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[ 10 janvier 2019 ] Imprimer

Documentaliste dans un cabinet d’avocat

S'orienter, étudier, passer des concours, suivre des stages, découvrir un métier, décrocher un contrat... Autant d'étapes importantes qui soulèvent, pour chaque étudiant, un foisonnement de questions. Afin de démêler les réalités des idées reçues, Dalloz Actu Étudiant a décidé de décrypter tous les mois les spécificités d'un métier en rapport avec le droit à partir du témoignage d'un professionnel.

Les étudiants les croisent dans les grandes bibliothèques universitaires à longueur d'année. Pour autant, connaissent-ils vraiment les enjeux de ce métier ? Parfois assimilé au webmestre, chargé d'études ou veilleur, le documentaliste est un salarié précieux dans le fonctionnement d'une entreprise, en particulier dans les cabinets d'avocats, régulièrement submergés par les flots d'actualités juridiques. Carole Guelfucci, documentaliste du cabinet Darrois Villey Maillot Brochier en témoigne.

Pouvez-vous nous détailler votre parcours ?

J’ai su très jeune que je voulais être documentaliste. Enfant, j’étais papivore, je faisais déjà des revues de presse des magazines de mes parents. Après le bac, j’ai suivi un DUT Sciences de l’information et de la communication à Tours, complété par un séjour de deux ans en Grande-Bretagne. Là-bas, j’ai été maître assistante puis étudiante à l’Université de Loughborough pour y préparer un BA in Librarianship Studies (Licence anglaise de documentaliste, ndlr). Je n’envisageais pas particulièrement de travailler dans le juridique, je pensais plutôt à l’industrie du luxe, à l’agro-alimentaire. Par la suite, j’ai commencé à travailler en cabinet d’avocats et à suivre des cours du soir en droit des affaires au CNAM. Je continue d’ailleurs régulièrement à me former, notamment via les MOOC spécialisés sur les sciences de l’information. Après trois ans chez Deloitte & Touche Juridique et fiscal (devenu TAJ, ndlr), j’ai rejoint Bignon Lebray & Associés en 1995. En 2008, je suis arrivée dans le cabinet Darrois Villey Maillot Brochier où j’exerce toujours. J’y ai mis en place la bibliothèque, les sites intranet et internet.

Globalement, en quoi consistent vos missions au quotidien ? 

Je travaille au service d’environ 70 avocats et 20 stagiaires que je forme également. Le numérique est évidemment très pratique mais ce qu’on trouve sur internet n’est qu’une partie de ce qui existe. Le papier n’a pas dit son dernier mot et il ne se passe pas une semaine sans que j’aide quelqu’un à faire une recherche papier. Chaque avocat a une dotation annuelle en codes. Il s’agit de gérer cela ainsi que la bibliothèque du cabinet avec son budget, ses contrats avec les éditeurs, ses acquisitions, ses bases de données juridiques, son intranet documentaire. Je m’occupe aussi de la veille juridique sur les domaines qui intéressent le cabinet. Il peut s’agir de recherches d’informations complexes à obtenir, de réaliser des panoramas de presse sur des sujets d’importance pour les avocats. Je me vois comme une petite main au sens noble du terme. Nous sommes là pour faciliter la vie des avocats surtout quand ils doivent digérer des choses lourdes et complexes comme en ce moment avec le projet de loi PACTE, Plan d’Action pour la Croissance et la Transformation des Entreprises, ndlr) avec ses 73 articles. Nous travaillons depuis juin sur le sujet. Ce projet de loi sera suivi en aval, après publication, en s’aidant notamment des revues de doctrine juridique. Il faut gérer le chaud et le froid, anticiper ce que l’on peut sur les thématiques fortes du cabinet et répondre aux demandes du quotidien. Je m’occupe également de l’administration des sites internet et intranet du cabinet. En externe, je suis en lien avec les éditeurs, leurs responsables commerciaux, les fournisseurs de solutions informatiques.

Quels sont les points qui vous plaisent le plus et ceux que vous appréciez moins dans votre travail ?

Le moins va concerner les moments où je fais le « gendarme ». Un cabinet est un lieu chargé d’individualités où il faut parfois rappeler les consignes d’emprunt ou d’usage. Ce que j’apprécie c’est l’innovation technologique même s’il faut parfois s’accrocher. Les éditeurs améliorent régulièrement leurs bases de données et de nouvelles plateformes, qui peuvent changer nos habitudes, naissent régulièrement. La matière juridique elle-même nécessite une grande curiosité intellectuelle. Le métier de documentaliste est extrêmement riche et consiste à aider, chercher, trouver, produire, documenter ce que j’aime beaucoup faire. Je tiens par ailleurs un blog métier ce qui m’amène à réfléchir sur les évolutions de la profession juridique.

Documentaliste c’est un métier de service. Le besoin d’information est de plus en plus immédiat. Les documentalistes ont toujours joué un rôle important dans la valorisation de l’information et sa transformation, ce qui change c’est l’infobésité, le trop-plein d’informations, qui va avec l’immédiateté, la mobilité et l’incursion de plus en plus importante de l’intelligence artificielle dans les moteurs de recherche. Notre rôle est de faire gagner du temps aux avocats afin qu’ils se consacrent pleinement à leurs missions de conseil et d’analyse.

Quelles ont été les dernières grandes évolutions de votre métier ?

Je crois que le métier de documentaliste se transforme, se complexifie et c’est indispensable. Nous sommes obligés d’ajouter de la valeur à la gestion pure de la bibliothèque, par exemple avec la veille très personnalisée. Il nous faut également maîtriser d’autres fonctionnalités plus technologiques. A défaut de savoir déchiffrer les algorithmes, nous pouvons au moins être des interlocuteurs « sachants » des legaltechs, surtout si nous sommes amenés à travailler ensemble. C’est une tendance qui se profile. Nous sommes de plus en plus multi-casquettes. Nous pouvons être amenés à faire du comunity management lorsqu’il n’y a pas de service communication ou gérer les sites web de la structure. De même, il y a entre notre métier et celui de business developer des passerelles car nous faisons des recherches sur le marché sauf que nous n’intervenons pas directement dans la stratégie marketing. Avec la réforme RGPD, notre mission pourrait s’étendre à la gestion des données personnelles. De manière générale, il nous faut anticiper les évolutions des métiers du juridiques afin de bien s’y préparer.

Questionnaire de Désiré Dalloz

Quel est votre meilleur/pire souvenir d'étudiant ?

Le pire ce sont les mathématiques, une matière qui a alimentée mes angoisses d’examen bien après le baccalauréat. 

Sinon j’ai beaucoup aimé ma vie d’étudiante en documentation dans la belle ville de Tours où je fréquentais l’IUT. Pendant mes études, j’ai fait un stage de trois mois au service documentation des Échos, à l’époque où la documentation n’était que papier, avec des centaines de dossiers rangés dans des armoires qui coulissaient sur des rails. Le service comprenait plus de dix documentalistes très sollicitées par les journalistes. Je garde aussi un bon souvenir de la fin de mes études en Grande-Bretagne. Mes parents sont venus sur le campus pour la remise des diplômes. Nous étions habillés de toges et de petits chapeaux, c’était très émouvant de partager ce moment en famille.

Quel est votre héros de fiction préféré ?

Ça date un peu mais j’ai beaucoup aimé le personnage d’Ally McBeal dans la série du même nom. Sa vision rocambolesque et fantasque du monde des avocats d’affaires me faisait rêver. Plus récemment, j’ai été fascinée par le personnage de Don Drapper dans la série Mad Men, un grand homme d’affaire complexe et exigeant dans une série vintage à souhait.

Quel est votre droit de l'homme préféré ?

En tant que blogueuse, je dirais la liberté d’expression. C’est un acquis précieux qu’il faut défendre, pas seulement contre le fanatisme religieux mais aussi contre les censures abusives et pudibondes de certains réseaux sociaux. A surveiller également la directive copyright adoptée le 12 septembre 2018 par le Parlement Européen qui aura certainement un impact sur la recherche d’actualités notamment, sur internet.

Carte d'identité du documentaliste

Dans la branche juridique, les documentalistes peuvent travailler dans le domaine public (bibliothèques, ministères) ou dans le privé (cabinets d'avocats, études de notaires ou entreprises). Leur métier a largement évolué avec l’arrivée du numérique. Par ailleurs, le plus souvent, ces métiers n'existent pas dans les cabinets trop petits, contraints par des problématiques budgétaires

- les chiffres

Il existe peu de statistiques et chiffres sur la profession de documentaliste juridique. Une partie d'entre eux est néanmoins regroupée au sein de l'association ADBS, des professionnels de l'information et de la documentation, créée en 1963. Or celle-ci regroupe 2500 adhérents dont 90 professionnels dans le groupe de documentation juridique. Il existe une autre organisation du nom de Juriconnexion, ouverte en 1988 et qui compte 140 adhérents, soit 70 documentalistes dans les cabinets d’avocats et 40 documentalistes en entreprises ou en administrations.

- la formation

Il est en principe demandé aux candidats un niveau d'étude Bac + 4 en droit et un diplôme de documentaliste mais beaucoup de professionnels sont passés par des parcours non juridiques. Par ailleurs, les recruteurs sont très sensibles à la maîtrise de l'anglais voire d'une troisième langue.

Plusieurs écoles forment les documentalistes. C’est le cas de l'École de Bibliothécaires Documentalistes (EBD) à Paris, l'institut le plus ancien et reconnu, l'INTD Cnam à Paris également, ou l'École Nationale Supérieure des Sciences de l'Information et des Bibliothèques (ENSSIB) à Villeurbanne. Certaines proposent des formations spécialisées sous forme de stages, d'alternance, de formation continue et même de cours du soir.

Il existe également des diplômes universitaires spécialisés : la licence info-com, le DUT option information numérique dans les organisations ou le DUT info-com proposé dans une dizaine d'IUT mais aussi des Masters. A cela s'ajoutent depuis 10 ans des « Certificats de spécialisation », plus courts que peuvent suivre des professionnels pour compléter ou se spécialiser dans une fonction. Ils sont certifiants et offrent des crédits européens. 

les domaines d'intervention

Les documentalistes veillent, archivent, et recherchent des informations dans tous les domaines du droit dans lesquels travaillent les membres du cabinet, de l'entreprise ou de l'institution concernée. Par ailleurs, le documentaliste intervient aussi pour former les juristes à l'utilisation des ressources numériques, gérer et stocker le savoir interne (Knowledge Management), participer à la mise en place des sites web de la structure, négocier les contrats d'abonnement avec les éditeurs, etc…

le salaire

Selon le dernier Argus des salaires du magazine Challenge, en 2018, les documentalistes gagnaient en moyenne 53500 € bruts annuels. Soit 38700 € bruts annuels minimum et 66400 € bruts annuels maximum avec un variable compris entre 1600 et 5100 € bruts annuels.

les qualités requises

Rigueur, patience, anticipation, capacité de recherche, de veille, sens de l'écoute, diplomatie, sens de l'organisation, souplesse, adaptabilité, pédagogie, communication, serviabilité, pluridisciplinarité, autonomie.

les règles professionnelles

Confidentialité, secret professionnel, probité, éthique professionnelle, respect des règles imposées, etc.

-les sites Internet : 

L'association ADBS

L'association Juriconnexion 

Le blog métier de Carole Guelfucci 

Le blog métier d’Emmanuel Barthe 

 

Auteur :Anaïs Coignac


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