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[ 30 juin 2016 ] Imprimer

Administratrice ad hoc

S'orienter, étudier, passer des concours, suivre des stages, découvrir un métier, décrocher un contrat... Autant d'étapes importantes qui soulèvent, pour chaque étudiant, un foisonnement de questions. Afin de démêler les réalités des idées reçues, Dalloz Actu Étudiant a décidé de décrypter tous les mois les spécificités d'un métier du droit à partir du témoignage d'un professionnel.

Ils font partie de ces personnes dans les tribunaux qu'on appelle auxiliaires de justice. Ce n'est pas leur métier, administrateur ad hoc est leur fonction. Un rôle qui exige beaucoup d'humanité et de pédagogie puisqu'ils représentent les mineurs appelés à rencontrer un juge, un tribunal, une procédure judiciaire en tant que victimes. Agnès Henrion est administratrice ad hoc au tribunal de grande instance de Créteil, une mission pour laquelle elle s'investit entièrement.

Quel a été votre parcours avant de devenir administratrice ad hoc ?

Je ne viens pas du milieu de la justice. J’ai eu une vie professionnelle comme commerciale d’abord puis comme photographe plasticienne. Aujourd’hui j’ai mis la photo un peu de côté par manque de temps surtout. C’est aux juristes de la Croix Rouge, rencontrés lors d'une exposition de mes photographies, que je dois la découverte de la fonction d'administrateur ad hoc. A l’époque, ils en recherchaient pour la ZAPI, la zone d’attente pour personnes en instance de l’aéroport de Roissy. Il s'agit des personnes non admises sur le territoire français. La mission est très intense puisqu'elle engage l’avenir d’un jeune sur une durée d’intervention très courte : la présentation devant le juge de la liberté et la détention est obligatoire dans les 96 heures de l’arrivée du jeune. La mission prend fin dès l’accès du jeune au territoire ou dès son réacheminement.

Il manquait aussi un administrateur ad hoc à l’aéroport d’Orly et je me suis lancée seule, en mon nom propre. Le parquet m’a alors proposé de prendre en charge quelques missions concernant des mineurs victimes au TGI de Créteil dont dépend précisément la zone d'attente d'Orly. J’ai beaucoup hésité mais dès la première mission j’ai senti qu’il y avait beaucoup à faire pour aider enfants et parents dans ces situations. J’avais pratiqué l’art thérapie, j’avais une petite expérience concernant les jeunes majeurs en rupture familiale bénéficiant des contrats « jeune majeur ». Je me suis dit qu’il fallait sans doute les aider en amont afin qu’ils n’arrivent pas à ces situations de rupture.

Vous faites aussi de la médiation familiale ?

Oui, je termine ma formation de médiateur familial en plus de mon activité d’administrateur ad hoc. Dans certaines situations, les parents ont surtout besoin d’être aidés dans ce rôle. Ce n’est pas toujours facile avec les adolescents et parfois les parents arrivent à des violences en ayant le sentiment qu’ils ne peuvent pas faire autrement, parce qu'ils veulent que leur enfant réussisse à tout prix, qu’il ne dévie pas du droit chemin. Cela n'est bien sûr pas du tout approprié.

Au-delà de la sanction pénale qui vient poser l’interdit, les parents doivent réagir et trouver un nouveau mode éducatif. La médiation pénale à caractère familial voire la médiation familiale peuvent les y aider. Personnellement, cette discipline a changé ma pratique de l'administration ad hoc. Je prends soin de laisser les deux parties s’exprimer, chacune ayant des attentes et des besoins qui peuvent être entendus. Cela permet de donner de l'humanité à tout le monde. Dans le cadre intra-familial, les parents restent les parents des enfants même s’ils sont condamnés par la justice. Le plus souvent d’ailleurs l’enfant continue à vivre au sein de la cellule familiale alors qu’il a dénoncé des faits de violences aux institutions et qu’un de ses parents est convoqué en justice. Ce constat ne vaut pas bien sûr pour les actes à caractère sexuel.

Dans quel cadre intervenez-vous ?

L'administrateur ad hoc peut être désigné par le procureur de la République au moment où une information préoccupante est prise en compte. Souvent à ce stade et pour le protéger, l'enfant est placé dans un foyer ou une famille d’accueil. Les parents sont alors convoqués par le juge des enfants lequel est saisi par le procureur de la République qui a délivré une ordonnance de placement provisoire. Cette convocation intervient en général une dizaine de jours après. C’est au juge des enfants de décider s’il est nécessaire de maintenir le placement pour la protection du mineur ou si l’enfant peut retourner dans sa famille avec ou sans mesure éducative. 

L’administrateur ad hoc peut aussi être désigné par le juge d’instruction dans le cadre de l’instruction, à tout moment, dès qu’il y a un conflit d’intérêt avec un des parents. Ce sont les dossiers les plus longs et les plus lourds mais aussi ceux dans lesquels l’administrateur ad hoc a le plus grand rôle puisqu’il suit le mineur tout au long de l’instruction. C'est la personne qui doit demander tous les actes qu’il estime nécessaires avec les conseils de l’avocat qu’il choisit dès sa propre désignation.

Les juges des enfants peuvent également nous désigner au pénal quand les auteurs sont mineurs ou en assistance éducative lorsqu’il estime que l’enfant a besoin d’être épaulé face à ses parents ou aux institutions qui ont des points de vue inconciliables. Il peut alors être utile qu’une personne neutre intervienne avec un avocat afin de relayer la parole de l’enfant.

Enfin le juge correctionnel peut nous désigner dans le cadre de l'audience correctionnelle afin que la parole de l’enfant victime soit là aussi entendue. Celui-ci sera alors représenté par un avocat selon le principe du contradictoire.

En quoi consistent vos missions ? Quelle est votre relation avec l'enfant ?

C’est une relation unique, on ne la retrouve nulle part. Nous partageons une histoire douloureuse vécue souvent comme honteuse. Je ne suis pas assistante sociale, ni psychologue, ni avocate, mais je suis souvent au carrefour de toutes ces matières. Mon rôle n’est pas d’aider l’enfant à se reconstruire psychologiquement. En revanche, l’aider à avoir un suivi psychologique est une nécessité.

Je n’oblige jamais l’enfant à parler des faits sauf avant l'audience, sachant qu'une audience correctionnelle, nous la préparons lors d'un rendez-vous avec l'avocat. En revanche, je lui explique dès la première rencontre que je connais le dossier, que j’ai lu toutes les auditions qui ont été faites par la police et que l’avocat aussi. Nous expliquons aux enfants que nous sommes soumis au secret professionnel et que ce qu’ils nous disent ne sera pas répété à leur famille. Il est important qu’une confiance s’installe. Nous préparons les audiences au cabinet de l’avocat afin de pouvoir lire tout ce qui est nécessaire dans le dossier d’instruction.

Une audience de cour d’Assises se prépare sur plusieurs semaines. Les avocats ne comptent pas leur temps dans les dossiers de mineurs. Nous expliquons toujours à l'enfant que nous sommes à leur côté jusqu’au jugement. Après, libre à lui de nous oublier !

En 2015, j’étais seule ou presque à Créteil (d'autres administrateurs ad hoc ont été recrutés depuis, ndlr). J’ai représenté une centaine de mineurs que j’ai tous rencontrés, à quelques exceptions près. Si ce n'est pas le cas, on demande le renvoi sur intérêts civils ainsi la partie pénale peut être jugée et cela nous laisse une possibilité de voir le mineur.

Vous disiez que le temps de la procédure peut être long, comment gérez-vous cette temporalité avec l'enfant ?

Tout dépend du moment où j'interviens. Quand c'est une désignation de la 9e, 10e ou 11e chambre qui sont des chambres correctionnelles, cela intervient des mois après les faits donc c'est compliqué. Il y a des enfants qui ne se souviennent pas, d'autres sont retournés à leur vie de tous les jours avec les parents prévenus. C’est différent quand nous intervenons dès la connaissance des faits. Je suis parfois la première après les policiers avec qui ils parlent des faits. L’enfant est encore marqué physiquement quelquefois. La relation n’en est que plus forte et singulière puisque, contrairement à la police, nous restons à ses côtés tout au long de l’instruction jusqu’à la Cour d’assises si les faits sont criminels ou jusqu’à l’audience correctionnelle pour les délits. Je leur dis toujours que je suis là, que j'irais voir la première l'avocat, seule, et qu'ensuite, si l'avocat ne leur convient pas, ce n'est pas un problème, on en changera. Quand c'est une procédure d'instruction je leur dis qu'on va se voir pendant assez longtemps mais qu'ensuite ils ont le droit de m'oublier. Je leur dis toujours que je suis là pour la partie pénible de leur vie. Celle où on pleure, on crie, où tout est injuste et tellement long. Que l’enfant soit confié à l'aide sociale à l'enfance ou pas, cette histoire reste entre nous. Ensuite, c’est l’enfant qui décide de ce qu’il veut bien dire de son histoire à ceux qui s’occupent de lui au quotidien.

Qu'est-ce qui vous plaît dans cette fonction ?

Avec toute la modestie que notre rôle confère, nous ne sommes que des passeurs, des facilitateurs. Juste un intermédiaire entre la justice, sa rigueur et les enfants. Néanmoins la qualité du lien qu’on peut tresser avec lui rend notre mission positive dans les procédures face au côté rigide de la procédure. Nous sommes physiquement présents. Je donne mon numéro de téléphone sans restriction et les jeunes peuvent m’envoyer des SMS à tout moment. Ils ne s’en privent pas ! L’important demeure qu’à l’issue de la procédure, ils aient l’impression d'avoir abordé tout ce qu’ils avaient sur le cœur et que grâce à cela, ils puissent passer à autre chose sans zone d’ombre. C’est comme cela qu’ils pourront dépasser, non sans aide de professionnels, leur statut de victime qui n’a rien d’une fin en soi.

Après les audiences de jugement, nous proposons aux familles un rendez-vous avec l’avocat pour expliquer les décisions. Nous ne sommes que partie civile, c’est le procureur qui sanctionne. Nous n’intervenons que pour la réparation du préjudice et en cas de relaxe ou d'acquittement, nous ne pouvons pas faire appel des décisions. Seul le procureur le peut. La question des dommages et intérêts est sensible en matière familiale et nous le gérons vraiment au cas par cas. En général, en correctionnelle, sur des faits uniques de violences, les demandes d’indemnisation au titre du préjudice moral sont exceptionnelles et nous ne faisons les demandes qu’avec l’accord des victimes dès lors qu’elles ont un discernement suffisant. Pour les dossiers à caractère sexuel, les demandes de dommages et intérêts sont systématiques. Les conséquences ne peuvent pas être estimées puisqu’il s’agit de personnes en devenir, nous devons leur prévoir une indemnisation adéquate pour un suivi psychologique à long terme. Et il ne faut pas oublier que cela coûte très cher ! Pour l'aspect pratique, cet argent est déposé sur un compte bloqué jusqu’aux 18 ans de l’enfant et géré par le juge des tutelles.

Selon vous, comment a et va évoluer cette fonction ?

Les choses n'ont pas évolué. Depuis la circulaire Villepin (Circulaire n° CIV/01/05 prise en application du décret n° 2003-841 du 2 septembre 2003 relatif aux modalités de désignation et d’indemnisation des administrateurs ad hoc institués par l’article 17 de la loi n° 2002-305 du 4 mars 2002 relative à l’autorité parentale, ndlr), rien n'a évolué, ni nos rémunérations. La fonction d'administrateur ad hoc n'est pas du tout mise en valeur et tant que la rémunération n'augmentera pas, ce sera difficile de mener ces missions car cette fonction mérite d'être exercée par de vrais professionnels, c'est un vrai rôle.

Je pense que les magistrats doivent prendre en compte dans toutes les procédures qu'un enfant victime est dans une situation de vulnérabilité qui mérite qu'il soit accompagné par quelqu'un de neutre, mais aussi capable d'empathie et doté de connaissances juridiques suffisantes pour que l'enfant victime puisse se (re)construire au plus vite.

Par ailleurs, il est important que les administrateurs ad hoc restent indépendants. Il est aussi essentiel aussi qu’ils aient du recul, une expérience, des connaissances juridiques. Bref une réelle connaissance de la matière afin d’accompagner la jeune victime et faire valoir tous ses droits. C’est là qu’intervient l’indépendance qui doit accompagner notre rôle puisque nous ne faisons que porter la parole de l’enfant.

Questionnaire de Désiré Dalloz

Quel est votre pire ou meilleur souvenir d'étudiant ?

Sans doute la rencontre de celui qui allait devenir le père de mes enfants et aussi mon ex-mari !

Quel est votre héros de fiction préféré ?

Ma série préférée et depuis longtemps car ça n'a jamais été égalé, c'est Lost. C'est un souvenir assez fort. Ma famille et moi habitions à New York au moment où la première saison est sortie. Nous attendions avec impatience chaque nouvel épisode, le sujet était passionnant, on avait l'impression que personne ne savait où ça allait aller, pas même les scénaristes. 

Pour ce qui est de mon personnage préféré, je pense que c'est Don Quichotte, on me reproche souvent de lui ressembler. Il représente beaucoup de mes valeurs.

Quel est votre droit de l'homme préféré ?

Je suis évidemment fière de notre déclaration des droits de l'homme, heureusement que les principes de base sont écrits ! Mais il faut bien sûr se battre et rester vigilants pour que ces beaux principes continuent à prospérer dans une société peu encline à les respecter. Une liberté publique qu'on a tendance à oublier, c'est le droit au logement. Je pense que c'est une des bases en matière familiale...

Carte d'identité de l'administrateur ad hoc

Avant tout, ce sont les qualités d'humanité et de pédagogie de l'administrateur ad hoc qui comptent puisqu'il doit veiller au respect de l'enfant, à la prise en compte de sa parole et de ses droits, lui permettre également de s'exprimer sur des faits douloureux et prendre le temps nécessaire pour que celui-ci comprenne les enjeux, la procédure, le rôle des intervenants. L'administrateur ad hoc est à la fois représentant juridique et accompagnant de l'enfant. Il désigne l'avocat et travaille en concertation avec lui, procède également à la demande d'aide juridictionnelle si besoin.

■ Les chiffres

Il n'existe pas de statistiques concernant cette fonction.

■ La formation

Leur profil est très hétérogène (psychologue, juriste, travailleur social...) et il n'existe pas de formation uniformisée à l'échelle nationale. Toutefois une formation paraît nécessaire pour répondre aux exigences procédurales et aux attentes de l'enfant et des professionnels. Plusieurs associations mettent en place des modules de formation et des colloques à l'instar de l'INAVEM qui propose un stage annuel.

■ Les domaines d'intervention

Droit pénal, droit civil, procédure de maintien en zone d'attente, demande d'asile. L'administrateur ad hoc peut intervenir de différentes manières, de la simple représentation procédurale à l'accompagnement social voire éducatif du mineur.

■ Le salaire

Il s'agit d'une indemnité forfaitaire et non d'un salaire à proprement parler. Les différents niveaux de tarification sont déterminés par l’article R. 216 du Code de procédure pénale et les montants d’indemnisation sont fixés par arrêté conjoint du ministre chargé du budget et du ministre de la justice. A titre d'exemple, pour une instruction correctionnelle lorsque les faits ont donné lieu à l'ouverture d'une information devant le juge d'instruction, l'indemnité est de 250€.

En matière civile, c'est l’article 1210-3 du Code de procédure civile qui prévoit l'indemnité forfaitaire. Enfin en matière de procédure de maintien en zone d'attente ou de demande d'asile c'est l’article R. 111-20 du Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile qui décline les indemnités des administrateurs ad hoc.

■ Les qualités requises

Disponibilité, flexibilité, autonomie, probité, écoute, empathie, recul, connaissances juridiques, patience, humanité, motivation, réactivité.

■ Les règles professionnelles

« L’administrateur ad hoc est soumis à une obligation de confidentialité concernant l’ensemble des éléments que lui transmettra le mineur dont il a la charge. Cette obligation doit davantage s’entendre comme une obligation morale que comme une obligation légale qui correspondrait au secret professionnel » selon le guide du ministère de la justice. « Le contenu de ces missions est fixé dans certains ressorts par des chartes ou des codes de déontologie ».

■ Le site internet : 

Ministère de la justice : http://www.justice.gouv.fr/publication/guide_aah.pdf

 

Auteur :A. C.


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