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[ 3 octobre 2024 ] Imprimer

Divorce à la française

Il n’y a que la littérature pour rendre, de manière sensible, une procédure destinée à faire juger par un tribunal civil de la recevabilité et du bien-fondé des prétentions d’un homme et d’une femme qui se déchirent pour la garde de leurs enfants. Le roman Divorce à la française d’Éliette Abécassis (2024, Grasset) entraîne son lecteur de page en page, de témoignages en pièces exclues des débats jusqu’au jugement final, jusqu’au dénouement. L’écrivain, scénariste et parolière nous fait le grand plaisir de bien vouloir nous répondre.

Quelles ont été vos sources juridiques d’inspiration pour ce roman ?

Le livre est le fruit de mes discussions avec le professeur Marie-Anne Frison Roche, qui m’a parlé de sa thèse sur le contradictoire et qui m’a aidée sur les passages juridiques, que nous avons même élaborés ensemble, grâce à ses idées formidables. Elle m’a transmis sa passion pour le droit.

J’ai également profité des conseils de certains juges aux affaires familiales Je me suis familiarisée avec la matière juridique en observant aussi les avocats spécialistes du droit de la famille, et en lisant sur le sujet, en parlant avec ma fille, étudiante en droit. 

Le principe du livre est le suivant : chaque personnage s’adresse, oralement ou par écrit, à la juge. Les avocats plaident, en avançant chacun leurs arguments. Puis j’ai reproduit le jugement in extenso. Il est construit comme un dossier, un cas pratique et j’ai dû vraiment m’immerger dans la matière.

Comment vous en êtes-vous détachée ensuite dans l’écriture ?

Dans l’écriture, il y a l’élaboration romanesque par laquelle j’ai créé des personnages et construit une histoire. J’ai pris une liberté romanesque dans l’écriture des témoignages, puisque ceux-ci ne sont pas aussi détaillés ni aussi longs dans la réalité, tout en respectant scrupuleusement le cadre juridique. 

Par exemple, le mari est seul à l’audience, il raconte son histoire à la juge. L’épouse qui n’a pas voulu se rendre à l’audience, prend la liberté d’écrire une longue lettre, pour exprimer son point de vue. Tout ceci est crédible. À travers la succession des témoignages en faveur de l’un ou de l’autre, on avance dans l’histoire, de rebondissement en rebondissement, par les points de vue contradictoires qui chacun apporte un autre éclairage. J’ai en quelque sorte mis en place une mécanique narrative romanesque dans le cadre d’un procès, un peu à la manière des Américains, lorsqu’ils font des thrillers juridiques, mais avec davantage de liberté littéraire. Chaque personnage, étant donné son âge, sa fonction, son rôle, a sa façon de parler, sa psychologie, sa folie parfois. Comme dans la vie. Le roman permet de passer de la réalité à la vérité profonde. C’est cette alchimie qui constitue toute son ambition. Celle-ci est presque devenue un jeu. J’aurais pu multiplier les personnages à l’infini, je suis même entrée dans le jeu au point de me faire intervenir moi-même comme personnage, amie de Margaux, en tant que femme divorcée et mère de deux enfants. J’ai rencontré mon personnage, je lui ai donné des conseils, je l’ai jugée à ma façon et je l’ai aidée, comme elle m’a aidée.

Quels traits de la justice voulez-vous écrire ?

J’ai voulu écrire la difficulté de juger, car dans un divorce ou dans tout procès, on est prisonnier du récit de chacun. Chacun construit sa version de l’histoire, et il est difficile de décider laquelle est vraie, la plus vraie, la moins fausse. Qui a raison ? Qui a tort ? Qui peut le dire ? Et pourtant, il m’apparait que juger, c’est aussi traquer la vérité. Parfois, on se trompe. Et pourtant, on n’a pas le droit de se tromper, puisque se tromper est tragique pour qui juge. 

La justice est aveugle, non pas seulement au sens d’impartiale, mais au sens de la difficulté d’y voir clair dans les récits contradictoires. La justice cherche la vérité, mais la vérité est complexe, multiple parfois, sujette à l’interprétation, à la manipulation, à la contradiction. Alors, comment rendre la justice ? Tel est le problème auquel est confronté le lecteur, qui est mis à la place du juge, qui fait l’expérience de rendre la justice.

Quel serait votre idéal de justice ?

Concernant le divorce, je suis contre la mode de la garde alternée, qui arrange sans doute bien les parents, mais perturbe gravement les enfants, en en faisant des paquets qu’on se distribue en deux parts bien égales, pour que personne ne soit lésé. Les enfants ne sont pas des choses qu’on se partage comme un patrimoine. C’est un tel cataclysme le divorce, un moment de crise paroxystique parfois, qu’il faut songer à leur rendre la vie plus douce. Or quand les parents se séparent, ils se déchirent, et cela n’a pas de sens de les balloter dans deux univers contradictoires et souvent haineux. 

Ensuite, il faudrait davantage protéger les femmes dans le cadre des violences conjugales. Je suis effarée du nombre de féminicides dans le divorce. Comme si certains hommes ne supportaient pas d’être quittés, après s’être rendus insupportables. Ce n’est certes pas à la juge aux affaires familiales de protéger les femmes contre la violence de leur ex ou futur ex-mari, puisqu’elle doit statuer en fonction de l’intérêt supérieur de l’enfant, mais je pense qu’il faudrait idéalement pouvoir protéger les mères qui, après avoir subi la violence de leur mari, se trouvent confrontées à celle de leur ex-époux qui se sert des enfants pour leur nuire. Le cadre juridique devrait pouvoir les protéger davantage. 

Le questionnaire de Désiré Dalloz

Quel est votre meilleur souvenir d’étudiant ? 

C’est quand j’ai été reçue au concours d’entrée à l’École normale supérieure de la rue d’Ulm : joie, fierté, et accomplissement au bout de trois ans de travail fou. Les quatre ans que j’y ai passés sont les plus heureux de ma vie d’étudiante, par les rencontres que j’y ai faites, les professeurs que j’ai connus, la hauteur de pensée de chacun en cette maison idéale, abritée du monde et dédiée à la vie de l’esprit.

Quels sont votre héros et votre héroïne de fiction préférés ?

Solal d’Albert Cohen, superbe, fantasque, grandiose, double de l’auteur dans sa façon de penser, d’agir et d’être. Roi de la séduction, et prince de la fuite, de toutes les fuites, même celle de l’amour.

Marie Arnoux de l’Éducation sentimentale de Flaubert.

D’elle, on sait peu de choses, sinon le sentiment fou qu’elle inspire à Frédéric Moreau, dès son apparition. Brune, le teint mat, les yeux noirs, avec une belle silhouette, mère dévouée de deux enfants, elle est inspirée par Élisa Shlésinger, la grande passion de Flaubert. Mariée à un homme vulgaire qui la trompe, elle ne peut se libérer de ses chaines. Comme Francesca dans « Sur la Route de Madison », elle représente la condition féminine domestique transcendée par l’amour, la femme fatale au foyer. Marie Arnoux refuse l’amour pour se consacrer à ses enfants et son pauvre idiot de mari. En faisant cela, elle oppose son refus à la vie. « Sublime, forcément sublime », elle est la reine des rendez-vous manqués, et n’est finalement qu’une apparition. Mais quelle apparition ! 

Quel est votre droit de l’homme préféré ?

La liberté de penser. Qui de fait est menacée partout dans le monde actuel, et qui implique toutes les autres libertés fondamentales. 

 

Auteur :MBC


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