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[ 8 avril 2021 ] Imprimer

Big Data et santé publique

Alors que la crise sanitaire nous place dans une situation nouvelle de publicité – ou pas - de nos données médicales, il est plus que temps de s’interroger sur ce thème avec Christian Hervé, professeur des universités, coresponsable de l’IIREB (Institut International de Recherches en Éthique Biomédicale) et président de l’Académie internationale éthique médecine et politiques publiques. Il a notamment codirigé, avec Michèle Stanton-Jean, l’ouvrage collectif Innovations en santé publique, des données personnelles aux données massives (Big Data), paru en 2018 chez Dalloz.

■ Qu’est-ce une donnée de santé ?

Le règlement européen de protection des données (RGPD) entré en application le 25 mai 2018 définit les données à caractère personnel concernant la santé. Il s’agit d’un véritable changement de paradigme, c’est-à-dire de la forme de penser la personne humaine, le soin médical et la recherche biomédicale, mais également la santé publique. En fait, une donnée de santé est une nouvelle représentation de la personne humaine dans une description biologique voire génétique ; dans son utilisation, elle est un moyen d’affiner les meilleures pratiques de soin, notamment utilisant les techniques d’intelligence artificielle ; enfin, les données de santé sont le principal élément constitutif des banques de santé, les entrepôts de santé qui permettent les découvertes de nouveaux syndromes ou maladies et précisent leurs traitements optimaux. Par cet abord nouveau du corps humain, les structures mêmes de l’hôpital et les pratiques hospitalières sont appelées à changer. De même, en cette période de covid-19, elles donnent un nouveau repérage aux politiques sanitaires dans les décisions collectives.

■ Quel est le conflit principal au cœur de la collecte des données médicales

Par leur caractère singulier pouvant caractériser une personne, l’appropriation pour l’utilisation de ces données dans un protocole de recherche voire de soin, impose un consentement explicite, d’autant plus pertinent que l’information est complète, compréhensible et honnête. Ce consentement exige un exposé plus systématique des liens, voire les conflits d’intérêts à la base de cette demande. Celle-ci doit être en effet transparente et explicitée en regard du phénomène de la littéracie qui impose un temps d’explication particulièrement adapté, lequel instaure une présence humaine effective, à l’écoute interactive de chacun, dans une attitude qui respecte les droits des personnes malades, d’autant plus quand elles sont en état de vulnérabilité sociale. L’éventualité d’un éventuel partage des données entre professionnels, dans les équipes de soin et médico-sociales, nécessite l’information précise, autant pour les examens paracliniques que dans le cadre de la télémédecine.

■ Quels sont les problèmes principaux de l’utilisation des données colligées

La collecte des données d’un hôpital concerne 10 giga-octets de données uniquement génétiques ! Sans parler de celles issues de l’imagerie en expansion, ou celles contenues dans les simples comptes rendus de consultation, sans parler de celles contenues dans les systèmes de sécurité sociale et maintenant le « Health Data Hub ». L’anonymisation des données dans ces systèmes s’avère règlementairement impératif. Ces données constituent une véritable richesse, tant de nombreux acheteurs investiraient dans leur appropriation. Dès 1990, émergent des marchés dits « bifaces » comme « 23andMe » qui permettent en un clic de donner un consentement à l’utilisation de données de santé et d’échantillons biologiques et de constituer de véritables plateformes, bio banques et bases de données valorisables auprès des industriels, d’instituts de la recherche publiques ou privés, permettant des transactions territorialement prohibées en France mais réalisables par Internet.

■ Comment renouveler les fondamentaux éthiques des différents acteurs les utilisant ?

Les recherches accomplies par des chercheurs étaient différenciées des cliniciens, tout comme de ceux de santé publique. La tendance actuelle est de les associer « from the bench to the bed », autant dans la médecine de précision que dans une approche nouvelle du principe de précaution lié à la pandémie de covid-19. Une réflexion sur les notions de danger, et de risque, permet de différencier ce qui est du domaine des émotions et ce qui est mesurable, aboutissant à une possible gestion des risques. Les champs de la clinique médicale, de la recherche et de la santé publique fondés éthiquement par trois lois (1988, 2002 et 2004), par la référence aux données, conceptualise un nouveau champ de pratiques à réglementer internationalement. Les comités de protection des personnes et les « Institutional Review Board » doivent y veiller dans leurs avis. Enfin, la notion de « consentement dynamique » donnera une meilleure information évolutive dans le temps utilisant la révolution informatique.

Le questionnaire de Désiré Dalloz

Quel est votre meilleur souvenir d’étudiant ?

Symboliquement, l’on est toujours étudiant, si bien que je me rappelle n’étant moi-même pas philosophe, une discussion avec le philosophe Paul Ricœur auquel je posais une question sur l’enseignement de l’éthique que je professais à l’Université. Ses explications ont totalement démontré que ce que je faisais correspondait à la sagesse pratique prônée par Aristote, la « phronesis ». C’est ainsi que j’ai compris ce que j’enseignais, quelle connaissance et ouverture d’esprit dans cette transmission ! Cela conforte l’idée qu’il est plus facile de faire une chose que de la penser. 

Quels sont votre héros et votre héroïne de fiction préférés ?

Mon héroïne se trouve être « Norma » de Bellini, elle traduit trois états d’être de la femme : l’initiatrice, la maitresse et la mère ; en définitive ce que l’on attend de sa propre femme… Maria Callas puis Montserrat Caballé l’ont si bien incarnée que je suis à l’affût de toutes les interprétations qu’elles ont pu exécuter, disponibles sur le marché et même pirates, accessibles sous le manteau ! 

Mon héros est sans conteste Wotan de Richard Wagner. Il apprend que tout contrat doit être appliqué même si cela doit aboutir à son propre crépuscule en tant que Dieu. Transformer son destin en destinée dans la recherche d’une vérité ou d’un monde que l’on campe, même si ce dernier nous fuit.

Quel est votre droit de l’homme préféré ?

Celui de l’article 1er de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 affirmant que les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits sachant que les distinctions sociales ne peuvent être fondées que sur l’utilité commune. 

 

Auteur :Marina Brillé-Champaux


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