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[ 7 octobre 2009 ] Imprimer

Claire DICKERSON

Sur mandat d’arrêt international délivré par l’État de Californie (USA), le cinéaste Roman Polanski a été arrêté par les autorités suisses le 26 septembre 2009 pour une affaire remontant à 1977, relative à des « relations sexuelles illégales » avec une mineure, cette dernière ayant par la suite formellement demandé l'abandon des poursuites. « La loi est la même pour les cinéastes et les citoyens » proclament les uns. « Acharnement juridique et traquenard policier » dénoncent les autres. Le professeur américain Claire Dickerson (Tulane University Law School) éclaire la procédure de ce scandale hollywoodien.

Précisions de l’interviewé sur le chapeau introductif du Focus :

Roman Polanski, certainement un grand cinéaste, a été arrêté en 1977 et il a confessé le crime devant le juge en ajoutant une série de détails qui confirment sa culpabilité. Il est probable que le procureur avait laissé entendre à Polanski que le juge le mettrait en probation. Mais après que Polanski a accepté devant le juge étatique en Californie l’arrangement négocié avec le procureur, il ne fait pas l’ombre d’un doute que le juge avait le pouvoir et le droit de le mettre en prison. C’est alors que Polanski a pris la fuite. D’après les juristes californiens — car, à l’exception de la convention d’extradition, tout le droit relatif à cette affaire est étatique et non fédéral – son évasion constitue par lui-même un acte relevant du droit pénal.

L’affaire Polanski n’est ni un scandale hollywoodien, ni un crime hollywoodien, mais simplement un scandale et un crime. Certes persécuter un grand génie n’est pas acceptable, mais traduire en justice un artiste, si grand soit-il, qui a commis un crime relève de la justice. Un talent, quel qu’il soit, ne justifie pas l’impunité. Comme l’a dit en plaisantant un chauffeur de taxi : « moi aussi, j’ai du talent ! ».

Cette procédure d’extradition relève-t-elle de la coopération judiciaire ou de la voie diplomatique ?

La convention d’extradition entre la Suisse et les États-Unis fait partie du droit américain, comme c’est le cas pour toute convention internationale. Le gouvernement fédéral des États-Unis, soit le ministère des Affaires étrangères (« Department of State ») doit seulement vérifier si les conditions de la convention ont été remplies et respectées. C’est pareil pour la Suisse qui doit, elle aussi, déployer sa procédure afin de s’assurer que les droits de Polanski ont été rigoureusement respectés conformément à ladite convention.

Bien entendu, il ne faut pas être trop naïf : éventuellement la diplomatie peut jouer un rôle, mais seulement si l’application de la convention comporte des ambiguïtés.

Existe-t-il en droit nord américain un droit à l'oubli en cas de crime ou de délit ? Autrement dit, quelle est la durée maximum de la prescription et existe-t-il, en principe, une sorte de délai butoir au-delà duquel les poursuites doivent cesser, quoi qu'il en soit ?

Aux États-Unis, comme c’est le cas d’une manière générale, il y une prescription pour tout crime. Mais en l’occurrence la prescription prévue pour le crime en question ne s’applique pas dans le cas de Polanski, d’abord parce qu’il a formellement avoué son crime devant le juge et n’attendait que la sentence, ensuite parce qu’il s’est évadé juste avant que celle-ci soit rendue. Même si une prescription fonctionnait, elle serait prolongée par sa fuite tant que dure son absence.

Sans doute, dans le contexte de l’extradition, Polanski affirmera que les autorités californiennes ont fait peu d’effort au cours des trois décennies passées pour le rattraper et qu’il est donc maintenant trop tard pour le poursuivre. Polanski évoquera alors le fait qu’il était même trois mois à Gstaad l’été passé, où il possède d’ailleurs un chalet où il se rend souvent, sans que son arrestation soit réclamée par les États-Unis. Le procureur à Los Angeles prétend, lui, que les autorités californiennes n’ont jamais lâché la poursuite et qu’elles ont même redoublé leurs efforts depuis 2005. Chose qui reste à prouver.

Quelles sont les conséquences sur la procédure d’extradition de la plainte contre le mandat d'arrêt déposée par le cinéaste auprès du Tribunal pénal fédéral de Bellinzona (Confédération helvétique) ?

Il s’agit bien entendu dans ce cas de la procédure en Suisse. Celle-ci devra être poursuivie jusqu'au bout. D’ailleurs, on ne parle pas tellement de cette procédure aux États-Unis, sauf pour indiquer que la détention de Polanski en Suisse se prolongera encore un certain temps, opinion partagée de toute évidence par les experts suisses.

Les crimes sexuels obéissent-ils dans votre droit à des règles substantielles et processuelles spécifiques ?

Oui et non.

Oui dans le sens qu’il y a de nos jours des protections, notamment concernant la vie privée de la victime, que notre système juridique n’accorde qu’aux victimes de crimes sexuels. Si la victime est mineure, le droit étatique le plus souvent prolonge la prescription. Par contre, puisque Polanski a déjà reconnu son crime et n’est pas revenu sur son aveu, ces questions de procédure ne se posent pas en l’occurrence.

Quelle peine encourt Roman Polanski ?

Nous ne pouvons pas le savoir d’avance, mais au moment où il a accepté de plaider coupable, Polanski a reconnu devant le juge que la sentence pouvait monter jusqu’à vingt ans. D’après les juristes californiens, une telle sentence est impensable aujourd’hui et cela me paraît exact. Par contre, il ne faut pas oublier que son évasion pèsera dans la balance.

 

Le questionnaire de Désiré Dalloz

 

Quel est votre meilleur souvenir d’étudiant ? Ou le pire ?

Le souvenir le plus vif remonte à la première semaine de mes études de droit. Aux États-Unis à l’époque les professeurs interrogeaient les étudiants nettement plus brutalement qu’aujourd’hui, certes dans le but de leur faire comprendre la « common law », mais aussi — c’était l’impression des étudiants — dans le but de leur apprendre à savoir répondre à des questions inopinées. Et je fus la toute première de ma volée à passer par cette épreuve !

Quel est votre héros de fiction préféré ? Pourquoi ?

Depuis l’école secondaire, c’est Anne Elliot. Elle est l’héroïne de Persuasion, le roman de mœurs (« novel of manners ») écrit en 1816 par la grande romancière anglaise, Jane Austen. Dans son milieu et à son époque, le mariage était la seule carrière à laquelle Anne pouvait prétendre, mais en gros les conflits qu'elle a rencontrés ne sont pas très différents de ceux que l’on retrouve de nos jours dans une société commerciale ou dans un grand cabinet d’avocats.

Anne a su mener sa carrière avec intelligence et courage, sans pour autant oublier ses responsabilités vis-à-vis des autres.

Quel est votre droit de l’homme préféré ? Pourquoi ?

Il n’est pas possible d’en choisir un seul : tout droit est fondamental au moment où on a besoin de sa protection ! Néanmoins, je vous propose le droit de solidarité car, bien que controversé, il repousse toute discrimination et valorise l’égalité, tout en respectant des associations coutumières et volontaires.

 


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