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[ 2 février 2023 ] Imprimer

Cannabis, cannabidiol, cannabinoïdes et autres CBD

« Les fleurs et feuilles de cannabis ne sont pas des stupéfiants pour le Conseil d’État ! » Pour être certaine de la véracité de cette affirmation, la rédaction de Dalloz actu étudiants se tourne vers Jérôme Peigné, professeur à l'Université Paris Cité (Institut Droit et Santé), corédacteur du Code de la santé publique Dalloz. Il a accepté de nous éclairer sur ce sujet et nous l’en remercions beaucoup car tout n’est-il pas questions de nuance ?

Existe-il une définition légale ou jurisprudentielle de ce qu’est un stupéfiant ? 

La notion de stupéfiant est apparue en droit français avec une loi du 12 juillet 1916. C’est contre cette loi qu’Antonin Artaud rédigera sa « lettre à Monsieur le législateur de la loi sur les stupéfiants » (publiée dans L’ombilic des limbes en 1925). La loi est adoptée à la suite de la Convention internationale de la Haye signée le 23 janvier 1912, principalement en vue de contrôler l’usage de l’opium, dont le commerce s’est sensiblement développé à partir de la Chine et des comptoirs coloniaux depuis le 19e siècle. 

La loi du 12 juillet 1916 modifie la loi du 19 juillet 1845 sur les substances vénéneuses, cette dernière ayant été adoptée sous la Monarchie de juillet à la suite d’une célèbre affaire d’empoisonnement (« l’affaire Lafarge »). À l’époque, on ne distinguait pas les substances stupéfiantes des substances vénéneuses.

Le décret d’application du 14 septembre 1916 va organiser un classement des substances vénéneuses en 3 catégories : celles relevant du tableau A (produits toxiques), du tableau B (stupéfiants, qui sont composés, à l’époque, de l’opium, la morphine, l’héroïne, la cocaïne et le haschich) et du tableau C (produits dangereux). Ce régime de police administrative sera réformé par un décret du 29 décembre 1988 qui va mettre fin aux tableaux A/B/C pour leur substituer un système de listes. Ce dispositif des listes a été érigé au plan législatif lors de la refonte du Code de la santé publique en 2000 (CSP, art. L. 5132-1 s.). 

Sont actuellement considérées comme des substances vénéneuses : les substances psychotropes, les substances inscrites sur les listes 1 (ancien tableau A) et 2 (ancien tableau C) et les substances stupéfiantes (ancien tableau B). Les listes 1 et 2 concernent les médicaments que l’administration entend soumettre à prescription médicale obligatoire, certains médicaments pouvant également relever de la liste des stupéfiants.

D’un point de vue formel, un produit est regardé comme un stupéfiant lorsqu’il est inscrit sur la liste des stupéfiants. Il n’existe toutefois aucune définition matérielle de ce qu’est un stupéfiant. C’est notamment ce qui explique que la question de la conformité du dispositif législatif ait été renvoyée au Conseil constitutionnel par le Conseil d’État, notamment parce que la notion de « substance stupéfiante » n’avait pas été définie par la loi (CE 8 oct. 2021, n° 455024). 

Le Conseil constitutionnel a considéré qu’en renvoyant à l’autorité administrative le pouvoir de classer certaines substances dans la catégorie des substances stupéfiantes, le législateur n’a pas conféré au pouvoir réglementaire la compétence pour fixer des règles dont la détermination n’a été confiée par la Constitution qu’à la loi, si bien qu’il ne saurait être soutenu qu’il a méconnu l’étendue de sa compétence dans des conditions affectant la liberté d’entreprendre. Le Conseil a toutefois indiqué qu’il appartient à l’autorité administrative, sous le contrôle du juge, de procéder au classement dans la catégorie des stupéfiants en se fondant sur l’évolution de l’état des connaissances scientifiques et médicales et en a profité pour préciser que la notion de stupéfiants désigne « des substances psychotropes qui se caractérisent par un risque de dépendance et des effets nocifs pour la santé » (Cons. const. 7 janv. 2022, décis. n° 2021-960 QPC). 

À nouveau saisi de deux questions prioritaires de constitutionnalité (QPC), le Conseil constitutionnel a également considéré qu’en faisant de la notion de stupéfiants un élément dont dépend le champ d’application de certaines infractions pénales (C. pén., art. 222-41), le législateur n’a pas méconnu le principe de la légalité des délits et des peines (Cons. const. 11 févr. 2022, décis. n° 2021-967/973 QPC).

Quelles sont les substances légalement classées comme stupéfiants ?

Il existe un classement des substances stupéfiantes en droit international. Adoptée sous l’égide des Nations Unies, la Convention unique de 1961 sur les stupéfiants classe ces substances en 4 tableaux, selon leurs effets nocifs sur la santé humaine, les risques d’abus et leur intérêt thérapeutique. Il existe également une convention internationale de 1971 sur les substances psychotropes. La nécessité d’organiser un classement propre aux substances psychotropes s’est imposée avec l’apparition et le développement des produits d’origine synthétique (amphétamines, barbituriques, benzodiazépines, etc.). 

En droit interne, c’est un arrêté du 22 février 1990 qui établit la liste des substances classées comme stupéfiants (un arrêté du même jour fixe la liste des psychotropes). Modifié au fil du temps, cet arrêté classe les stupéfiants selon 4 annexes qui reprennent principalement les tableaux de la Convention Internationale sur les stupéfiants.

Depuis le 1er juin 2021, l’inscription sur la liste des stupéfiants (ainsi que sur celle des substances vénéneuses et sur celle des psychotropes) relève de la compétence du directeur de l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) et non plus du ministre chargé de la Santé, le directeur de l’agence étant assisté dans cette tâche par un comité scientifique (le comité « psychotropes, stupéfiants et addictions ») qui évalue les éléments d'appréciation élaborés par l'OMS ainsi que les données fournies par le système national d'évaluation de l’addictovigilance (c’est-à-dire le risque de dépendance lié à la consommation des substances ou des plantes ayant un effet psychoactif).

Quel est le régime juridique du CBD ?

Le cannabidiol (CBD) est une molécule issue de la plante de Cannabis (dont il existe plusieurs espèces — sativa et indica notamment — et de nombreuses variétés). Cette plante contient une grande quantité de molécules, appelées cannabinoïdes, à des concentrations plus ou moins élevées selon les parties végétales (les concentrations étant plus élevées dans les sommités fleuris et les feuilles). Le CBD est l’un des composés majeurs du cannabis, le plus étudié après le delta-9-tétrahydrocannabinol (THC). Le THC et ses dérivés sont classés sur la liste des stupéfiants. Le CBD ne l’est pas.

À la suite d’un arrêt de la Cour de justice ayant considéré que les produits à base de CBD ne sont pas des stupéfiants et ne peuvent pas être réglementés comme tels (CJUE 19 nov. 2020, aff. C-663/18), les textes réglementaires français relatifs au cannabis ont été réécrits. Un arrêté du 30 décembre 2021 est venu autoriser la culture, l’importation, l’exportation et l’utilisation industrielle et commerciale des variétés de cannabis, dont la teneur en THC n’est pas supérieure à 0,30 %. Il a cependant interdit la vente aux consommateurs de fleurs ou de feuilles brutes sous toutes leurs formes, leur détention par les consommateurs et leur consommation.

Par ailleurs, dans le cadre de l’expérimentation de l’utilisation du cannabis à usage médical (dont les propriétés recherchées sont celles du THC) prévue par la loi de financement de la sécurité sociale pour 2020, le décret n° 2022-194 du 17 février 2022 a modifié l’article R. 5132-86 du Code de la santé publique pour prévoir que la culture, la fabrication, le transport, l'importation, l'exportation, la détention, l'offre, la cession, l'acquisition, l'emploi de cannabis (plante et résine) et des tétrahydrocannabinols sont interdits, sauf lorsqu’il s’agit de médicaments autorisés. 

Le même décret a introduit dans le Code de la santé publique un nouvel article R. 5132-86-1 qui dispose que la culture, l'importation, l'exportation et l'utilisation, à des fins industrielles et commerciales, de variétés de Cannabis sativa dépourvues de propriétés stupéfiantes ou de produits contenant de telles variétés sont autorisées par arrêté des ministres chargés de l'agriculture, des douanes, de l'industrie et de la santé.

Quelle est la décision du Conseil d’État du 29 décembre 2022 concernant l’interdiction, par arrêté interministériel du 30 décembre 2021, de la commercialisation et de la consommation des fleurs et des feuilles de cannabis contenant du CBD ?

Le Conseil d’État a rejeté le recours dirigé contre le décret du 17 février 2022 (CE 29 déc. 2022, n° 463256). Il a en revanche annulé partiellement l’arrêté du 30 décembre 2021 (CE 29 déc. 2022, n° 444887).

L’arrêté du 30 décembre 2021 est annulé en tant qu’il interdit de vendre des fleurs et des feuilles de cannabis ayant un taux de THC inférieur à 0,3 %. En effet, le CBD ne peut pas être regardé comme un produit stupéfiant (il n’est pas inscrit sur la liste des stupéfiants, ni en droit international, ni en droit interne). D’autre part, et selon les experts, il ne crée pas de risque pour la santé publique justifiant une interdiction de vente, de détention et de consommation, étant entendu que des tests rapides et peu coûteux permettent de distinguer les variétés de plantes de cannabis possédant des propriétés stupéfiantes eu égard à leur teneur en THC, ce qui ne justifie pas une mesure aussi disproportionnée qu’une interdiction générale et absolue.

Le questionnaire de Désiré Dalloz

Quel est votre meilleur souvenir d’étudiant ? 

La rentrée (au mois d’octobre à l’époque).

Quels sont votre héros et votre héroïne de fiction préférés ? 

Orso et Colomba (Mérimée).

Quel est votre droit de l’homme préféré ? 

Le droit [qui garantit à tout citoyen américain le droit de détenir une arme] visé par le 2e amendement de la Constitution des États-Unis d’Amérique (parce qu’il n’est pas applicable en France).

 

Auteur :Marina Brillié


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