l’entrée en vigueur de la prochaine loi de bioéthique ;

– sous réserve du consentement du donneur pour les dons effectués avant l’entrée en vigueur de la prochaine loi de bioéthique.

Moins radical que le rapport Touraine – sur ce point et quelques autres –, le Conseil d’État suggère quant à lui de solliciter le consentement du donneur au moment où un enfant majeur, conçu grâce à son don, effectue sa demande d’accès aux origines. Le donneur serait informé de cette perspective au moment où il effectue son don. 

Le questionnaire de Désiré Dalloz

Quel est votre meilleur souvenir d’étudiant ? Ou le pire ?

Je garde, de manière très générale, d’excellents souvenirs de mes années d’études car j’ai vraiment beaucoup aimé être étudiant en droit. C’est certainement pour cela que j’ai voulu embrasser une carrière universitaire. Avant de faire ma thèse à Toulouse, j’ai étudié à Caen où j’ai eu la chance d’avoir d’excellents maîtres. S’il faut choisir entre les mille très bons souvenirs, je parlerai de deux moments. Le premier cours, un lundi matin d’octobre 1989. C’était un cours d’histoire du droit, très impressionnant, dans l’amphi Pierre Daure, bondé et surchauffé. Nous étions mille, les derniers arrivés étaient obligés de s’asseoir sur les marches, protestaient, jouaient des coudes ; des journalistes étaient présents, caméra sur l’épaule, pour un reportage sur la rentrée universitaire. Dans ce vacarme, je me souviens de l’autorité du professeur, Mme Musset, seule sur l’estrade, écoutée de tous, dès ses premiers mots. Je garde d’elle et de ses enseignements, jusqu’en DEA, un souvenir ému. Le premier TD, un samedi matin, en novembre. Ce fut un moment très particulier. L’assistant de droit civil qui s’occupait de nous avait réuni ses 5 groupes de TD dans ce qui s’appelait alors le « grand amphithéâtre », aujourd’hui amphithéâtre Demolombe. Il avait revêtu la robe académique. Je ne sais plus exactement de quelle manière il nous a présenté les études de droit ou le droit civil. Je me souviens juste que c’était enthousiasmant, érudit, passionnant. Cela a certainement été l’un des moments les plus importants de ma vie d’étudiant. Je venais en effet de rencontrer celui qui deviendrait, quelques années plus tard, mon directeur de thèse.

Quel est votre héros de fiction préféré ?

Il s’agit de Gilliatt, le personnage central du roman de Victor Hugo Les travailleurs de la mer. Courageux, déterminé, sincèrement passionné, honnête : « à trente ans, il en paraissait quarante-cinq. Il avait le sombre masque du vent et de la mer. On l'avait surnommé Gilliatt le Malin ». C’est un peu l’Ulysse d’Homère. Son Odyssée est moins longue et plus réaliste, plus cruelle aussi. 

Quel est votre droit de l’homme préféré ? 

La libre communication des pensées et des opinions dont l’article 11 de la Déclaration de 1789 fait un des droits les plus précieux de l’Homme.

 

Auteur :Marina Brillé-Champaux


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