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Crédit photo : C. Caron.

[ 12 octobre 2010 ] Imprimer

Daniel Soulez-Larivière

Daniel Soulez-Larivière a tout de suite dit « OUI ». Il a répondu à nos questions sur la réforme de la garde à vue. Avocat d’affaires de notoriété publique (entre autre : affaires de la Garantie foncière, du Rainbow Warrior  ; avocat du groupe Total dans l'explosion à Toulouse d’AZF et pour le naufrage de L'Erika mais aussi d'un haut fonctionnaire de l'aviation civile dans les crashs au Mont Saint-Odile et du Concorde ; v. soulezlariviere.com),  il est également l’auteur de onze ouvrages, récemment une anthologie de l’éloquence judiciaire, Paroles d’avocat (Hermann, 2010). Dans son livre fondateur L’Avocature (éd. du Seuil, 1982), il écrit que l’avocat peut être considéré comme « un agent de l’ordre public, car c’est lui, en défendant à fond le justiciable, qui permet au système d’être accepté parce que chacun a compris que sa cause avait été parfaitement expliquée. »

Dans sa décision du 30 juillet 2010 rendue sur une question prioritaire de constitutionnalité, le Conseil constitutionnel a donné un délai d’un an au gouvernement pour réformer la procédure de la garde à vue de droit commun qu’il juge contraire à la Constitution. Avez-vous été surpris ? Par la décision ? Par l’argumentation ? Par la portée de la décision ?
Je n'ai pas été surpris. Le président du Conseil Constitutionnel avait déjà énoncé la grande attention qu'il portait à ce sujet. Notre système de garde à vue est d'ailleurs anti-conventionnel si l'on suit les derniers arrêts de ces cinq dernières années de la Cour européenne des droits de l’homme.

À quoi sert normalement la garde à vue d’une personne en procédure pénale ?
La garde à vue sert à « secouer le suspect » suffisamment pour espérer lui extraire des paroles accusatrices pour lui-même ou pour les autres. C'est en tout cas l'analyse que j'en fait.

Que comporte, selon vous, « l’assistance effective d’un avocat » ?
« Effective », cela veut dire que cela sert à quelque chose. Si c'est une potiche qui n'a accès à rien [dossier du mis-en-garde] et qui peut s'entretenir uniquement une demi-heure avec son client, cela ne change rien. L'assistance effective signifie aussi qu'on ne peut, sauf cas extraordinaire, s'abstraire de sa présence et qu'on ne peut non plus créer une fausse/vraie garde à vue avant sans avocat afin de reconstituer le tête-à-tête entre le suspect et le policier.

Quelles traditions françaises s’opposent à ces avancées des droits de la défense ?
C'est une longue tradition culturelle qui remonte aux ordonnances de Villers Cotterêts de 1539 qui a systématisé la procédure inquisitoire. Elle est inspirée par la procédure de la Sainte Inquisition créée par le pape Grégoire IX au xiiie siècle.

 En outre, l'avocat est un professionnel intervenu très tard dans la procédure. Avant la Révolution, il n'y en avait pas au « grand criminel », c’est-à-dire au pénal.

À partir de la création du juge d'instruction jusqu'en 1897, il n'avait pas accès au cabinet de ces juges d'instruction. Il ne participait pas à celle-ci.

Depuis 1897, il est là, mais a pour devoir de se taire puis le droit de poser des questions à la fin de l'interrogatoire, puis depuis 1993, le droit de demander des investigations, et puis, depuis 2000, de donner les expertises à ses propres experts. La procédure s'oriente de plus en plus vers un autre système que l'inquisitoire mais le pas n'a pas été franchi encore. Seule la réforme imaginée par le professeur Donnedieu de Vabres en 1949, par la Commission Delmas-Marty en 1990 puis initiée par le président de la République en janvier 2009 semble devoir faire changer vraiment le système. Dans pratiquement toutes les démocraties, y compris en Allemagne depuis 1974, les investigations sont faites par le parquet. Il y a un juge de l'instruction qui la régule. Et il n'y a pas de juge d'instruction.

Qu’est-ce qui dans le projet gouvernemental présenté le 7 septembre 2010 ne vous convient pas ?
Le projet gouvernemental me convient sauf qu'il conserve l'unité de corps du siège et du parquet en qualifiant le parquet d' « autorité judiciaire » alors que selon la Cour européenne des droits de l’homme, il n'est qu'une partie, la partie accusatrice.

Je crois aussi que le JEL, le juge d'enquêtes et des libertés, n'est encore insuffisamment défini. Mais je pense que le mouvement se fera en marchant et je suis favorable à la réforme.

Pensez-vous que les projets d’aides juridictionnelles envisagées par Jean Castelain, le bâtonnier de l’Ordre des avocats de Paris (v. « Focus sur Jean Castelain », Dalloz Actu Étudiant 2 février 2010), pourraient apaiser les « défenseurs des victimes » ?
Avec la réforme de la procédure pénale, l'existence d'un avocat, obligatoire au pénal et effectif, signifie forcément que soit créée une sorte d'internat de la profession où pendant 5 ans les plus jeunes, sous la direction de plus âgés et expérimentés, se dévoueraient à temps plein au service des plus démunis en étant payés comme les magistrats de leur âge. Il faut savoir que plus de 90% des gens qui sont en prison n'ont pas d'argent. Ils sont hors marché.

La situation est différente en matière civile où l'on peut imaginer des systèmes d'assurance qui permettent aux avocats d'être payés au prix du marché et d'effectuer un travail complètement professionnel.

Quant aux défenseurs des victimes, j'ai entendu parler d'une volonté de les faire assister aux gardes à vue. C'est totalement délirant. La partie civile n'est pas un procureur bis, bien que l'ambition française et la pratique soient souvent celle-là. Je suis contre. Je pense que c'est au parquet de faire son travail, à la police judiciaire d'effectuer le sien, au juge de contrôler l'enquête et à l'avocat de défendre le suspect.

 

Le questionnaire de Désiré Dalloz

Quel est votre meilleur souvenir d’étudiant ? Ou le pire ?

Mon meilleur souvenir d'étudiant est de l'être devenu. J'ai détesté les études secondaires qui ne m'intéressaient pas, qui étaient trop académiques et en même temps pas assez réfléchies. C'est à l'âge de seize ans en High School à Cleveland puis à New-York que j'ai pris intérêt aux études. Et puis en fac de droit quand je suis tombé sur le cours d'histoire des institutions de Lemarignier  et le cours de droit constitutionnel du doyen Vedel, j'ai été emballé et je me suis mis à travailler énormément, ce qui était pour moi très nouveau.

Quel est votre héros de fiction préféré ? Pourquoi ?

Je n'en ai aucun. J'ai des héros dans la réalité, comme un certain nombre de personnages historiques : Clémenceau, Churchill, De Gaulle. Ce sont des gens qui ont résisté au destin et aidé les autres à en faire autant.

Quel est votre droit de l’homme préféré ? Pourquoi ?

Mon droit de l'homme préféré est l'article 4 de la Déclaration de 1789 : « La liberté consiste à faire tout ce qui ne nuit pas à autrui ». C'est l'article que je préfère car il est toujours ignoré. Comme si les autres humains n'existaient pas et que les droits se définissaient par les siens propres.

 

Références

Cons. const., décis. 2010-14/22 QPC, 30 juillet 2010.

■ « Inconstitutionnalité de la garde à vue de droit commun et avant-projet de loi de réforme… », Dalloz Actu Étudiant 14 sept. 2010.

Déclaration M. Alliot-Marie : avant-projet de loi sur garde à vue, Communiqué de presse de Michèle Alliot-Marie.

Garde à vue

« Mesure par laquelle un officier de police judiciaire retient dans les locaux de la police, pendant une durée légalement déterminée, toute personne qui, pour les nécessités de l’enquête, doit rester à la disposition des services de police.

La durée de la garde à vue dépend de la nature de l’infraction : elle est plus longue en cas de criminalité ou de délinquance organisées (terrorisme, trafic de stupéfiants…). »

Juge d’instruction

« Magistrat du siège du tribunal de grande instance désigné dans cette fonction pour trois années renouvelables. Il constitue la juridiction d’instruction du premier degré. Sa disparition au profit d’un juge de l’instruction ou de l’enquête est annoncée. »

■ Ministère public

« Ensemble des magistrats de carrière qui sont chargés, devant certaines juridictions, de requérir l’application de la loi et de veiller aux intérêts généraux de la société.

Indépendants des juges du siège, les magistrats du parquet sont hiérarchisés et ne bénéficient pas de l’inamovibilité.

En matière civile, le ministère public peut être partie principale ou partie jointe. En matière pénale, il est toujours partie principale. »

Parquet

« Magistrats composant le ministère public dans chaque tribunal de grande instance, placés sous l’autorité d’un procureur de la République. Il est tenu une liste de rang des membres du parquet (procureur, procureur-adjoint, vice-procureur, substitut) déterminant la place de chacun dans les cérémonies publiques, les assemblées générales et les formations de la juridiction. »

Procureur de la République

« Magistrat placé à la tête du ministère public prés le tribunal de grande instance.

En toutes matières, le ministère public est exercé devant les juridictions du premier degré du ressort du tribunal de grande instance par le procureur de la République. »

Siège

« Les magistrats du siège, par opposition à ceux du parquet, sont les magistrats qui reçoivent la mission de juger. »

Lexique des termes juridiques 2011, 18e éd., Dalloz, 2010.

 

Auteur :M. B.


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