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[ 28 janvier 2021 ] Imprimer

Compliance ouvre toi !

Ce seul mot ouvre un horizon immense dans le monde du droit. Mais en fait qu’est-ce que c’est que la compliance au juste ? C’est William Feugère, avocat à la Cour, fondateur d’ethicorp.org, responsable de la Commission Compliance et éthique des affaires du Barreau de Paris, et coauteur, avec le Doyen Marie-Emma Boursier, du nouveau Code de la compliance 2021, paru chez Dalloz en septembre 2020, qui nous répond.

De quelle théorie vient la compliance ?

La compliance vient moins de la théorie que de la pratique et de la rencontre d’un double besoin.

En premier lieu, un besoin des entreprises et des personnes, d’évoluer dans un monde plus sûr, et donc de bénéficier d’une prévention des risques efficace. Le monde contemporain est dur, violent, la concurrence est rude, et certains États utilisent leur législation comme arme de guerre économique, ce qui ne fait que renforcer les fragilités. La vie des affaires, la vie générale, nécessite la prise de risques, sinon on ne crée rien, on stagne, donc on meurt. Mais cette prise de risque doit être éclairée, mesurée, encadrée et les risques inutiles, stériles, doivent être évités. La compliance aide à cela. 

En parallèle, le besoin des États de bénéficier d’outils efficace de lutte contre certaines infractions – lutte contre le blanchiment, contre la corruption, protection des droits humains, de l’environnement. Il faut être réaliste : l’engagement des États pour la compliance, avec des conventions internationales, des législations internationales, n’est pas fondé par la volonté de protéger et sécuriser les entreprises, même si cela a finalement cet effet. Il est fondé sur le constat de l’échec relatif de la politique purement répressive. La menace de la sanction n’a jamais empêché la commission des infractions. L’effet dissuasif du pénal est nul. En outre, certains faits sont difficiles à déceler, et le sont parfois trop tard, lorsqu’ils sont prescrits. C’est souvent le cas en matière de corruption. Avec la compliance, les États demandent la mise en place d’outils de prévention mais aussi de révélation. Ils jouent sur deux armes complémentaires : idéalement, on empêche la commission des infractions, en formant par exemple les salariés pour qu’ils ne se laissent pas prendre dans un schéma de blanchiment ou de corruption malgré eux, par ignorance. Et par ailleurs, avec par exemple les dispositifs d’alertes, on favorise la remontée d’information qui permettra de découvrir les faits plus tôt, en temps non prescrit.

Ces deux besoins se rejoignent. L’ACFE (Association of Certified Fraud Examiners) publie chaque année son Report to the Nations, analysant les données de plusieurs dizaines de milliers de spécialistes. Les fraudes touchent 9 entreprises sur 10 dans le monde et représentent 5 % du chiffre d’affaires. C’est colossal. Avec un dispositif d’alertes, elles sont découvertes deux fois plus vite, leur coût est deux fois moindre.

Quelles sont ses sources ?

Les sources légales sont de tous ordres : les conventions internationales (Nations Unies, OCDE, Conseil de l’Europe), certaines législations étrangères avec des effets extraterritoriaux importants (ainsi en matière de corruption le FCPA aux États-Unis et le Bribery Act au Royaume-Uni), nos propres législations, européennes (directives, règlements) et nationales (loi Sapin 2, etc.).

Mais il faut aussi ajouter en compliance la soft law : les entreprises adoptent des codes de conduite qui vont servir à structurer non seulement leur fonctionnement interne mais aussi les relations avec les tiers, leurs clients, leurs fournisseurs, auxquels sera demandé le même niveau d’engagement éthique pour pouvoir entamer ou poursuivre une relation commerciale.

La compliance a-t-elle une portée contraignante ?

Certains textes sont contraignants, la loi Sapin 2 en est un exemple puisque les entreprises ou groupe répondant à certains seuils (500 salariés et 100 millions de chiffre d’affaires) doivent mettre en place des dispositifs de prévention énumérés par la loi, sous peine de sanctions par l’Agence française anticorruption. Ce sont même les dirigeants qui sont personnellement responsables, sans faculté de délégation.

Au-delà de la contrainte, je pense qu’il faut surtout parler de nécessité. La compliance est utile et nécessaire.

Elle apporte, en premier lieu, la connaissance, qui est un actif fondamental. C’est en cela un outil extraordinaire d’intelligence économique. Je prendrai comme exemple la cartographie des risques, anticorruption ou devoir de vigilance. L’entreprise va analyser ses processus, la manière dont elle vend, achète, embauche, comptabilise,… les décomposer étape par étape, pour en identifier toutes les failles potentielles, afin de les prévenir. Quand fait-on cet effort de s’analyser soi-même ? C’est comme le check-up d’une personne physique, pour prévenir et détecter un risque médical.

C’est aussi le moyen non seulement de sécuriser mais aussi d’améliorer, de simplifier et de fluidifier. Trop souvent, les procédures édictées sont mal appliquées parce que construites dans une démarche « top down », imposées du haut sans vision réelle de ce que sur le terrain il sera possible de faire. En établissant la cartographie, en échangeant avec les opérationnels, en faisant avec eux une véritable coconstruction, on va réviser les processus en s’assurant qu’ils soient sûrs non seulement en théorie mais aussi en pratique, car d’application facile.

Tout cela va dans l’intérêt des entreprises mais aussi leurs collaborateurs, leurs partenaires, leurs investisseurs. On entre dans un cercle vertueux.

La montée en puissance de la compliance est-elle l’envers de la décroissance du droit ?

C’est l’inverse. D’abord, je ne crois pas à la décroissance du droit. Le droit est un des piliers structurant la société. C’est une colonne vertébrale. Il évolue, avec la société, avant elle ou après elle selon les sujets, mais il ne décroît jamais. 

Ensuite, la compliance permet au droit d’atteindre une effectivité qu’il n’avait pas toujours. Le rôle d’un juriste, d’un avocat, n’est pas de réciter les articles du code. Il leur suffit d’acheter le Code de la compliance, et ils auront les textes et la jurisprudence. Il faut aller plus loin et accompagner l’entreprise pour que ce droit imprègne les pratiques du terrain, et inversement. En droit de la concurrence, si un visiteur médical s’amusait à dire que le médicament qu’il présente à un médecin est meilleur que celui d’un autre laboratoire, il ferait encourir à son entreprise des sanctions par l’Autorité de la concurrence pouvant aller en théorie jusqu’à 10 % du chiffre d’affaires. En droit pénal, dès lors qu’un salarié commet une infraction dans l’exercice de ses fonctions, l’entreprise peut être civilement responsable, hors toute question de délégation de pouvoir. Chaque salarié est acteur de droit et impacte l’entreprise. Et, dans l’autre sens, le droit n’est intéressant que s’il est conçu et appliqué pour être effectivement mis en œuvre. La compliance, c’est précisément cette coconstruction que j’évoquais, cet aller-retour entre le management, le juridique et l’opérationnel.

Un dernier exemple. Le harcèlement moral est interdit. Mais on sait qu’il existe. Trop souvent, ceux qui savent, qui observent ou subissent, n’osent pas parler. Le harcèlement se poursuit. Le droit d’être protégé existe, mais il ne s’applique pas. C’est du non droit. Un dispositif d’alertes efficace, qui permet de révéler et d’arrêter, c’est une garantie de respect des droits.

En résumé, la compliance c’est plus de droit, et mieux.

Le questionnaire de Désiré Dalloz

Quel est votre meilleur souvenir d’étudiant ?

J’hésite entre l’obtention du diplôme de Sciences-Po Paris et les soirées avec mes amis à refaire le monde avec passion. Les amis en premier.

Quels sont votre héros et votre héroïne de fiction préférés ?

R2-D2, fidèle, courageux et qui réussit à exprimer des émotions avec seulement quelques sifflements, une forme d’épure. Yentl, à la fois pour l’héroïne elle-même de la très jolie nouvelle de Bashevis Singer, femme qui brave les limites que la société et la religion lui imposent, parce qu’elle a soif d’apprendre, et aussi pour Barbra Streisand qui l’a adaptée au cinéma, en étant à la fois actrice, réalisatrice, productrice, une première pour une femme à l’époque, au début des années 1980, j’aime profondément cette artiste qui toujours fait exploser les murs d’un monde masculin autocentré et conservateur. Et enfin Mizoguchi. C’est le personnage d’un roman de Mishima, le Pavillon d’Or, dont la lecture – vers 18 ans je crois – m’a profondément marqué. Ce personnage n’est pas un héros en réalité, il n’est pas admirable. Ce qui me fascine c’est ce qui peut conduire un homme à vouloir incendier une merveille, ce pavillon d’or, qu’il admire et vénère. Je pense que c’est ce que j’aime dans mon métier d’avocat : comprendre ceux que j’accompagne, que je défends.

Quel est votre droit de l’homme préféré ?

Je ne peux pas choisir, ils sont fondamentaux. Je botterai en touche en répondant avec ce qui n’est pas un droit humain mais est peut-être au cœur : l’humanisme. Tout y est. L’autre est mon égal, mon frère (ou ma sœur), nous sommes liés.

 

Auteur :Marina Brillé-Champaux


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