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Des vices de procédure
« La forme, c’est le fond qui remonte à la surface » écrit Victor Hugo dans son manuscrit Utilité du beau (Proses philosophiques 1860-1865). En droit, on connaît l’importance de la procédure, sœur de la liberté, outil fondamental de protection de nos libertés et droits fondamentaux. D’où l’existence de vices de procédure au milieu de toute cette vertu procédurale ! Corinne Bléry, professeur à l’Université Polytechnique Hauts-de-France (Valenciennes), Faculté de droit, d’économie et de gestion, a bien voulu nous répondre à leur sujet.
Quels sont les principaux vices de procédure ?
C’est amusant que vous posiez cette question : les « vices de procédure » n’existent pas dans le Code de procédure civile ! C’est une notion qui a été « inventée » – peut-être bien par inadvertance – par le législateur en 2008. Ainsi, depuis la loi no 2008-561 du 17 juin 2008 portant réforme de la prescription en matière civile, l’article 2241 du Code civil dispose que « la demande en justice, même en référé, interrompt le délai de prescription ainsi que le délai de forclusion. » (C. civ., art. 2241, al. 1er) ; mais surtout qu’« il en est de même lorsqu’elle est portée devant une juridiction incompétente ou lorsque l’acte de saisine de la juridiction est annulé par l’effet d’un vice de procédure » (C. civ., art. 2241, al. 2). Or la doctrine s’est interrogée : la notion visait-elle non seulement le vice de forme, mais aussi le vice de fond ? La jurisprudence a tranché et a jugé que les deux vices connus du Code de procédure civile étaient englobés dans la notion de l’article 2241… Le vice de procédure a ainsi perdu son mystère, dans un sens qui est conforme à la lettre de l’article 2241, alinéa 2… à défaut, sans doute, de l’être à l’esprit des auteurs de la loi de 2008. Mais il aurait fallu qu’ils soient précis !
À quoi servent-ils ?
Tout plaideur a droit à un procès juste et équitable et doit pouvoir présenter ses moyens de défense. Le formalisme est, parmi d’autres obligations, un moyen de permettre le déroulement équitable du procès.
Les vices de forme et les vices de fond sont des causes de nullité des actes de procédure. Or la nullité sanctionne la violation des règles de formation des actes de procédure (par exemple, assignation, conclusions, notifications, etc.) : règles de forme (l’acte étant pris au sens d’instrumentum) et de fond (l’acte étant pris au sens de negotium). Par exemple les articles 56 ou 648 du Code de procédure civile prévoient des mentions devant figurer dans les assignations ou les actes d’huissier de justice : l’identité du demandeur, de l’huissier, le tribunal compétent, la date de l’acte, l’objet de la demande… : le défendeur doit savoir quel procès lui est intenté et par qui. L’article 117 du même code sanctionne l’absence de capacité d’ester en justice des plaideurs, l’absence de capacité ou de pouvoir de leurs représentants, qu’ils soient avocats ou non…
Comme en droit civil, l’effet de la nullité, pour vice de forme ou de fond, est l’anéantissement rétroactif de l’acte, étant précisé que la nullité peut concerner éventuellement seulement une partie de l’acte et que celui-ci peut parfois être refait. Outre l’acte lui-même, sont anéantis tous ceux qui en sont la suite et la conséquence.
Quels sont les recours possibles des victimes des vices de procédures ?
Si l’effet est le même, les irrégularités de fond sont plus graves que les vices de forme et le régime des premières est donc plus souple que celui des seconds. Dans les deux cas, le plaideur qui se plaint d’un tel vice peut demander au juge de prononcer la nullité, mais les conditions d’ouverture de son action ne sont pas les mêmes.
Les causes de nullité de fond sont énumérées à l’article 117 du Code de procédure civile et la Cour de cassation nous dit que la liste est limitative. Les causes de nullité de forme sont, en principe, prévues par des textes divers du Code de procédure civile ou du Code de procédure civile d’exécution, ainsi que l’annonce l’article 114, alinéa 1er du Code de procédure civile ; en l’absence de texte, la violation d’une formalité qualifiée de « substantielle » ou « d’ordre public » peut aussi conduire à la nullité. Surtout, la nullité de forme suppose que sa « victime » prouve un grief que lui a causé l’irrégularité, alors que – par exemple – si un avocat est dépourvu de mandat ou si un plaideur est décédé, la nullité pour vice de fond est encourue de ce seul fait. L’article 114, alinéa 2 subordonne d’ailleurs le prononcé de la nullité d’un acte pour vice de forme à la preuve de ce grief causé à celui qui l’invoque, même lorsqu’il s’agit d’une formalité substantielle ou d’ordre public. Le grief ? C’est l’importante perturbation dans le déroulement du procès, perturbation subie par le plaideur qui l’invoque ; le grief résulte de la désorganisation des moyens de défense provoquée par l’irrégularité. L’appréciation du grief est abandonnée au pouvoir souverain des juges du fond, qui ont l’obligation de vérifier que l’irrégularité a causé un tel grief. Ce grief doit être apprécié in concreto, c’est-à-dire que c’est la défense du demandeur à l’exception de nullité qui est examinée, et non celle d’un plaideur « ordinaire » (appréciation in abstracto). Par exemple, les juges refuseront de prononcer l’annulation d’un acte irrégulier si la victime avait une connaissance personnelle des renseignements que l’acte devait lui fournir ; en revanche, ils estimeront qu’il y a grief si c’est à cause d’une absence d’information ou d’une information erronée que le plaideur n’a pas comparu ou n’a pu exercer une voie de recours.
Quelle est la marge de manœuvre du juge pour trouver l’équilibre procédural idéal pour le justiciable ?
Cet équilibre n’est pas facile à trouver. Cette recherche est d’ailleurs plutôt la tâche du législateur et le Code de procédure civile de 1975, entré en vigueur le 1er janvier 1976, s’est efforcé de trouver un tel équilibre en tenant compte des leçons de l’histoire. Dans l’ancien code de 1806, la procédure était une fin en soi, un parcours d’obstacles que tout plaideur devait franchir avant de voir sa cause jugée, compte tenu du régime des nullités des actes de procédure. En distinguant nullité de forme et de fond, avec leur régime respectif, le code a permis de distinguer ce qui, dans les règles de procédure, est essentiel parce que protecteur des droits de la défense, de ce qui est secondaire parce que formaliste, ce qui est irrémédiable de ce qui peut aisément se rectifier. Cette réforme a eu pour conséquence immédiate le ralentissement des argumentations procédurales purement dilatoires et l’accès plus rapide du juge au fond du litige… même si le système retenu n’est pas encore idéal.
En outre, il faut ajouter qu’à côté des « vices de procédure », il y a d’autres sanctions procédurales telles que les fins de non-recevoir, la caducité,… Or, avec les réformes, une tendance s’est développée qui tend à priver le juge de son pouvoir d’appréciation et à instaurer des sanctions automatiques (on a pu parler de « délais guillotines », à propos du décret « Magendie » n° 2009-1524 du 9 décembre 2009 relatif à la procédure d'appel avec représentation obligatoire en matière civile).
La situation du justiciable – et de son avocat – est désormais beaucoup moins équilibrée et favorable que dans le Code de procédure civile de 1976. L’idée est de « vider les prétoires », mais c’est malheureusement au détriment de l’idéal de justice. Je ne pense pas que von Ihering dirait encore – comme vous le rappeliez – que « ennemie jurée de l’arbitraire, la procédure est la seule jumelle de la liberté ». Je le regrette.
Le questionnaire de Désiré Dalloz
Quel est votre meilleur souvenir d’étudiant ?
Venant d’une section C (donc scientifique, même si je n’étais pas bonne en maths), je suis allée un peu « à reculons » en fac de droit à Caen, alors que mes condisciples intégraient des prépas. Et puis, j’ai découvert l’histoire du droit et les TD de droit civil. Cela a été un vrai bonheur. J’ai su que j’avais bien fait de changer d’orientation, que j’avais trouvé ma voie.
Un autre très bon souvenir est mon DEA d’histoire du droit à Paris 2, que j’ai vécu comme une parenthèse très enrichissante avant de m’atteler sérieusement à ma thèse, sous la direction de mon très regretté Maître Jacques Héron.
Quelle est votre héroïne de fiction préférée ?
J’ai un faible pour Jane Edgerton (prospectrice) et sa cousine Edith (infirmière) : je les mentionne toutes les deux car elles sont complémentaires. Elles ne sont sans doute pas très connues. Ce sont deux jeunes héroïnes de Jules Verne, ou plutôt de Michel Verne qui les a ajoutées à la version initiale de son père. Dans le roman Le Volcan d’or, elles n’hésitent pas à braver les dangers d’un périple au Klondike pendant la ruée vers l’or. Elles sont toutes deux, à leur manière, intelligentes, courageuses, féministes avant l’heure et sympathiques.
Quel est votre droit de l’homme préféré ?
La liberté, dont la France est le symbole… ou plutôt a été, car je suis inquiète devant les atteintes qui lui sont portées. La liberté est aussi belle et nécessaire que fragile.
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