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Dis monsieur le Professeur, c’est quoi une démocratie ?
Face au climat social et à la crise politique que nous traversons, Dalloz actu étudiant a souhaité se tourner vers l’éminent constitutionnaliste Michel Lascombe, agrégé des Facultés de Droit. Il a, pour notre plus grand soulagement, accepté de répondre à nos questions et nous l’en remercions infiniment.
Qu’est-ce que la démocratie directe ?
Pour qu’il y ait démocratie directe il faut que la souveraineté appartienne au peuple. Dès lors, c’est lui qui s’exprimera directement. En principe, si l’on pousse le raisonnement jusqu’au bout, pour chaque décision ou du moins les décisions importantes, le peuple est rassemblé et décide. L’un des plus anciens exemples de démocratie directe est, dans l’antiquité, la démocratie athénienne au VIe siècle AEC : les citoyens (mais eux seuls, c’est-à-dire 10 % de la population et exclusivement des hommes) participaient aux décisions de la cité dans le cadre d’une assemblée tirée au sort (la Boulé).
Du reste, démocratie vient du grec « demos » qui signifie « le peuple ».
Ce système perdure depuis le XIIIe siècle dans certains canton Suisses (Landsgemeinde : « assemblée du pays » de Glaris et Appenzell Rhodes-Intérieures) alors qu’il est progressivement abandonné dans d’autres pour des raisons de logistique et le recours au suffrage secret. En effet, le défaut essentiel de ce mécanisme est le caractère public du scrutin qui peut s’avérer un obstacle à une expression vraiment démocratique.
La démocratie devient alors « semi-directe » : le peuple s’exprime soit en désignant des députés, soit par des référendums.
L’idée qui préside au fonctionnement de ces mécanismes c’est que, le peuple étant perpétuellement changeant (ne serait-ce que par l’apport de nouveaux électeurs ou la disparition d’électeurs âgés) il peut, à tout moment, changer sa volonté ; les élections doivent donc être fréquentes et régulières. Voter est, dans ce cadre, un droit que chacun est libre d’exercer ou non.
S’agissant de l’élection des députés, elle ne se conçoit que dans le cadre d’un suffrage universel (parfois seulement masculin) et peut se combiner avec une ou plusieurs règles qui garantissent que les élus agiront effectivement comme les électeurs le souhaitent. Les députés votent les lois mais ont été élus sur un programme clairement défini. Leur élection vaudra donc approbation de leur programme et ils devront s’y tenir : c’est le mandat impératif. Dans l’hypothèse où les élus ne respecteraient pas leur mandat, ils pourraient être révoqués. La révocation d’un député est possible (révocation populaire ou, en anglais, « recall »), comme celle de l’ensemble des députés (dissolution populaire décidée par référendum).
S’agissant du référendum justement, il permet aussi de faire trancher par le peuple une question, soit que celle-ci soit nouvelle (référendum législatif), soit que le peuple ait, là encore, changé son avis et souhaite supprimer la loi (référendum abrogatif). La Suisse est un exemple par le nombre important de « votations » (4 par an en moyenne) tant à l’échelon local (communes, cantons) qu’à l’échelon fédéral.
Qu’est-ce que la démocratie représentative ?
La démocratie représentative se conçoit, elle, dans le cadre de la souveraineté nationale. Le pouvoir appartenant à la Nation (et non au peuple) et celle-ci étant une entité (c’est sa première caractéristique), il convient de la représenter par certains organes composés d’hommes pour qu’elle puisse s’exprimer. Ces organes seront les représentants de la Nation. Ainsi, un régime de souveraineté nationale est-il nécessairement un « régime représentatif ». Le mandat des représentants étant de donner corps à la Nation, il ne saurait être limité par la volonté des électeurs. Les élus de la Nation ne sont pas les porte-paroles de leurs électeurs et ne sont donc pas tenus de présenter un programme sur lequel ils seraient élus. Ils n’ont donc qu’un mandat représentatif : tout mandat impératif est nul. Du reste, voter est ici non pas un droit mais un devoir. Mais la Nation a aussi pour caractéristique d’être éternelle et unitaire, ce en quoi elle se distingue du peuple. Aussi, la démocratie représentative peut-elle prospérer dans une monarchie dès lors qu’une partie au moins des « représentants de la Nation » est élue (au début de la IIIe République, 75 sénateurs étaient nommés à vie), fut-ce au suffrage censitaire. Le caractère démocratique des régimes représentatif dépend donc pour l’essentiel, non des principes qui le fondent mais des règles juridiques qui le gouverne. C’est par le droit, par la Constitution (ou la coutume comme au Royaume-Uni) que le caractère démocratique du régime représentatif s’affirme : instauration du suffrage universel et élections à des dates régulières.
Quel est le régime de la Ve République sous cet angle ?
Sous la Ve République, si l’on se réfère à l’article 3, alinéa 1er de la Constitution : « La souveraineté nationale appartient au peuple qui l'exerce par ses représentants et par la voie du référendum ». On voit donc que notre Constitution tente une synthèse (ambigüe ?) entre la démocratie populaire (référendum) et la démocratie représentative, le Parlement ayant comme rôle primordial de représenter la Nation dans toutes ses composantes et toute sa variété par des représentants n’ayant pas de mandat impératif (Const., art. 27).
Reste que, d’une part les référendums législatifs sont rares (8 utilisations depuis 1958). De plus l’usage de ce mécanisme a été largement discrédité lors de son dernier usage. Le « non » au traité instituant une Constitution pour l’Europe ayant été contourné par une adoption parlementaire d’un traité très voisin sinon identique (le traité de Lisbonne). Enfin, la reconnaissance d’un référendum d’initiative partagé suppose d’avoir à remplir des conditions drastiques qu’il est, de facto, impossible à mettre en œuvre.
D’autre part, le Parlement n’est plus le seul représentant élu par le peuple au nom de la Nation. Depuis 1962, le président de la République entre directement en concurrence avec les députés de l’Assemblée nationale, l’un et les autres étant élus au suffrage universel direct (on notera à l’art. 24 Const. le choix du terme député qui renvoie plus généralement à un élu du peuple et non de la nation, ce qui ajoute encore à l’ambiguïté).
Ces mécanismes font que ces légitimités, si pour une raison ou pour une autre, ne s’accordent pas (périodes de « cohabitation » ou de majorité relative), elles entrent en conflit, chacune essayant de s’imposer à l’autre dans tout ou partie de la vie politique nationale par les moyens juridiques dont elle dispose.
C’est sans doute là que réside, pour l’essentiel, le sentiment que l’on a que l’un de ces représentants bafoue la représentativité de l’autre. Il en résulte un sentiment de frustration que seul un recours au peuple pourrait apaiser. Reste à déterminer lequel. Le référendum est quasiment impossible et la dissolution pourrait conforter l’un des deux représentants sans nécessairement délégitimer l’autre. Bref, c’est sans doute là que l’on peut voir les limites de la synthèse voulue entre les deux démocraties en lice.
Selon vous, faudrait-il davantage d’instruments ou de mécanismes de démocratie directe ?
Il est toujours possible de tenter d’améliorer la synthèse ou d’en gommer les aspérités. Reste que, quel que soit l’apport de nouveaux mécanismes de démocratie directe dans les institutions de la Ve République, cette expression démocratique se heurtera à la démocratie représentative. On en a eu un bel exemple avec le référendum organisé localement le 26 juin 2016 à propos du projet d’aéroport de Notre-Dame-des-Landes. Alors que les votants se sont largement (55,2 %) prononcés en faveur de cet aéroport, le projet a été abandonné le 17 janvier 2018.
Certains proposent alors de se tourner vers la « démocratie participative » renforçant, dans le cadre de la démocratie représentative, la participation des citoyens à la décision publique sans pour autant leur donner un pouvoir de décision. Il s’agit de recueillir l’avis de la population mais, et c’est là sans doute la limite de l’exercice, sans que cet avis lie en quoi que ce soit, les représentants de la Nation.
Il s’agit donc de réunir des « panels » de citoyens, des « conventions citoyennes » ou des « conseils ». Reste, là encore, que le résultat peut être décevant. Sans revenir sur le caractère limité de la démocratie consultative (par ex. CESE), on se souvient des propositions de la « Convention citoyenne pour le climat » (oct. 2019 – juin 2020) dont les propositions devaient être mise en œuvre (presque) sans filtre mais qui, pour nombre d’entre elles, furent soumises au crible de la « représentation nationale ». C’est un peu la crainte que l’on a s’agissant des travaux de l’actuel Conseil National de la Refondation.
Il est vrai qu’il est difficile d’admettre que la « légitimité » de citoyens tirés au sort puisse, quelles que soit leurs qualités et la pertinence de leur travail, l’emporter sur la légitimité élective du président de la République et du Parlement sauf à y voir la volonté de l’un de ces représentants de tenter d’imposer par ce subterfuge, ses volontés à l’autre en le court-circuitant.
Conclusion : Toute révision ou changement de la constitution supposerait de résoudre l’ambiguïté originelle de la Ve République et de choisir entre deux types de démocraties. Mission impossible ?
Le questionnaire de Désiré Dalloz
Quel est votre meilleur souvenir d’étudiant ?
Mon meilleur souvenir comme étudiant (mais aussi comme enseignant) sont les spectacles organisés par les étudiants pour se moquer des enseignants et de leurs travers. Hélas, cette tradition de la dérision se perd. Peut-on encore rire de tout ? J’avoue qu’en entendant la polémique sur la question des « caricatures », je finis par en douter.
Quel est votre héros de fiction préféré ?
Je suis assez fan d’Astérix. Il représente le bon esprit gaulois, râleur et résistant. Mais mon héros préféré est beaucoup moins connu. C’est pourtant lui que j’aurais aimé être : Raphaël Hythlodée. Il a eu la chance de découvrir et de vivre sur une île merveilleuse : Utopie. Enfin, c’est ce que nous raconte Thomas More…
Quel est votre droit de l’homme préféré ?
Sans aucun doute la liberté d’opinion, de communication et d’expression garantie par les articles 10 et 11 de la DDHC mais aussi par l’article 10 de la Conv. EDH. Ce n’est pas bien original dans la mesure où cette liberté est souvent qualifiée comme étant « un des droits les plus précieux de l’homme ». Plusieurs évènements récents laissent à penser que cette liberté est de plus en plus menacée ; il faut donc la défendre « bec et ongle ».
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