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Directrice juridique
S'orienter, étudier, passer des concours, suivre des stages, découvrir un métier, décrocher un contrat... Autant d'étapes importantes qui soulèvent, pour chaque étudiant, un foisonnement de questions. Afin de démêler les réalités des idées reçues, Dalloz Actu Étudiant a décidé de décrypter tous les mois les spécificités d'un métier du droit à partir du témoignage d'un professionnel.
Le poste de directeur juridique intervient rarement en tout début de carrière. Il est parfois l’aboutissement d’une carrière de juriste, parfois une passerelle après le métier d’avocat. Responsable de son équipe, des contrats réalisés par l’entreprise, des incidences juridiques qui découlent de ses choix, le directeur juridique est souvent un maillon central de l’entreprise. Pour preuve, Béatrice Bihr, directrice juridique de Teva, filiale française du groupe mondial pharmaceutique éponyme, en est également la secrétaire générale. Vice-présidente du Cercle Montesquieu, elle a répondu à nos questions.
Quel a été votre parcours avant de devenir directrice juridique chez Teva Santé ?
J’ai suivi un cursus juridique complet jusqu’en 3e cycle. Je suis également diplômée de Sciences Po Paris et de HEC. Mon premier métier est celui d’avocate au barreau de Paris. J’ai exercé pendant cinq ans avant de reprendre des études aux États-Unis, en l’occurrence un LLM au sein de l’établissement University of Chicago (un diplôme de spécialisation en droit, ndlr). J’ai ensuite passé le barreau de New-York où j’ai exercé quelques années. Pendant dix ans j’ai donc été avocate spécialisée en droit des affaires en France et aux États-Unis. Puis, j’ai décidé de rejoindre l’entreprise il y a environ sept ans. Mon parcours est varié car ma première expérience en entreprise a eu lieu dans le cadre de la holding Artémis de Kering - PPR à l’époque - le groupe de François Pinault. J’y ai d’abord effectué un détachement en tant qu’avocate qui m’a donné un goût pour l’entreprise. A l’époque, je réfléchissais à différentes options et souhaitais vivre d’autres expériences. Je me suis donc lancée. J’ai rejoint une structure dans le domaine des télécoms, plus proche du modèle de la start-up, à savoir la société de service de renseignements téléphoniques 118218 dont j’ai été la directrice juridique pour l’Europe. Depuis maintenant deux ans et demi, je travaille dans l’industrie pharmaceutique chez Teva, filiale du numéro un mondial des médicaments génériques, également présent dans différents aires thérapeutiques comme l’oncologie, le respiratoire, les maladies neuro-dégénératives et la santé de la femme. J’en suis la directrice juridique et depuis le 1er septembre 2016 également la secrétaire générale.
Pouvez-vous nous expliquer vos missions en tant que directrice juridique ?
Elles sont variées et c’est ce qui les rend passionnantes. Mon rôle consiste à accompagner les équipes opérationnelles dans tous leurs projets. Nous les aidons en les encadrant sur des problématiques telles que le droit des marques, les relations contractuelles, le droit de la concurrence par exemple. Cela peut aller de la gestion d’un contentieux complexe à l’organisation de l’encadrement d’un jeu concours. Nous sommes aussi aux côtés de la direction financière en matière d’approbation des comptes annuels, de restructurations intragroupe, ou d’acquisitions. De manière générale, notre mission est de protéger les intérêts de l’entreprise. Nous jouons donc un rôle lorsque ceux-ci sont menacés en saisissant les tribunaux pour poursuivre les sociétés qui n’ont pas respecté leurs engagements contractuels ou qui usent de pratiques de concurrence déloyale. Nous couvrons aussi le droit du travail.
Nous travaillons sur la diffusion de bonnes pratiques au niveau européen et je rencontre à ce titre mes homologues au sein du groupe très régulièrement. Nous échangeons sur des outils ou des thématiques transverses comme en matière brevetaire. Le fait de faire partie d’un groupe est porteur d’opportunités. Nous avons initié un programme de mobilité interne européen. A ce titre, je peux proposer à des collaborateurs de vivre une expérience de quelques mois au sein de directions juridiques étrangères européennes afin qu’ils s’enrichissent d’expertises différentes et en reviennent avec les meilleures idées. La créativité est une valeur importante au sein de l’entreprise et nous essayons de concevoir des solutions pour améliorer, développer nos outils, ou optimiser certains processus, par exemple à travers la gestion automatisée de contrats récurrents.
Comment s’organise votre emploi du temps ?
Une semaine ne ressemble jamais à une autre ! En tant que membre de différents groupes de travail, je suis régulièrement sollicitée. Hier par exemple j’ai été à l’agence nationale de santé et du médicament (ANSM, ndlr) afin d’échanger sur un certain nombre de dossiers en cours. Je siège également au sein de certains comités de l’entreprise, comme le comité de dons qui revoit et approuve les dons du laboratoire. Je suis aussi membre du comité de direction de l’entreprise et cet après-midi nous nous réunissons pour prendre des décisions stratégiques pour l’entreprise. La semaine dernière j’ai participé à une réunion pour la mise en place de ce que nous appelons des « programmes d’éducation thérapeutique des patients » pour aider les patients à bien vivre leur traitement.
Mes fonctions managériales sont également très chronophages et j’y consacre volontiers du temps. Je réunis régulièrement mon équipe - nous sommes huit à la direction juridique – et tous les quinze jours je rencontre chaque membre de mon équipe individuellement. Deux fois par an, nous prenons le temps de nous réunir en-dehors de l’entreprise pour travailler ensemble sur la cohésion d’équipe, sur la façon d’améliorer nos processus, et sur les projets qui vont structurer nos actions.
Je m’implique bien sûr personnellement sur certains dossiers sensibles de type contentieux, contrats. Enfin, je représente l’entreprise dans certaines instances représentatives comme le Gemme, une association qui rassemble les sociétés de médicaments génériques.
Comment votre profession de directrice juridique a-t-elle évolué ces dernières années ?
J’observe à travers mon expérience et les échanges entre pairs au sein du Cercle Montesquieu que la place du directeur juridique est de plus en plus valorisée. Il est notamment saisi plus en amont qu’auparavant. Notre vision panoramique de l’ensemble des métiers de l’entreprise nous permet de contribuer à une réflexion stratégique de fond. Sécuriser l’entreprise et ses intérêts, être un business partner à travers la recherche de solutions innovantes et contribuer à créer de la valeur sont les grandes tendances qui marquent l’évolution du métier. Ces dernières se généralisent au sein des entreprises. C’est du moins ce que les études tendent à montrer et je trouve cela intéressant.
Vous faîtes partie des 40% de femmes avocates qui quittent la profession avant six ans d’exercice. Que pensez-vous de cette tendance globale ?
Le plafond de verre peut être très marqué notamment dans les gros cabinets d’avocats. En entreprise, c’est moins le cas, même s’il existe. Pour preuve, la faible représentativité des femmes directrices juridiques au sein des sociétés du CAC40. L’accès à certains postes reste encore difficile pour les femmes alors même que la profession s’est énormément féminisée. C’est un problème structurel qui ne changera pas tout seul et qui a besoin de mesures incitatives. La parité est par ailleurs un engagement pris par Emmanuel Macron pour son quinquennat. Pour rappel, des améliorations consécutives à l’instauration des quotas de la loi Zimmerman-Copé dans les conseils d’administration des grandes entreprises ont été constatées au sein et par la profession. Les talents féminins qui ne demandaient qu’à être reconnus l’ont enfin été et tout le monde s’en félicite aujourd’hui. Preuve qu’en la matière, il ne faut pas attendre que les choses se fassent, il faut agir.
Au Cercle Montesquieu, nous sommes bien représentées avec 40% de femmes aussi bien au bureau qu’au conseil d’administration. Notre président Nicolas Guérin, le directeur juridique du groupe Orange est très sensibilisé à ces questions. Cela influe désormais dans certains choix et prises de décision des directeurs juridiques du Cercle. A compétences égales, le critère de féminisation du cabinet (proportion de femmes, nombre d’associées) est désormais un paramètre pris en compte. Personnellement, je demande toujours aux cabinets qui veulent travailler avec Teva si des femmes sont associées à leur cabinet.
Questionnaire de Désiré Dalloz
Quel est votre meilleur/pire souvenir d'étudiant ?
Mon pire souvenir d’étudiante remonte à ma première année de droit à l’Université de Nancy 2 pour mon oral de droit civil. Je n’avais pas été très assidue aux cours et les étudiants plus âgés nous avaient rassurés qu’il n’était pas nécessaire d’étudier le cours, tout étant, selon eux, dans le code. J’avais pris cela au sens littéral du terme et à l’oral j’ai pioché un sujet sur le devoir de secours entre époux. Pour commencer, j’ai mis beaucoup de temps à trouver l’article 212 du Code civil pour tomber sur la phrase : « les époux se doivent mutuellement respect, fidélité, secours, assistance ». Et je dois dire que j’étais un peu sèche sur le sujet. Cela a été une bonne leçon pour me forger la conviction qu’il fallait bien étudier toutes les matières !
Quel est votre héros de fiction préféré ?
Je suis très amatrice de bandes dessinées. L’une de celles que j’aime lire s’appelle Miss (aux éditions Les Humanoïdes associés, ndlr), le personnage féminin s’appelle Nola. Cela se passe dans les années 1930. Elle doit se défendre pour survivre et c’est en même temps un récit empreint de tendresse. J’aime bien ce personnage.
Quel est votre droit de l'homme préféré ?
Il me semble important de rappeler le caractère universel des droits, l’égalité des chances pour tous. Il faut ainsi rappeler que les femmes doivent bénéficier du même traitement que les hommes et que cela revêt un caractère universel.
Carte d'identité du directeur juridique
Qu’il soit directeur juridique d’une PME ou d’un grand groupe international, le directeur juridique défend les intérêts de celle-ci par du conseil, de l’anticipation des risques, du management de son équipe interne et de cabinets d’avocats extérieurs ou détachés et du contentieux lorsque cela s’avère nécessaire. Il lui appartient de maîtriser parfaitement son domaine de compétence, de se tenir informé des évolutions juridiques et si besoin former ses juristes aux nouveaux enjeux.
■ Les chiffres
- Au cercle Montesquieu, 48% des directeurs juridiques ont entre 40 et 50 ans, 36% entre 50 et 60 ans, 8% ont plus de 60 ans et 7% ont moins de 40 ans.
- Les différences de salaire entre homme et femmes sont les suivantes : les hommes gagneraient en moyenne 117 740€ contre 101 488€ pour les femmes soit 14% de moins selon une étude de l’AFJE sur les rémunérations
■ La formation et les conditions d'accès
Le directeur juridique dispose a minima d’un M2 en droit, plutôt droit des affaires mais selon son domaine d’activité, cela peut être du droit immobilier, de la propriété intellectuelle, du droit des contrats… Selon le cercle Montesquieu, de plus en plus de directeurs juridiques sont passés par un barreau français ou étranger, ont réalisé un LLM ou une école de commerce. Sans compter les formations complémentaires.
■ Les domaines d'intervention
Tous les domaines possibles d’entreprises, d’associations, de l’alimentation aux télécommunications en passant par les réseaux sociaux, l’aviation, l’énergie, la banque ou la finance.
■ Le salaire
Selon une enquête de l’AFJE sur les rémunérations, les directeurs juridiques toucheraient en moyenne 110261€ bruts par an en 2015 contre 98133€ bruts par an en 2008.
■ Les qualités requises
Éthique, rigueur, probité, réactivité, capacités d’encadrement, de management, de synthèse, d’analyse et d’organisation, impartialité, diplomatie, écoute, communication.
■ Les règles professionnelles
Le Cercle Montesquieu a adopté un code de déontologie élaboré par une autre association de directeurs juridiques, l’AFJE. Le texte défend l’indépendance du directeur juridique et prône entre autres règles la confidentialité, l’absence de conflits d’intérêts, la confraternité et la responsabilité.
■ Les sites internet
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