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[ 11 octobre 2018 ] Imprimer

Avocat, de collaborateur à associé

S'orienter, étudier, passer des concours, suivre des stages, découvrir un métier, décrocher un contrat... Autant d'étapes importantes qui soulèvent, pour chaque étudiant, un foisonnement de questions. Afin de démêler les réalités des idées reçues, Dalloz Etudiant a décidé de décrypter les spécificités d'un métier du droit à partir du témoignage d'un professionnel.

D’abord collaborateur dans un cabinet de droit pénal, Matthieu Chirez, 34 ans, est passé par la Conférence du barreau à Paris avant d’entrer dans le cabinet J. P. Karsenty & Associés en tant qu’of counsel, dans l’idée d’ouvrir un département dédié au droit pénal des personnes et des affaires. Voilà un an, il en est devenu l’un des sept associés. Pour Dalloz Actu Étudiant, il décrit ce parcours singulier et les différents aspects de chacun de ces statuts.

Quel a été votre parcours de début de carrière ?

J’ai fait une licence de droit privé à Aix-en-Provence puis un Master de droit public des affaires à la Sorbonne. C’est seulement là que j’ai pensé au métier d’avocat. Ce n’était pas une vraie vocation, comme on l’entend souvent. Le goût de ce métier s’est imposé plus tard, au moment des stages, comme une évidence. J’envisageais ce métier d’abord pour assister et défendre des personnes ce qui inclut la mission de conseil. Pour moi, le meilleur interrogatoire chez le juge reste celui où l’avocat n’a pas de questions car le client est si bien préparé qu’il sait répondre à toutes celles du juge de manière spontanée, claire et crédible. C’est d’ailleurs aussi ce que j’aime dans mon métier d’avocat, pouvoir me mettre à la place du magistrat. 

J’ai prêté serment le 17 février 2010, et j’ai ensuite exercé comme collaborateur chez David-Olivier Kaminski qui ne faisait que du pénal. J’y suis resté près de trois ans. Il avait un tel flux de dossiers, j’étais complètement autonome. Le rythme était très intensif et je pouvais plaider dans quatre juridictions différentes le même jour voire la même demi-journée. J’ai adoré ça mais il faut pouvoir mettre la vie privée de côté (les amis, le couple aussi..). Je ne comptais pas les heures, je faisais des permanences tous les week-ends, j’allais en province, je prenais ma voiture pour aller défendre un détenu pour une commission de discipline dans une prison paumée de province. Je me sentais à ma place. Au bout de trois ans, j’ai eu le sentiment d’avoir un peu fait le tour même si bien sûr, on apprend toujours. J’ai naturellement eu envie d’évoluer. 

Et c’est après ça que vous avez trouvé une association ?

J’ai passé le concours de la Conférence du barreau que j’ai eu la deuxième fois. J’étais secrétaire en poste le 1er janvier 2013 et un mois plus tard, mon patron mettait fin à ma collaboration voyant que je ne serai plus autant disponible pour les dossiers du cabinet. J’ai eu l’impression d’être soudain sans filet, même si j’ai pu bénéficier des locaux pendant une année. Grâce à la Conférence j’ai commencé à exercer seul dans mes dossiers et à pouvoir me développer modestement. J’avais la liberté de prendre les choses autrement, je m’impliquais dans les dossiers sur lesquels je n’étais plus collaborateur mais seul maître à bord, c’était assez excitant.

En 2014, avec mon ami de promotion Thomas Ricard, nous avons échangé avec le cabinet J.P. Karsenty & associés afin de créer un département de droit pénal des personnes et des affaires. Cela correspondait d’abord à une envie qu’il a fallu traduire par un besoin pour le cabinet qui faisait du pénal au moment de sa création, il y a 62 ans. Nous sommes arrivés en tant qu’of counsels avec ce savoir-faire dans une matière qu’ils ne pratiquaient plus. L’idée était de faire savoir que le pénal se développait aux clients de cette structure pluridisciplinaires, affairiste qui comptait déjà une vingtaine d’avocats, afin de compléter notre expertise et nos propositions. Nous cherchions une synergie pour voir les perspectives d’association. C’était un pari assez ambitieux de la part du cabinet que d’associer de jeunes pénalistes et nous avons été trois à devenir associés en juillet 2017, l’une d’entre nous, Clémence Colin, intervenant, elle, en droit social et commercial. J’ai eu la chance de trouver ce cabinet qui me laissait mon indépendance tout en travaillant avec eux sur des sujets que je n’aurais jamais eus autrement.

En droit pénal l’association dans un cabinet est rare ?

Il peut y avoir en droit pénal des égos exacerbés et c’est difficilement compatible avec une association. Certains ont essayé et échoué. J. P. Karsenty & associés est l’un des seuls cabinets où j’ai vu ça : des non-pénalistes qui décident d’associer des pénalistes. Pour moi, on est meilleurs à plusieurs, qui plus est lorsqu’on intervient dans des domaines d’activités différents et que certains types de contentieux, en l’occurrence de droit pénal des affaires, font se chevaucher plusieurs domaines du droit et de la vie des affaires. L’apport pluridisciplinaire est particulièrement intéressant. L’architecture du cabinet, très circulaire, est révélatrice de cela. Les bureaux sont toujours ouverts, nous dialoguons beaucoup entre nous ce qui nous permet de développer l’activité du cabinet et nos compétences. Par exemple, nous faisions du droit viticole, au travers de problématiques liées à la protection des domaines et d’appellation notamment, maintenant nous faisons du droit pénal du vin. L’association en pénal avec des jeunes qui peuvent garder une véritable indépendance est une chose rare et constitue à mon sens un gage d’efficacité. 

Quelles différences voyez-vous avec le statut de collaborateur ?

Quand j’étais collaborateur j’avais moins à me préoccuper des clients, notamment de la facturation, et je n’avais pas de gestion à faire du cabinet sur l’organisation en tant que telle, l’agenda des uns et autres, les missions à réaliser. Mais je faisais tout, tout seul. De plus, je passais l’immense majorité de mon temps hors du cabinet et le soir à partir de 18h00-19h00, je rentrais faire les écritures pour finir vers 22h00. On me donnait mon programme pour le lendemain, parfois pour des dossiers d’assises que je découvrais un peu sur le tard. Au début, cela donne des sueurs froides et puis on se créée des réflexes. Ça fait partie de la formation.

En tant qu’associé, il faut gérer les dossiers, le travail de fond, les clients en prison ou libres, les rapports avec les magistrats, les équipes en interne, les rapports avec les autres associés pour essayer de trouver des solutions aux problèmes des dossiers que nous avons en commun. Le risque est de perdre la connexion avec les dossiers et il faut donc rester vigilent. Aujourd’hui, je travaille toujours autant, je peux y passer des week-end entiers pendant des mois, mais avec le temps on a réussi à créer une petite équipe avec deux collaboratrices. J’arrive à les envoyer en prison à ma place pour préparer les clients sur des dossiers ce qui me permet de faire d’autres choses en parallèle. On peut être entouré de gens de confiance qui sont les petites mains et doivent aussi à mon sens être une part du cerveau. 

Quelles sont les évolutions de la profession que vous observez aujourd’hui ?

Je suis angoissé par la déshumanisation croissante des procédures où tout se fait par ordinateur, où l’on n’aura même plus la possibilité de discuter avec un juge, et les nouvelles recrues dans la magistrature sont méfiantes voire défiantes vis-à-vis des avocats. Ne pas être d’accord avec un magistrat, parquetier ou juge d’instruction, cela arrive, mais je ne supporte pas l’idée de supprimer l’échange avec les autres intervenants de l’institution judiciaire amenés à prendre une décision relative au destin d’une personne. Ce qui me choque aussi c’est que dans le nouveau Palais de justice, il n’y a même pas de badge pour les avocats.

La dernière chose que je déplore c’est la disparition possible des jurés d’assises. Une présidente d’assises, Mme Matthieu, a l’habitude de dire aux jurés « heureusement que vous êtes là parce que vous voyez des choses que nous, professionnels de la justice, dans le quotidien, n’arrivons plus à voir ». Et pour nous avocats, c’est passionnant parce que nous devons être capables de parler aux jurés en essayant de les convaincre sans les prendre pour des imbéciles. Je trouve cet exercice noble et sain. Cela contribue à faire émerger, à l’issue des débats, une certaine vérité, fût-elle judiciaire. Ce serait atroce que cela disparaisse y compris pour les accusés. Je pense que nous pourrions y perdre une part d’objectivité et bien sûr d’humanité. 

Questionnaire de Désiré Dalloz

Quel est votre meilleur souvenir d'étudiant ?

Les cours de droit constitutionnel de doyen Favoreu m’ont beaucoup marqués, et puis cette légèreté qui accompagne la vie d’étudiant, à qui cela n’a-t-il pas plu ? 

Quel est votre héros de fiction préféré ?

Tintin et Corto Maltese. Tintin parce qu’il a une petite gueule sympathique et qu’il est en réalité un enquêteur redoutable. Il est attaché à la vérité et puis j’ai une admiration certaine pour les gens discrets qu’on ne voit pas débouler. Corto Maltese, parce que c’est un marin, il a un côté un peu bad boy que j’aime bien. Et par-dessus tout il voyage.

Quel est votre droit de l'homme préféré ?

La vie privée et toute la liberté qui en découle. Il me semble important de préserver une dimension d’intimité qui ne regarde personne. J’ai l’impression qu’on est de moins en moins à l’abri de ce côté-là. Je n’ai pas de compte facebook, je ne suis pas sur les réseaux sociaux. J’essaie encore un peu de me préserver de ça parce que je sais très bien que je peux être vulnérable. On vit dans une société de l’immédiateté où si on ne répond pas à un sms ou à un mail au bout de 15 minutes, les gens ne comprennent pas. On a complètement bouleversé les valeurs temps. Je fais du bateau dès que je le peux et cela m’aide beaucoup à déconnecter, à redonner de la valeur au temps. En cinq heures je suis complètement parti ailleurs. Ce n’est pas pour rien si j’en fais autant. 

Carte d'identité de l'avocat

En France, la profession d’avocat a nettement évolué ces dernières années notamment avec les réformes de la loi Macron et de la justice du XXIème siècle. Plus ouverte, plus moderne, elle est censée être plus accessible au justiciable, en partie grâce au numérique. Selon une récente étude de l’Observatoire du Conseil national des barreaux, 54% d’entre eux sont optimistes sur l’avenir de leur profession et 83% pensent qu’il sera important que les avocats soient accessibles partout pour tous.

■ Les chiffres (statistiques du ministère de la justice)

- Au 1er janvier 2017, 65 480 avocats ont été recensés sur l’ensemble du territoire national contre 47 765 dix ans plus tôt (+37%). Avec 27 461 avocats, le barreau de Paris concentre à lui seul 42% de l’effectif total. 

- En 2009, la proportion de femmes dépasse pour la première fois celle des hommes. Elle atteint en 2017, 55,4% contre 49,4% dix ans auparavant.

- En 2017, plus d’un tiers des avocats exercent à titre individuel (36%). 59% se partagent de manière égale entre ceux exerçant en qualité d’associé et ceux exerçant en qualité de collaborateur. Les salariés représentent 5%. Le profil du barreau de Paris est différent puisque la majorité des avocats exercent en qualité de collaborateurs (40%). Dans les autres barreaux, cette proportion n’atteint que 21,7% en moyenne.

- 30% quitte la profession avant dix ans d’exercice.

■ La formation et les conditions d'accès

Le futur avocat doit se préparer dans l'un des centres régionaux de formation professionnelle pour avocat (CRFPA). Il en existe une douzaine. Pour y entrer, il faut avoir un niveau Master 1 (généralement M2 en pratique) ou un diplôme de Sciences Po. Il est possible de préparer l'examen d'entrée au concours via les instituts d'études judiciaires (IEJ) ou une prépa privée. La formation dure 18 mois et est sanctionnée par l’obtention du certificat d’aptitude à la profession d’avocat (CAPA). L’avocat prête ensuite serment avant de s'inscrire au barreau de son choix. 

■ Les domaines d'intervention

Toutes les matières du droit.

■ Le salaire

Il existe de grandes disparités de revenus au sein du métier d’avocat. En 2012, le salaire moyen en France était de 78005€ mais le salaire médian était de 46 744€ par an.

■ Les qualités requises

Réactivité, éthique, probité, rigueur, capacité d'écoute, intuition, mémoire, pragmatisme, pluridisciplinarité, engagement, pédagogie.

■ Les règles professionnelles

Elles sont identiques pour tous les avocats. Il s'agit en particulier des principes d'indépendance, de loyauté, de confidentialité, du secret professionnel, du devoir d'information et des devoirs de conseil et de diligence.

■ Les sites internet

Conseil national des barreaux, devenir avocat 

J. P. Karsenty & associés

 

Auteur :Anaïs Coignac


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