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Attentats du 13 novembre 2015 : fausse victime
Une jeune femme a été condamnée par le tribunal correctionnel de Paris, le 16 octobre 2018, à 6 mois de prison ferme pour des faits d’escroquerie par l’usage de fausse qualité de victime des attentats terroristes. Son avocat, Maître William Bourdon, a bien voulu revenir avec nous sur cette affaire.
Sur quels fondements juridiques, votre cliente était-elle poursuivie ?
Elle était poursuivie pour escroquerie aggravée car commise au préjudice du Fonds de Garantie des Victimes des actes de Terrorisme et d’autres Infractions (C. pén., art. 313-1 et 313-2), et escroquerie commise au préjudice d’une association de victimes (C. pén., art. 313-1). Quand une poursuite est engagée pour une fausse victime, c’est parce qu’on lui reproche d’avoir usé d’une fausse qualité, ici la qualité de victime des attentats du 13 novembre, avec pour objectif, en tous les cas dans l’esprit du parquet, de soustraire la fortune d’autrui, c’est-à-dire d’obtenir un soutien financier qui est aujourd’hui prévu par toute une série de dispositifs légaux. C’est sur ce fondement qu’elle a été poursuivie et condamnée, étant précisé qu’elle a reconnu les faits devant le tribunal lorsqu’elle s’est présentée devant ses juges.
Quels étaient les éléments qui ont conduit à une enquête ?
Elle a laissé tellement de petits cailloux qu’elle a été très facile à remonter, il y a eu des contradictions qui ont éveillé l’attention, des incohérences, elle s’y est prise d’une telle façon que la probabilité qu’elle soit identifiée était très forte ; ce qui montre bien qu’elle n’avait pas agi avec une infinie malice et beaucoup de sophistication. Elle a été repérée assez vite.
Est-ce qu’il y avait une aggravation de la qualification d’escroquerie du fait des attentats ?
Il y a une aggravation liée au fait que les faits avaient été commis au préjudice du Fonds de garantie, mais pas du fait des attentats, à tout le moins juridiquement car évidemment il y a une aggravation liée au contexte dans lequel les faits ont été commis, mais il n’y a pas de circonstances aggravantes aujourd’hui prévues par la loi… Et heureusement d’ailleurs, il ne faudrait pas non plus que la menace terroriste et le traumatisme terrible causé par les attentats conduisent à une espèce d’inflation sans fin des circonstances aggravantes. L’escroquerie est tout à fait adaptée à cette situation, ce n’est pas la peine d’en rajouter. Je sais qu’il y a des voix qui s’expriment dans le sens d’une surenchère sécuritaire mais ça ne rend pas service à la visibilité de la loi, à sa compréhension même pour le justiciable, parfois face à un arsenal juridique qui ne cesse de s’amplifier au gré des émotions. Je rappelle qu’en l’espace de 20 ans, il y a eu 20 lois antiterroristes dans ce pays, ce qui fait que la France est le pays où l’arsenal juridique antiterroriste est l’un des plus répressifs d’Europe.
Quelle a été la réquisition du ministère public ?
Le parquet a requis une peine de 18 mois d’emprisonnement ferme à l’égard d’une jeune femme qui n’avait jamais été condamnée. Dès que quelqu’un est partie prenante d’un sous-jacent terroriste, il y a un effet de dramatisation qui conduit parfois à de grandes irrationalités : elle aurait escroqué une petite entreprise, personne n’en aurait entendu parler, y compris pour des montants beaucoup plus importants. Tous les jours il y a des gens qui sont poursuivis pour des escroqueries considérables et cela ne fait pas le début d’une information publique. Mais là, le fait qu’elle soit poursuivie pour avoir pris de l’argent destiné aux vraies victimes de ces attentats épouvantables a conduit à une forme de lynchage médiatique à son encontre insupportable. Elle a vécu cloîtrée, elle a perdu son compagnon, elle ne retrouve pas de travail, elle a été très lourdement stigmatisée. Ce qu’elle a fait a été perçu comme une espèce de sacrilège terrible, d’avoir usurpé la qualité d’une victime qui est au cœur de l’attention et de l’action publiques, victime à laquelle une grande partie des Français s’identifie et qui mérite effectivement toutes les attentions ; mais du coup il y a eu une focalisation sur elle comme si elle était la dernière des dernières, c’est juste une jeune femme perdue, avec une vie un peu difficile, un peu souffrante comme des millions de gens ; comme je l’ai plaidé et je crois que j’ai été entendu puisque finalement elle a été condamnée à une peine mixte, 6 mois fermes et 18 mois de sursis avec mise à l’épreuve. Comme la peine ferme est aménageable, elle n’ira pas en détention ; il n’y a pas eu d’appel par conséquent sur le plan judiciaire, c’est terminé, et c’est bien comme ça.
Qu’avez-vous plaidé précisément ?
J’ai plaidé le fait - et je pense que j’ai été en partie entendu - qu’elle avait trouvé dans ce statut de victime une espèce de refuge, une espèce d’abri dans sa solitude affective personnelle, sociétale, et là tout d’un coup elle s’est trouvée entourée de tout un tas de gens qui la consolaient, qui la caressaient, qui l’enrobaient, qui la rassuraient.
Il y avait deux moteurs pour elle dans la commission de ce délit. Le premier moteur, c’est à la fois de trouver ce refuge pour rompre avec une solitude personnelle douloureuse et aussi le fait qu’elle habitait juste à côté, le fait qu’il y avait des gens qu’elle connaissait bien qui ont péri dans cet attentat, il y a eu un processus d’identification aux morts, la culpabilité du survivant « J’aurais pu en être », la culpabilité de ne pas avoir pu leur porter secours : il y a eu également une sorte de maelstrom psychique, qui fait que progressivement elle s’est auto convaincue qu’elle faisait partie de cette communauté de victimes. Elle est rentrée dans ce circuit que la loi propose et puis l’argent lui a été proposé qu’elle a eu le tort, le très grand tort, d’accepter mais si elle avait refusé, elle se serait dévoilée. Donc je ne pense pas du tout que la dimension monétaire ait été décisive chez elle, cela peut être le cas, mais là non. Il y a donc un décalage entre finalement ce qui est humainement compréhensible, audible chez cette jeune femme et le déluge insensé de haine qu’elle s’est prise sur Internet. Donc on voit bien que tout ce qui est dans l’environnement et dans la menace du terrorisme - et il faut prendre garde à cela - peut fabriquer beaucoup d’irrationalité, beaucoup d’outrances, y compris chez les politiques. Et là le tribunal a su raison garder et cela explique la peine équilibrée qu’il a prononcée.
Les affaires de fausses victimes des attentats sont-elles nombreuses ?
Il n’y en a pas énormément mais chaque fois qu’il y en a une, c’est devenu une sorte d’emballement médiatique insupportable. C’est une affaire somme toute très banale sauf qu’elle était impactée par cette sorte de radioactivité qui s’appelle l’environnement terroriste. Mais en soi c’est une affaire très ordinaire, très classique, il y a des gens qui commettent des actes de délinquance, pas parce qu’ils veulent s’enrichir mais dans une sorte de cavale du psychisme. Dans le statut de victime du terrorisme si encensée, hyperprotégée par la nation, elle s’est dit qu’elle avait trouvé une tanière, c’est ça qu’elle a été chercher, beaucoup plus que l’argent.
Est-ce qu’une obligation de soin a également été prononcée ?
Oui, il y a une obligation de suivre des soins, ce qu’elle le fait déjà depuis plusieurs mois ; il y a aussi une obligation de chercher un emploi – ce qui est évidemment très difficile compte tenu de ce qui est écrit sur elle sur Internet –, mais également de rembourser les parties civiles ; elle n’a pas encore retrouvé de travail mais elle le fera. Elle s’est sentie très coupable de ce qu’elle a fait.
Vous avez terminé votre plaidoirie par cette phrase : « Je la remets entre vos mains que j’espère un peu fermes et aussi un peu douces ». Quelle est votre idée de la profession d’avocat ?
L’idée que je me fais de cette profession après plusieurs années d’exercice, c’est qu’il faut proposer des chemins possibles dans la vérité. Je suis incapable de plaider quelque chose dont je me dirais que les juges ne pourraient pas l’entendre et donc j’ai entendu justement que le tribunal si nécessairement il la condamnerait et lui enverrait un avertissement net (ce qu’il a fait), devait humaniser la peine. L’humanisation c’est de prendre en compte, c’est ce qui a été fait, les spécificités personnelles psychologiques de cette jeune femme un peu perdue et de renoncer à ce que réclament parfois trop vite des politiques irresponsables, démagogiques, c’est-à-dire d’éviter de tomber dans une logique d’amalgame. Le juge judiciaire n’est pas le porte-parole de l’opinion qui doit rester à la porte du tribunal, sinon le juge est le relais des sentiments parfois les plus violents que les humains peuvent fabriquer et Dieu sait si aujourd’hui c’est le cas. Oui cela a abouti à une solution équilibrée et c’est cela que j’ai salué.
Le questionnaire de Désiré Dalloz
Quel est votre meilleur souvenir d’étudiant ? Ou le pire ?
Le pire et le meilleur en même temps, lorsque j’ai échoué aux épreuves écrites de l’ENA après Sciences Po, c’était le rêve de mes parents, mais ce n’était pas mon destin.
Quel est votre héros de fiction préféré ?
Le Consul dans le livre de Malcom LOWRY : Au-dessus du volcan.
Quel est votre droit de l’homme préféré ?
Le droit à la vie.
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