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@ ministère santé-solidarité/SICOM/Vincent Blocquaux
Dominique Versini
Dominique Versini est Défenseure des enfants depuis 2006 et présidente du réseau européen des 37 défenseurs des enfants. Son CV est tout à fait singulier : maîtrise de droit, diplôme de l’Institut d’études politiques, chef de la communication d’un laboratoire pharmaceutique connu, directrice du Samu social après l’avoir créé avec Xavier Emmanuelli, ancienne ministre de Jean-Pierre Raffarin.
Or, la révision constitutionnelle de juillet 2008 institue un Défenseur des droits (art. 71-1 Const.). La loi organique, qui précise le statut et les moyens de cette nouvelle autorité, soulève contestations et doutes. Définitivement adoptée par les Assemblées le 15 mars dernier et soumise au Conseil constitutionnel avant promulgation (art. 46 Const.), elle prévoit le regroupement en son sein de quatre autorités indépendantes : le Médiateur de la République, le Défenseur des enfants, la Commission nationale de déontologie de la sécurité (CNDS) et la Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité (HALDE).
Quelle avancée démocratique attendiez-vous de la révision constitutionnelle de 2008 qui crée un Défenseur des droits ?
La création d’un Défenseur des droits aurait pu apparaître comme une avancée démocratique si cela avait consisté d'une part, à donner un rang constitutionnel et plus de pouvoirs au Médiateur de la République chargé d'aider nos concitoyens dans leurs litiges avec les administrations et d'autre part à garantir la totale indépendance de ce Défenseur des droits en le faisant nommer par le Parlement à une large majorité des trois cinquièmes. C'est d'ailleurs le cas dans de nombreux pays européens et notamment en Espagne avec le Défenseur du peuple ou en Suède avec l'Ombudsman parlementaire.
Par contre, la suppression du Défenseur des enfants, de la Commission nationale de déontologie de la sécurité (CNDS) et de la HALDE n'augure en aucun cas une progression démocratique dans la mesure où les missions de ces trois institutions indépendantes se retrouvent diluées dans une grosse machine administrative et soumises à l'arbitraire du seul Défenseur des droits, nommé par le président de la République. Telle a été l'analyse de la Commission nationale consultative des droits de l'homme (CNCDH) et de la plupart des acteurs œuvrant dans le champ des droits et libertés.
Quant aux enfants, cette réforme marque un vrai recul pour la défense de leurs droits alors que nombre d'entre eux sont victimes d'atteintes dans les domaines les plus sensibles de leur vie : séparations parentales conflictuelles, enlèvements d’enfants, placements à l'aide sociale à l'enfance, séjours en centres de rétention administrative, etc. Bien que le législateur ait prévu qu'il y ait un adjoint nommé « défenseur des enfants », la lecture du projet de loi montre bien que celui-ci n'aura aucun pouvoir d'appréciation ni d'intervention propre d'autant que les enfants ne pourront plus le saisir directement. Dans la plupart des pays européens coexistent un Défenseur des droits et un Défenseur des enfants, indépendant et spécifique, selon les recommandations du Comité des droits de l'enfant des Nations unies.
Que peut-on espérer aujourd’hui de la fusion de quatre autorités administratives indépendantes de défense des droits et libertés autour d’une seule personne, le Défenseur des droits, dont le mode de nomination ne ferait intervenir aucun organe démocratique ?
En ce qui concerne les missions du Défenseur des enfants qui seraient diluées au sein du Défenseur des droits cela témoignerait d’un recul par rapport aux engagements internationaux de la France et notamment aux préconisations du Comité des droits de l’enfant des Nations unies de renforcer le rôle et les moyens du Défenseur des enfants français (v. son rapport de juin 2009 sur l'état des droits de l'enfant en France).
J'ai beaucoup plaidé pour que, à défaut de maintenir un Défenseur des enfants indépendant, le Parlement dote l'adjoint « défenseur des enfants » d'une large délégation en matière de défense et de promotion des droits de l’enfant et d'une saisine directe par les enfants ainsi que de la présentation d'un rapport annuel sur les droits de l'enfant. Il apparaît très clairement dans tous les débats du Sénat et de l'Assemblée nationale que les rapporteurs parlementaires soutiennent le projet du gouvernement qui veut que cet adjoint ne soit rien de plus qu'un simple « collaborateur » du Défenseur des droits. La crédibilité du Défenseur des droits nommé par le président de la République dépendra donc de son niveau de compétences dans le champ des droits et libertés, de son degré d'indépendance par rapport au pouvoir politique et de sa capacité à déléguer ses compétences à ses adjoints.
Quelles sont les particularités de la défense des enfants, de leurs droits ?
Les enfants ont besoin d’une protection spéciale jusqu'à leur majorité. Si la Convention internationale des droits de l’enfant (CIDE) a été votée à l'unanimité des États membres des Nations unies en 1989, c'est pour que tous les enfants du monde puissent voir reconnus leurs droits fondamentaux. La ratification par les États de cette Convention les engage à mettre en conformité leurs lois nationales et les dispositifs destinés à les protéger et à aider les parents dans leur rôle éducatif. Les enfants peuvent rarement s'adresser seuls à des administrations ou à la justice. C'est pourquoi les Nations unies recommandent à tous les États qui ont ratifié la CIDE de créer un organisme indépendant afin de recueillir la parole des enfants, leur permettre une saisine auprès d'un interlocuteur spécifique et inciter les États à faire évoluer leur droit interne.
Quelle perte en matière de droits de l'enfant craigniez-vous si la nouvelle institution telle qu’elle s’annonce était confirmée ?
Les droits des enfants étrangers me paraissent les plus susceptibles d’être les moins bien défendus dans la mesure notamment où les associations qui n'ont pas dans leurs statuts la citation expresse de la défense des droits des enfants ne pourront pas saisir le Défenseur des droits. Or, cela représente actuellement 17 % des réclamations traitées chaque année par le Défenseur des enfants. Plus largement, cette restriction apportée dans la loi amènera subtilement à une baisse évidente de la saisine par les associations qui sont un relais important à l'heure actuelle.
Dans un autre domaine, celui de la promotion des droits de l'enfant, le texte de loi prévoit que le Défenseur des droits mène des actions en la matière mais cela reste facultatif. Or, dans le cadre de cette mission, j’ai mis en place une équipe de Jeunes ambassadeurs de la défenseure des enfants (les JADE). Ce sont des jeunes en service civique qui se rendent dans les collèges, mais aussi dans les accueils de loisirs, les services hospitaliers de pédiatrie, pour sensibiliser enfants et adolescents à la Convention internationale des droits de l’enfant et leur faire connaître l'existence du Défenseur des enfants et la possibilité pour eux de le saisir. Cela permet de recueillir des paroles « inquiétantes » de la part d’enfants qui ne se seraient jamais confiés à des adultes ni à des organismes.
Le questionnaire de Désiré Dalloz
Quel est votre meilleur souvenir d’étudiant ? Ou le pire ?
Mon meilleur souvenir est le séjour de trois mois que j'ai eu la chance de faire à l'université de Cambridge pour étudier le droit anglais. Pour moi qui logeais dans une chambre d'étudiant sur le campus universitaire de Nanterre c'était la découverte d'un monde où tout était fait pour que les étudiants s'épanouissent en cultivant leur esprit tout en faisant du sport dans un environnement magnifique.
Quel est votre héros de fiction préféré ? Pourquoi ?
Corto Maltese. Un aventurier révolutionnaire et solitaire, du début du XXe siècle, bourlinguant d'Amérique latine en Sibérie, en passant par Venise, la Turquie et l'Éthiopie et vivant des aventures extraordinaires. Un personnage romanesque suivant des itinéraires inspirés de Rimbaud ou de Lawrence d'Arabie dans un univers à la Orson Welles. Le tout dans un univers mythique cher à Hugo Pratt qui y a développé toutes ses passions pour l'Histoire, Venise, le grand large et l'occultisme.
Quel est votre droit de l’homme préféré ? Pourquoi ?
Les droits des enfants qui sont la déclinaison des droits de l'homme appliqués à l'enfant sont tous essentiels et complémentaires et doivent être promus et défendus en permanence. Si je devais en distinguer un, sans le préférer, je dirais que dans un pays riche et démocratique comme le nôtre, le droit à l'expression est celui qui a le plus de mal à être compris des adultes qui y voit une perte de leur autorité sur les enfants. Mon expérience à travers la grande consultation « parole aux jeunes » réalisée en 2009 montre que la reconnaissance du droit à l'expression des enfants et adolescents leur permet de participer au processus de construction démocratique et d'être acteurs de propositions souvent très pertinentes.
Références
■ Constitution du 4 octobre 1958
Article 46
« Les lois auxquelles la Constitution confère le caractère de lois organiques sont votées et modifiées dans les conditions suivantes.
Le projet ou la proposition ne peut, en première lecture, être soumis à la délibération et au vote des assemblées qu'à l'expiration des délais fixés au troisième alinéa de l'article 42. Toutefois, si la procédure accélérée a été engagée dans les conditions prévues à l'article 45, le projet ou la proposition ne peut être soumis à la délibération de la première assemblée saisie avant l'expiration d'un délai de quinze jours après son dépôt.
La procédure de l'article 45 est applicable. Toutefois, faute d'accord entre les deux assemblées, le texte ne peut être adopté par l'Assemblée Nationale en dernière lecture qu'à la majorité absolue de ses membres.
Les lois organiques relatives au Sénat doivent être votées dans les mêmes termes par les deux assemblées.
Les lois organiques ne peuvent être promulguées qu'après la déclaration par le Conseil Constitutionnel de leur conformité à la Constitution. »
Article 71-1
« Le Défenseur des droits veille au respect des droits et libertés par les administrations de l'État, les collectivités territoriales, les établissements publics, ainsi que par tout organisme investi d'une mission de service public, ou à l'égard duquel la loi organique lui attribue des compétences.
Il peut être saisi, dans les conditions prévues par la loi organique, par toute personne s'estimant lésée par le fonctionnement d'un service public ou d'un organisme visé au premier alinéa. Il peut se saisir d'office.
La loi organique définit les attributions et les modalités d'intervention du Défenseur des droits. Elle détermine les conditions dans lesquelles il peut être assisté par un collège pour l'exercice de certaines de ses attributions.
Le Défenseur des droits est nommé par le Président de la République pour un mandat de six ans non renouvelable, après application de la procédure prévue au dernier alinéa de l'article 13. Ses fonctions sont incompatibles avec celles de membre du Gouvernement et de membre du Parlement. Les autres incompatibilités sont fixées par la loi organique.
Le Défenseur des droits rend compte de son activité au Président de la République et au Parlement. »
■ Comité des droits de l’enfant, Observations finales concernant la France, 12 juin 2009.
■ Convention internationale des droits de l’enfant du 20 novembre 1989.
Pour en savoir plus :
■ Le site du défenseur des enfants : http://www.defenseurdesenfants.fr/.
■ European Network of Ombudspersons for Children: http://crin.org/enoc/.
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