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Avocat et droits de la défense dans les enquêtes internes et la justice négociée
Futurs avocats, c’est à vous que s’adresse cette interview de Marie-Anne Frison-Roche, agrégée des Facultés de Droit, directrice du Journal of Regulation & Compliance (JoRC) et de Matthieu Boissavy, avocat aux barreaux de Paris et de New York, médiateur, membre du Conseil National des Barreaux, vice-président de la commission Libertés et droits de l’Homme. Les 20 et 21 avril 2023 le Conseil national des barreaux, sous l’impulsion de ses commissions Libertés et droits de l’Homme et Droit et Entreprise, organise un colloque sur le thème « Avocat et droits de la défense dans les enquêtes internes et la justice négociée ». Si vous êtes déjà dans la profession, il se peut que leurs réponses vous intéressent pour le respect du droit à la justice !
En quoi consistent les enquêtes internes ?
MAFR : Ce que l’on appelle les « enquêtes internes » semblent n’avoir pas de rapport avec les droits de la défense. C’est une technique managériale par laquelle une organisation, notamment une entreprise, obtient des informations sur ce qui se passe en son sein. Une organisation périclite si elle ignore les comportements de ceux qui travaillent pour elle. La fonction de contrôle implique que des techniques d’audit, des recueillements de documents, sont utilisés. Dans une économie de l’information, ces enquêtes internes ont une place de plus en plus importante.
MB : Les enquêtes internes sont des investigations menées en leur sein par des personnes morales, le plus souvent des entreprises mais ce peut être aussi des associations et parfois même des partis politiques, afin de collecter des preuves d’une situation de fait qui pourrait être qualifiée disciplinairement ou pénalement. Elles peuvent être conduites soit par un service interne à l’organisation soit par un cabinet extérieur, par exemple un cabinet d’avocats. Elles sont souvent diligentées à la suite d’une alerte adressée à la direction de l’organisation sur une situation potentiellement infractionnelle. Les pouvoirs publics promeuvent leur développement car, comptant sur une forme de délégation de l’enquête administrative ou pénale aux organisations privées, ils souhaitent que les preuves ainsi collectées puissent être communiqués aux autorités publiques ou au ministère public pour fonder ou nourrir leurs propres enquêtes publiques ou pénales.
Qu’appelle-t-on la justice négociée ?
MAFR : Voilà une expression peu juridique …. Elle écrit un mouvement général plus qu’une technique de droit précise. Ce que l’on désigne souvent par ces termes, c’est l’idée que l’exercice de la justice par des juges qui tranchent et décident, étant peu efficace, les acteurs traditionnels du procès, que sont les procureurs, les juges et les parties, vont chercher à se mettre d’accord. Sans pour autant que cela aboutisse à un « contrat », comme le droit des obligations le connaît. Par exemple la poursuite va s’arrêter parce que le procureur aura proposé à l’entreprise de payer une amende, de s’engager à réparer, d’exclure à l’avenir des comportements et d’en adopter d’autres. La loi dite « Sapin 2 » en insérant la Convention judiciaire d’intérêt public a techniquement donné une place éclatante à une « justice négociée ».
MB : Classiquement la justice, en tant qu’institution, implique la présence et l’action d’un tiers, indépendant et impartial entre les parties à un litige, le juge dans la justice publique ou l’arbitre dans la justice privée, qui a pour mission de « trancher » dit-on le litige, c’est-à-dire de rendre une décision s’imposant aux parties au litige. Les parties exposent à ce tiers leurs causes dans le cadre d’une procédure contradictoire puis ce tiers leur dit ce qu’en droit elles doivent faire, ce qui leur appartient ou ce qu’elles doivent percevoir. La décision de ce tiers, imposée au besoin par la contrainte, met un terme au litige. Pour de multiples raisons, une autre forme de justice s’est développée dans des processus qui permettent aussi de mettre un terme aux litiges mais sans que la décision d’un juge ou d’un arbitre ne soit imposée aux parties. En matière civile, on parle de processus de conciliation ou de médiation préalable à un contrat de transaction entre les parties. En matière pénale, on parle de négociation et de contractualisation de la justice pénale avec des procédures comme la CRPC (comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité) ou la CJIP (convention judiciaire d’intérêt public) car dans ces procédures le rôle du juge pénal est minoré par rapport à l’action du procureur qui discute puis conclu un accord sur la peine avec le mis en cause. Dans le colloque des 20 et 21 avril, nous ne parlerons que du rôle de l’avocat et des droits de la défense dans la justice pénale négociée.
Qu’attendez-vous de ce colloque ?
MAFR : L’on voit bien que les pratiques et les systèmes juridiques sont en train de nouer des techniques qui sont fondamentalement différentes : une technique de management que sont les enquêtes internes, un mouvement de fond qu’est la justice négociée qui oblige les entreprises à opérer des enquêtes internes, et des droits de la défense qui sont comme hors-cadre ou à tout le moins en tangente avec des négociations vers toujours plus d’efficacité. Les avocats ont une place et un rôle essentiel à jouer, mais cette place et ce rôle sont complètement renouvelés. Comme le juge, ils sont gardiens des droits de la défense : les personnes impliquées dans les enquêtes internes sont dès le départ en risque d’être sanctionnées ou condamnées dans les procédures ultérieures directement liées à ces enquêtes. Dans ces outils de compliance, l’efficacité pour que l’avenir soit construit par des entreprises se tournant vers le futur suppose des avocats qui articulent Compliance, Droit pénal et Procédure pénale. Pour ce faire, ils doivent réfléchir avec les procureurs et les juges. C’est l’objet de ce colloque.
MB : Nous faisons le constat que les enquêtes internes se multiplient ainsi que les procédures de justice pénale négociée. Or, cette procéduralisation de l’enquête privée et cette contractualisation de la justice pénale soulèvent des questions sur la place de l’avocat dans ces processus et procédures ainsi que celle des droits de la défense des personnes mises en cause ou bien victimes. Nous souhaitons que ce colloque, à destination des avocats mais aussi ouverts aux magistrats et aux juristes d’entreprises permettent de clarifier le rôle de l’avocat et l’existence des droits de la défense dans ces processus et procédures. Ce colloque sera l’occasion non seulement d’entendre des avocats praticiens de la matière, des universitaires, des juristes d’entreprises, dont Jean-Philippe Gille, président de l’Association Française des Juristes d’Entreprise (AFJE) et Laure Lavorel, présidente du Cercle Montesquieu, mais aussi des magistrats dont Stéphane Noël, le président du tribunal judiciaire de Paris, Frédéric Baab, le procureur européen en France, Jean-François Bohnert, le procureur de la République financier ainsi que d’autres magistrats du Parquet national financier. Il s’inscrit parfaitement dans l’étude et la compréhension ce que le titre d’un ouvrage dirigé par Marie-Anne Frison-Roche et qui vient de paraître intitulé la juridictionnalisation de la compliance.
Le questionnaire de Désiré Dalloz
Quel est votre meilleur souvenir d’étudiant ?
MAFR : Je me souviens du dernier cours que donna Pierre Hébraud, cours de droit processuel, parlant de Motulsky.
MB : Difficile de choisir parmi tous les meilleurs souvenirs de ma vie d’étudiant à l’Université de Paris Nanterre ou à celle de la New York Law School, ceux de ces facultés mais aussi ceux entre les enseignements... Pour n’en citer qu’un, l’enseignement de Jacques Pythilis, historien du droit, m’a beaucoup marqué. Je me souviens encore très vivement du cours où il nous expliquait que le droit est de la poésie appliquée puisqu’il est un langage, parfois créateur de pures fictions, qui a un effet direct sur le monde et les hommes. Et en bon juriste Jacques Phytilis apportait la preuve de son affirmation : regardez, nous disait-il le paysage rurale en France. Depuis le code civil de 1804 il n’est plus le même que sous l’ancien régime. Les propriétés ont été morcelées par l’égalité successorale au fil des générations, nous pouvons le constater par les barrières séparant les champs ; la campagne anglaise qui n’a pas connu le code civil est un autre paysage. En un mot j’ai compris depuis lors que le droit n’est pas une collection de règles, le droit est un idéal appliqué au réel. Qu’il soit permis aux juristes d’imaginer le meilleur idéal pour modeler une réalité respectueuse des personnes et de la nature.
Quels sont votre héros et votre héroïne de fiction préférés ?
MAFR : l’Épervier Vigilance.
MB : Jean Valjean et Jane Eyre.
Quel est votre droit de l’Homme préféré ?
MAFR : Le droit de parler et le droit de se taire, qui lui est préalable.
MB : Le droit à un procès équitable : il est la meilleure garantie que tous les autres droits de l’Homme soient respectés. Avec des avocats consciencieux, un juge impartial, une procédure respectueuse du dialogue et de la contradiction et des jugements exécutés, vous maximisez la probabilité que le droit à la vie, à la dignité, la liberté d’expression ou bien encore le droit à la vie privée soient respectés concrètement.
Les informations sur le programme et les inscriptions, en présentiel ou en distanciel, pour le colloque du CNB des 20 et 21 avril 2023 sont ici.
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